SAMEDI 3 février 2007
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
" L'espérance des expériences "

Animation : Régis MOULU


Thème :
La sincérité du menteur
Le but est "de n'être crédible qu'avec du faux"… car "je suis un mensonge qui dit toujours la vérité" devrons-nous nous convaincre à nous en étourdir !!!
Contagion.
Et puisque "est convaincant le convaincu", il ne faudra pas faillir et même mieux, ne pas se laisser corroder par le doute...
Il a été donc demandé aux écrivants d'écrire avec précision et vraisemblance un texte commançant par "Tous les parès-midi, je..."

Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support portant notamment sur les verbes d'affirmation a été distribué !

 

 

 

 

 

 

 

 


Ci-après quelques textes produits durant la
séance, notamment (dans l'ordre):

-"Le test" de Janine NOWAK

- "La DST pour Socrate ou un peu de sophisme pour dé-couvrir la vérité" d'ARGOPHILHEIN

- "Quatre heures de lumière" de Janine BERNARD

- "Question de point de vue" de Rémi DANO

- "Sincérité quand tu nous tiens" d'Aurélie BOCCARA

- "Dis-moi ton nom, je te dirai qui tu es" d'Angeline LAUNAY

 

"Le test" de Janine NOWAK

Tous les après-midi, j'observe sa maison. Depuis le square, je la guette et note ses habitudes, ses allées et venues, qui semblent immuables.
Voir sans être vu : tel est mon but.
Pour donner le change au gardien du jardin public et aux jeunes mères accompagnées de leur progéniture, je promène, dans la zone autorisée, mon chien, surveillant et ramassant scrupuleusement ses déjections. Il faut que je sois impeccable : ce n'est pas le moment d'attirer l'attention sur moi.
Voici quatre jours consécutifs que dure mon petit manège. Jusqu'à présent, pas d'accroc. Aujourd'hui, est l'instant décisif, le jour J. Il le faut.
J'ai garé ma voiture dans un endroit discret, non loin de l'abris-bus. J'y retourne tranquillement, fais grimper mon chien sur la banquette arrière, puis m'installe au volant. Le jour décline. Je vais devoir attendre, sans me faire remarquer. J'ai une bonne heure d'avance, mais je sais être patient : les planques, ça me connait.
Pour m'occuper l'esprit, je vais jouer à mon petit jeu. Je l'ai baptisé " Si j'étais, ou le jeu de trompe-couillon ! ". C'est tout bête, un peu puérile, mais ça me délasse et ça tue le temps. Et pour ce qui est de tuer … j'en connais un rayon ! Allons y :
- si j'étais … un poisson ? Hum … C'est difficile … Bon nombre d'entre eux sont de surprenants experts dans l'art du camouflage. Ils savent s'harmoniser avec le fond marin, changer de couleur, se déguiser en algues … Mais il faut trancher. Voyons voir … Je dirais la rascasse, qui ressemble à un rocher … Ou alors la vive, qui se dissimule dans le sable, ne laissant dépasser que ses yeux et sa nageoire venimeuse.
- si j'étais … un reptile ? Trop facile ! Le caméléon, bien sûr ! Le roi des subterfuges.
- si j'étais … un habitant de la banquise ? Un bébé phoque ou un ours blanc, cela va de soi !
- si j'étais … une chanson ? Celle de Brassens, " l'Histoire de Faussaire ".
- si j'étais une fleur ? Une plante carnivore, bien évidemment, qui fait l'innocente et attire ses proies dans défense.
- si j'étais … un mari pingre ? J'offrirais à ma femme, un manteau de faux vison … en vrai nylon !
- si j'étais … un film ? " Victor, Victoria ", avec l'éblouissante Julie Andrews qui se travestit en homme pour trouver du travail ; ou alors, " Comme elle respire ", avec Marie Trintignant ".
Bon. Assez ri. Quelle heure est-il ? Plus qu'un quart d'heure d'attente. Il faut que je me concentre.
Etrange sentiment. J'ai hâte, et en même temps, je redoute de faire ce test.
Pauvre Docteur Marcasseau ! J'ai dû le supprimer. C'est très dommage… Un talent pareil ! Mais comment faire autrement ? Ah, misère ! Il était pourtant le plus habile des plasticiens. Autrefois, c'était un grand chirurgien esthétique, adulé du tout Paris : les vedettes de cinéma vieillissantes auraient offert leur fortune pour qu'il les rajeunisse. Mais voilà, cet homme avait un vice : il aimait la tendre chair des jeunes garçons. La pédophilie, ça ne pardonne pas. Donc, cette sombre affaire de mœurs a éclaté comme une bombe. Après, pour lui, ce fut la dégringolade : le déshonneur, la prison, la perte de ses biens … C'est ainsi que le Milieu l'a récupéré. Comme quoi, quand on est doué, et que l'on fait bien proprement son travail, on rebondit toujours, malgré les vicissitudes de l'existence.
Ainsi donc, depuis quelques années, il s'évertuait à transformer les malfrats recherchés par toutes les polices. Car ce n'est que dans les romans d'Arsène Lupin qu'une perruque et des lunettes suffisent à modifier l'aspect d'un bonhomme ! Pfutt ! Ridicule ! Il est impératif de rectifier menton, nez, oreilles, yeux … si l'on veut avoir une chance de passer au travers des mailles des filets des policiers. C'est qu'ils sont forts, les bougres ! Et bien aidés, il faut le dire, par les indics. Sale engeance ! J'en ai buté quelques uns de ces mouchards, avec le plus grand plaisir.
Pour en revenir à Marcasseau … Ah, c'est contrariant … Mais, aussi … Il était trop vulnérable, cet homme là ! Moi, je suis un gros gibier. Alors, je n'ai aucun droit à l'erreur. Il fallait que je disparaisse totalement, que je m'escamote, que je sois rayé de la carte du monde. Pour ce faire, j'ai pris toutes mes dispositions : j'ai changé d'identité ; j'ai coupé toutes relations avec le passé ; j'ai appris à me comporter, à parler différemment ; j'ai même suivi des cours de diction, modifié mes intonations. Je suis devenu élégant, raffiné, abdiquant tous mes goûts pour les tenues décontractées. Toujours tiré à quatre épingles, je porte dorénavant, costume sombre, chemise blanche, cravate sobre. Grâce à des lentilles teintées, mes yeux marron sont à présent d'un joli bleu myosotis. Marcasseau a fait des miracles : mes oreilles en feuilles de chou, sont désormais de ravissantes parures, bien ourlées. Mon nez, busqué, trop épais, dessine aujourd'hui un profil de médaille, fin et droit comme la justice. Ah ! La justice ! C'est drôle ce mot dans ma bouche ! Mes lèvres, trop minces, qui me donnaient un sourire cruel, sont pulpeuses. J'ai laissé pousser mes cheveux. Un savant brushing remplace mon crâne rasé de près, comme ceux des skinheads. Je n'ai plus rien de la brute épaisse que j'étais. Avec dix kg. de moins et un peu de musculation, ma silhouette se découpe harmonieusement. Je ressemble à une gravure de mode, à une couverture de magazine. Ma métamorphose est complète. Je dois admettre que c'est bien agréable. Bref, tout est nouveau chez moi … sauf dans ma tête. Je suis resté le même, toujours dénué du moindre sentiment humain.
Ah, Marcasseau … Marcasseau !!! Pourquoi cet album ? Pourquoi cette manie ? Ta vanité t'a perdu. Tu étais trop fier de toi, de ton art. A l'insu de tes clients, tu prenais des photos " avant-après ", que tu conservais pieusement. Quelle folie ! Tu ne m'as pas laissé le choix. Je ne pouvais pas prendre un tel risque. J'ai dû détruire ces documents … et leur propriétaire.
Enfin ! Voilà le car. Pas mal de personnes en descendent : un grand homme très maigre, très pressé … une jeune femme élégante … un pépère à béret … une gamine avec un sac à dos … et … oui, la voilà.
Elle n'a pas trop changé depuis dix-huit ans que je ne l'avais vue. Je l'ai reconnue sans difficulté, voici quatre jours. C'est à présent une sexagénaire petite et active ; une maîtresse femme au regard aigu toujours aussi impressionnant, toujours aussi redoutable.
Bon … Il faut y aller … Je ne peux plus reculer. J'y vais. Prenons les accessoires " pour faire sérieux " : lunettes et attaché-case.
Me voici devant sa porte. J'hésite ; je suis presque ému : curieuse sensation ! C'est pourtant l'heure de vérité. Je sonne.

Ouf ! Je suis soulagé ! Je viens de vivre l'expérience la plus douloureuse jamais affrontée dans toute mon existence.
Aurais-je eu le cran de passer à l'acte ?
Aussi … Marcasseau … Avec ses idées ! Il avait déclaré : vous voilà un autre homme ; même votre mère ne vous reconnaitrait pas. Il fallait vérifier.
Heureusement, elle ne m'a pas reconnu. Je préfère ne pas penser à ce qui se serait passé dans le cas contraire…



"La DST pour Socrate ou un peu de sophisme pour dé-couvrir la vérité" d'ARGOPHILHEIN

Tous les après-midi, ou presque, je vais Place Beauvau pour pratiquer la relaxation et quelques exercices spécifiques dans le cadre d'une cure régénérante de vérité. Je compte y reprendre confiance en la société, au monde et en moi. En effet, retraité de la DST à moins de 50 ans - je sais, c'est un privilège, mais le métier est difficile, contraignant, dangereux et on n'est pas sûr d'atteindre la retraite -, après environ six mois d'euphorie à visiter ma famille, mes amis, le monde, j'ai subi une petite descente aux enfers : la déprime.

Manque d'actions ? de buts ? d'aventures ? Plus de décharge d'adrénaline, je me sentais devenir un gros légumineux plié, avachi sur lui-même, qui ne pensait plus qu'à combler par les aliments le vide de sa vie. Obèse et dépressif, je pesais alors 103 kg, j'aurais pu concourir dans les poids plumes Sumo, d'autant plus que je portais des strings pour avoir l'impression que je n'étais pas si gros. Non, ne riez pas, ce fut un calvaire, je portais pour ainsi dire ma croix, la croix du mensonge. Car j'avais tant menti dans ma vie d'agent chargé de la sécurité du territoire que je devenais sincère en croyant à mes mensonges. Et cette sincérité m'a permis de déjouer les pièges du détecteur de mensonges, toujours en pratique dans les années 80. Je maîtrisais si parfaitement mes pensées qu'aucun indice émotionnel ne filtrait à travers mon comportement physique et physiologique. Il suffisait que je me persuade d'avoir foi en mes pensées et leurs dires, qu'ils fussent vérités ou mensonges, pour me "recharger" en sincérité.

C'est ainsi que Descartes définit la plus haute forme de croyance : la persuasion personnelle, qui pour lui est du domaine de l'évidence. Quand je me représente clairement et distinctement la chose, je crois en son évidence : elle est vraie. Ici, ce qui se présente aux yeux de mon esprit, à ma pensée introspective, c'est la vérité, qui est norme d'elle-même, puisque rien ne pourra lui être opposé : la vérité est une ou n'est pas. Fort de cette évidence, tous mes mensonges passés au crible de ma pensée claire et distincte devenaient vrais, irréductiblement VRAIS, par la persuasion si chère à Descartes. Cette auto-persuasion aboutissait tout naturellement sur l'évidence, c'est-à-dire CE QUE je voyais après le moulinage de ma pensée. Et après plus de 20 ans de pratique cartésienne, j'étais toujours sincère, je changeais de sincérité, voilà tout, comme le faisait Tristan Bernard quand il parlait aux femmes.

Cette sincérité débordante, qui m'inondait comme le flux des eaux d'un fleuve impétueux, je la "déchargeais", pour ainsi dire, un peu plus chaque jour de ma retraite et la dépression prit sa place tout naturellement. Aussi, désespéré, je sombrais dans une sévère crise d'identité où je ne me reconnaissais plus : qui étais-je ? Celui qui ne ment jamais ? Ou celui qui ment tout le temps ? A y bien réfléchir, si quand je dis que je ne mens jamais, je mens, c'est que je mens toujours. Et si quand je dis que je mens toujours, je mens, c'est que je ne mens jamais. Il faut donc mentir pour que la vérité illumine nos croyances.

Mes collègues et supérieurs, pas trop psychologues ni philosophes, mais connaissant néanmoins ce vocabulaire (pas trop sa signification) pour l'avoir supporté en Terminale sur les bancs du lycée, ont compris combien j'étais perturbé et, pour combler mon manque d'exercice, m'ont convié à ce stage, sorte de cure dont je devrais ressortir apaisé et sûr de mon MOI.

Et c'est ainsi que tous les après-midi ou presque, je me rends Place Beauvau, où je vais pratiquer Aïkido et Yoga, pour le self-control et la relaxation, puis je participe à des entretiens sur les actualités du monde, la place et l'avenir de la France dans ce monde, pour me tenir informé et toujours curieux du travail fait et à faire par les jeunes recrues en ce sens. Puis lecture de citations, qui défilent sur un écran, ponctuées par une voix off qui ne laisse échapper de son ton que la sincérité. Cette lecture-audio débouche sur une herméneutique qui nous permet de découvrir que : "Une vérité est un mensonge qui a longtemps servi" et l'auteur savait de quoi il parlait - Edouard Herriot, homme politique, savait comme toute sa confrérie que la répétition, même du mensonge, aboutit à la croyance de la vérité : ce qui se dit encore et toujours est vrai, comme la tradition. Ou "Pour bien mentir, il faut beaucoup de sincérité". Giono, par le boulanger qui transpose les agissements de sa femme sur la chatte-fugitive, nous fait ressentir cette vérité : sans sincérité, point de bon mensonge. Donc, il y a des bons et des mauvais mensonges, et la DST travaille sur ce registre comme un accordéon. Il faut savoir s'accorder à l'accordéon, c'est tout. Et Camus d'ajouter : "La vérité, comme la lumière, aveugle. Le mensonge, au contraire, est un beau crépuscule qui met chaque objet en valeur". Donc, n'hésitez pas, choisissez le mensonge, c'est plus poétique. Et même Prévert s'y met : "L'étoffe des héros est un tissu de mensonges". Et je me suis senti si souvent un héros quand je mentais avec tant d'innocence pour protéger mon pays et son gouvernement bien au chaud dans ses frontières et dans ses ministères. Prévert, je l'ai toujours aimé, comment croire qu'il dit autre chose que la vérité ?

Ainsi, si la sincérité mène à l'exactitude, comme l'a dit le grand sage Gao Xingjian, je suis et ai toujours été exact en tout car je suis TOUJOURS sincère. Je peux donc dire que je ne mens jamais PARCE QUE je suis toujours sincère. Et ainsi le paradoxe du menteur s'est converti en principe de vérité. CQFD. Il suffisait d' y penser. Merci la DST, mes très chers collègues et supérieurs, la France qui m'a tant donné, j'entrevois avec certitude maintenant qui je suis : un grand sincère qui ne se laisse impressionner ni par le mensonge ni par la vérité. Et, comme je l'ai autrefois métaphorisé, la sincérité est la perle qui se forme dans le coquillage du coeur.


"Quatre heures de lumière" de Janine BERNARD

Tous les après-midis, j'installe ma chaise pliante.
Je la déplie délicatement, je la pose avec précaution et elle s'enfonce, en général, de quelques centimètres. Il me faut bien quelques minutes pour parvenir à stabiliser ce qui va me permettre de carrer mes deux grosses fesses et d'allonger ce qui porte encore le nom de jambes. Mon poids se charge ensuite d'enfoncer le tout quasiment au ras du sable.
J'ai, alors, une ou deux heures de répit devant moi. Parfois trois. Mais c'est rare, très rare, de plus en plus rare. D'autres attendent la précieuse place après mon départ.
Je grapille les quelques minutes de lumière indispensables, les yeux mi-clos et ma boule-tête tournée vers le ciel ; avide d'avaler ce que la course folle des nuages me laissera capter. Ensuite l'obscurité reviendra. Et l'après-midi mourra dans les bras de la nuit jusqu'à l'aube nouvelle qu'aujourd'hui on nomme encore : " après-midi ".

Avant, il y a bien longtemps, moi-même je ne l'ai jamais connu, mais les quelques vieux descendants des survivants le racontent, à cette heure, les gosses goûtaient. Ils parlent de quatre heures, de chocolat, de lait. De toutes ces choses dont les mots même seront, à l'avenir, inconnus de ceux qui parviennent à atteindre aujourd'hui ce nouveau monde.

Tous les après-midis, nous sommes des milliers alignés, chaise pliante contre chaise pliante, le long de ce que nous appelons encore " plages " mais qui n'a de " plage " que ce qui est écrit sur les panneaux d'accès.
C'est le seul espace où débouchent les souterrains.
Depuis mon siège, au loin, j'aperçois la crête mousseuse de quelques vagues derrière les hautes digues qui hérissent la mer.
Un des mes voisins, hier, un fils de survivant avec deux beaux yeux clairs, s'est laissé aller à un fou rire devant le spectacle que nous donnions tous, sur nos sièges, alignés sur des kilomètres, bruissants comme des insectes.
Moi, je n'ai pas les mots, mais lui a dit : " comme des chenilles à poil, mais sans poil ! " Et il a eu le rictus de nos lèvres tordues.
" Des chenilles ". J'ai bien aimé ce mot d'avant. " Chenille ". Il a rajouté :
" Jamais mon aïeul de son vivant, n'aurais cru voir ces milliers de cloportes nus, sur leur siège emmagasiner la vie-lumière juste pour survivre quelques mois, quelques années. Pauvres choses… ". Il a regardé le numéro derrière ma chaise. " Pauvre chose, 23451. Pauvres choses que nous sommes tous devenus. Des nudistes, on appelait ça ainsi, avant. Des nudites. Non, non, non….. "
Et il est retombé dans une sorte de léthargie grognonne caractéristique de tous les fils de survivants. Que j'ai respectée, bien sûr. Que nous respectons tous, aujourd'hui. Ils sont notre mémoire, nos mots. Ils parlent de choses, de temps, de lieux, de rythme, d'une vie que nous ne pouvons imaginer.
Pour mettre une image sur un mot inconnu, il faut faire le lien avec une connaissance déjà acquise. Et aucun mot, aujourd'hui, de nos vénérés aïeux? ne peut s'accrocher à un objet, un être, une place qui lui correspondrait.
Bien sûr, nous avons toute la Technicité, sauvée du désastre avec ses images, ses ribambelles d'images, mais elle est enfermée à double tour la Technicité, au fond des Citadelles interdites, et le commun des mortels, comme moi, n'y a pas accès.

Non, moi je n'ai que mon gros œil gris pour balayer du regard ce qui m'entoure et les quelques centimètres carrés de peau sur mon corps qui absorbent la lumière vitale de chaque après-midi devenues tout aussi vitales.
On pourrait l'appeler " petit jour ", mais on a gardé ce mot " après-midi " du temps d'avant.

Je l'ai envié un instant mon voisin d'hier. Les survivants? on les reconnaît à leur deux yeux et à leur stature plus imposante que la nôtre. Nous, dans l'ensemble, nous avons ces deux grosses fesses qui surplombent des jambes très courtes sur deux pieds avec chacun deux gros orteils pour la stabilité de l'ensemble. Cela nous donne une démarche typique, paraît il, que les plus anciens appellent : " démarche du pingouin ". Mais un œil ou deux, il nous faut au moins quelques minutes de lumière pour sauver ce qui nous reste de vie et surtout nos cerveaux, nos précieux cerveaux.
Un œil est suffisant pour ce qu'il y a à voir. Le haut de notre torse ressemble, paraît il, aux humains d'avant, ce qui nous permet, vu la taille de nos jambes, de toucher le sol avec nos bras sans nous baisser.
Notre cerveau, lui, réclame l'air libre, cette lumière blafarde, sourde, derrière les nuages. Il nous faut la rechercher au moins quelques minutes, chaque jour, sur ces espaces, de terre, ou de sable, comme ici. Assis, tels des chenilles molles, sur des chaises pliantes, vestiges du passé.
Seule ressource pour espérer respirer, survivre, ensuite à l'intérieur, dans notre vie intérieure, à l'autre bout des souterrains.
Les souterrains nous ramènent sous le terrain, c'est à dire au centre de la Terre.

Tous les après-midis, avant de m'engager dans le souterrain, en chemin déjà vers la lumière, je quitte le vêtement nécessaire à l'intérieur. Nous avons chacun notre numéro, notre placard d'accès et notre chaise pliante avec le même numéro. Et à notre retour, nous réenfilons le vêtement quand nous rentrons pour affronter l'obscurité et le froid de nos intérieurs, de nos vies à l'intérieur.
Cette petite heure dans l'atmosphère chaude de l'extérieur, grapillée à l'obscurité, je la savoure chaque après-midi.
Cette chaleur que je sens absorbée avidemment par tous les pores de ma peau, je la laisse me pénétrer. C'est la sensation, l'émotion, l'impression.
Les survivants disent que cela rappelle la sensation d'Amour que seuls, les très anciens ont éprouvé et dont les images interdites sont stockées dans les citadelles de la Technnicité.

Quand ils en parlent, leurs yeux se ferment et le silence prend la place de leurs mots. Que penser d'une telle extase ? Un mensonge peut-être ? Destiné à nous faire espérer un autre monde ?
Notre peau, aujourd'hui, serait comme un sac, juste capable de ressentir la lumière.
Et puis notre œil capte ce qui se passe et notre cerveau analyse.
Chaque après midi, ce qui me reste de l'ouïe d'avant, deux petits trous très fins de chaque côté de mon œil, me permet, en ne bougeant plus, d'entendre le bruissement des autres et parfois, mais très rarement, le bruit de l'eau au loin, derrière la digue en cas de grande tempête.

Affalé sur ma chaise pliante, capteur humain de lumière, je suis en vie. Juste en vie et ma pensée, seule, s'en fait le témoin. Certains taxent les fils de survivants de menteurs et parfois on les pourchasse, on les fait taire à jamais. Ce qu'ils racontent et qu'ils ont, seulement, souvent, entendus raconter, moi ça me fait imaginer.
Alors, chaque après-midi, je prends un mot des anciens, colporté, et en fermant mon gros œil, je me raconte des mensonges puisqu'aujourd'hui ce n'est plus la vérité.
Je me fais voir une chenille avec des poils. Comment réagirait ma peau au toucher d'un poil, de plusieurs poils ? Imaginer n'est pas mentir. C'est se faire une image-mentale.

Au cours d'Education d'aujourd'hui, on nous l'apprend.
On dit un mot, chacun à tour de rôle, et on apprend à imaginer, l'objet, la chose, la sensation. " Amour ", l'autre jour, on m'a dit au cours d'Education. Amour…
J'ai imaginé, plutôt, je me suis menti, deux grosses fesses dans deux grands bras.
Quand on a raconté notre image mentale, au maître éducateur, un fils de vieux survivant a dit : " Il a de l'avenir, celui-là, il a presque imaginé le passé… "
Le maître-éducateur l'a fait taire et m'a dit : " Réponse passable. Trop d'imagination. Je t'ai à l'œil ".
A l'œil, ou pas, moi je ferme le mien et j'attends la lumière.
Le ciel aujourd'hui encore ne mentira pas. Il me laissera un brin de lumière, une minute de soleil tout chaud sur ma peau, pour quelques heures encore, encore, encore…
Dans notre monde d'aujourd'hui, l'après-midi, la vie ne ment jamais.Mais jusqu'à quand ?



"Question de point de vue" de Rémi DANO


1ère partie :

Tous les après-midis, je vais à la plage. Vous savez, pas la grande plage où il y a tous les badauds, leurs chiens qui s'essorent à côté de vous et où les gosses font pipi dans l'eau. Non, moi je vais souvent à la plage aux galets, la petite plage au fond de la crique. Il n'y a personne là-bas et des fois on fait vraiment de drôle de rencontres, des qui vous changent la vie…
Je vais vous raconter ce qui m'est arrivé le week-end dernier, vous n'allez pas me croire !
Donc dimanche je finis mes mots croisés (je fais toujours des mots croisés après manger, ça m'aide à digérer) et je décide de faire mon tour, comme tous les dimanches après-midi. Jusqu'ici tout va bien. Je prends la voiture, j'arrive sur place et je descends dans la crique. Eh bien là, j'ai fait une sacrée rencontre, si je puis dire. Je vous le donne en mille : j'ai rencontré JESUS !
Alors, bon… Vous vous dites que je suis fou mais je vous jure que c'est vrai. Il était allongé, ventre au sol et bras en croix. Il ne bougeait pas. Il devait méditer, je pense.
Donc, au début, je ne sais pas. Je me rapproche de lui, je lui demande si tout va bien. Il ne bougeait toujours pas. Finalement, il se relève et laisse sa serviette par terre. Il était un peu hagard et avait l'air vraiment fatigué. Je ne l'ai pas vraiment reconnu sur le coup.
Il me dit, comme ça : " je suis Jésus ! ".
Bon, ce n'est pas le genre de chose que l'on entend tous les jours alors forcément, moi, je suis resté un peu circonspect. Ceci dit, la ressemblance était frappante, c'en était même troublant.
Je lui dit : " Ah bon, mais heu… ". Enfin, je ne savais trop quoi répondre. Et il me dit : " laisse, je vais te montrer le chemin ; je vais te parler de la voix divine. Prends ce galet et pose le dans ma main ". Au départ, je me méfie mais, comme je suis un peu curieux, je m'exécute et je lui donne le caillou. Et là, devinez quoi, il fait apparaître dans son autre main un galet en tout point semblable au premier ! Il me dit : " Vois, c'est comme cela que la Terre s'est faite ". Puis après, il continue : " Vois la mer qui remonte jusqu'à nos pieds et regarde ". J'avoue que depuis le coup du galet mon attention s'était décuplée. Et là je vois que l'eau de la mer se fonce. Elle se colore là, juste à nos pieds. " Goûte et vois comme le bon peut naître du saumâtre ". Je goûte et, en fait, c'était du vin. Et du bon, qui plus est ! Sur quoi il rajoute : " la Terre et la nourriture sont les présents que je te fais, moi, le messager de Dieu, à toi, le messager des hommes ". Et il finit en disant : " Vas et retourne parmi les tiens. Car la terre et la nourriture ne sont pas mes seuls présents : je t'offre également l'Amour ".
J'étais vraiment troublé. Vous pensez bien, Jésus, quand même… Enfin, je sentais qu'il me fallait l'abandonner donc j'ai quitté la crique. J'ai voulu le remercier une dernière fois mais, lorsque je me suis retourné, il avait déjà disparu. Incroyable.
Finalement, je suis rentré chez moi. J'y ai retrouvé ma femme et, je ne sais pas pourquoi, j'ai eu l'impression de la voir d'un œil nouveau. Je l'ai aimé d'un amour retrouvé et irrépressible. Cela nous a rapprochés. Et puis je me suis réconcilié avec les hommes, je crois, avec les badauds quoi…
Depuis, je retourne tous les après-midi à la plage de la crique dans l'espoir de le revoir. Mais il n'est jamais réapparu. Peu importe, en fait, car ma vie à changer depuis ce jour-là. Alors merci à toi, merci…
Fin de la 1ère partie.

Deuxième partie :

Tous les après-midis, je descends chercher mon pain. Je croise souvent mon concierge portugais, " Jésus " (prononcer " Rèzousse "), qui sort les poubelles. C'est un petit gars replet avec les cheveux gras et la bedaine qui dépasse du T-shirt. Très sympa. Il hante souvent les couloirs de la résidence avec son short à fleur. " Jésus " adore la mer (il a un bateau de pêche) et il ne parle que de ça. Il me dit souvent : " Vous chêtes le plus gentil de la copropriété, michieur. Il faut vous veniez faire un tour dans mon bateau, un 9m !, michieur. Il faudrait vous veniez pêcher avec moi ".
Je croyais qu'il disait cela comme ça mais, un jour, il sonne à ma porte et me dit que, si je veux faire un tour sur la mer avec lui, c'est pour aujourd'hui. Moi je marche beaucoup. Mais c'est vrai que je ne prends pas souvent le bateau. Alors je lui dis : " d'accord " Jésus ", je suis votre homme ".
Il m'a donné rendez-vous au port et c'est là que je l'y ai rejoint. Il m'attendait sur son bateau, le " Radeau Médusé " qu'il s'appelait (c'était d'ailleurs plus un 4,50m qu'un 9m !).
Quand je l'ai vu, une bière à la main et affublé d'un T-shirt " je suis Jésus, Jésus est le meilleur ! ", je me suis dit que la croisière allait être pour le moins folklorique. Bref, je monte dans l'engin (la bicoque prenait déjà l'eau). Quand j'arrive sur le pont, il me dit : " voilà, c'est cadeau pour vous, michieur ". Et là, il me tend la réplique exacte de son T-shirt mégalomaniaque. Bon, je ne veux pas le vexé : je lui dis un merci du bout des lèvres et je prends la chose du bout des doigts. Je croyais qu'il allait en rester là. Pas du tout ! Il y revient : " essayez, voir si c'est la bonne taille… ". J'ai alors compris que j'allais porter ma croix. Voilà donc que je l'enfile. J'avais une sacrée touche avec son T-shirt et mes tongs jaune et vert fluo, celles qu'il m'avait offertes l'an dernier de son retour du Brésil et que j'avais mis pour l'occasion, pour lui faire plaisir. Sur ce, on décolle.
Lui avait déjà tout préparer. Il tire ses cannes à pêches, il met les bestioles au bout des hameçons et jette le tout à l'eau. Il était comme fou. On aurait dit un gosse le soir de Noël. Et puis après il attend là, sagement, comme Saint Pierre sur sa barque. Moi, je ne suis pas très doué pour la pêche et puis je vois bien qu'il fait le travail pour deux et que ça lui fait plaisir. Donc, je décide de m'installer sur le transat et de bronzer.
Il fait un soleil de plomb et je mets de la crème solaire, celle de ma mère, la beige qui sent fort (pas ma mère, la crème…). Mais là ça tape vraiment dur et je dois me couvrir le visage avec une serviette humide.
J'entends notre " Jésus " qui joue avec son matériel (ça n'a pas l'air de mordre beaucoup, d'ailleurs). D'un coup, le moteur s'arrête… Et puis plus rien !
On tangue… J'entends mon équipier injurier la mécanique en portugais. Il bricole quelque chose. Et là, un " Aaaahhh ! Michieur !!! " suivi d'un grand " splouf ! ". J'étais à moitié somnolant, je crois, car je n'ai pas réagit tout de suite. Au bout d'une minute, je soulève ma serviette du bout du doigt et je jette un coup d'œil désintéressé. Et là, je vois un trou béant à la place du moteur et plus de " Jésus ". Sur quoi, je l'aperçois au loin, dans l'eau, en train d'agiter les bras en vociférant. Bon, je devais encore être dans un demi-sommeil puisque j'ai remis ma serviette sur mon visage pour me rendormir. C'est après, lorsque le bateau a commencé à gîter et que j'ai senti l'eau froide sous mes fesses que j'aurais dû me réveiller. Après, c'était trop tard. Dans le mouvement, ma tête a dû heurter quelque chose car je ne me souviens plus de rien.
C'est sur la plage que je suis revenu à moi. C'est le plagiste du dimanche, ce fou, qui m'a réveillé.
D'abord, il me secoue comme un prunier. Et, ensuite, il me crie dans les oreilles. Je finis par me réveiller, quand même…
Je ne sais pas combien de temps je suis resté allongé là, sur la plage, sur le ventre, mais ça devait faire une bonne paire de jours. Déjà que je ne suis pas bien gros, mais là j'avais vraiment minci et je portais une barbe de cinq jours attaquée par les algues. Je devais ressembler à je ne sais trop quoi, si peut-être à un ascète sortant d'un régime cailloux vraiment draconien. Ce devait faire peur à voir. Bref...
Ma serviette était restée plaquée sur mon visage. Je l'ai décollée et cela a fait comme une décalcomanie.
Sur quoi, il me regarde. Il regarde mon T-shirt de bal de camping. Il regarde ma serviette imprimée de mon visage. Il s'arrête dessus quelques secondes. Il revient sur mon T-shirt, qu'il lit attentivement. Puis il revient sur mon visage. Il me dit…
" Jésus ?... "
Là, pas d'accent portugais ! Il parlait vraiment de l'autre Jésus !!! Il n'y avait qu'un fou sur la plage, à cette heure-là de la journée, et j'étais tombé dessus !
Moi, je commençais tout juste à me réveiller. Je me sentais vraiment las, sonné et rompu. J'ai mis un certain temps à réagir. Trop peut-être. Lui, il avait déjà les larmes aux yeux.
Il me crie : " Allélouia ! " en levant les bras au ciel. Je fais un bond en arrière. Je crois que j'ai failli m'évanouir à nouveau.
Il insiste : " Vous êtes Jésus. Vous êtes Jésus, n'est-ce pas ? "
" Mais non ! "
" Messie ! "
J'hésite un peu, et puis je lui rétorque :
" Mais, vous êtes fou ! "
Et lui de me répondre :
" Fou de vous oui ! Tous les dimanches, je vais à la messe et vous n'y êtes pas. Mais il faut le dire, aux gens, que vous êtes à la plage ! "
Là, j'avoue, j'étais un peu désarçonné. Je ne savais plus quoi lui répondre.
Il me dit : " Allez-y… ". D'abord, je ne comprends pas. Il continue : " Bah allez-y, quoi ! Faites moi un miracle ! "
Je me demandais si je ne rêvais pas. Un vrai fou, je vous dis ! Je lui réponds : " Mais je ne sais pas faire de miracles ! ". Et l'énergumène de continuer : " Allez, s'il vous plaît, rien que pour moi ! Nous ne sommes que tous les deux, ici ". C'est bien ce qui me faisait peur…
Sur quoi, il prend un galet et me l'enchâsse dans la main. Par-dessus, il rajoute : " allez-y, multipliez les galets ! ". Moi j'étais perdu. Enfin, je continue de lui dire que je ne peux pas et que, de toute façon, personne ne mange de galets.
Et là, l'impossible arrive ! A l'instant où je lui dis ça, la marée montante vient faire rouler une demi-douzaine de gros galets à ses pieds. C'est alors qu'il est devenu comme fou. Il a fondu en larmes, s'est jeté à mes pieds, a morvé sur mes sandalettes fluo. Vous vous rendez compte, vous, Jésus en tongs brésiliennes ?!
Il se relève en reniflant. Il cherche frénétiquement une autre idée. Et là, il la trouve : " Allez-y, changez l'eau de mer en vin ! ". Bah voyons !
De mon côté, je continue dans mon argumentation. Je n'ai d'autre défense que lui répéter que je ne peux pas, que je ne suis pas le Messie. Il insiste. Bon, pour lui prouver que je ne suis pas un menteur, je m'exécute.
" Abracadabra, eau de mer change toi en vin ! ". Et là, un prodige !!!
Vous me croirez si vous voulez, mais… au même moment, la marée amène à nos pieds une bouteille de vin ! Une bouteille de vin, je vous dis !!! Je n'en croyais pas mes yeux. C'en était une avec une étiquette portugaise. Elle avait dû s'échapper de la glacière de mon concierge pendant le naufrage. Sur quoi, l'autre se jette sur les galets, se roule par terre en râlant et en me chantant tous les psaumes qu'il connaissait.
Là j'ai compris que je n'étais pas sorti d'affaire.
Le passionné se relève, les yeux bouffis. Il me lance : " Encore ! " avec une ferveur de fanatique. Cela ne servait plus vraiment de le contredire ; il en avait déjà assez vu. Alors je joue le jeu. Je lui dis que je n'ai plus trop d'énergie divine, que Jésus est fatigué et que ce serait bien qu'il voit un médecin.
Eh bien, aussi surprenant que cela puisse paraître, il me répond : " Oui, c'est vrai. Depuis que j'entends parler de vous et que je vous vois représenté, je ne vous ai jamais trouvé en grande forme. Il faut vous ménager un peu, vous savez. Mais ne vous en faites pas ! Venez avec moi, je vais vous accompagner. " Sur quoi, il me prend par la main et me fait remonter la crique. Je me dis : " Ca y est, je suis sauvé ". Quelle erreur !
Il m'arrête en pleine ascension, se retourne et me dit : " Dites, Jésus, une dernière chose : ma femme est très laide et je voudrais la changer. Vous pourriez faire cela pour moi ? Vous me devez bien ça. "
J'allais gémir mais, à ce moment, je me dis que je tiens peut-être ma chance. Alors après un petit moment d'hésitation, je lui réponds solennellement : " D'accord, mon fils. Alors sache qu'aujourd'hui, au jour de ce jour et à l'heure de cette heure, ta femme est changée. " A l'instant où je finis ma phrase, il saute de joie en criant " Alléluia ! ". Il détalle aussitôt pour rejoindre sa Cunégonde. Au passage, il écrase l'arrière de ma sandalette made in Coppa Cabana. Cela me stoppe net ! Mon autre pied frappe un rocher. Je pars à la renverse et dévale la pente caillouteuse en rebondissant sur les pierres dressées comme des pics.
Le fidèle a dû partir revoir sa femme pour de bon car je ne l'ai jamais plus revu. Je me suis réveillé à l'hôpital sans lui à mes côtés…

Pour éviter tous mensonges, je dois vous dire qu'en fait… je suis vraiment Jésus !!! C'est vrai. Et c'est vrai aussi que j'aurais pu être plus à l'écoute de notre sympathique protagoniste. Mais j'étais là en vacances, alors je n'allais pas me tuer à la tâche ! Eh ! Jésus aussi à besoin de repos ! C'était dimanche, quand même !
Bon et puis c'est vrai que, depuis ma résurrection, j'ai tendance à me méfier un peu plus du premier catéchumène venu. Enfin, je crois que je l'ai tout de même laissé partir en joie.
Pour ma part, je partage ma chambre d'hôpital avec " Jésus ", mon concierge. Par conséquent, je me dis que ce serait bien le Diable si mon rétablissement n'était pas prompt. Je reste confiant (je suis né sous une bonne étoile) alors, comme on me dit souvent, " Alléluia ! ".
Fin de la 2ème partie.

 

"Sincérité quand tu nous tiens" d'Aurélie BOCCARA

Le premier samedi après-midi de chaque mois je participe à un atelier d'écriture, relativement, voire même très bizarre, et animé par moi-même car finalement qui mieux que moi-même pour animer ce genre d'atelier. En effet, je ne vois personne de mon niveau pour avoir la pédagogie, le nerfs et l'envergure pour faire cela.
Mais non, je plaisante, comme diraient mes petits neveux et nièce (et ça c'est vrai, j'en aies, je n'oserai tout de même pas mentir sur des enfants, oh non, quoique….), c'est une blague !!!!!
C'est Régis l'animateur des ateliers d'écriture du premier samedi après-midi de chaque moi. Mais qui peut prouver que Régis est bien l'animateur ? Seule la dizaine de participants et celle-ci, pourquoi la croire, pourquoi ne pas la croire ? C'est Shakespearien !!

Revenons à nos moutonsse ! Pourquoi ment-on ? Et, pour faire plus large, pourquoi (souvent) les enfants mentent-ils ? Ils ont peur de se " faire disputer ", parce qu'ils ont fait ou du moins le croient-ils une bêtise (importante). Le mensonge est lié à la peur, à l'angoisse, même. En effet, si l'on ment, c'est qu'on a peur pour un enfant par exemple, de se faire gronder, pour un adulte, de recevoir une claque, ou un blâme, car on était avec un ou une autre et on a peur, oui, encore la peur de l'avouer.

Et oui, au mensonge, on peut aussi associer la notion de culpabilité et je pense que l'Homme est naturellement et intrinsèquement coupable, ou assujetti à être coupable. Car finalement, tout le monde dans sa vie a au moins une fois été coupable. Pourquoi voit-on de plus en plus de personnes aller chez son " psy " (comme on dit) car elles se sentent coupables de quelque chose d'inavouable, sauf à son psy, of course.

Pourquoi ment-on ? Pour se protéger, pour se déculpabiliser ? On parle alors de quelque chose de " MAL ", pas de lézard, comme on dit, il n'y aurait pas besoin de mentir, c'est évident. On peut donc rapprocher le mensonge d'une notion de mal, donc d'enfer, donc des hautes sphères de ce monde : j'ai nommé DIEU, GOD in english, GOT, in deutsch….
Les usagers du mensonge seraient donc des " mauvais ", qu'il faudrait punir et envoyer en enfer.
Mais qui n'a pas au moins une fois dans sa vie dit un mensonge, même un tout petit. Cela voudrait donc dire que tout, oui, tout le monde va en enfer. Et alors au paradis : il y a personne, ils doivent (enfin, je ne sais pas exactement qui il y a) s'ennuyer lourdement alors !!!!
Finalement, c'est plus sympa de mentir, on se retrouve tous en enfer, et on fait des super-méga fêtes. Alors qu'à la base, le mensonge a une image plutôt négative, voire noire, je vous ai démontré par A + B, le contraire. En vous disant " grosso modo " n'importe quoi, et en fait en vous démontrant " foutaise ", une nouvelle fois, je vous mens. Oh Joie, Oh Allégresse : Oh YES, j'ai menti, comme dans le bon vieux temps (non, ça c'est pas vrai : mais au fait, je mens oui ou non, je vous dis la vérité ou le contraire…) Oh là, là, même pour moi ça devient compliqué !!!!!

Prune et Séverine ont un jour cette discussion :

Prune : J'ai envie de mourir, la vie est trop dure et trop triste
Séverine : Mais non, comment oses-tu dire ça ; il y a des enfants en Afrique ou en Asie qui crèvent de faim et qui donneraient tout pour avoir ta place. Tu plaisantes, j'espère, tu ne parles pas sérieusement. En fait, tu me MENS ! Ca ne peut pas être chose.
Prune : Je ne suis on ne peut plus sérieuse et si je te dis d 'avaler des barbituriques, c'est crois moi que je ne vais pas bien et que je ne mens pas. En fait, il aurait mieux fallu que je te mente et que j'avale ces cachets ; je ne serai plus là et nous n'aurions pas cette discussion oiseuse et sans intérêt. Je serai au ciel….
Séverine : Mais Prune, tu sais que tu es ma meilleure amie (sois- dit en passant ça reste à prouver : mensonge, pas mensonge) Comment peux-tu penser en ces termes là, à la mort, et tout ce qui s'ensuit. Je ne peux pas, et je ne veux pas affronter ce genre de discussions.
Prune : Je m'en doutais, tu ne peux pas affronter la mort, ses réalités, tu préfères être dans le mensonge. C'est à toi de voir. Moi, je sais quel parti j'ai pris : celui de la sincérité et de l'honnêteté. Mais c'est quelque chose que tu ne sembles pas connaître.
Séverine : Oh, mais j'en ai marre que tu m'agresses comme ça. Tu crois détenir toute la " sainte " vérité. Ca m'étonnerait bien surtout connaissant ton parcours et toutes les " conneries " que tu as pu faire. Mais, je ne te fais pas de reproches, MOI, au contraire de TOI !!!!! Tu veux mourir, tu veux mourir, eh bien meurs, si tu en as le courage ! Et sois à la hauteur de tes vérités…. Tu sais, je t'aime telle que tu es, que tu sois dans le mensonge ou la vérité. Je n'ai pas à choisir ton camp. C'est ton choix et ton dernier mot !!!!

Fin de la discussion entre Prune et Séverine.

Miroir, mon beau miroir, dis moi qui est la plus belle ! Ah, quelle femme et aujourd'hui, quel homme ne s'est pas posé la question, un peu honteusement en cachette, et attendre la réponse (qui tue) : quelle qu'elle soit, c'est un mensonge.
1. si le miroir répond à l'homme ou à la femme c'est toi : il ment bien sûr par rapport à qui ou à quoi cet homme ou cette femme serait le plus beau ou la plus belle.
2. si le miroir, répond à l'homme ou à la femme ce n'est pas toi : il ment aussi bien sûr et pour les mêmes raisons

Bon, arrêtons là ces digressions futiles à propos de ce miroir. De toutes façons , tout cela n'existe que dans les contes pour enfants : ce ne sont que des histoires et que des mensonges.

Il y a une question que je me pose : ne prend-on pas souvent un plaisir délicieux à mentir et à voir l'autre mentir et mal se " dépatouiller " de son mensonge ? Ca en devient grotesque…

On ment avec plaisir aux enfants en leur racontant au creux de l'oreille des histoires fantastiques, qui n'ont bien sûr jamais existé. Mais, ensuite on se sent bien, on a fait une bonne action, après les enfants vont faire un gros dodo, mais s'ils crient toute la nuit, en partie à cause des monstres et des choses bizarres dont on a parlé pendant l'histoire. Car il est de coutume de dire que plus une histoire est grosse, abracadabrante et énorme plus on y croit. Croira, croira pas ?

Passons désormais aux jeunes et moins jeunes : pour faire simple, on va dire les grands !
Il y en a pour qui mentir est un jeu, presque un plaisir : on pense tout de suite au théâtre et au vaudeville, avec l'amant caché dans le placard ou sous le lit (Régis Moulu, qui enseigne le théâtre, pas le vaudeville je vous l'accorde, tiens peut-être là sa propension au mensonge, enfin un certain style de mensonge…. Le mensonge même sous forme de jeu devient tellement compliqué, que de joie ou de plaisir, il devient torture… Bizarre, non ?
Enfin, tous les adolescents ont menti pour aller à une boum, une soirée, disant qu'ils ne fumeraient pas de cigarettes, et autres…., qu'ils ne boiraient pas d'alcool, bref, qu'ils seraient sages comme des images. Mais même les parents savent que les enfants mentent. Il paraît et je suis assez d'accord qu'on ment pour se faire aimer. On a tellement peur du châtiment , de la punition, qu'on préfère mentir, on parle alors de mensonge pieux, plutôt que d'aller au purgatoire…
Il y a également des personnes qui mentent pour rendre la vie plus SUPPORTABLE !!!!!!
Ne ment-on pas à un malade, en lui disant qu'il va aller mieux, que son traitement va agir … ?

Autant le mensonge, peut par certains côtés m'agacer, m'insurger autant pour d'autres, je suis heureuse qu'un petit chenapan, car cela ne pouvait être que cela l'ait " inventé ", pour rendre la vie plus BELLE, et moins triste !!!!!

 

"Dis-moi ton nom, je te dirai qui tu es" d'Angeline LAUNAY

Tous les après-midi je… pense à lui bêtement, d'autant qu'il n'a laissé qu'une légère trace dans ma vie. En ai-je laissé une dans la sienne… Mais penser à lui est devenu une façon d'entamer la seconde partie de la journée avec un sourire en coin, un regret en moins…

C'était il y a des années… excusez mon manque de précision mais les dates, ce n'est pas mon fort. - Je me trouvais dans les locaux de la mairie d'une bourgade perdue dans le Gers. Nous étions invités à un buffet avant de commencer la visite des communes avoisinantes. J'ai parlé avec diverses personnes de tout et de rien jusqu'à ce qu'un inconnu propose à notre petit groupe de nous rendre à la soirée qu'il organisait chez lui pour l'intronisation de trois nouveaux mousquetaires. Il nous expliqua que ce genre de manifestation était plutôt rare et que ce serait une belle occasion de découvrir les particularismes de la région.
Tandis qu'il m'incitait à goûter au " pousse-rapière ", l'apéritif du terroir, il en profita pour me demander mon prénom. Je ne sais pourquoi, je lui répondis que je m'appelais Dolores.
- Vous êtes espagnole, me demanda-t-il ?
- Non, mais on me le demande souvent. On me prend aussi pour une Berbère ou une Bédouine… Il se mit à rire et me dit qu'il se nommait Roger-Albert.
- Roger-Albert, c'est votre prénom et votre nom, ou juste votre prénom ? Votre petit nom, c'est plutôt Gégé ou Bébert ?
- Ni l'un, ni l'autre, dit-il sans s'offusquer. C'est comme il vous plaira.
Je lui déclarai : " pour moi aussi, vous avez le choix car mon deuxième prénom est Gardénia. " Il continua : " ç'est différent de Dolores et plus agréable… "
- " Sûrement ", dis-je et nous nous mîmes à rire aussi bêtement que nous nous étions rencontrés.

Lorsque je le revis, ce fut la nuit, dans son fief. Les invités s'étaient amassés dans le vaste jardin dont la pelouse était piquetée çà et là des petites lumières que produisaient les lucioles. Devant la baie vitrée du salon, de gros chaudrons fumants embaumaient le cassoulet dont on se servait de grosses louchées dans des assiettes creuses.
Roger-Albert m'aperçut et se précipita pour me faire les honneurs de la maison. Il m'entraîna à l'intérieur où des guirlandes de plantes pendaient de la mezzanine… il ne manquait plus que des perruches ou des perroquets accrochés à décor luxuriant… Soudain, il me souffla à l'oreille : " maintenant, vous pouvez me le dire… "
- Quoi donc ?
- Comment vous vous appelez…
- Oui, bien sûr, on m'appelle Madinina. Il parut étonné. J'ajoutai : " Ca signifie " l'île aux leurs ". Il rétorqua : " je croyais que ça voulait dire " petite folle "…
- Si vous voulez… Je n'ai rien contre le fait d'en être une !
Son rire résonna dans le couloir de l'étage où nous étions parvenus. " Venez , me dit-il, je vais vous montrer ma collection. " Comme je le regardais avec une certaine méfiance, il ajouta : " …de pipes de cérémonie. Vous savez, je suis indianiste à mes heures. " En effet, dans une vitrine de son bureau, se trouvaient une vingtaine de calumets. Il m'expliqua qu'il ne fallait pas dire " calumet " et que l'embout en catlinite, qui est la pierre sacrée des Indiens, devait rester séparé de la partie en bois car la pipe ne doit être assemblée que lors des cérémonies.
- Vous le croirez ou pas, lui dis-je, j'ai aussi un nom indien…
Il sembla à peine étonné.
- Quand j'étais petite, mon père m'appelait Petite Lune.
Son visage exprima la gravité et il me demanda : " Quel nom indien me donneriez-vous ? "
Sans réfléchir, je répondis : " Face d'ours " et fis le geste qui figurait un visage et deux oreilles. Il n'osa pas me questionner sur la raison de mon choix.
- Seriez-vous à la recherche de votre identité, risquai-je ?
- C'est vous qui me dites ça !
- Pourquoi ?... parce qu'en réalité, je me nomme le plus souvent Elvire et parfois Dalila.
Il fit une grimace… " Vous trouvez mes cheveux trop longs, c'est ça ? "
- Si vous êtes un mousquetaire, je ne trouverai rien à redire…
- Je suis le président des mousquetaires pour le département.
- Ou vous êtes président, ou vous êtes mousquetaire…
- Alors, je suis mousquetaire ! Et si vous voulez bien me suivre, la cérémonie d'intronisation ne va pas tarder à commencer ! A propos, je ne vais pas savoir comment vous présenter…
- Appelez-moi Taormina.
- Voyons, ce n'est pas crédible !
- Alors, Datura, comme la fleur rebelle.
- Oh non… - Bon, eh bien Vanessa, comme le papillon.
- Si ça continue, je vous appelle Madame Butterfly.
- Ah non ! Pourquoi pas Anna Karénine ! Ces femmes ont eu un destin trop cruel ! Vous pourriez me présenter comme étant… Romanichelle.
- Mais ce n'est pas un prénom, ça !
- Je sais, mais je l'aime bien. - Ecoutez, tout ça n'est pas sérieux. Je vais en choisir un moi-même.
- Certainement pas ! C'est très important un nom ! Il ne s'agit pas de le trouver par hasard…
- Si je savais comment vous vous appeliez, je me fâcherais !
- Eh bien justement, vous ne le pouvez pas ! Vous n'avez aucune prise sur moi, parce que vous ne pouvez pas me nommer… Mais moi, je sais que vous êtes Roger-Albert.
- Tous les noms que vous m'avez cités sont importables…
- Détrompez-vous… Tous mes prénoms n'ont rien d'irréfléchi… Et vous, croyez-vous que votre nom possède un quelconque fondement ?
- C'est en tous cas celui que mes parents m'ont donné. - Et ça vous a suffi ?
Il partit d'un rire que j'entends encore !

Nous avons regagné la pelouse aux lucioles. Les convives s'étaient regroupés pour le discours d'intronisation. Roger-Albert prit la parole et exalta les vertus masculines et les enthousiasmes féminins. Ce soir-là, trois hommes rejoignirent la corporation des mousquetaires… J'aurais aimé être le quatrième : je me serais appelée " In-extrémis ", et certainement pas Sémiramis ! Au fond, porter un seul nom n'est pas un critère de reconnaissance… Est-ce si important ce qu'autrui sait de nous ?... Le rôle du mousquetaire In-extrémis est bien plus bondissant ! Luciole aussi est un prénom pittoresque, rare, discret, lumineux par intermittences…

Roger-Albert évita de me présenter à ses relations. Il ne voulait sans doute pas avoir l'air embarrassé… Il me raccompagna à mon hôtel par une nuit si claire qu'il s'arrêta en bordure d'un champ de tournesols pour revenir chargé d'une gerbe envahissante. Il me déposa sur la petite place de Lannepax et je regagnai ma chambre, un énorme bouquet dans les bras. Sur la cheminée, se trouvait un vase dans lequel je parvins non sans mal à compresser les épaisses tiges. Et je finis par m'endormir. Au cours de la nuit, je fus brutalement réveillée par la chute fracassante des tournesols sur le parquet, tout près de la tête de mon lit. D'une certaine manière, j'en fus littéralement assommée.

C'est sur un quai de gare que je revis pour la dernière fois le mousquetaire Roger-Albert. Il était venu sans bouquet pour me dire au revoir… Pourtant, quelques myosotis m'eussent peut-être décidée à lui révéler mon véritable prénom… Sur le marchepied du wagon, je lui déclarai que j'hésitais beaucoup entre Roger et Albert… Nul doute qu'il ne pouvait s'agir d'un seul et même homme… Il parut attristé par ma déclaration, à moins que ce ne fût tout simplement par le départ du train. J'ouvris la vitre du compartiment. D'en haut, je me trouvais en position de force… Il comprit que je partirais sans lui avouer l'essentiel. Au démarrage, je trouvai le moyen de lui dire encore : " au fait, que je m'appelle Herminie ou Cressida, je resterai toujours telle que vous m'avez connue ! "

Le train s'ébranla. Le paysage se mit à défiler. Je ressentis un pincement au cœur lorsque j'aperçus au loin un champ de tournesols. Prise d'un remords soudain, je me penchai à la fenêtre et me mis à crier mon nom… mais Roger ou Albert était bien trop loin pour l'entendre.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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