Ci-après
quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):
- "Rentrée des classes" & "Promenade" de Nadine CHEVALLIER
- "Au rythme du temps qui passe" de Christiane FAURIE
- "700 grammes de crevettes roses" de Régis MOULU
"Rentrée des classes" & "Promenade" de Nadine CHEVALLIER
RENTREE DES CLASSES
Un baiser sur ma joue,
J’ouvre les bras
et le voilà parti
si petit, si petit
dans ce long couloir si long, si long dont je ne vois pas le bout.
Il se retourne enfin.
Me sourit. Me sourit !
Et mon cœur tout soudain
Mon cœur …
Le petit sac sur son dos
se balance, se balance
au rythme de son pas
si rapide, si rapide.
Gambadant et joyeux
il avance, il avance.
Et mon cœur tout soudain
Mon cœur …
Avec lui plein d’enfants
dans ce couloir si long, si long dont je ne vois pas le bout.
Ceux qui crient,
ceux qui pleurent,
qui tapent du pied,
qui s’accrochent.
Je ne vois que lui.
Et mon cœur tout soudain
Mon cœur …
Parmi tous ces enfants
lui qui marche serein,
s’en va sautillant
de son pas si rapide, si rapide.
Et mon cœur se brise
Mais voilà que soudain
il se retourne, son pas se fait course
il est là dans mes bras qui le bercent
Maman !
Un baiser sur ma joue
J’ouvre les bras
et le voilà parti
Alors je pars moi aussi
Loin de ce couloir si long, si long, dont je ne veux pas voir le bout.
PROMENADE
Il était une fois une forêt enchantée où je suis allée me promener parmi les bruyères et les buissons de ronces.
Des chemins creux s’y entrecroisent à en perdre le nord.
J’ai marché tranquillement, observant les plantes parmi les tapis de mousses gorgés d’eau des dernières pluies. Aucun rayon de soleil ne filtrait à travers les épaisses nuées grises.
Les feuilles des jacinthes pointaient à travers l’humus dans les creux des vallons.
Les rochers mouillés, les arbres tordus, les sentiers tortueux, les branches tordues, les rochers moussus, les arbres dressés, les sentiers tapissés d’aiguilles de pins.
J’ai marché, j’ai couru.
Branches tombées, feuilles pourrissantes, mousses mouillées, rochers animaux, branches aux doigts griffus, sentiers labyrinthes …
Je me suis perdue.
"Au rythme du temps qui passe" de Christiane FAURIE
Pourquoi sortir par un temps pareil ?
Ilse dirige lourdement vers le fonds du couloir étroit et sombre qui mène au porte-manteau chargé de lourds parkas informes, incolores, élimés et colmatés par du chatterton suintant.
Il en choisit un, j’imagine au hasard, le plus accessible. Mais peut-être au contraire, de manière très intentionnelle en écho au ciel chargé de lourdes traînées de brume cotonneuse.
Allez savoir !
Son front est si bas, ses yeux mi-clos, le visage de tant de tracas.
À l’intérieur, tous les murs transpirent de tant de non-dits.
Les chaises s’enfoncent silencieusement dans le parquet aux joints béants et criblés de tâches rebelles.
La table, tronc jadis vaillant de la forêt voisine, s’allonge en lassitude de n’avoir pas respiré l’humus à ses pieds depuis tant de siècles.
J’entends son pas lourd, tambourinant sur le sol dur qui grogne tel l’ours dérangé dans sa tanière.
La porte grince pour signifier son désaccord. Elle peine à s’ouvrir et s’exécute à regret en poussant un cri aigu transperçant la nuit.
Comme pour détendre l’atmosphère, le chat roux me regarde de ses yeux verts avec une pointe d’ironie.
Il entame une sarabande, sautant d’une chaise à l’autre et sur la table en emportant une tasse dans un fracas me sortant de ma léthargie. Je le suis alors dans cette danse joyeuse.
Il est comme l’archer du violon entre mes jambes et me dirige vers le piano ouvert.
Oserais-je quelques notes ? Je m’y hasarde et il me suit, appuyant ses pattes agiles sur les touches en écho à mes doigts.
Va t’il apparaître avant que le désordre ne se soit dissipé ? Soudain l’angoisse m’envahit.
Que fait-il ? Une lueur au loin. Serait-ce lui ? Il ne m’a rien dit.
Il m’a laissé entrer après un si long voyage à la recherche de quoi au juste ?
Pourquoi ne m’a t’il pas questionné ?
J’aurais tant à dire pour soulager mon âme et il comme embarrassé par tous ces mots au bord des lèvres.
Je me réchauffe devant l’âtre souriant de toutes ses grandes dents jaunies dans sa grande bouche béante.
Le chat se love confiant sur mes genoux. Je l’interroge du regard sur ce qu’il sait de son maître.
Il me dévisage en clignant de ses yeux goguenards, je perçois un léger haussement d’épaules moqueur.
Puis me montre son désintérêt en sautant sur une araignée nichée à l’angle de la cheminée.
J’assiste alors médusée au combat livré. C’est l’araignée qui remporta le match en se réfugiant dans une des multiples failles des murs, laissant le chat tout penaud de cet échec devant témoin.
Je le caresse compatissante. Un nuage de poussière emplit l’air et retombe à nouveau sur le sol comme si elle n’avait d’autre choix.
Chaque chose à sa place dans cette demeure où rien ni personne ne s’autorise à changer.
La lueur au loin danse et se tord en un serpentin géant. Elle perce la brume et semble vouloir rivaliser avec l’éclat de la lune.
C’est un combat perdu d’avance. La reine, sur son piédestal le snobe.
Je le vois la contempler et s’agenouiller en signe d’allégeance, ses cheveux illuminés de gouttes phosphorescentes.
Soudain, il se relève, puissant, le torse ouvert, son pas est vif, sa force incommensurable.
Il court à travers les bois ; cueille de-ci de-là tel un feu follet, des baies, des perles de rosée.
Le chat vient aux nouvelles et scrute l’horizon en sautillant. Il a tout compris et l’attend.
Moi aussi j’aimerais communier avec lui. Le chat m’intime l’ordre de ne pas bouger de son regard perçant, une patte en avant.
Son retour est proche.
Il va enfin me regarder et nous allons recommencer.
"700 grammes de crevettes soses" de Régis MOULU, animateur de l'atelier
Il venait de partir, oh !
Elle voulait le retenir, ah !
Il venait de partir, oh oh oh !
Elle courait jusqu'au quai
où il venait d'embarquer
avec toute sa vie
dans son gros sac à dos, oh.
Et elle courait de plus en plus vite,
plus vite, plus vite, plus vite,
accéléra encore et encore le pas,
allongea les foulées
jusqu'au point où elle perdit chaussure et allure,
malmené, cassé, éjecté fut son petit soulier
marron et verni,
mais elle continua à se hâter,
son pied blanc et chaud
se grisant de plus en plus de saletés,
déjections de pigeons et autres liqueurs de la ville.
C'est à cloche-pied qu'elle débouqua sur le port,
attifée d'une robe fripée comme des tripes,
jaunie de sueurs, débraillée, défaite
mais encore toute fiévreuse d'espoir,
le cœur gros comme son amour pour lui,
un cœur en forme d'oiseau.
Vu d'où elle était, le bateau n'était plus qu'un petit point noir,
un grain de poivre
qui flottait sur la ligne d'horizon.
Elle toussa, pleura, cria, ameuta nombre de regards.
Cette femme est malheureuse,
son palpitant se déchire,
elle regretta éperdument
de ne pas lui avoir dit, avant,
qu'elle l'aimait.
Elle sentit en elle une fenêtre qui se refermait,
volets inclus.
Absence de lumière.
L'obscurité pour seul compagnon.
Elle pressa sa médaille de baptême,
à cette occasion, éprouva la sensation
que la peau de ses doigts
était morte comme de l'étoupe.
La piscine de ses pupilles déborda
comme crève le jaune d'un œuf au plat.
Crut se vider de son sang
« en monnaie de larmes ».
Se trouva fort bête
lorsqu'elle entrevit l'attroupement
qu'elle avait causé.
C'était jour de marché.
Des étals environnants se détacha un poissonnier,
puis une main de poissonnier
tenant un sachet rond comme un ballon :
700 grammes de crevettes roses
qu'elle accepta mécaniquement.
Commença pour elle le bagne de la souffrance
et sin chemin de croix,
celui du retour à la maison,
ce domicile où elle se retrouverait en face d'elle-même,
elle-même avec son chagrin, ses désillusions, ses regrets, sa remise en cause totale et sèche.
La longue transformation en pierre.
Elle mangea une crevette,
sans doute inconsciemment
pour que la forte odeur de poisson cesse,
tant cela faisait déjà 7h00
qu'elle était entrée et assise
à sa table de cuisine.
La saveur prononcée du crustacé
ne la fit pas voyager
comme à l'habitude.
Pire, la crevette provenait peut-être de l'endroit
où son prétendu était en ce moment même.
Un chat à la fenêtre démarra son spectacle.
Un « chat-trois couleurs » dont la danse
avait la souplesse d'une voile dans le vent.
Elle se leva
et s'aperçut qu'elle n'avait qu'une chaussure,
se lava un pied,
boucha son évier,
ne s'en soucia pas plus que cela.
L'eau stationnant dans la cuve
lui imposa son propre reflet :
un visage plat et rongé par un tas de saletés en suspension.
À présent un lion griffait franchement
le montant de la fenêtre
avec un miaulement de percepteur d'impôts.
En boule de désirs inassouvis,
il sortait même les griffes,
la femme prit peur,
se blottit sous la table,
dans l'empressement emporta avec elle
son tiroir qui explosa
en nuage de fourchettes et couteaux,
et cuillères.
Un décapsuleur aussi, éplucheur, écumoire et couperet.
Singulière constellation.
Au sol, le carrelage froid
sur lequel elle était maintenant assise
la rétracta.
Il lui sembla qu'elle devint folle.
Aussi se vit-elle rapidement ailleurs,
comme trimballée par ses pensées.
Frénétiquement, elle se surprit en train de ranger sa chambre à coucher
comme une furie,
commençant par son armoire :
tout son contenu finit alors à la poubelle.
Pareille pour la commode
où parmi les objets y figurait
un cadre comportant la photo de mariage de ses grands-parents défunts
qui, lui exclusivement, la freina un temps,
un temps seulement.
On aurait dit qu'elle vidait sa masure.
Et c'est ce qu'elle fit.
Et qu'au bout du compte, elle partirait ailleurs.
Devant la petite maison creuse,
une calèche attendait.
Avec deux beaux chevaux noirs.
Elle remonta ses cheveux en chignon
à la manière d'un gros coquillage,
franchit la porte,
je ta la clef au hasard du jardinet
et monta dans la voiture sans cochet.
Le fiacre s'élança.
Très vite le paysage qui défilait sous ses yeux
composa des lignes d'écritures,
des phrases, un chapitre, un livre, des livres et des kilomètres d'idées.
Ce fut comme si ces visions se déposaient
en cristaux solides
dans la grotte de son cerveau.
Belle géode.
Par un modeste hublot,
elle profita des deux croupes chevalines
qu'un galop soutenu
faisait monter et descendre
tels des pistons d'un moteur à deux temps,
hypnose assurée,
au point où elles se muèrent rapidement
en deux mains de pianiste,
deux mâchoires qui croquaient la route à pleine vitesse,
deux gueules d'ogres.
L'équipage s'arrêta devant un relais en ruine.
Là se tenait le bal des plantes vertes
dans lesquelles elle s'immergea.
Les secours la trouvèrent recroquevillée
sur le carrelage de sa cuisine.
Pas même la fracture, avec bris de vitre, de la fenêtre
la fit sortir de ses pensées.
Aujourd'hui à l'asile, aucune de ses paroles échangées
n'est porteuse de mémoire.
Elle reste pourtant calme.
Elle est comme calme et pleine d'on ne sait quoi.
Sur les plannings d'occupation des chambres,
elle figure avec la mention « durée illimitée ».