Ci-après quelques textes produits durant la séance,
notamment (dans l'ordre):
- "Le météorologue" de
Véronique VALADE
- "Ma gynéco est une sorcière..."
de Karine LEROY
- "La promotion" de Christiane FAURIE
- "Le projet pédagogique" de Nadine
CHEVALLIER
- "Sang bleu" de Janine NOWAK

Karine LEROY... et Hélène SERRES interprétant
un texte à l'encre fraîche... (coll. A.-M. PETTRE)
"Le météorologue" de Véronique VALADE
J'ai un voisin, il est météorologue, ou météorologiste…
je ne sais plus très bien. C'est comme en médecine, il ne faut pas se
tromper, on dit dentiste, ophtalmologiste, oto-rhino-laryngologiste,
il ne faut pas confondre avec urologue, gynécologue, sexologue. Je ne
sais pas si vous avez remarqué, mais ceux qui sont en " logue "… ils
ont fait plus d'études. Et mon voisin, il a fait beaucoup d'études.
Maintenant il travaille à la météo. Pas celle que l'on voit à la télé.
Il travaille dans un bureau. Il fait tout le temps des études, des études
sur le temps. C'est un vrai métier. Son métier, c'est important, il
se déplace souvent. Il ne se déplace pas pour voir le temps qu'il fait.
Non. Il va dans des colloques internationaux, jusqu'en Europe. Entre
météorologues, ils discutent du temps qui passe, du temps qu'il fait,
du temps qu'il va faire. Ils ne sont pas tous d'accord. C'est normal
chacun défend son pays. Si les espagnols commencent à prévoir des tempêtes,
où on va ? Ou plutôt, où ira-t-on en vacances ? C'est pas bon pour le
tourisme. Il faut faire attention à ce qu'on dit. C'est pour ca que
son métier c'est important. C'est po-li-ti-que. Ah vous ne saviez pas
que la météo, c'était politique ? Vous n'aviez pas remarqué que les
hommes politiques font la pluie et le beau temps…
Bon pour en revenir à Matéo, c'est le prénom de mon voisin, la dernière
fois que je l'ai vu, je lui ai demandé si dimanche prochain, on pouvait
faire un barbecue pour l'anniversaire de la petite. Vous savez ce qu'il
m'a répondu. Que la pression atmosphérique était en train de monter,
que les courants d'air chaud viendraient du sud et donc que ça serait
bon. Je ne sais pas comment il a vu ça, en tout cas, ça faisait longtemps
qu'on n'avait pas eu un dimanche aussi… pourri. J'aurais du me fier
à mon genou, plutôt qu'à Matéo, mon genou c'est un spécialiste autodidacte
de la météo et il ne se trompe jamais !!!
"Ma
gynéco est une sorcière..." de Karine LEROY
- Votre âge mademoiselle ? Vous avez trente cinq ans…
Ah ! et vous attendez quoi ? Vous savez que vous atteint votre
âge limite, votre taux de fécondité va diminuer inexorablement mademoiselle,
dans la nature, les fruits qui ne sont pas cueillis finissent tous par
pourrir mademoiselle… Mais qu'attendez-vous !…
Vous attendez de rencontrer un homme qui vous aime ! Alors celle là,
elle est bien bonne, elle-attend-de-rencontrer-un-homme-qui-l'aime !
Non mais, vous savez, mademoiselle, que l'homme n'est pas programmé
biologiquement pour " aimer ", son taux de testostérone le pousse sans
cesse à rechercher l'accouplement avec des partenaires différentes,
c'est la logique de la survie de l'espèce, vous comprenez, mademoiselle
?…
Vous voulez d'abord former un couple stable ? Mais dans quel monde vivez
vous, mademoiselle ! Non, le prince charmant n'existe pas et il va falloir
vous retrousser les manches et pas que ça si vous voyez ce que je veux
dire… Qu'est-ce que vous croyez ? que la vie est un long fleuve tranquille
? Remuez-vous les fesses ! Rangez votre couronne de princesse et votre
balai de Blanche-Neige et sautez sur le premier beau gosse qui passe
! C'est comme ça que ça marche et c'est bien plus simple et plus économique
que la fécondation artificielle… Mais vous rêvez trop, les hommes sont
juste des banques à sperme, croyez-en ma longue expérience ! Allez,
courage, vous n'êtes pas vilaine, tenez, ce soir, allez donc au night
club ! Tout le monde y va pour la même chose : arriver à s'accoupler
comme des mouches, même les escargots y arrivent, alors pourquoi pas
vous ? Souriez donc mademoiselle, vous verrez, vous me remercierez plus
tard. (Elle se lève et revient avec un air énigmatique en tendant
quelque chose à sa patiente). Tenez, prenez ces escarpins dorés,
à porter absolument et cette pomme rouge, oui bien rouge… offrez-la
à qui vous voudrez… vous verrez, effet garantit, ah, ah, ah ! Cela vous
fera 120 euros, la prochaine consultation sera gratuite, au revoir mademoiselle
et… amusez-vous bien ! Ah, ah, ah !
(Elle se met à tournez sur son fauteuil en riant d'un air machiavélique,
la patiente s'en va apeurée)
"La
promotion" de Christiane FAURIE
- Eh, dis donc toi ; depuis que t'as changé de grade, tu te la pètes
un max !
A ton âge, à 2 ans de la retraite, t'avais besoin de prendre du galon
?
Dis-moi, t'en avais marre de nos tronches ? Tu voulais être reconnue
à ta juste valeur ?
- Quoi- Ben non - T'es débordée, c'est tout !
- Mouais, sers ça à d'autres.
Tu s'rais pas comme qui dirait " has been ", pas capable quoi, en surchauffe,
au bord de l'apoplexie ?
t'es déjà victime du retour d'âge, si t'as plus la mœlle, on va bientôt
te ramasser à la petite cuiller.
Et t'auras beau t'habiller fashion victim, ça passera pas.
- Ah, c'est important pour porter l'image de ton service et piloter
l'activité ?
- T'es quoi ? Pilote en insertion ? mais ma pauv' vieille, tu pilotes
rien. T'es téléguidée ! Et en plus tu marches de traviole. Alors pour
piloter, tu repasseras !
Non mais, qu'est c'que tu fous dans ton boui-boui ? Parce que côté locaux,
t'as pas gagné !
Ils t'ont fourgué un pavillon de voierie en attente de démolition !
- Ah, non ? C'est pour mieux fédérer ton équipe ? T'es au cœur de ton
territoire ?
- J'crois plutôt que si tu continues comme ça, c'est ton cœur qui va
lâcher avec tes 5 étages sans ascenseur !!!
Penses-y ma biquette ! Nous tes potes, on est toujours là.
Alors arrête de trimer comme une bête. T'es dans l'administration quand
même !
Préserve notre réputation : Un qui travaille pour quatre qui glandent.
T'sais, plus personne ne veut te ressembler à trimer comme une bête.
galvaniser les foules - Tu rigoles ?
Tout le monde se marre. Tiens, voilà Mère Térésa qu'ils disent.
Elle va encore nous bassiner avec ses objectifs à atteindre et son éthique.
Qu'est ce que c'est les tiques ? Les bestioles qui rendent les chiens
neu-neu ?
Ben merci, ton tique, tu t'le gardes !
Et puis quoi encore ?
- Soutenir les cadres de proximité dans leurs projets ?
- Mais qu'est ce que tu peux soutenir ? Tu t'es vue dans la glace ?
Niveau carrure, tu r'passeras ?
Tu f'rais mieux d'inviter le père Lacolglu. à la cantine. Il te lorgne
depuis longtemps.
- Ah - Il t'intéresse pas ? C'est pas bon pour ton image ?
- Mais, t'as rien compris !
T'as beau frimer, t'impressionnes plus personne.
Moi, j'te vois bien avec ton vieux survêt le week end. T'es comme tout
l'monde !
- Ah, oui - C'est pour faire le vide et préserver ton intellect ?
- Mouais, t'es vraiment barrée !!!
Alors, si j'résume. T'es devenue RESOT pour rester à la hauteur, valoriser
ton savoir et t'payer des fringues de bourge ?
- Au fait, t'as suivi la réforme des retraites ?
Va falloir rempiler encore un an. T'as l'temps de postuler pour le grade
de Directeur si tu cravaches un peu.
Courage ma vieille, la lutte continue ! Mais, va falloir penser à la
chirurgie esthétique pour pas perdre la face !!!
"Le
projet pédagogique" de Nadine CHEVALLIER
Allo, Eliane, oui, c'est Vincent.
Dis donc, je t'appelle là, c'est pour t'exposer mon projet là, pour
l'école Raymond Devos, tu sais, "Art et Nature" pour les CM.
Oui, bon voilà. Je leur ai concocté un truc aux petits oignons, tu vas
voir. Tu parles avec mon DEA de Gestion du Patrimoine, je suis au top
sur le sujet. Les instits ne pourront pas se plaindre pour une fois
: l'objectif pédagogique sera atteint ... et même dépassé !
Ecoute ça : MON Programme !
Premièrement : "Etude de la rythmique des couleurs chez Monet". Les
nymphéas, tu connais ? Ca va les bluffer les gamins. Quand tu penses
que dans la cité, y'en a qui connaissent que les tags comme œuvres d'art
!
Non, non attends, écoute la suite !
Deuxièmement : "La Figuration Animalière chez les Primitifs Flamands".
Là, je te le concède, c'est un peu ardu pour des CM mais vue l'approche
que je vais en faire, ils vont marcher à fond les gamins, à fond je
te dis !
Troisièmement...
Non, non, attends, écoute la suite ! J'envisageais de leur parler de
l'utilisation de l'image florale dans l'Art Sacré mais je sais pas si
ça aurait été bien vu, rapport à la religion, tu vois. Et puis je m'éloignais
un peu de mon sujet, la nature. Alors, j'ai eu l'idée de génie, là,
écoute ça : "Massifs et Fontaines dans le Parc à la Française". On pourra
même faire une sortie à Versailles.
Les gamins, ils vont adorer, c'est pas le jardin public d'à côté ! Hein
?
Pour conclure, je ... comment ? Oui, je t'écoute !...
Comment ça, ils veulent du concret ? Les arbres de Versailles, c'est
pas du concret peut-être ?... Ah ! Ils les préfèrent en forêt leurs
arbres ? Tu crois ?...
Quoi, ils veulent plutôt faire des bonshommes avec des marrons et des
glands ?... Comment ? Qu'est-ce que j'ai pas compris ?... C'est pas
des CM ? Ben ... quoi ? Des PM ? Des PM ?...
Petits Moyens ? A la Maternelle !!!!... Ah !... (il déchire son projet)
Dis donc Eliane, ça sait parler à cet âge là ?
"Sang
bleu" de Janine NOWAK
Bonsoir,
Oui, c'est bien à vous que je m'adresse. Je vous sens étonné ? Troublé
? Je peux l'admettre. Et vous vous demandez pourquoi je vous hèle aussi
cavalièrement ? Oh, c'est simple : aujourd'hui, j'ai le cœur lourd ;
j'ai grandement besoin de m'épancher.
Alors, tant pis pour vous : je vous ai choisi et vous m'écouterez jusqu'au
bout. Je vous assure : il n'y a aucune supercherie ! C'est bien moi
qui parle ; oui, moi, le miroir du manoir. On m'a installé, à l'époque
de la construction de la bâtisse, au dessus de la cheminée en marbre
rose du grand salon de la demeure des Hautefeuille de Clermont. Et je
n'en ai plus jamais bougé. En ai-je vu défiler des Hautefeuille de Clermont
depuis deux siècles que je les scrute ! Tous, plus pittoresques les
uns que les autres. Les derniers sont quelque peu dans la gène. Mais,
ouh là là ! Surtout ne pas en parler. Ce serait trivial ! Tout dans
le paraître, et cependant bien peu dans le porte-monnaie. Telle pourrait
désormais être la devise inscrite sur leurs armoiries, hélas. L'envie
de les faire tous défiler devant vous me taraude. Toutefois, le temps
nous manquerait. Alors, plutôt qu'actionner le moulin de ma mémoire,
je vais me contenter de vous présenter ceux que j'ai actuellement sous
les yeux. Ce soir donc, honneur à l'aïeul du moment, Charles-Hubert,
soixante-treize printemps.
Chaque matin, après une toilette soignée, je le vois pénétrer à heure
fixe, et d'un pas alerte, dans cette pièce. Il se plante fièrement devant
moi, afin de vérifier le nœud de sa soyeuse et anachronique Lavallière,
qu'il arbore en toutes circonstances. Il termine son inspection en donnant
une pichenette à ses moustaches en guidon de vélo, coquettement entretenues,
ressemblant (en plus modestes) à celles du " génialllllissssime peintre
surrrréaliste qui était fou du chocolat Lanvin ! " (hé oui, je regarde
aussi la télé : c'est dans mon champ visuel !). Enfin, vient le moment
de ce que j'appelle " l'hommage ".
Il sacrifie quotidiennement à un invariable rituel, qui se déroule de
la façon suivante : se saisissant d'un flacon contenant un alcool ambré,
il en remplit généreusement un godet en cristal de Baccarat. Ensuite,
le verre à la main, il se met au garde-à-vous devant les gravures et
peintures qui tapissent le mur qui me fait face. Toutes représentent
Napoléon Bonaparte. Et c'est d'une voix vibrante et puissante qu'il
entonne " l'Ajaccienne " :
…………… L'en-en-fant, pro-di-gue de la gloi-a-a-re
Na-po-lé-oooon, Na-pooooo-lé-oooon ! "
A la dernière mesure, bras levé, il porte un toast à son idole et avale
la boisson cul-sec. Enfin, il remet le verre près du carafon et file
directement à l'écurie pour rendre visite à ses chevaux (entre nous,
ce ne sont plus que de vieilles carnes, mais bon : toujours la façade !).
Cette copieuse rasade de… fine Napoléon (bien sûr !), lui tient lieu
de petit déjeuner. N'oublions pas qu'il a soixante-treize ans, mais…
toujours bon pied, bon œil, l'esprit vif et aigu. Avec l'âge, plus bouillonnant
de vie que jamais, il semble même prendre un malin plaisir à abuser
de sa liberté de parole et d'action.
Un exemple ? Récemment, Albert, son fidèle majordome, mariait sa fille,
une ravissante enfant. Albert a toujours pris soin de la tenir éloignée
du manoir… on va voir pourquoi. Monsieur le Vicomte Charles-Hubert souhaita
doter la jeune mariée - élégant et généreux geste de sa part -.
C'est donc, accompagnée des siens, et juste après la cérémonie nuptiale,
que la jeune épousée se présenta, tout de blanc vêtue et les joues rosies
par l'émotion, devant Monsieur le Vicomte. Oh, ce fut une charmante
petite fête… jusqu'au moment où, l'œil allumé par le joli minois de
ce beau tendron, Charles-Hubert déplora, sans vergogne, avec le plus
grand sérieux, mais surtout, avec une étonnante sincérité, " qu'il était
bien regrettable que le droit de cuissage soit une tradition abolie
" !
Malaise dans l'assistance…
Parlerai-je des amours ancillaires ? C'est inouï comme les soubrettes
défilent ici à un rythme effréné ! C'est qu'il est encore vert, le bougre
; et si certaines jeunes servantes se laissent convaincre, c'est en
claquant la porte que l'on voit fuir la plupart d'entre-elles ! Comment
résumer le parcours de cet homme ? Je dirais que, à l'approche de la
trentaine, c'est sans passion, sans enthousiasme et par devoir qu'il
convola (il le fallait bien, pour la transmission du nom et du patrimoine
familial) avec Marie-Eglantine de Saint Chély, une vague parente, fade,
inodore, incolore et sans saveur… mais assez fortunée (incontestable
qualité !).
Cette pâle créature, de cinq ans son aînée, donna à son mari deux enfants
mâles en trois ans. Puis, jugeant qu'elle en avait terminé avec ses
obligations d'épouse, elle sombra dans la bigoterie, fit chambre à part
et s'éteignit un jour, fort discrètement.
Paix à ses cendres.
Charles-Hubert, joueur invétéré, eut tôt fait de dilapider la dot de
sa femme. Alors, fatalement, comme je le soulignais précédemment, le
compte en banque s'est trouvé au plus mal.
Travailler ? I-nen-vi-sa-geable. " On n'a jamais vu aucun Hautefeuille
de Clermont s'abaisser à des tâches aussi avilissantes. C'est réservé
à la valetaille et aux foutriquets ! ".
Sur ces belles paroles, Monsieur le Vicomte fut amené un jour (les fournisseurs
commençant à beaucoup s'agiter), à ouvrir au public les portes de son
manoir (fort heureusement classé monument historique). Il faut bien
l'admettre, l'idée n'était pas mauvaise : c'est d'un bon rapport et
cela a permis de redorer un peu le blason. C'est le brave Albert qui,
avec sa mine compassée, organise les visites guidées et les soirées
musicales aux chandelles.
Voici où nous en sommes.
Pour ma part, je ne suis pas ravi, car, depuis, je vois défiler des
tas de gens ; certains, immanquablement, ne se privent pas de venir
grimacer au milieu de mes tavelures.
Après cet exposé, vous comprendrez mieux pourquoi, ce soir, pris d'un
petit coup de blues, j'ai eu envie d'ouvrir mon cœur à vous, dernier
visiteur du soir, au comportement correct.