Ci-après quelques textes produits durant la séance,
notamment (dans l'ordre):
-"Le test" de Janine NOWAK
- "La DST pour Socrate ou un peu de sophisme pour dé-couvrir
la vérité" d'ARGOPHILHEIN
- "Quatre heures de lumière" de Janine
BERNARD
- "Question de point de vue" de Rémi
DANO
- "Sincérité quand tu nous tiens"
d'Aurélie BOCCARA
- "Dis-moi ton nom, je te dirai qui tu es"
d'Angeline LAUNAY
"Le
test" de Janine NOWAK
Tous les après-midi, j'observe sa maison. Depuis le square,
je la guette et note ses habitudes, ses allées et venues, qui semblent
immuables.
Voir sans être vu : tel est mon but.
Pour donner le change au gardien du jardin public et aux jeunes mères
accompagnées de leur progéniture, je promène, dans la zone autorisée,
mon chien, surveillant et ramassant scrupuleusement ses déjections.
Il faut que je sois impeccable : ce n'est pas le moment d'attirer l'attention
sur moi.
Voici quatre jours consécutifs que dure mon petit manège. Jusqu'à présent,
pas d'accroc. Aujourd'hui, est l'instant décisif, le jour J. Il le faut.
J'ai garé ma voiture dans un endroit discret, non loin de l'abris-bus.
J'y retourne tranquillement, fais grimper mon chien sur la banquette
arrière, puis m'installe au volant. Le jour décline. Je vais devoir
attendre, sans me faire remarquer. J'ai une bonne heure d'avance, mais
je sais être patient : les planques, ça me connait.
Pour m'occuper l'esprit, je vais jouer à mon petit jeu. Je l'ai baptisé
" Si j'étais, ou le jeu de trompe-couillon ! ". C'est tout bête, un
peu puérile, mais ça me délasse et ça tue le temps. Et pour ce qui est
de tuer … j'en connais un rayon ! Allons y :
- si j'étais … un poisson ? Hum … C'est difficile … Bon nombre d'entre
eux sont de surprenants experts dans l'art du camouflage. Ils savent
s'harmoniser avec le fond marin, changer de couleur, se déguiser en
algues … Mais il faut trancher. Voyons voir … Je dirais la rascasse,
qui ressemble à un rocher … Ou alors la vive, qui se dissimule dans
le sable, ne laissant dépasser que ses yeux et sa nageoire venimeuse.
- si j'étais … un reptile ? Trop facile ! Le caméléon, bien sûr ! Le
roi des subterfuges.
- si j'étais … un habitant de la banquise ? Un bébé phoque ou un ours
blanc, cela va de soi !
- si j'étais … une chanson ? Celle de Brassens, " l'Histoire de Faussaire
".
- si j'étais une fleur ? Une plante carnivore, bien évidemment, qui
fait l'innocente et attire ses proies dans défense.
- si j'étais … un mari pingre ? J'offrirais à ma femme, un manteau de
faux vison … en vrai nylon !
- si j'étais … un film ? " Victor, Victoria ", avec l'éblouissante Julie
Andrews qui se travestit en homme pour trouver du travail ; ou alors,
" Comme elle respire ", avec Marie Trintignant ".
Bon. Assez ri. Quelle heure est-il ? Plus qu'un quart d'heure d'attente.
Il faut que je me concentre.
Etrange sentiment. J'ai hâte, et en même temps, je redoute de faire
ce test.
Pauvre Docteur Marcasseau ! J'ai dû le supprimer. C'est très dommage…
Un talent pareil ! Mais comment faire autrement ? Ah, misère ! Il était
pourtant le plus habile des plasticiens. Autrefois, c'était un grand
chirurgien esthétique, adulé du tout Paris : les vedettes de cinéma
vieillissantes auraient offert leur fortune pour qu'il les rajeunisse.
Mais voilà, cet homme avait un vice : il aimait la tendre chair des
jeunes garçons. La pédophilie, ça ne pardonne pas. Donc, cette sombre
affaire de mœurs a éclaté comme une bombe. Après, pour lui, ce fut la
dégringolade : le déshonneur, la prison, la perte de ses biens … C'est
ainsi que le Milieu l'a récupéré. Comme quoi, quand on est doué, et
que l'on fait bien proprement son travail, on rebondit toujours, malgré
les vicissitudes de l'existence.
Ainsi donc, depuis quelques années, il s'évertuait à transformer les
malfrats recherchés par toutes les polices. Car ce n'est que dans les
romans d'Arsène Lupin qu'une perruque et des lunettes suffisent à modifier
l'aspect d'un bonhomme ! Pfutt ! Ridicule ! Il est impératif de rectifier
menton, nez, oreilles, yeux … si l'on veut avoir une chance de passer
au travers des mailles des filets des policiers. C'est qu'ils sont forts,
les bougres ! Et bien aidés, il faut le dire, par les indics. Sale engeance
! J'en ai buté quelques uns de ces mouchards, avec le plus grand plaisir.
Pour en revenir à Marcasseau … Ah, c'est contrariant … Mais, aussi …
Il était trop vulnérable, cet homme là ! Moi, je suis un gros gibier.
Alors, je n'ai aucun droit à l'erreur. Il fallait que je disparaisse
totalement, que je m'escamote, que je sois rayé de la carte du monde.
Pour ce faire, j'ai pris toutes mes dispositions : j'ai changé d'identité
; j'ai coupé toutes relations avec le passé ; j'ai appris à me comporter,
à parler différemment ; j'ai même suivi des cours de diction, modifié
mes intonations. Je suis devenu élégant, raffiné, abdiquant tous mes
goûts pour les tenues décontractées. Toujours tiré à quatre épingles,
je porte dorénavant, costume sombre, chemise blanche, cravate sobre.
Grâce à des lentilles teintées, mes yeux marron sont à présent d'un
joli bleu myosotis. Marcasseau a fait des miracles : mes oreilles en
feuilles de chou, sont désormais de ravissantes parures, bien ourlées.
Mon nez, busqué, trop épais, dessine aujourd'hui un profil de médaille,
fin et droit comme la justice. Ah ! La justice ! C'est drôle ce mot
dans ma bouche ! Mes lèvres, trop minces, qui me donnaient un sourire
cruel, sont pulpeuses. J'ai laissé pousser mes cheveux. Un savant brushing
remplace mon crâne rasé de près, comme ceux des skinheads. Je n'ai plus
rien de la brute épaisse que j'étais. Avec dix kg. de moins et un peu
de musculation, ma silhouette se découpe harmonieusement. Je ressemble
à une gravure de mode, à une couverture de magazine. Ma métamorphose
est complète. Je dois admettre que c'est bien agréable. Bref, tout est
nouveau chez moi … sauf dans ma tête. Je suis resté le même, toujours
dénué du moindre sentiment humain.
Ah, Marcasseau … Marcasseau !!! Pourquoi cet album ? Pourquoi cette
manie ? Ta vanité t'a perdu. Tu étais trop fier de toi, de ton art.
A l'insu de tes clients, tu prenais des photos " avant-après ", que
tu conservais pieusement. Quelle folie ! Tu ne m'as pas laissé le choix.
Je ne pouvais pas prendre un tel risque. J'ai dû détruire ces documents
… et leur propriétaire.
Enfin ! Voilà le car. Pas mal de personnes en descendent : un grand
homme très maigre, très pressé … une jeune femme élégante … un pépère
à béret … une gamine avec un sac à dos … et … oui, la voilà.
Elle n'a pas trop changé depuis dix-huit ans que je ne l'avais vue.
Je l'ai reconnue sans difficulté, voici quatre jours. C'est à présent
une sexagénaire petite et active ; une maîtresse femme au regard aigu
toujours aussi impressionnant, toujours aussi redoutable.
Bon … Il faut y aller … Je ne peux plus reculer. J'y vais. Prenons les
accessoires " pour faire sérieux " : lunettes et attaché-case.
Me voici devant sa porte. J'hésite ; je suis presque ému : curieuse
sensation ! C'est pourtant l'heure de vérité. Je sonne.
Ouf ! Je suis soulagé ! Je viens de vivre l'expérience
la plus douloureuse jamais affrontée dans toute mon existence.
Aurais-je eu le cran de passer à l'acte ?
Aussi … Marcasseau … Avec ses idées ! Il avait déclaré : vous voilà
un autre homme ; même votre mère ne vous reconnaitrait pas. Il fallait
vérifier.
Heureusement, elle ne m'a pas reconnu. Je préfère ne pas penser à ce
qui se serait passé dans le cas contraire…
"La
DST pour Socrate ou un peu de sophisme pour dé-couvrir la vérité"
d'ARGOPHILHEIN
Tous les après-midi, ou presque, je vais Place Beauvau
pour pratiquer la relaxation et quelques exercices spécifiques dans
le cadre d'une cure régénérante de vérité. Je compte y reprendre confiance
en la société, au monde et en moi. En effet, retraité de la DST à moins
de 50 ans - je sais, c'est un privilège, mais le métier est difficile,
contraignant, dangereux et on n'est pas sûr d'atteindre la retraite
-, après environ six mois d'euphorie à visiter ma famille, mes amis,
le monde, j'ai subi une petite descente aux enfers : la déprime.
Manque d'actions ? de buts ? d'aventures ? Plus de décharge
d'adrénaline, je me sentais devenir un gros légumineux plié, avachi
sur lui-même, qui ne pensait plus qu'à combler par les aliments le vide
de sa vie. Obèse et dépressif, je pesais alors 103 kg, j'aurais pu concourir
dans les poids plumes Sumo, d'autant plus que je portais des strings
pour avoir l'impression que je n'étais pas si gros. Non, ne riez pas,
ce fut un calvaire, je portais pour ainsi dire ma croix, la croix du
mensonge. Car j'avais tant menti dans ma vie d'agent chargé de la sécurité
du territoire que je devenais sincère en croyant à mes mensonges. Et
cette sincérité m'a permis de déjouer les pièges du détecteur de mensonges,
toujours en pratique dans les années 80. Je maîtrisais si parfaitement
mes pensées qu'aucun indice émotionnel ne filtrait à travers mon comportement
physique et physiologique. Il suffisait que je me persuade d'avoir foi
en mes pensées et leurs dires, qu'ils fussent vérités ou mensonges,
pour me "recharger" en sincérité.
C'est ainsi que Descartes définit la plus haute forme
de croyance : la persuasion personnelle, qui pour lui est du domaine
de l'évidence. Quand je me représente clairement et distinctement la
chose, je crois en son évidence : elle est vraie. Ici, ce qui se présente
aux yeux de mon esprit, à ma pensée introspective, c'est la vérité,
qui est norme d'elle-même, puisque rien ne pourra lui être opposé :
la vérité est une ou n'est pas. Fort de cette évidence, tous mes mensonges
passés au crible de ma pensée claire et distincte devenaient vrais,
irréductiblement VRAIS, par la persuasion si chère à Descartes. Cette
auto-persuasion aboutissait tout naturellement sur l'évidence, c'est-à-dire
CE QUE je voyais après le moulinage de ma pensée. Et après plus de 20
ans de pratique cartésienne, j'étais toujours sincère, je changeais
de sincérité, voilà tout, comme le faisait Tristan Bernard quand il
parlait aux femmes.
Cette sincérité débordante, qui m'inondait comme le flux
des eaux d'un fleuve impétueux, je la "déchargeais", pour ainsi dire,
un peu plus chaque jour de ma retraite et la dépression prit sa place
tout naturellement. Aussi, désespéré, je sombrais dans une sévère crise
d'identité où je ne me reconnaissais plus : qui étais-je ? Celui qui
ne ment jamais ? Ou celui qui ment tout le temps ? A y bien réfléchir,
si quand je dis que je ne mens jamais, je mens, c'est que je mens toujours.
Et si quand je dis que je mens toujours, je mens, c'est que je ne mens
jamais. Il faut donc mentir pour que la vérité illumine nos croyances.
Mes collègues et supérieurs, pas trop psychologues ni
philosophes, mais connaissant néanmoins ce vocabulaire (pas trop sa
signification) pour l'avoir supporté en Terminale sur les bancs du lycée,
ont compris combien j'étais perturbé et, pour combler mon manque d'exercice,
m'ont convié à ce stage, sorte de cure dont je devrais ressortir apaisé
et sûr de mon MOI.
Et c'est ainsi que tous les après-midi ou presque, je
me rends Place Beauvau, où je vais pratiquer Aïkido et Yoga, pour le
self-control et la relaxation, puis je participe à des entretiens sur
les actualités du monde, la place et l'avenir de la France dans ce monde,
pour me tenir informé et toujours curieux du travail fait et à faire
par les jeunes recrues en ce sens. Puis lecture de citations, qui défilent
sur un écran, ponctuées par une voix off qui ne laisse échapper de son
ton que la sincérité. Cette lecture-audio débouche sur une herméneutique
qui nous permet de découvrir que : "Une vérité est un mensonge qui a
longtemps servi" et l'auteur savait de quoi il parlait - Edouard Herriot,
homme politique, savait comme toute sa confrérie que la répétition,
même du mensonge, aboutit à la croyance de la vérité : ce qui se dit
encore et toujours est vrai, comme la tradition. Ou "Pour bien mentir,
il faut beaucoup de sincérité". Giono, par le boulanger qui transpose
les agissements de sa femme sur la chatte-fugitive, nous fait ressentir
cette vérité : sans sincérité, point de bon mensonge. Donc, il y a des
bons et des mauvais mensonges, et la DST travaille sur ce registre comme
un accordéon. Il faut savoir s'accorder à l'accordéon, c'est tout. Et
Camus d'ajouter : "La vérité, comme la lumière, aveugle. Le mensonge,
au contraire, est un beau crépuscule qui met chaque objet en valeur".
Donc, n'hésitez pas, choisissez le mensonge, c'est plus poétique. Et
même Prévert s'y met : "L'étoffe des héros est un tissu de mensonges".
Et je me suis senti si souvent un héros quand je mentais avec tant d'innocence
pour protéger mon pays et son gouvernement bien au chaud dans ses frontières
et dans ses ministères. Prévert, je l'ai toujours aimé, comment croire
qu'il dit autre chose que la vérité ?
Ainsi, si la sincérité mène à l'exactitude, comme l'a
dit le grand sage Gao Xingjian, je suis et ai toujours été exact en
tout car je suis TOUJOURS sincère. Je peux donc dire que je ne mens
jamais PARCE QUE je suis toujours sincère. Et ainsi le paradoxe du menteur
s'est converti en principe de vérité. CQFD. Il suffisait d' y penser.
Merci la DST, mes très chers collègues et supérieurs, la France qui
m'a tant donné, j'entrevois avec certitude maintenant qui je suis :
un grand sincère qui ne se laisse impressionner ni par le mensonge ni
par la vérité. Et, comme je l'ai autrefois métaphorisé, la sincérité
est la perle qui se forme dans le coquillage du coeur.
"Quatre
heures de lumière" de Janine BERNARD
Tous les après-midis, j'installe ma chaise pliante.
Je la déplie délicatement, je la pose avec précaution et elle s'enfonce,
en général, de quelques centimètres. Il me faut bien quelques minutes
pour parvenir à stabiliser ce qui va me permettre de carrer mes deux
grosses fesses et d'allonger ce qui porte encore le nom de jambes. Mon
poids se charge ensuite d'enfoncer le tout quasiment au ras du sable.
J'ai, alors, une ou deux heures de répit devant moi. Parfois trois.
Mais c'est rare, très rare, de plus en plus rare. D'autres attendent
la précieuse place après mon départ.
Je grapille les quelques minutes de lumière indispensables, les yeux
mi-clos et ma boule-tête tournée vers le ciel ; avide d'avaler ce que
la course folle des nuages me laissera capter. Ensuite l'obscurité reviendra.
Et l'après-midi mourra dans les bras de la nuit jusqu'à l'aube nouvelle
qu'aujourd'hui on nomme encore : " après-midi ".
Avant, il y a bien longtemps, moi-même je ne l'ai jamais
connu, mais les quelques vieux descendants des survivants le racontent,
à cette heure, les gosses goûtaient. Ils parlent de quatre heures, de
chocolat, de lait. De toutes ces choses dont les mots même seront, à
l'avenir, inconnus de ceux qui parviennent à atteindre aujourd'hui ce
nouveau monde.
Tous les après-midis, nous sommes des milliers alignés,
chaise pliante contre chaise pliante, le long de ce que nous appelons
encore " plages " mais qui n'a de " plage " que ce qui est écrit sur
les panneaux d'accès.
C'est le seul espace où débouchent les souterrains.
Depuis mon siège, au loin, j'aperçois la crête mousseuse de quelques
vagues derrière les hautes digues qui hérissent la mer.
Un des mes voisins, hier, un fils de survivant avec deux beaux yeux
clairs, s'est laissé aller à un fou rire devant le spectacle que nous
donnions tous, sur nos sièges, alignés sur des kilomètres, bruissants
comme des insectes.
Moi, je n'ai pas les mots, mais lui a dit : " comme des chenilles à
poil, mais sans poil ! " Et il a eu le rictus de nos lèvres tordues.
" Des chenilles ". J'ai bien aimé ce mot d'avant. " Chenille
". Il a rajouté :
" Jamais mon aïeul de son vivant, n'aurais cru voir ces milliers
de cloportes nus, sur leur siège emmagasiner la vie-lumière juste pour
survivre quelques mois, quelques années. Pauvres choses… ". Il a
regardé le numéro derrière ma chaise. " Pauvre chose, 23451. Pauvres
choses que nous sommes tous devenus. Des nudistes, on appelait ça ainsi,
avant. Des nudites. Non, non, non….. "
Et il est retombé dans une sorte de léthargie grognonne caractéristique
de tous les fils de survivants. Que j'ai respectée, bien sûr. Que nous
respectons tous, aujourd'hui. Ils sont notre mémoire, nos mots. Ils
parlent de choses, de temps, de lieux, de rythme, d'une vie que nous
ne pouvons imaginer.
Pour mettre une image sur un mot inconnu, il faut faire le lien avec
une connaissance déjà acquise. Et aucun mot, aujourd'hui, de nos vénérés
aïeux? ne peut s'accrocher à un objet, un être, une place qui lui correspondrait.
Bien sûr, nous avons toute la Technicité, sauvée du désastre avec ses
images, ses ribambelles d'images, mais elle est enfermée à double tour
la Technicité, au fond des Citadelles interdites, et le commun des mortels,
comme moi, n'y a pas accès.
Non, moi je n'ai que mon gros œil gris pour balayer du
regard ce qui m'entoure et les quelques centimètres carrés de peau sur
mon corps qui absorbent la lumière vitale de chaque après-midi devenues
tout aussi vitales.
On pourrait l'appeler " petit jour ", mais on a gardé ce mot " après-midi
" du temps d'avant.
Je l'ai envié un instant mon voisin d'hier. Les survivants?
on les reconnaît à leur deux yeux et à leur stature plus imposante que
la nôtre. Nous, dans l'ensemble, nous avons ces deux grosses fesses
qui surplombent des jambes très courtes sur deux pieds avec chacun deux
gros orteils pour la stabilité de l'ensemble. Cela nous donne une démarche
typique, paraît il, que les plus anciens appellent : " démarche du
pingouin ". Mais un œil ou deux, il nous faut au moins quelques
minutes de lumière pour sauver ce qui nous reste de vie et surtout nos
cerveaux, nos précieux cerveaux.
Un œil est suffisant pour ce qu'il y a à voir. Le haut de notre torse
ressemble, paraît il, aux humains d'avant, ce qui nous permet, vu la
taille de nos jambes, de toucher le sol avec nos bras sans nous baisser.
Notre cerveau, lui, réclame l'air libre, cette lumière blafarde, sourde,
derrière les nuages. Il nous faut la rechercher au moins quelques minutes,
chaque jour, sur ces espaces, de terre, ou de sable, comme ici. Assis,
tels des chenilles molles, sur des chaises pliantes, vestiges du passé.
Seule ressource pour espérer respirer, survivre, ensuite à l'intérieur,
dans notre vie intérieure, à l'autre bout des souterrains.
Les souterrains nous ramènent sous le terrain, c'est à dire au centre
de la Terre.
Tous les après-midis, avant de m'engager dans le souterrain,
en chemin déjà vers la lumière, je quitte le vêtement nécessaire à l'intérieur.
Nous avons chacun notre numéro, notre placard d'accès et notre chaise
pliante avec le même numéro. Et à notre retour, nous réenfilons le vêtement
quand nous rentrons pour affronter l'obscurité et le froid de nos intérieurs,
de nos vies à l'intérieur.
Cette petite heure dans l'atmosphère chaude de l'extérieur, grapillée
à l'obscurité, je la savoure chaque après-midi.
Cette chaleur que je sens absorbée avidemment par tous les pores de
ma peau, je la laisse me pénétrer. C'est la sensation, l'émotion, l'impression.
Les survivants disent que cela rappelle la sensation d'Amour que seuls,
les très anciens ont éprouvé et dont les images interdites sont stockées
dans les citadelles de la Technnicité.
Quand ils en parlent, leurs yeux se ferment et le silence
prend la place de leurs mots. Que penser d'une telle extase ? Un mensonge
peut-être ? Destiné à nous faire espérer un autre monde ?
Notre peau, aujourd'hui, serait comme un sac, juste capable de ressentir
la lumière.
Et puis notre œil capte ce qui se passe et notre cerveau analyse.
Chaque après midi, ce qui me reste de l'ouïe d'avant, deux petits trous
très fins de chaque côté de mon œil, me permet, en ne bougeant plus,
d'entendre le bruissement des autres et parfois, mais très rarement,
le bruit de l'eau au loin, derrière la digue en cas de grande tempête.
Affalé sur ma chaise pliante, capteur humain de lumière,
je suis en vie. Juste en vie et ma pensée, seule, s'en fait le témoin.
Certains taxent les fils de survivants de menteurs et parfois on les
pourchasse, on les fait taire à jamais. Ce qu'ils racontent et qu'ils
ont, seulement, souvent, entendus raconter, moi ça me fait imaginer.
Alors, chaque après-midi, je prends un mot des anciens, colporté, et
en fermant mon gros œil, je me raconte des mensonges puisqu'aujourd'hui
ce n'est plus la vérité.
Je me fais voir une chenille avec des poils. Comment réagirait ma peau
au toucher d'un poil, de plusieurs poils ? Imaginer n'est pas mentir.
C'est se faire une image-mentale.
Au cours d'Education d'aujourd'hui, on nous l'apprend.
On dit un mot, chacun à tour de rôle, et on apprend à imaginer, l'objet,
la chose, la sensation. " Amour ", l'autre jour, on m'a
dit au cours d'Education. Amour…
J'ai imaginé, plutôt, je me suis menti, deux grosses fesses dans deux
grands bras.
Quand on a raconté notre image mentale, au maître éducateur, un fils
de vieux survivant a dit : " Il a de l'avenir, celui-là, il
a presque imaginé le passé… "
Le maître-éducateur l'a fait taire et m'a dit : " Réponse passable.
Trop d'imagination. Je t'ai à l'œil ".
A l'œil, ou pas, moi je ferme le mien et j'attends la lumière.
Le ciel aujourd'hui encore ne mentira pas. Il me laissera un brin de
lumière, une minute de soleil tout chaud sur ma peau, pour quelques
heures encore, encore, encore…
Dans notre monde d'aujourd'hui, l'après-midi, la vie ne ment jamais.Mais
jusqu'à quand ?
"Question
de point de vue" de Rémi DANO
1ère partie :
Tous les après-midis, je vais à la plage. Vous savez,
pas la grande plage où il y a tous les badauds, leurs chiens qui s'essorent
à côté de vous et où les gosses font pipi dans l'eau. Non, moi je vais
souvent à la plage aux galets, la petite plage au fond de la crique.
Il n'y a personne là-bas et des fois on fait vraiment de drôle de rencontres,
des qui vous changent la vie…
Je vais vous raconter ce qui m'est arrivé le week-end dernier, vous
n'allez pas me croire !
Donc dimanche je finis mes mots croisés (je fais toujours des mots croisés
après manger, ça m'aide à digérer) et je décide de faire mon tour, comme
tous les dimanches après-midi. Jusqu'ici tout va bien. Je prends la
voiture, j'arrive sur place et je descends dans la crique. Eh bien là,
j'ai fait une sacrée rencontre, si je puis dire. Je vous le donne en
mille : j'ai rencontré JESUS !
Alors, bon… Vous vous dites que je suis fou mais je vous jure que c'est
vrai. Il était allongé, ventre au sol et bras en croix. Il ne bougeait
pas. Il devait méditer, je pense.
Donc, au début, je ne sais pas. Je me rapproche de lui, je lui demande
si tout va bien. Il ne bougeait toujours pas. Finalement, il se relève
et laisse sa serviette par terre. Il était un peu hagard et avait l'air
vraiment fatigué. Je ne l'ai pas vraiment reconnu sur le coup.
Il me dit, comme ça : " je suis Jésus ! ".
Bon, ce n'est pas le genre de chose que l'on entend tous les jours alors
forcément, moi, je suis resté un peu circonspect. Ceci dit, la ressemblance
était frappante, c'en était même troublant.
Je lui dit : " Ah bon, mais heu… ". Enfin, je ne savais trop quoi répondre.
Et il me dit : " laisse, je vais te montrer le chemin ; je vais te parler
de la voix divine. Prends ce galet et pose le dans ma main ". Au départ,
je me méfie mais, comme je suis un peu curieux, je m'exécute et je lui
donne le caillou. Et là, devinez quoi, il fait apparaître dans son autre
main un galet en tout point semblable au premier ! Il me dit : " Vois,
c'est comme cela que la Terre s'est faite ". Puis après, il continue
: " Vois la mer qui remonte jusqu'à nos pieds et regarde ". J'avoue
que depuis le coup du galet mon attention s'était décuplée. Et là je
vois que l'eau de la mer se fonce. Elle se colore là, juste à nos pieds.
" Goûte et vois comme le bon peut naître du saumâtre ". Je goûte et,
en fait, c'était du vin. Et du bon, qui plus est ! Sur quoi il rajoute
: " la Terre et la nourriture sont les présents que je te fais, moi,
le messager de Dieu, à toi, le messager des hommes ". Et il finit en
disant : " Vas et retourne parmi les tiens. Car la terre et la nourriture
ne sont pas mes seuls présents : je t'offre également l'Amour ".
J'étais vraiment troublé. Vous pensez bien, Jésus, quand même… Enfin,
je sentais qu'il me fallait l'abandonner donc j'ai quitté la crique.
J'ai voulu le remercier une dernière fois mais, lorsque je me suis retourné,
il avait déjà disparu. Incroyable.
Finalement, je suis rentré chez moi. J'y ai retrouvé ma femme et, je
ne sais pas pourquoi, j'ai eu l'impression de la voir d'un œil nouveau.
Je l'ai aimé d'un amour retrouvé et irrépressible. Cela nous a rapprochés.
Et puis je me suis réconcilié avec les hommes, je crois, avec les badauds
quoi…
Depuis, je retourne tous les après-midi à la plage de la crique dans
l'espoir de le revoir. Mais il n'est jamais réapparu. Peu importe, en
fait, car ma vie à changer depuis ce jour-là. Alors merci à toi, merci…
Fin de la 1ère partie.
Deuxième partie :
Tous les après-midis, je descends chercher mon pain.
Je croise souvent mon concierge portugais, " Jésus " (prononcer " Rèzousse
"), qui sort les poubelles. C'est un petit gars replet avec les cheveux
gras et la bedaine qui dépasse du T-shirt. Très sympa. Il hante souvent
les couloirs de la résidence avec son short à fleur. " Jésus " adore
la mer (il a un bateau de pêche) et il ne parle que de ça. Il me dit
souvent : " Vous chêtes le plus gentil de la copropriété, michieur.
Il faut vous veniez faire un tour dans mon bateau, un 9m !, michieur.
Il faudrait vous veniez pêcher avec moi ".
Je croyais qu'il disait cela comme ça mais, un jour, il sonne à ma porte
et me dit que, si je veux faire un tour sur la mer avec lui, c'est pour
aujourd'hui. Moi je marche beaucoup. Mais c'est vrai que je ne prends
pas souvent le bateau. Alors je lui dis : " d'accord " Jésus ", je suis
votre homme ".
Il m'a donné rendez-vous au port et c'est là que je l'y ai rejoint.
Il m'attendait sur son bateau, le " Radeau Médusé " qu'il s'appelait
(c'était d'ailleurs plus un 4,50m qu'un 9m !).
Quand je l'ai vu, une bière à la main et affublé d'un T-shirt " je suis
Jésus, Jésus est le meilleur ! ", je me suis dit que la croisière allait
être pour le moins folklorique. Bref, je monte dans l'engin (la bicoque
prenait déjà l'eau). Quand j'arrive sur le pont, il me dit : " voilà,
c'est cadeau pour vous, michieur ". Et là, il me tend la réplique exacte
de son T-shirt mégalomaniaque. Bon, je ne veux pas le vexé : je lui
dis un merci du bout des lèvres et je prends la chose du bout des doigts.
Je croyais qu'il allait en rester là. Pas du tout ! Il y revient : "
essayez, voir si c'est la bonne taille… ". J'ai alors compris que j'allais
porter ma croix. Voilà donc que je l'enfile. J'avais une sacrée touche
avec son T-shirt et mes tongs jaune et vert fluo, celles qu'il m'avait
offertes l'an dernier de son retour du Brésil et que j'avais mis pour
l'occasion, pour lui faire plaisir. Sur ce, on décolle.
Lui avait déjà tout préparer. Il tire ses cannes à pêches, il met les
bestioles au bout des hameçons et jette le tout à l'eau. Il était comme
fou. On aurait dit un gosse le soir de Noël. Et puis après il attend
là, sagement, comme Saint Pierre sur sa barque. Moi, je ne suis pas
très doué pour la pêche et puis je vois bien qu'il fait le travail pour
deux et que ça lui fait plaisir. Donc, je décide de m'installer sur
le transat et de bronzer.
Il fait un soleil de plomb et je mets de la crème solaire, celle de
ma mère, la beige qui sent fort (pas ma mère, la crème…). Mais là ça
tape vraiment dur et je dois me couvrir le visage avec une serviette
humide.
J'entends notre " Jésus " qui joue avec son matériel (ça n'a pas l'air
de mordre beaucoup, d'ailleurs). D'un coup, le moteur s'arrête… Et puis
plus rien !
On tangue… J'entends mon équipier injurier la mécanique en portugais.
Il bricole quelque chose. Et là, un " Aaaahhh ! Michieur !!! " suivi
d'un grand " splouf ! ". J'étais à moitié somnolant, je crois, car je
n'ai pas réagit tout de suite. Au bout d'une minute, je soulève ma serviette
du bout du doigt et je jette un coup d'œil désintéressé. Et là, je vois
un trou béant à la place du moteur et plus de " Jésus ". Sur quoi, je
l'aperçois au loin, dans l'eau, en train d'agiter les bras en vociférant.
Bon, je devais encore être dans un demi-sommeil puisque j'ai remis ma
serviette sur mon visage pour me rendormir. C'est après, lorsque le
bateau a commencé à gîter et que j'ai senti l'eau froide sous mes fesses
que j'aurais dû me réveiller. Après, c'était trop tard. Dans le mouvement,
ma tête a dû heurter quelque chose car je ne me souviens plus de rien.
C'est sur la plage que je suis revenu à moi. C'est le plagiste du dimanche,
ce fou, qui m'a réveillé.
D'abord, il me secoue comme un prunier. Et, ensuite, il me crie dans
les oreilles. Je finis par me réveiller, quand même…
Je ne sais pas combien de temps je suis resté allongé là, sur la plage,
sur le ventre, mais ça devait faire une bonne paire de jours. Déjà que
je ne suis pas bien gros, mais là j'avais vraiment minci et je portais
une barbe de cinq jours attaquée par les algues. Je devais ressembler
à je ne sais trop quoi, si peut-être à un ascète sortant d'un régime
cailloux vraiment draconien. Ce devait faire peur à voir. Bref...
Ma serviette était restée plaquée sur mon visage. Je l'ai décollée et
cela a fait comme une décalcomanie.
Sur quoi, il me regarde. Il regarde mon T-shirt de bal de camping. Il
regarde ma serviette imprimée de mon visage. Il s'arrête dessus quelques
secondes. Il revient sur mon T-shirt, qu'il lit attentivement. Puis
il revient sur mon visage. Il me dit…
" Jésus ?... "
Là, pas d'accent portugais ! Il parlait vraiment de l'autre Jésus !!!
Il n'y avait qu'un fou sur la plage, à cette heure-là de la journée,
et j'étais tombé dessus !
Moi, je commençais tout juste à me réveiller. Je me sentais vraiment
las, sonné et rompu. J'ai mis un certain temps à réagir. Trop peut-être.
Lui, il avait déjà les larmes aux yeux.
Il me crie : " Allélouia ! " en levant les bras au ciel. Je fais un
bond en arrière. Je crois que j'ai failli m'évanouir à nouveau.
Il insiste : " Vous êtes Jésus. Vous êtes Jésus, n'est-ce pas ? "
" Mais non ! "
" Messie ! "
J'hésite un peu, et puis je lui rétorque :
" Mais, vous êtes fou ! "
Et lui de me répondre :
" Fou de vous oui ! Tous les dimanches, je vais à la messe et vous n'y
êtes pas. Mais il faut le dire, aux gens, que vous êtes à la plage !
"
Là, j'avoue, j'étais un peu désarçonné. Je ne savais plus quoi lui répondre.
Il me dit : " Allez-y… ". D'abord, je ne comprends pas. Il continue
: " Bah allez-y, quoi ! Faites moi un miracle ! "
Je me demandais si je ne rêvais pas. Un vrai fou, je vous dis ! Je lui
réponds : " Mais je ne sais pas faire de miracles ! ". Et l'énergumène
de continuer : " Allez, s'il vous plaît, rien que pour moi ! Nous
ne sommes que tous les deux, ici ". C'est bien ce qui me faisait peur…
Sur quoi, il prend un galet et me l'enchâsse dans la main. Par-dessus,
il rajoute : " allez-y, multipliez les galets ! ". Moi j'étais perdu.
Enfin, je continue de lui dire que je ne peux pas et que, de toute façon,
personne ne mange de galets.
Et là, l'impossible arrive ! A l'instant où je lui dis ça, la marée
montante vient faire rouler une demi-douzaine de gros galets à ses pieds.
C'est alors qu'il est devenu comme fou. Il a fondu en larmes, s'est
jeté à mes pieds, a morvé sur mes sandalettes fluo. Vous vous rendez
compte, vous, Jésus en tongs brésiliennes ?!
Il se relève en reniflant. Il cherche frénétiquement une autre idée.
Et là, il la trouve : " Allez-y, changez l'eau de mer en vin ! ". Bah
voyons !
De mon côté, je continue dans mon argumentation. Je n'ai d'autre défense
que lui répéter que je ne peux pas, que je ne suis pas le Messie. Il
insiste. Bon, pour lui prouver que je ne suis pas un menteur, je m'exécute.
" Abracadabra, eau de mer change toi en vin ! ". Et là, un prodige !!!
Vous me croirez si vous voulez, mais… au même moment, la marée amène
à nos pieds une bouteille de vin ! Une bouteille de vin, je vous dis
!!! Je n'en croyais pas mes yeux. C'en était une avec une étiquette
portugaise. Elle avait dû s'échapper de la glacière de mon concierge
pendant le naufrage. Sur quoi, l'autre se jette sur les galets, se roule
par terre en râlant et en me chantant tous les psaumes qu'il connaissait.
Là j'ai compris que je n'étais pas sorti d'affaire.
Le passionné se relève, les yeux bouffis. Il me lance : " Encore ! "
avec une ferveur de fanatique. Cela ne servait plus vraiment de le contredire
; il en avait déjà assez vu. Alors je joue le jeu. Je lui dis que je
n'ai plus trop d'énergie divine, que Jésus est fatigué et que ce serait
bien qu'il voit un médecin.
Eh bien, aussi surprenant que cela puisse paraître, il me répond : "
Oui, c'est vrai. Depuis que j'entends parler de vous et que je vous
vois représenté, je ne vous ai jamais trouvé en grande forme. Il faut
vous ménager un peu, vous savez. Mais ne vous en faites pas ! Venez
avec moi, je vais vous accompagner. " Sur quoi, il me prend par la main
et me fait remonter la crique. Je me dis : " Ca y est, je suis sauvé
". Quelle erreur !
Il m'arrête en pleine ascension, se retourne et me dit : " Dites, Jésus,
une dernière chose : ma femme est très laide et je voudrais la changer.
Vous pourriez faire cela pour moi ? Vous me devez bien ça. "
J'allais gémir mais, à ce moment, je me dis que je tiens peut-être ma
chance. Alors après un petit moment d'hésitation, je lui réponds solennellement
: " D'accord, mon fils. Alors sache qu'aujourd'hui, au jour de ce jour
et à l'heure de cette heure, ta femme est changée. " A l'instant où
je finis ma phrase, il saute de joie en criant " Alléluia ! ". Il détalle
aussitôt pour rejoindre sa Cunégonde. Au passage, il écrase l'arrière
de ma sandalette made in Coppa Cabana. Cela me stoppe net ! Mon autre
pied frappe un rocher. Je pars à la renverse et dévale la pente caillouteuse
en rebondissant sur les pierres dressées comme des pics.
Le fidèle a dû partir revoir sa femme pour de bon car je ne l'ai jamais
plus revu. Je me suis réveillé à l'hôpital sans lui à mes côtés…
Pour éviter tous mensonges, je dois vous dire qu'en fait…
je suis vraiment Jésus !!! C'est vrai. Et c'est vrai aussi que j'aurais
pu être plus à l'écoute de notre sympathique protagoniste. Mais j'étais
là en vacances, alors je n'allais pas me tuer à la tâche ! Eh ! Jésus
aussi à besoin de repos ! C'était dimanche, quand même !
Bon et puis c'est vrai que, depuis ma résurrection, j'ai tendance à
me méfier un peu plus du premier catéchumène venu. Enfin, je crois que
je l'ai tout de même laissé partir en joie.
Pour ma part, je partage ma chambre d'hôpital avec " Jésus ", mon concierge.
Par conséquent, je me dis que ce serait bien le Diable si mon rétablissement
n'était pas prompt. Je reste confiant (je suis né sous une bonne étoile)
alors, comme on me dit souvent, " Alléluia ! ".
Fin de la 2ème partie.
"Sincérité
quand tu nous tiens" d'Aurélie BOCCARA
Le premier samedi après-midi de chaque mois je participe
à un atelier d'écriture, relativement, voire même très bizarre, et animé
par moi-même car finalement qui mieux que moi-même pour animer ce genre
d'atelier. En effet, je ne vois personne de mon niveau pour avoir la
pédagogie, le nerfs et l'envergure pour faire cela.
Mais non, je plaisante, comme diraient mes petits neveux et nièce (et
ça c'est vrai, j'en aies, je n'oserai tout de même pas mentir sur des
enfants, oh non, quoique….), c'est une blague !!!!!
C'est Régis l'animateur des ateliers d'écriture du premier samedi après-midi
de chaque moi. Mais qui peut prouver que Régis est bien l'animateur
? Seule la dizaine de participants et celle-ci, pourquoi la croire,
pourquoi ne pas la croire ? C'est Shakespearien !!
Revenons à nos moutonsse ! Pourquoi ment-on ? Et, pour
faire plus large, pourquoi (souvent) les enfants mentent-ils ? Ils ont
peur de se " faire disputer ", parce qu'ils ont fait ou du moins le
croient-ils une bêtise (importante). Le mensonge est lié à la peur,
à l'angoisse, même. En effet, si l'on ment, c'est qu'on a peur pour
un enfant par exemple, de se faire gronder, pour un adulte, de recevoir
une claque, ou un blâme, car on était avec un ou une autre et on a peur,
oui, encore la peur de l'avouer.
Et oui, au mensonge, on peut aussi associer la notion
de culpabilité et je pense que l'Homme est naturellement et intrinsèquement
coupable, ou assujetti à être coupable. Car finalement, tout le monde
dans sa vie a au moins une fois été coupable. Pourquoi voit-on de plus
en plus de personnes aller chez son " psy " (comme on dit) car elles
se sentent coupables de quelque chose d'inavouable, sauf à son psy,
of course.
Pourquoi ment-on ? Pour se protéger, pour se déculpabiliser
? On parle alors de quelque chose de " MAL ", pas de lézard, comme on
dit, il n'y aurait pas besoin de mentir, c'est évident. On peut donc
rapprocher le mensonge d'une notion de mal, donc d'enfer, donc des hautes
sphères de ce monde : j'ai nommé DIEU, GOD in english, GOT, in deutsch….
Les usagers du mensonge seraient donc des " mauvais ", qu'il faudrait
punir et envoyer en enfer.
Mais qui n'a pas au moins une fois dans sa vie dit un mensonge, même
un tout petit. Cela voudrait donc dire que tout, oui, tout le monde
va en enfer. Et alors au paradis : il y a personne, ils doivent (enfin,
je ne sais pas exactement qui il y a) s'ennuyer lourdement alors !!!!
Finalement, c'est plus sympa de mentir, on se retrouve tous en enfer,
et on fait des super-méga fêtes. Alors qu'à la base, le mensonge a une
image plutôt négative, voire noire, je vous ai démontré par A + B, le
contraire. En vous disant " grosso modo " n'importe quoi, et en fait
en vous démontrant " foutaise ", une nouvelle fois, je vous mens. Oh
Joie, Oh Allégresse : Oh YES, j'ai menti, comme dans le bon vieux temps
(non, ça c'est pas vrai : mais au fait, je mens oui ou non, je vous
dis la vérité ou le contraire…) Oh là, là, même pour moi ça devient
compliqué !!!!!
Prune et Séverine ont un jour cette discussion :
Prune : J'ai envie de mourir, la vie est trop dure
et trop triste
Séverine : Mais non, comment oses-tu dire ça ; il y a des enfants
en Afrique ou en Asie qui crèvent de faim et qui donneraient tout pour
avoir ta place. Tu plaisantes, j'espère, tu ne parles pas sérieusement.
En fait, tu me MENS ! Ca ne peut pas être chose.
Prune : Je ne suis on ne peut plus sérieuse et si je te dis d
'avaler des barbituriques, c'est crois moi que je ne vais pas bien et
que je ne mens pas. En fait, il aurait mieux fallu que je te mente et
que j'avale ces cachets ; je ne serai plus là et nous n'aurions pas
cette discussion oiseuse et sans intérêt. Je serai au ciel….
Séverine : Mais Prune, tu sais que tu es ma meilleure amie (sois-
dit en passant ça reste à prouver : mensonge, pas mensonge) Comment
peux-tu penser en ces termes là, à la mort, et tout ce qui s'ensuit.
Je ne peux pas, et je ne veux pas affronter ce genre de discussions.
Prune : Je m'en doutais, tu ne peux pas affronter la mort, ses
réalités, tu préfères être dans le mensonge. C'est à toi de voir. Moi,
je sais quel parti j'ai pris : celui de la sincérité et de l'honnêteté.
Mais c'est quelque chose que tu ne sembles pas connaître.
Séverine : Oh, mais j'en ai marre que tu m'agresses comme ça.
Tu crois détenir toute la " sainte " vérité. Ca m'étonnerait bien surtout
connaissant ton parcours et toutes les " conneries " que tu as pu faire.
Mais, je ne te fais pas de reproches, MOI, au contraire de TOI !!!!!
Tu veux mourir, tu veux mourir, eh bien meurs, si tu en as le courage
! Et sois à la hauteur de tes vérités…. Tu sais, je t'aime telle que
tu es, que tu sois dans le mensonge ou la vérité. Je n'ai pas à choisir
ton camp. C'est ton choix et ton dernier mot !!!!
Fin de la discussion entre Prune et Séverine.
Miroir, mon beau miroir, dis moi qui est la plus belle
! Ah, quelle femme et aujourd'hui, quel homme ne s'est pas posé la question,
un peu honteusement en cachette, et attendre la réponse (qui tue) :
quelle qu'elle soit, c'est un mensonge.
1. si le miroir répond à l'homme ou à la femme c'est toi : il ment bien
sûr par rapport à qui ou à quoi cet homme ou cette femme serait le plus
beau ou la plus belle.
2. si le miroir, répond à l'homme ou à la femme ce n'est pas toi : il
ment aussi bien sûr et pour les mêmes raisons
Bon, arrêtons là ces digressions futiles à propos de ce
miroir. De toutes façons , tout cela n'existe que dans les contes pour
enfants : ce ne sont que des histoires et que des mensonges.
Il y a une question que je me pose : ne prend-on pas souvent
un plaisir délicieux à mentir et à voir l'autre mentir et mal se " dépatouiller
" de son mensonge ? Ca en devient grotesque…
On ment avec plaisir aux enfants en leur racontant au
creux de l'oreille des histoires fantastiques, qui n'ont bien sûr jamais
existé. Mais, ensuite on se sent bien, on a fait une bonne action, après
les enfants vont faire un gros dodo, mais s'ils crient toute la nuit,
en partie à cause des monstres et des choses bizarres dont on a parlé
pendant l'histoire. Car il est de coutume de dire que plus une histoire
est grosse, abracadabrante et énorme plus on y croit. Croira, croira
pas ?
Passons désormais aux jeunes et moins jeunes : pour faire
simple, on va dire les grands !
Il y en a pour qui mentir est un jeu, presque un plaisir : on pense
tout de suite au théâtre et au vaudeville, avec l'amant caché dans le
placard ou sous le lit (Régis Moulu, qui enseigne le théâtre, pas le
vaudeville je vous l'accorde, tiens peut-être là sa propension au mensonge,
enfin un certain style de mensonge…. Le mensonge même sous forme de
jeu devient tellement compliqué, que de joie ou de plaisir, il devient
torture… Bizarre, non ?
Enfin, tous les adolescents ont menti pour aller à une boum, une soirée,
disant qu'ils ne fumeraient pas de cigarettes, et autres…., qu'ils ne
boiraient pas d'alcool, bref, qu'ils seraient sages comme des images.
Mais même les parents savent que les enfants mentent. Il paraît et je
suis assez d'accord qu'on ment pour se faire aimer. On a tellement peur
du châtiment , de la punition, qu'on préfère mentir, on parle alors
de mensonge pieux, plutôt que d'aller au purgatoire…
Il y a également des personnes qui mentent pour rendre la vie plus SUPPORTABLE
!!!!!!
Ne ment-on pas à un malade, en lui disant qu'il va aller mieux, que
son traitement va agir … ?
Autant le mensonge, peut par certains côtés m'agacer,
m'insurger autant pour d'autres, je suis heureuse qu'un petit chenapan,
car cela ne pouvait être que cela l'ait " inventé ", pour rendre la
vie plus BELLE, et moins triste !!!!!
"Dis-moi
ton nom, je te dirai qui tu es" d'Angeline LAUNAY
Tous les après-midi je… pense à lui bêtement, d'autant
qu'il n'a laissé qu'une légère trace dans ma vie. En ai-je laissé une
dans la sienne… Mais penser à lui est devenu une façon d'entamer la
seconde partie de la journée avec un sourire en coin, un regret en moins…
C'était il y a des années… excusez mon manque de précision
mais les dates, ce n'est pas mon fort. - Je me trouvais dans les locaux
de la mairie d'une bourgade perdue dans le Gers. Nous étions invités
à un buffet avant de commencer la visite des communes avoisinantes.
J'ai parlé avec diverses personnes de tout et de rien jusqu'à ce qu'un
inconnu propose à notre petit groupe de nous rendre à la soirée qu'il
organisait chez lui pour l'intronisation de trois nouveaux mousquetaires.
Il nous expliqua que ce genre de manifestation était plutôt rare et
que ce serait une belle occasion de découvrir les particularismes de
la région.
Tandis qu'il m'incitait à goûter au " pousse-rapière ", l'apéritif du
terroir, il en profita pour me demander mon prénom. Je ne sais pourquoi,
je lui répondis que je m'appelais Dolores.
- Vous êtes espagnole, me demanda-t-il ?
- Non, mais on me le demande souvent. On me prend aussi pour une Berbère
ou une Bédouine… Il se mit à rire et me dit qu'il se nommait Roger-Albert.
- Roger-Albert, c'est votre prénom et votre nom, ou juste votre prénom
? Votre petit nom, c'est plutôt Gégé ou Bébert ?
- Ni l'un, ni l'autre, dit-il sans s'offusquer. C'est comme il vous
plaira.
Je lui déclarai : " pour moi aussi, vous avez le choix car mon deuxième
prénom est Gardénia. " Il continua : " ç'est différent de Dolores et
plus agréable… "
- " Sûrement ", dis-je et nous nous mîmes à rire aussi bêtement que
nous nous étions rencontrés.
Lorsque je le revis, ce fut la nuit, dans son fief. Les
invités s'étaient amassés dans le vaste jardin dont la pelouse était
piquetée çà et là des petites lumières que produisaient les lucioles.
Devant la baie vitrée du salon, de gros chaudrons fumants embaumaient
le cassoulet dont on se servait de grosses louchées dans des assiettes
creuses.
Roger-Albert m'aperçut et se précipita pour me faire les honneurs de
la maison. Il m'entraîna à l'intérieur où des guirlandes de plantes
pendaient de la mezzanine… il ne manquait plus que des perruches ou
des perroquets accrochés à décor luxuriant… Soudain, il me souffla à
l'oreille : " maintenant, vous pouvez me le dire… "
- Quoi donc ?
- Comment vous vous appelez…
- Oui, bien sûr, on m'appelle Madinina. Il parut étonné. J'ajoutai :
" Ca signifie " l'île aux leurs ". Il rétorqua : " je croyais que ça
voulait dire " petite folle "…
- Si vous voulez… Je n'ai rien contre le fait d'en être une !
Son rire résonna dans le couloir de l'étage où nous étions parvenus.
" Venez , me dit-il, je vais vous montrer ma collection. " Comme je
le regardais avec une certaine méfiance, il ajouta : " …de pipes de
cérémonie. Vous savez, je suis indianiste à mes heures. " En effet,
dans une vitrine de son bureau, se trouvaient une vingtaine de calumets.
Il m'expliqua qu'il ne fallait pas dire " calumet " et que l'embout
en catlinite, qui est la pierre sacrée des Indiens, devait rester séparé
de la partie en bois car la pipe ne doit être assemblée que lors des
cérémonies.
- Vous le croirez ou pas, lui dis-je, j'ai aussi un nom indien…
Il sembla à peine étonné.
- Quand j'étais petite, mon père m'appelait Petite Lune.
Son visage exprima la gravité et il me demanda : " Quel nom indien me
donneriez-vous ? "
Sans réfléchir, je répondis : " Face d'ours " et fis le geste qui figurait
un visage et deux oreilles. Il n'osa pas me questionner sur la raison
de mon choix.
- Seriez-vous à la recherche de votre identité, risquai-je ?
- C'est vous qui me dites ça !
- Pourquoi ?... parce qu'en réalité, je me nomme le plus souvent Elvire
et parfois Dalila.
Il fit une grimace… " Vous trouvez mes cheveux trop longs, c'est ça
? "
- Si vous êtes un mousquetaire, je ne trouverai rien à redire…
- Je suis le président des mousquetaires pour le département.
- Ou vous êtes président, ou vous êtes mousquetaire…
- Alors, je suis mousquetaire ! Et si vous voulez bien me suivre, la
cérémonie d'intronisation ne va pas tarder à commencer ! A propos, je
ne vais pas savoir comment vous présenter…
- Appelez-moi Taormina.
- Voyons, ce n'est pas crédible !
- Alors, Datura, comme la fleur rebelle.
- Oh non… - Bon, eh bien Vanessa, comme le papillon.
- Si ça continue, je vous appelle Madame Butterfly.
- Ah non ! Pourquoi pas Anna Karénine ! Ces femmes ont eu un destin
trop cruel ! Vous pourriez me présenter comme étant… Romanichelle.
- Mais ce n'est pas un prénom, ça !
- Je sais, mais je l'aime bien. - Ecoutez, tout ça n'est pas sérieux.
Je vais en choisir un moi-même.
- Certainement pas ! C'est très important un nom ! Il ne s'agit pas
de le trouver par hasard…
- Si je savais comment vous vous appeliez, je me fâcherais !
- Eh bien justement, vous ne le pouvez pas ! Vous n'avez aucune prise
sur moi, parce que vous ne pouvez pas me nommer… Mais moi, je sais que
vous êtes Roger-Albert.
- Tous les noms que vous m'avez cités sont importables…
- Détrompez-vous… Tous mes prénoms n'ont rien d'irréfléchi… Et vous,
croyez-vous que votre nom possède un quelconque fondement ?
- C'est en tous cas celui que mes parents m'ont donné. - Et ça vous
a suffi ?
Il partit d'un rire que j'entends encore !
Nous avons regagné la pelouse aux lucioles. Les convives
s'étaient regroupés pour le discours d'intronisation. Roger-Albert prit
la parole et exalta les vertus masculines et les enthousiasmes féminins.
Ce soir-là, trois hommes rejoignirent la corporation des mousquetaires…
J'aurais aimé être le quatrième : je me serais appelée " In-extrémis
", et certainement pas Sémiramis ! Au fond, porter un seul nom n'est
pas un critère de reconnaissance… Est-ce si important ce qu'autrui sait
de nous ?... Le rôle du mousquetaire In-extrémis est bien plus bondissant
! Luciole aussi est un prénom pittoresque, rare, discret, lumineux par
intermittences…
Roger-Albert évita de me présenter à ses relations. Il
ne voulait sans doute pas avoir l'air embarrassé… Il me raccompagna
à mon hôtel par une nuit si claire qu'il s'arrêta en bordure d'un champ
de tournesols pour revenir chargé d'une gerbe envahissante. Il me déposa
sur la petite place de Lannepax et je regagnai ma chambre, un énorme
bouquet dans les bras. Sur la cheminée, se trouvait un vase dans lequel
je parvins non sans mal à compresser les épaisses tiges. Et je finis
par m'endormir. Au cours de la nuit, je fus brutalement réveillée par
la chute fracassante des tournesols sur le parquet, tout près de la
tête de mon lit. D'une certaine manière, j'en fus littéralement assommée.
C'est sur un quai de gare que je revis pour la dernière
fois le mousquetaire Roger-Albert. Il était venu sans bouquet pour me
dire au revoir… Pourtant, quelques myosotis m'eussent peut-être décidée
à lui révéler mon véritable prénom… Sur le marchepied du wagon, je lui
déclarai que j'hésitais beaucoup entre Roger et Albert… Nul doute qu'il
ne pouvait s'agir d'un seul et même homme… Il parut attristé par ma
déclaration, à moins que ce ne fût tout simplement par le départ du
train. J'ouvris la vitre du compartiment. D'en haut, je me trouvais
en position de force… Il comprit que je partirais sans lui avouer l'essentiel.
Au démarrage, je trouvai le moyen de lui dire encore : " au fait, que
je m'appelle Herminie ou Cressida, je resterai toujours telle que vous
m'avez connue ! "
Le train s'ébranla. Le paysage se mit à défiler. Je ressentis
un pincement au cœur lorsque j'aperçus au loin un champ de tournesols.
Prise d'un remords soudain, je me penchai à la fenêtre et me mis à crier
mon nom… mais Roger ou Albert était bien trop loin pour l'entendre.