SAMEDI 19 novembre 2022
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Se doter d'une inspiration extralarge, année 2"

Animation : Régis MOULU

Thème : L'usage du rêve qui renforce la réalité

Une vraie et belle source d'inspiration nous provient de nos rêves, à savoir ceux qui correspondent à un idéal "zieuté" ou ceux qui nous chatouillent durant la nuit tant ils sont magiques et invraisemblables. Au cours de notre séance, nous allons justement user de cette matière vivante afin de mieux camper, par effet de contraste, la réalité. Car le rêve seul est de la folie, là où le rêve, cet enfant de la réalité, devient un salutaire ballon d'oxygène pour tout humain, et qui plus est, pour les personnages de nos textes. Ainsi nos textes se doteront de plus de tensions et de poésie.


Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : Inventer comme point de départ, une situation radicale où le héros, face à la folie de ce contexte, devra faire preuve de bruit et de fureur afin de faire éclater ses talents ; il édifiera au passage toute une « cathédrale d'imaginaire » (dans le sens de « tout un monde imaginaire »), ce qui s'avèrera payant.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support énonçant notamment ce en quoi le rêve nous aide à construire le présent a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Sans aucun point fixe" de Régis MOULU

 

 

"Sans aucun point fixe" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Peut-être que tout est faux dans ce sous-marin.
Peut-être que le drame remet tout en jeu,
y compris nos perceptions.
Être entouré d'eau est un nouveau monde,
Thomas se sentait comme un noyau de pêche
dont la chair est liquide,
et aussi trouble qu'infinie.
L'expérience initiale a mal tourné.
Explorer la fosse abyssale
a viré à « s'en remettre totalement
aux courants marins ».
Le manque de luminosité,
après avoir forcé la pupille,
la fatigue à outrance.
Son futur commençait
à prendre sérieusement ses quartiers
dans ce bathyscaphe de malheur.
L'équipe technique a dû mal l'inspecter.
C'eût été un avion
que le gentil trentenaire
serait déjà mort,
comme remangé par notre terre vorace.
La disposition harmonieuse de ses cheveux
laissait présager, malgré leur fouillis,
une fraîche coupe.
Ou quand le style s'acoquine avec le chaos
pour arracher à la vie
une beauté opportune.
Par ailleurs, sa peau hâlée
serait le vestige de sa liberté passée,
vestige en péril, jamais sauvé.
Et l'image d'une plage à l'air libre
de remplir son cerveau
comme l'on chargerait en bons fruits
son bocal de confiture faite maison.
Ses vertiges s'amplifièrent,
impossible dès lors de savoir
s'il était debout, couché ou sur la tête.
Cette apesanteur réelle trahissait
le sentiment d'impasse dans lequel il était.
Et sa femme Loann
qui devait l'attendre
à s'en ronger les ongles.
Mais était-ce seulement normal
d'encore miser sur son existence
tant, là où il est, Thomas n'aurait
pour compagnon
que le vautour d'une solitude mortelle.

« Adapte-toi » s'infligea-t-il,
« il n'y a plus rien,
plus aucun lieu de croyance,
aucune perspective
à part s'engouffrer dans la faille du présent ! ».
Envie d'éructer.
Et intervint la première entame
que mena sur lui
la logique de l'économie,
l'instinct de survie s'était enclenché.
Tout devint rare, unique, dramatique
alors même que tout aurait pu être
beau, inespéré, merveilleux,
question de mentalité.

À treize kilomètres d'ici,
Loann serait sans doute en panique,
mais bon, cette page est tournée.
Déchirée.
Et brûlée.
Tout un monde d'espoir se cristallisa alors
dans le hublot du vieux submersible.
Drôle de coquillage.

L'homme s'en approcha
comme l'on s'emparerait d'un couvercle.
Sa désespérance le souleva sans peine
afin d'ouvrir en grand
ce tonneau d'imagination.

Peut-on coller ses yeux
à une vitre ? – aujourd'hui oui.
Et ses cornées de s'étaler
sur le froid du verre
comme deux limaces,
fond d'œil contre fond de mer :
ainsi ne lui serait offert
que « le monde libre en brut »,
sans aucun intermédiaire
ni frelatage.
Que du vrai, que du vif, que de l'abrasif !

Un concombre des mers passa. C'est dur à avaler.

Ou est-ce une algue
aux bords peu francs ?
Toujours est-il que son cerveau le traita
comme une ondulation :
rudimentaire hypnose…
« Ne pas voir loin » lui permit
de diagnostiquer à quel point
sa conscience était limitée.

Il embrassa le carreau
comme si l'amour pouvait annuler toute distance.
Ses lèvres s'ouvrirent en orchidée sauvage incarnadine
dont le cœur se révéla être en émail,
pareil à une plaque de Galak,
très tentante.
Tout le monde se résumerait donc à un liquide
à la portée de sa bouche,
il en devenait fou.

Il hurla.
Le son ne franchit pas la vitre.
Pire, il sembla même rebondir,
ce qui remodela son visage
par l'intérieur.
Nulle part un sol,
une possible rive,
un élément en dur,
un point fixe
si bien qu'il ne peut établir
si son bathyscaphe bougeait,
ou même vrillait,
ou bien encore coulait.

À son cou, une petite croix.
Il porte aussi un élégant gilet
dont la poche est gonflée
par un mouchoir neuf.
Somme toute, Thomas
est presque coquet
car il affiche avant tout
une beauté sans calcul qui s'ignore.
Ce manque de « présence à soi »
lui donnerait presque un air idiot,
un petit déficit d'humanité.
Et son actuel état de lion en cage
ou de souris dans sa boîte d'allumettes
n'appuyait que plus cet aspect.
« Nuancer » était devenu son seul salut.
Ses yeux furent des mains
qui tripatouillèrent la soupe passée
dans laquelle il était immergé.
Puis des râteaux
qui avaient, en plus, la qualité d'aspirateurs.

L'eau, au départ égale en tout part,
révéla des trésors d'imperfections.
Et même si du détritus à la crevette,
il y a un calibre semblable,
de fait, notre passion vouée à leur étude
les distingue infiniment.
Aussi notre aventurier établit
qu'il n'y a pas deux éléments « sur terre »
qui ait la même trajectoire,
la même course,
la même calligraphie,
la même poésie.
Du merveilleux le ceint,
telle une guirlande de Noël.

Et ses iris saignaient,
ce qui arriverait d'ailleurs à quiconque
qui ferait preuve de discernement.

Une caravane d'indices non interprétables
sillonnèrent ainsi son ciel miniature.
À son imagination de parachever alors
ce happening envoûtant.
Et ses pensées de galoper dans son crâne
comme des chevaux sauvages
dans un manège joyeux.

De son point de vue, l'univers reprenait son lard,
sa saveur
et ses strates innombrables.
On ne devrait jamais s'arrêter de creuser.

Un calmar, au début « cheveux d'ange »,
se posa en « géant des mers ».
Thomas, trompé par sa nouvelle âme de voyageur,
n'en perçut pas le danger.
Le combat fut bien inégal.
« Dépouille de scarabée inerte »
contre « folie de gélatine
brassant tout sur son passage
comme un accordéon hystérique » :
le choc en fut rude.

L'animal aux mœurs archaïques
prit en effet le bathyscaphe
pour une daurade qui aurait, certes,
un peu forcé sur les hormones de croissance
mais dont l'œil en forme de hublot
qui tirait son jaune
de la lumière du plafonnier
ne faisait que mieux office de cible.

Le petit homme comprit ainsi
ce qu'était concrètement un cauchemar.
C'est le supplice de la machine à laver
dont la porte aurait claqué derrière soi
une fois qu'on y est entré.
Il arrive parfois que l'invraisemblable
soit tellement inimaginable
qu'on en arrive à douter de la réalité,
tel fut le cas de Thomas.

Entre deux loopings,
il ressentit une terrible douleur au bras.
Un peu plus tard,
il aperçut sur sa modeste table
des traînées de sang,
mais il était bien incapable
de dire où il était blessé.
Plus tard encore,
il devina qu'un de ses pieds
avait tapé contre un levier de commande
qui cassa sous le choc.
Et tout continuait à être chamboulé
si bien que, de toute part,
à l'intérieur de l'habitacle,
jaillissaient des objets qui se disloquaient
puis se mêlaient en une fricassée
de plus en plus enrichie.
Cela faisait autant de projectiles
dirigés contre notre homme.
Arrive d'ailleurs un temps où la douleur,
par son intensité réarmée sans cesse,
nous anesthésie,
aussi le navigateur atteignait-il, présentement,
cet état.

Et il se réveilla dans un lut d'hôpital,
à moins qu'il en rêva
si fort que cela se produisit.

Les examens révélèrent un taux anormal
d'endorphine, d'adrénaline
et un cas jamais vu en médecine.
Ce surplus, ingérable pour le corps,
provoque un évanouissement assuré.

« Et si Thomas n'est jamais monté de sa vie
dans un bathyscaphe,
il a tout de même l'âme d'un marin »
sembla déclarer le psychanalyste,
le Professeur Encornet,
avide de pouvoir détendre l'atmosphère

au moyen d'un bon mot.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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