SAMEDI 15 JUIN 2013
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"J'écris comme d'autres peignent"

Animation : Régis MOULU

Thème :
Agrandir les horizons (Turner)

Au cours de cette séance, il s'agit de d'agrandir les horizons, d'ouvrir les espaces, de donner du volume au volume... bref, d'atteindre des sommets en visant le grandiose démultiplié !

... Notre inspiration viendra de l'esprit de William Turner qui a initié la fantaisie dans la lumière, qui a créé des visions à travers le brouillard, qui a dynamisé des arcs-en-ciel !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), ce sujet a été énoncé en début de séance : écrire à partir du tableau "Riders on the beach" (visuel ci-après)
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support a été distribué... Miraculeux, non ?!

 

 

 

 

 

 


Riders on the beach (les cavaliers sur la plage)
de William Turner

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Les mariés de l'aube" d'Ella KOZèS

- "Un scribouillis de voiles" de Régis MOULU

- "A l'infini" de Nadine CHEVALLIER

- " « Laisse » " de Marie-Odile GUIGNON


"Les mariés de l'aube" d'Ella KOZèS


Je le reconnais volontiers, ce matin-là était un début de journée peu ordinaire. En proie à un curieux pressentiment, je m’étais réveillé en pleine nuit car j’avais ressenti comme une impérieuse nécessité de me mettre en route, une de ces rares obligations intimes auxquelles il est totalement vain de résister. C’était comme un appel du large, une invite à sortir de soi qui chassait le sommeil et me contraignait à déambuler sur le sable fin, nus pieds, bien emmitouflé sous mon ciré.
Les embruns humides et frais me collaient à la peau. Le froid m’engourdissait chaque minute un peu plus. Je défie quiconque de s’endormir sous pareille température !

Le ciel étoilé par trouées  prenait une teinte mauve à l’approche de l’aube. La rumeur de l’océan tout proche était assourdissante : Point de repos possible, point de calme dans cette nature en mouvement perpétuel. Les vagues aléatoires et régulières à la fois se fracassaient contre la falaise qui paraissait reculer sous de tels coups de boutoir puissants et répétés. Solide comme un roc, elle n’entendait pas s’en laisser conter et ses quelques éboulis retentissaient dans les airs comme un rire sans importance. Elle avait la présomption du chêne qui ne plie jamais. L’océan, quant à lui, sûr de sa force et de la pérennité de son œuvre, ne se lassait pas de la caresser puis de la gifler, de lécher ses pieds pour mieux l’envahir ensuite, de la sculpter pour la réduire un peu plus. Il y avait là un jeu d’éternels recommencements, à ceci près que l’éternité ne durerait pas puisque la falaise assiégée disparaitra un jour par engloutissement ; et que chaque recommencement était différent du précédent par mille et un détails. La vie est ainsi faite d’éternités qui ont une fin, et de recommencements qui n’en sont pas. Je saisissais mieux le fragile équilibre des forces auquel le vivant participait un peu.

Dans cette aube qui se levait à peine, je m’habituais peu à peu aux sons grandioses que Berlioz ou même Wagner n’auraient pas reniés. Il ne m’était jamais venu plus clairement à l’esprit que la Terre était en perpétuelle représentation. La plage  étincelait de mille feux tendres. Les cieux se transformaient en une palette de gris rosés et nacrés, ornés de subtiles touches dorées. Subjuguée par le miracle de la lumière naissante qui triomphait délicatement des ténèbres, je n’avais pas assez de mes sens pour célébrer la vie.

C’est alors que je les ai vus… Comme modelées par l’infini, deux formes quasi indistinctes paraissaient émerger des vagues. Deux fiers destriers  marchaient au pas, dans un halo de brume, et se dirigeaient vers moi. La surprise m’a tout d’abord cloué sur place, telle une statue de sel, tant j’avais le sentiment d’assister par erreur à quelques célébrations occultes. Le fond sonore avait baissé d’intensité pour céder la place à l’apparition qui s’offrait à mes yeux : un cheval brun monté par un homme habillé d’une redingote de même couleur, portant un chapeau de gentilhomme d’un autre temps, accompagné d’une magnifique jument à robe blanche,  sur laquelle était juchée une jeune mariée tout de blanc vêtue, elle aussi. Pour un peu, je jurerai que la robe mouillée épousait des formes magnifiques. Cependant, il n’est pas certain que mon esprit égaré n’ait inventé cet embellissement. Je m’en tiendrai donc à ce dont je suis certain d’avoir vu !
Au fur et à mesure de leur avance, se levait le soleil timide des printemps de nos régions perdues sur des mers immenses et froides. Le rayonnement de la lumière se faisant plus intense peinait encore à percer le brouillard irisé de la côte. L’écrin ouaté des cieux protégeait cette vision étrange et merveilleuse de deux cavaliers sur la plage, passant en silence sans me voir. Pour autant que je me souvienne, ils avaient les yeux rivés l’un sur l’autre. Leur monture les menait sans qu’ils n’interviennent aucunement. Ces nobles animaux savaient sans conteste où ils devaient se rendre. Je peux vous assurer que je ne les ai pas quittés des yeux. Ils ont disparu très lentement, comme absorbés par un brouillard de chaleur. La netteté de leurs formes s’étant progressivement atténuée, ils se sont littéralement évaporés sous mon regard… Dans un réflexe, je levais la tête et bien que je n’en sois pas tout à fait convaincu, je dois avouer que je crus voir un nuage à leur image.
C’est aux empreintes de sabots laissées dans le sable que j’ai su que je ne rêvais pas.

 

"Un scribouillis de voiles" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Brouillard,
brouillard de taches,
des taches aux possibilités infinies,

tout ici est envisageable,
tend à être,
deviendra,
sera révélé,

tel l'amour qui guette les humains.

Et puis ce soleil diffus,
comme bâillonné de vapeurs,
qui rend le sable caramel,

la fonte des éléments a commencé,

il est grand temps de réaliser
que la terre évolue plus vite qu'avant,
s'emballe,
nous pousse à l'action,
nous met sous l'ordonnance du mouvement,
– bouge, fourmi !

J'ai rêvé de deux êtres,
deux promeneurs,
des coureurs de mirages
portés par la brume indomptable.

Leur désir incompressible et en expansion
a mis sous leurs fesses un cheval,
cette chaise qui court
et qui hennit,
un quasi fauteuil roulant
qui donne de la hauteur,
qui fait voir loin,
qui fait en sorte que le "loin"
ne va pas tarder à devenir un "ici",
un "que fait-on maintenant qu'on y est !",

idiot aurait été
celui qui n'a pas entendu parler
du galion échoué,

personne n'a pu y échapper :
un nouveau Mont Saint-Michel
s'était cristallisé sur la côte,
le mystère et les trésors de l'âme
s'étaient dotés d'une nouvelle adresse !

Ce chevalier blanc sans cheval,
c'était toi.
Ce suiveur noir avec des rêveries en forme de sacoches,
c'était moi…
ou ce qu'il en reste.

Les voyages,
de par leur durée et le chaos qui les définissent,
nous effritent toujours davantage,

ou plutôt, nous allègent ;

en effet, seul le mouvement
– le parcours des distances –
nous fait vieillir,
le temps qui passe y est totalement étranger,
un bon bouc émissaire.

Mais pourquoi te suis-je ?
pourquoi suis-je devenu
ce petit jockey arc-bouté
sur son espérance,
comme tendu par ses désirs inassouvis
et incomblables ?
– Désormais ma volonté est animale,
uniquement !
je ne crois plus qu'en mon instinct le plus opale
même si la nature nomme cela
l'inattendu.
Et je passe ma vie
à fabriquer des secrets,
je veux dire des actions inabouties,
des partages raisonnables
parce que raisonnés;

je te suis parce que je suis asphyxié par ces vitres,
ce cercueil de verre en formation,
cette ombre au tableau.

– s'il te plait, explosons l'univers,
nos yeux ont toujours été des rockets !
Je te connais ces qualités :
tu es convaincu et imprécis à la fois,
et c'est ça que j'aime en toi,
tu me remues comme le feraient
des vagues qui se démontent en étincelles
sur le petit promeneur de la côte que je suis,
ou quand lavage et essorage
opèrent en même temps,

gageons que ces victimes d'un jour
se révèleront en hommes nouveaux du lendemain.

Je savais le galion proche,
les résonances du paysage
n'étant plus les mêmes,
sauf que,
sous la fatigue,
toutes mes impressions partaient en nébuleuses.

Et tu étais encore là,
devant moi,
m'offrant ton dos que j'avais pris
depuis un bout de temps
pour un cerf-volant
fait d'une chemise improvisée
sur deux morceaux de bois
montés en croix.

Comment devient-on si altier ?!

Moi, les questions sans réponses,
ça me fait planer,
mes cheveux mutent en perroquet.

Fin de la confiture de lait,
entrée dans la mousse,
la mer pression :

naissance de gerbes d'eau
qui infiltrent aussitôt le ciel,
ici tout est pur,
l'errance n'est pas de mise,

sous ma peau de varechs,
mon cœur est un buvard,
l'opération "tenter l'harmonie"
n'arrêtera plus de m'obséder,

je suis sûr
que plus rien ne me fait peur,
j'ai pourtant bien vu
l'orage qui menace
de prendre la parole,

ce vaisseau,
c'est comme une caverne
qui s'ouvre,

l'utérus du monde
ou quelque chose de plus profond,

les mots me manquent,
la créativité s'impose.

Irradiations.

Mes émotions sont des pages
qui tournent de plus en plus vite,

et de plus en plus bruyamment.

 

Si l'homme aime l'or,
c'est parce que c'est la couleur
qu'a prise initialement la joie.

Des herbes hautes nous chatouillent,
la mer est agitée.

J'aimerais maintenant savoir
si ce spectacle te rend heureux,
car, vois-tu,
ce serait la seule chose qui me manque
pour que je le sois.

Tu ne cesses de zigzaguer,
je suis épuisé,
tant que j'entendrai un air de harpe,
tu seras là.

L'eau, c'est de la végétation liquide.
Le navire s'est échoué,
reçoit sans arrêt
des assauts de ronces qui le sanglent,
la lumière faisant d'elles des effilochades de cristal.

Il a des portes partout, je ne vois plus rien,
la béance nous attire,
nous convoque,
nous rapetisse,
l'ardeur est requise.

Mon corps n'a plus de poids pour mes pieds.

Pourquoi glisse-t-on dans l'envie de gravir le mat ?
que tout soit possible ne change rien,
il fallait l'atteindre,

j'eus l'impression que nous escaladâmes
une boule de pain à pétrir,
cela dura une année
avant d'accéder au pont.

À cette altitude,
tout avait la teinte des campanules,
de telles nappes de couleurs
nous abasourdirent,
nous démêlèrent.

Les mirages existent,
je m'y suis baigné,
mon derme s'en est nourri,
mes nerfs ont découvert cette détente,
j'en témoigne humblement.

En haut du mat,
un scribouillis de voiles
en forme de chouette
qu'on n'a jamais pu toucher.

J'ai mis alors ma main à la verticale,
avec les doigts écarquillés,
dans sa direction,

et ça m'a fait un gant.

J'ai refermé ma main,
et force est de constater
qu'elle s'était envolée
comme pour se poser
dans le nid de mes yeux,

là où se ferme la boîte à expériences,

je suis heureux.

 

"A l'infini" de Nadine CHEVALLIER


A l'infini s'étend le sable blond  le sable sage
Qui ne fait qu'obéir à la mer et au vent
Il suit le ressac et s'en va vers le large.
Aussitôt revient, se repose un moment
Ses grains s'agitent, flottent dans les vagues
Qui les roulent, les polissent patiemment
La mer inlassable se déroule sur la plage
Un instant se pose puis retourne vers le large
Se fond dans l'horizon disparaît dans les nuées sauvages
Que le vent chevauche allègrement
Et ramène avec la houle
Son galop soulève le sable sec
Dont les grains s'envolent en tourbillon d'insectes

Et l'eau le sable et le vent depuis la nuit des temps
Jouent ainsi sans souci sous le soleil ou les étoiles

Mais voici qu'un beau jour ou peut-être une nuit
Dans la mer se produit le miracle de la vie
Et la mer devint mère
Coquillages poisson crustacés serpent de mer et grands squales

Mais qui était le père
Le sable coulant  le vent violent
Voulurent chacun la garde de enfants

Alors la vie sortit de l'eau
Reptiles, insectes, mammifères et oiseaux
S'en vinrent animer le sable et le vent

Mais la vie une fois lancée ne sait plus s'arrêter
Et toujours va de l'avant

Ainsi l'homme un jour est arrivé
Et a tout compliqué

Du feu des outils des techniques
Des parpaings des poteaux des fabriques
Des pendules de l'argent quelle panique
Dans sa tête il s'inquiète
Son esprit se questionne
Il a peur de la vie
Il a peur de la mort
Il s'invente des dieux
Il se découvre une âme
Il vit avec ce double
Ange gardien ou démon
C'est selon
La mer le sable et le vent
Continuent leurs jeux barbares
Sans souci de l'homme qui vient
Quelquefois y poser son regard
Recherchant solitude ou repos

L'homme et son âme immaculée
Chevauchent de concert sur la plage
Poney brun poney blanc jumelés
Les sabots dans les flots
Là où s'étend  à l'infini le sable blond le sable sage



"« Laisse »" de Marie-Odile GUIGNON


Une dentelure brune balise la plage, séparant les grains de sable poudreux de leurs frères humides parfois encore léchés par l'écume des vagues agonisantes, fatiguées du mouvement incessant qu'exige l'océan.
Quelques clapotis profitent de l’accalmie du vent en ricochant sagement l'une contre l'autre laissant échapper quelques bruissements sur les galets blancs.

Sortant de la brume matinale deux cavaliers dirigent le pas de leurs chevaux à travers la denture blanche, transparente et mousseuse, qui s'applique à effacer leurs traces dès leur passage.

L'humidité des embruns assourdit les piaillements des oiseaux marins frileusement groupés sur quelques roches émergentes. Subitement, le couple délaisse les flots paresseux et se dirigent vers le haut des dunes. Au passage, les sabots accrochent les bribes entassées de la laisse de mer et dénudent une astéride recroquevillée sous un coussin d'algues fraîches. Son cœur a un soubresaut et ses branches frissonnent, sa peau se carapace dans une teinte violine paralysante, une de ses ventouses s'agrippe au celluloïd du pied d'une poupée à demi démembrée par l'oubli assorti de voyages incessants depuis son séjour dans une déchetterie. Tout près d'elle gisent un morceau de cordage, un amas de fil de pêche, un paquet d’œufs de bulot, une chaussure orpheline, un chouchou, une bouteille en plastique, une épingle à cheveux... Tout ce peuple d'objets est réuni là, dans une épreuve d'épilogue. Leurs aventures appartiennent au passé, leurs nouvelles vies commenceront dès que l'océan, d'un geste impétueux, décidera de les recueillir... Ce qui ne devrait tarder.
Pour se donner le courage de l'espérance, ils conversent sourdement dans les coquillages du voisinage. La solidarité les contraint à se relier pour rester vivants.
Ainsi, une multitude de compagnons hétéroclites éparpillés par les sautes d'humeur de la houle, se tiennent les uns les autres, à l'infini, sur les rivages entre terre et eau. Leurs identités s'uniformisent tant leurs nuances se fondent dans les paysages changeants des marées. Leur distinction en panne les a vêtu des habits neufs de l'empereur. La fierté de leur fonction a cédé la place à l'humidité de la dépendance, à la résistance à la sécheresse. Les brises les balaient de leurs pinceaux faussement caressants...

Les silhouettes des montures ne sont plus qu'une tache noire et blanche au faîte de la dune blonde ourlée d'une fourrure verte.

L'espace s'éclaire imperceptiblement, le ciel s'élève dans l'azur délavé déroulant ses écharpes effilochées.

L’astéride agonise : le foisonnement de ses ébats joyeux remonte dans sa mémoire d'étoile, elle dansait avec ses sœurs si légères dans l'eau marine. Les méduses fluorescentes les accompagnaient de leurs scintillements, les poissons-globes gonflés d'orgueil applaudissaient en crachant des bulles éclatantes, le prince de la mer … La poupée bascule, son nez s'embrouille dans le fil de pêche...
Une grappe d’œufs de sèche s'installe pudiquement sur le cadavre aux cinq branches.
Un coup de vent réveille le chouchou qui aussitôt se serre contre l'épingle à cheveux...

Le ressac lance des gémissements rythmés qui se répercutent dans le lointain tandis que l'onde agite ses bouillonnements de plus en plus avides. Les froufrous frangés de la plage frémissent, sa robe se raccourcit à chaque attaque stridente. La guerre sévit sur tout ce qui gît ça et là... Vivants, morts, tous sont précipités sous les attaques des vagues qui claquent leurs langues gloutonnent, la mer lascive lessive le sable souillé par la laisse de mer, le détergent bleu distribue l'éclat de la blancheur des lits d'ensevelis...

L'océan chante, les mouettes l'accompagnent de leurs cris stridents et l'embrassent de leurs coups de bec gourmands.

La laisse de mer submergée s'éparpille brassée par les tourbillons.. La chaussure dérape dans le courant. La poupée tente quelques mouvements de crawl mais les jambes lui manquent, le fil de pêche s'enroule autour de son bras et le cordage l'entraîne vers les profondeurs. Dans ses yeux devenus glauques, le reflet d'un berceau se dessine : C'était sa première vie, une petite fille la cajolait en la serrant contre sa poitrine, elle entendait un petit cœur chaud doux affectueux battre, cependant qu'un souffle chaud décoiffait ses cheveux...

L'eau salée s'agite, enfle, décuple son énergie, se mire dans l’œil du soleil.

Égarée au fond d'un tourbillon, la bouteille en plastique heurte les rondeurs des galets qui creusent son ventre, le chouchou et l'épingle à cheveux complètement effarouchés se réfugient dans son goulot. Plus jamais ils ne dormiront dans les têtes soyeuses des enfants des hommes.

La mer assaille les dunes blanchies par la lumière du zénith.

Les cavaliers ne sont plus qu'un souvenir matinal : Deux petits points perdus dans l'immense espace estompé par le temps qui passe, deux petits points dilués par les forces de la nature.


Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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