SAMEDI 2 OCTOBRE 2010
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Le monologue du plaisantin"

Animation : Régis MOULU

Comédienne présente :
Hélène SERRES

Auteure invitée : Karine LEROY

Thème : Grossir nos traits, faire des clichés

Au cours de cette séance, il s'agit d'user du moyen humoristique le plus basique et le plus classique qu'on connaisse : l'exagération.

Exagérer dénonce, ridiculise, dramatise (et du coup dédramatise pour celui qui écoute). Pour forcer le trait, il faudra de l'imagination élevée à la puissance de la déraison !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), un sujet a été énoncé en début de séance : faire parler un expert/spécialiste de quelque chose qui tire profit de son savoir au point de frimer...
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support évoquant l'écriture caricaturale a été distribué... En sus, un "syllabus" présentant les techniques de l'écriture théâtrale comique a été remis si c'est votre première venue. Cool !

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Ci-après quelques textes produits durant la
séance, notamment (dans l'ordre):

- "Le météorologue" de Véronique VALADE

- "Ma gynéco est une sorcière..." de Karine LEROY

- "La promotion" de Christiane FAURIE

- "Le projet pédagogique" de Nadine CHEVALLIER

- "Sang bleu" de Janine NOWAK


Karine LEROY... et Hélène SERRES interprétant un texte à l'encre fraîche... (coll. A.-M. PETTRE)



"Le météorologue" de Véronique VALADE

J'ai un voisin, il est météorologue, ou météorologiste… je ne sais plus très bien. C'est comme en médecine, il ne faut pas se tromper, on dit dentiste, ophtalmologiste, oto-rhino-laryngologiste, il ne faut pas confondre avec urologue, gynécologue, sexologue. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais ceux qui sont en " logue "… ils ont fait plus d'études. Et mon voisin, il a fait beaucoup d'études. Maintenant il travaille à la météo. Pas celle que l'on voit à la télé. Il travaille dans un bureau. Il fait tout le temps des études, des études sur le temps. C'est un vrai métier. Son métier, c'est important, il se déplace souvent. Il ne se déplace pas pour voir le temps qu'il fait. Non. Il va dans des colloques internationaux, jusqu'en Europe. Entre météorologues, ils discutent du temps qui passe, du temps qu'il fait, du temps qu'il va faire. Ils ne sont pas tous d'accord. C'est normal chacun défend son pays. Si les espagnols commencent à prévoir des tempêtes, où on va ? Ou plutôt, où ira-t-on en vacances ? C'est pas bon pour le tourisme. Il faut faire attention à ce qu'on dit. C'est pour ca que son métier c'est important. C'est po-li-ti-que. Ah vous ne saviez pas que la météo, c'était politique ? Vous n'aviez pas remarqué que les hommes politiques font la pluie et le beau temps…
Bon pour en revenir à Matéo, c'est le prénom de mon voisin, la dernière fois que je l'ai vu, je lui ai demandé si dimanche prochain, on pouvait faire un barbecue pour l'anniversaire de la petite. Vous savez ce qu'il m'a répondu. Que la pression atmosphérique était en train de monter, que les courants d'air chaud viendraient du sud et donc que ça serait bon. Je ne sais pas comment il a vu ça, en tout cas, ça faisait longtemps qu'on n'avait pas eu un dimanche aussi… pourri. J'aurais du me fier à mon genou, plutôt qu'à Matéo, mon genou c'est un spécialiste autodidacte de la météo et il ne se trompe jamais !!!

 

"Ma gynéco est une sorcière..." de Karine LEROY

- Votre âge mademoiselle ? Vous avez trente cinq ans… Ah ! et vous attendez quoi ? Vous savez que vous atteint votre âge limite, votre taux de fécondité va diminuer inexorablement mademoiselle, dans la nature, les fruits qui ne sont pas cueillis finissent tous par pourrir mademoiselle… Mais qu'attendez-vous !…
Vous attendez de rencontrer un homme qui vous aime ! Alors celle là, elle est bien bonne, elle-attend-de-rencontrer-un-homme-qui-l'aime ! Non mais, vous savez, mademoiselle, que l'homme n'est pas programmé biologiquement pour " aimer ", son taux de testostérone le pousse sans cesse à rechercher l'accouplement avec des partenaires différentes, c'est la logique de la survie de l'espèce, vous comprenez, mademoiselle ?…
Vous voulez d'abord former un couple stable ? Mais dans quel monde vivez vous, mademoiselle ! Non, le prince charmant n'existe pas et il va falloir vous retrousser les manches et pas que ça si vous voyez ce que je veux dire… Qu'est-ce que vous croyez ? que la vie est un long fleuve tranquille ? Remuez-vous les fesses ! Rangez votre couronne de princesse et votre balai de Blanche-Neige et sautez sur le premier beau gosse qui passe ! C'est comme ça que ça marche et c'est bien plus simple et plus économique que la fécondation artificielle… Mais vous rêvez trop, les hommes sont juste des banques à sperme, croyez-en ma longue expérience ! Allez, courage, vous n'êtes pas vilaine, tenez, ce soir, allez donc au night club ! Tout le monde y va pour la même chose : arriver à s'accoupler comme des mouches, même les escargots y arrivent, alors pourquoi pas vous ? Souriez donc mademoiselle, vous verrez, vous me remercierez plus tard. (Elle se lève et revient avec un air énigmatique en tendant quelque chose à sa patiente). Tenez, prenez ces escarpins dorés, à porter absolument et cette pomme rouge, oui bien rouge… offrez-la à qui vous voudrez… vous verrez, effet garantit, ah, ah, ah ! Cela vous fera 120 euros, la prochaine consultation sera gratuite, au revoir mademoiselle et… amusez-vous bien ! Ah, ah, ah !
(Elle se met à tournez sur son fauteuil en riant d'un air machiavélique, la patiente s'en va apeurée)

"La promotion" de Christiane FAURIE


- Eh, dis donc toi ; depuis que t'as changé de grade, tu te la pètes un max !
A ton âge, à 2 ans de la retraite, t'avais besoin de prendre du galon ?
Dis-moi, t'en avais marre de nos tronches ? Tu voulais être reconnue à ta juste valeur ?

- Quoi- Ben non - T'es débordée, c'est tout !

- Mouais, sers ça à d'autres.
Tu s'rais pas comme qui dirait " has been ", pas capable quoi, en surchauffe, au bord de l'apoplexie ?
t'es déjà victime du retour d'âge, si t'as plus la mœlle, on va bientôt te ramasser à la petite cuiller.
Et t'auras beau t'habiller fashion victim, ça passera pas.

- Ah, c'est important pour porter l'image de ton service et piloter l'activité ?

- T'es quoi ? Pilote en insertion ? mais ma pauv' vieille, tu pilotes rien. T'es téléguidée ! Et en plus tu marches de traviole. Alors pour piloter, tu repasseras !
Non mais, qu'est c'que tu fous dans ton boui-boui ? Parce que côté locaux, t'as pas gagné !
Ils t'ont fourgué un pavillon de voierie en attente de démolition !

- Ah, non ? C'est pour mieux fédérer ton équipe ? T'es au cœur de ton territoire ?

- J'crois plutôt que si tu continues comme ça, c'est ton cœur qui va lâcher avec tes 5 étages sans ascenseur !!!
Penses-y ma biquette ! Nous tes potes, on est toujours là.
Alors arrête de trimer comme une bête. T'es dans l'administration quand même !
Préserve notre réputation : Un qui travaille pour quatre qui glandent.
T'sais, plus personne ne veut te ressembler à trimer comme une bête. galvaniser les foules - Tu rigoles ?
Tout le monde se marre. Tiens, voilà Mère Térésa qu'ils disent.
Elle va encore nous bassiner avec ses objectifs à atteindre et son éthique.
Qu'est ce que c'est les tiques ? Les bestioles qui rendent les chiens neu-neu ?
Ben merci, ton tique, tu t'le gardes !
Et puis quoi encore ?

- Soutenir les cadres de proximité dans leurs projets ?

- Mais qu'est ce que tu peux soutenir ? Tu t'es vue dans la glace ? Niveau carrure, tu r'passeras ?
Tu f'rais mieux d'inviter le père Lacolglu. à la cantine. Il te lorgne depuis longtemps.

- Ah - Il t'intéresse pas ? C'est pas bon pour ton image ?

- Mais, t'as rien compris !
T'as beau frimer, t'impressionnes plus personne.
Moi, j'te vois bien avec ton vieux survêt le week end. T'es comme tout l'monde !

- Ah, oui - C'est pour faire le vide et préserver ton intellect ?

- Mouais, t'es vraiment barrée !!!
Alors, si j'résume. T'es devenue RESOT pour rester à la hauteur, valoriser ton savoir et t'payer des fringues de bourge ?

- Au fait, t'as suivi la réforme des retraites ?
Va falloir rempiler encore un an. T'as l'temps de postuler pour le grade de Directeur si tu cravaches un peu.
Courage ma vieille, la lutte continue ! Mais, va falloir penser à la chirurgie esthétique pour pas perdre la face !!!


"Le projet pédagogique" de Nadine CHEVALLIER

Allo, Eliane, oui, c'est Vincent.
Dis donc, je t'appelle là, c'est pour t'exposer mon projet là, pour l'école Raymond Devos, tu sais, "Art et Nature" pour les CM.
Oui, bon voilà. Je leur ai concocté un truc aux petits oignons, tu vas voir. Tu parles avec mon DEA de Gestion du Patrimoine, je suis au top sur le sujet. Les instits ne pourront pas se plaindre pour une fois : l'objectif pédagogique sera atteint ... et même dépassé !
Ecoute ça : MON Programme !
Premièrement : "Etude de la rythmique des couleurs chez Monet". Les nymphéas, tu connais ? Ca va les bluffer les gamins. Quand tu penses que dans la cité, y'en a qui connaissent que les tags comme œuvres d'art !
Non, non attends, écoute la suite !
Deuxièmement : "La Figuration Animalière chez les Primitifs Flamands". Là, je te le concède, c'est un peu ardu pour des CM mais vue l'approche que je vais en faire, ils vont marcher à fond les gamins, à fond je te dis !
Troisièmement...
Non, non, attends, écoute la suite ! J'envisageais de leur parler de l'utilisation de l'image florale dans l'Art Sacré mais je sais pas si ça aurait été bien vu, rapport à la religion, tu vois. Et puis je m'éloignais un peu de mon sujet, la nature. Alors, j'ai eu l'idée de génie, là, écoute ça : "Massifs et Fontaines dans le Parc à la Française". On pourra même faire une sortie à Versailles.
Les gamins, ils vont adorer, c'est pas le jardin public d'à côté ! Hein ?
Pour conclure, je ... comment ? Oui, je t'écoute !...
Comment ça, ils veulent du concret ? Les arbres de Versailles, c'est pas du concret peut-être ?... Ah ! Ils les préfèrent en forêt leurs arbres ? Tu crois ?...
Quoi, ils veulent plutôt faire des bonshommes avec des marrons et des glands ?... Comment ? Qu'est-ce que j'ai pas compris ?... C'est pas des CM ? Ben ... quoi ? Des PM ? Des PM ?...
Petits Moyens ? A la Maternelle !!!!... Ah !... (il déchire son projet)

Dis donc Eliane, ça sait parler à cet âge là ?

 

"Sang bleu" de Janine NOWAK


Bonsoir,
Oui, c'est bien à vous que je m'adresse. Je vous sens étonné ? Troublé ? Je peux l'admettre. Et vous vous demandez pourquoi je vous hèle aussi cavalièrement ? Oh, c'est simple : aujourd'hui, j'ai le cœur lourd ; j'ai grandement besoin de m'épancher.
Alors, tant pis pour vous : je vous ai choisi et vous m'écouterez jusqu'au bout. Je vous assure : il n'y a aucune supercherie ! C'est bien moi qui parle ; oui, moi, le miroir du manoir. On m'a installé, à l'époque de la construction de la bâtisse, au dessus de la cheminée en marbre rose du grand salon de la demeure des Hautefeuille de Clermont. Et je n'en ai plus jamais bougé. En ai-je vu défiler des Hautefeuille de Clermont depuis deux siècles que je les scrute ! Tous, plus pittoresques les uns que les autres. Les derniers sont quelque peu dans la gène. Mais, ouh là là ! Surtout ne pas en parler. Ce serait trivial ! Tout dans le paraître, et cependant bien peu dans le porte-monnaie. Telle pourrait désormais être la devise inscrite sur leurs armoiries, hélas. L'envie de les faire tous défiler devant vous me taraude. Toutefois, le temps nous manquerait. Alors, plutôt qu'actionner le moulin de ma mémoire, je vais me contenter de vous présenter ceux que j'ai actuellement sous les yeux. Ce soir donc, honneur à l'aïeul du moment, Charles-Hubert, soixante-treize printemps.

Chaque matin, après une toilette soignée, je le vois pénétrer à heure fixe, et d'un pas alerte, dans cette pièce. Il se plante fièrement devant moi, afin de vérifier le nœud de sa soyeuse et anachronique Lavallière, qu'il arbore en toutes circonstances. Il termine son inspection en donnant une pichenette à ses moustaches en guidon de vélo, coquettement entretenues, ressemblant (en plus modestes) à celles du " génialllllissssime peintre surrrréaliste qui était fou du chocolat Lanvin ! " (hé oui, je regarde aussi la télé : c'est dans mon champ visuel !). Enfin, vient le moment de ce que j'appelle " l'hommage ".
Il sacrifie quotidiennement à un invariable rituel, qui se déroule de la façon suivante : se saisissant d'un flacon contenant un alcool ambré, il en remplit généreusement un godet en cristal de Baccarat. Ensuite, le verre à la main, il se met au garde-à-vous devant les gravures et peintures qui tapissent le mur qui me fait face. Toutes représentent Napoléon Bonaparte. Et c'est d'une voix vibrante et puissante qu'il entonne " l'Ajaccienne " :
…………… L'en-en-fant, pro-di-gue de la gloi-a-a-re
Na-po-lé-oooon, Na-pooooo-lé-oooon ! "
A la dernière mesure, bras levé, il porte un toast à son idole et avale la boisson cul-sec. Enfin, il remet le verre près du carafon et file directement à l'écurie pour rendre visite à ses chevaux (entre nous, ce ne sont plus que de vieilles carnes, mais bon : toujours la façade !). Cette copieuse rasade de… fine Napoléon (bien sûr !), lui tient lieu de petit déjeuner. N'oublions pas qu'il a soixante-treize ans, mais… toujours bon pied, bon œil, l'esprit vif et aigu. Avec l'âge, plus bouillonnant de vie que jamais, il semble même prendre un malin plaisir à abuser de sa liberté de parole et d'action.
Un exemple ? Récemment, Albert, son fidèle majordome, mariait sa fille, une ravissante enfant. Albert a toujours pris soin de la tenir éloignée du manoir… on va voir pourquoi. Monsieur le Vicomte Charles-Hubert souhaita doter la jeune mariée - élégant et généreux geste de sa part -.
C'est donc, accompagnée des siens, et juste après la cérémonie nuptiale, que la jeune épousée se présenta, tout de blanc vêtue et les joues rosies par l'émotion, devant Monsieur le Vicomte. Oh, ce fut une charmante petite fête… jusqu'au moment où, l'œil allumé par le joli minois de ce beau tendron, Charles-Hubert déplora, sans vergogne, avec le plus grand sérieux, mais surtout, avec une étonnante sincérité, " qu'il était bien regrettable que le droit de cuissage soit une tradition abolie " !
Malaise dans l'assistance…
Parlerai-je des amours ancillaires ? C'est inouï comme les soubrettes défilent ici à un rythme effréné ! C'est qu'il est encore vert, le bougre ; et si certaines jeunes servantes se laissent convaincre, c'est en claquant la porte que l'on voit fuir la plupart d'entre-elles ! Comment résumer le parcours de cet homme ? Je dirais que, à l'approche de la trentaine, c'est sans passion, sans enthousiasme et par devoir qu'il convola (il le fallait bien, pour la transmission du nom et du patrimoine familial) avec Marie-Eglantine de Saint Chély, une vague parente, fade, inodore, incolore et sans saveur… mais assez fortunée (incontestable qualité !).
Cette pâle créature, de cinq ans son aînée, donna à son mari deux enfants mâles en trois ans. Puis, jugeant qu'elle en avait terminé avec ses obligations d'épouse, elle sombra dans la bigoterie, fit chambre à part et s'éteignit un jour, fort discrètement.
Paix à ses cendres.
Charles-Hubert, joueur invétéré, eut tôt fait de dilapider la dot de sa femme. Alors, fatalement, comme je le soulignais précédemment, le compte en banque s'est trouvé au plus mal.
Travailler ? I-nen-vi-sa-geable. " On n'a jamais vu aucun Hautefeuille de Clermont s'abaisser à des tâches aussi avilissantes. C'est réservé à la valetaille et aux foutriquets ! ".
Sur ces belles paroles, Monsieur le Vicomte fut amené un jour (les fournisseurs commençant à beaucoup s'agiter), à ouvrir au public les portes de son manoir (fort heureusement classé monument historique). Il faut bien l'admettre, l'idée n'était pas mauvaise : c'est d'un bon rapport et cela a permis de redorer un peu le blason. C'est le brave Albert qui, avec sa mine compassée, organise les visites guidées et les soirées musicales aux chandelles.
Voici où nous en sommes.
Pour ma part, je ne suis pas ravi, car, depuis, je vois défiler des tas de gens ; certains, immanquablement, ne se privent pas de venir grimacer au milieu de mes tavelures.
Après cet exposé, vous comprendrez mieux pourquoi, ce soir, pris d'un petit coup de blues, j'ai eu envie d'ouvrir mon cœur à vous, dernier visiteur du soir, au comportement correct.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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