SAMEDI 16 mars 2019
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Vives incitations"

Animation : Régis MOULU

Thème : Mener d'incessantes ruptures (notamment stylistiques)

À l'époque actuelle, la littérature a cumulé un certain nombre de ruptures notoires avec l'irruption, par exemple, d'un mode "reportage" et de l'autofiction qui se sont traduits par une austérité langagière, une emprise du refus, un goût pour les dénégations assumées et proclamées et l'exposé de cas limites. Se doter d'une telle liberté permet de révolutionner ses écrits, comme pour les revitaliser ou les remettre au cœur des choses : cela a été l'objet de notre rendez-vous !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance, à savoir : au fur et à mesure qu'il passera en revue les absurdités de l'univers dans lequel il a vécu, le personnage principal aura la révélation de sa vocation… alors même qu'il ne cessera d'être perturbé.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support-catalogue de toutes les formes possibles de ruptures textuelles avec notamment un focus sur le coup de théâtre et la parataxe a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "17+1" de Nadine CHEVALLIER

- "Et d'un coup de soleil, le silence nous nappa" de Janine BURGAT

- "Verdict" de Janine NOWAK

- "Inspirer, disrupter..." de Solnage NOYé

 

"17+1" de Nadine CHEVALLIER


Nous sommes 17. Pour le temps c'est énorme, Ce serait prudent de mettre les premières alertes …
On est obligé de mettre une vocation au personnage ? Et si on mettait plutôt une vacation, qu'est-ce que ça changerait ?
J'ai pas mon dico, quel est le sens exact d'une vacation ? J'ai le vague pressentiment de l'idée d'un vide et c'est un peu l'intérieur de mon … en ce moment si le soleil clignote, demandons un nuage. Que c'est excitant toute cette histoire. Quand vont-ils se taire tous ?
Se taire … Se terrer oui dans le trou d'une taupe, se cacher, hiberner. Pourquoi faut-il toujours que le printemps arrive et nous réveille ?
Les vibrations des guitares se ressentaient jusque dans mon stylo. Mon but était lointain et je ne sais pas très bien le définir et encore moins comment l'atteindre.
Atteindre l'indéfinissable. Quelle idée absurde quand on y réfléchit, on en atteint des choses dans la vie à chaque instant. Là j'atteins le bout de la ligne et je la dépasse même. (mais ça c'est quand j'écris à la main, sur l'ordi on ne dépasse jamais, dommage )
Ah ça me revient, une vacation c'est aussi de vaquer, quel mot moche « vaquer ». J'ai une copine qui vaque à la clinique. Essayer un peu de dire ça rapidement une « copinequivaquàlaclinique » - en un seul mot !
Tenter d'atteindre ce but -non pas de dire ça rapidement, on s'en moque- LE but, qui s'il n'est pas vraiment une vocation pour la vie est celui de ce jour, pour le moins.
Et qui peut le plus peut le moins, ne dit-on pas ?
Si je dis maintenant que certains d'entre nous ont le nez en l'air, vous trouverez que j'ai déjà parlé de ça l'an passé.
C'est vrai.
Et alors ? Moi, ça ne m'ennuie pas du tout. Je ferme les yeux et je vois en rouge chacune des fenêtres . Non, ne fermons pas les stores. Trop bon le soleil, il ne clignote que grâce aux nuages, à cause des ou grâce aux? Ça dépend de votre état d'esprit, positif ou négatif, le plus, le moins.
Qui peut le moins ne peut-il le plus ?
Quel est mon but, par quel moyen y arriver ?
Un extra-terrestre passant par là avait déposé une pierre bleue, je devais sauver le vaisseau et j'avais réussi !
Comment se définir un but après un tel exploit ? Il y a des jours où je doute de la réalité, ai-je vécu cela ? N'était-ce qu'un rêve dans lequel Pierre et Jacqueline ont joué les seconds rôles ?
J'ai arrêté la méditation depuis. Trop peur d'y retourner -sur la lune je parle - J'en ai gardé des crises d'urticaire certains jours c'est insupportable.
Étonnamment là maintenant tout va bien. Chercher ce but, courir après l’indéfini m'occupe la cervelle.
S'occuper le mental, l'empêcher quelques temps de se perdre dans les absurdités de l'univers où j'ai vécu …
Peut-être est-ce ça le but ?
Bien tranquille, comptable à la maison de retraite, se retrouver sur la lune à chercher des pierres bleues, fini tout ça, oublié, je n'ai pas la vocation de super-héroïne. Cette chaise qui grince m'agace et m'empêche de … Arrête ! Tu ne vas pas te plaindre pour une si petite chose ! Ce bruit est là. Point. Tant d'autres sont là aussi si tu écoutes un instant, vraiment (on dirait le coach, comment s’appelait-t-il celui là?)
Mais pas le temps, il faut poursuivre ce but maintenant mieux défini dans sa tête.
Penchée sur sa table, Pauline écrivait, comme inspirée par une histoire sans fin. Elle avait voulu essayer l'atelier d’écriture ce samedi. Elle avait eu du mal.
Et voilà que, un mot après l'autre, un texte avait vu le jour.
En accord avec le thème ? Pauline s'en fichait. Elle avait atteint son but …
Et moi aussi pour le coup !



"Et d'un coup de soleil, le silence nous nappa" de Janine BURGAT


"Et d'un coup de soleil le silence nous nappa".

Le rideau rouge fronçait déjà ses coulisses et les applaudissements nappaient la poussière du théatre. Le public tout debout, haletait de bonheur.
Elle, coincée au fond du fauteuil, le soleil ne l'avais pas nappée souvent, mais le silence, oui.
Les applaudissements enflaient dans ses oreilles affaiblies. Il lui fallait sortir. Sortir de ce brouhaha claquant et clinquant. Et retrouver le gouffre de son silence.
Même la nuit quand le silence nappait son écorce vitale, en dernier ressort, un battement scandait le rien. Le cœur. Son cœur. Il battait. Tambour du temps.

Alors elle se lève. "Pardon, pardon.". Sa jupe frôle les autres, les strapontins et le velours glisse sous ses ballerines. Elle doit sortir de ce monde là. Ils se gargarisent tous, se congratulent. "La dernière phrase, si intense !!!".
Et d'un coup de soleil le silence nous nappa. "

Elle déteste le passé dit simple. Ca fait vieux. Même si elle est vieille, elle n'aime pas qu'on le lui dise."Votre ouïe baisse" lui a dit l'opticien des oreilles à la dernière visite. En allant voir la pièce, elle avait peur de ne pas tout entendre, tout comprendre.
Mais si. En pensée, elle a tué l'audio quelque chose qui s'occupe de son ouïe. Elle aime ce mot.
Ouïe. Il est vieux aussi. Sait-on pourquoi on aime un mot ? Pourquoi il résonne avec son son, et pourquoi il raisonne avec la raison raisonnable ? Allez savoir.
Pour l'instant, elle dévale l'escalier de marbre. Les applaudissements se fondent au loin.
Doivent avoir les mains en sang ceux qui frappent encore.
Elle pousse la porte vitrée. Le froid emprisonne le silence feutré de la sombre avenue.
Voilà. C'est fait. Ne mourra pas idiote. Existe-t-il un mot pour dire qu'on est allé au théâtre pour la première fois ?
Elle n'en garde rien, ou presque rien. Si. La phrase. ""Et d'un coup de soleil le silence nous nappa". Le reste, l'histoire, les costumes, les gens. Rien ne lui a parlé. Faut dire que personne ne lui parle des jours entiers, alors deux heures de mots, d'un coup, à gober, quand on entend mal, c'est trop.
Le théatre demande des oreilles rutilantes.
"C'est que de la parole" lui a dit Simone, sa voisine presque aussi sourde qu'elle.
- Tu crois vraiment qu'en allant là-bas, tu auras la preuve que tu entends encore un peu ?
- Si je comprends tout ou presque tout, c'est que mon ouïe qui ne dit plus non. Qu'il y a encore de l'espoir.
- T'as raison. L'espoir fait vivre. Mais tu iras seule. Pas pour moi le théatre.

Momone, comme l'appelle tout l'immeuble, même si elle est un peu sourde, n'entend que ce qu'elle veut bien entendre. Au fond de sa tanière, elle a peur de tout. Quand elle va dire à Momone la dernière phrase, ça va l'ébaudir.

"Nappa ? Qu'est ce qu'une nappe vient faire dans un théatre ? On nappe des choux. On nappe une table."  La poésie de Momone ne déçoit jamais.

Pour rentrer, elle suit le parapet qui surveille le fleuve assoupi.
L'eau scintille en brindilles lumineuses que les réverbères lancent dans la nuit.
On dit le coin mal famé, mal fréquenté, isolé. Le soir, souvent, elle s'y promène en toute tranquillité.
Son silence du jour fait place au silence de la ville drapée de nuit.
Et si elle criait la phrase, là, maintenant, au nez et à la barbe du silence ?
Elle prend sa respiration. Crier pour crier. Faut réveiller le fleuve, la ville, le monde.

"ET D'UN COUP DE SOLEIL LE SILENCE NOUS NAPPA". Le silence n'a pas bougé. Les coups d'épée des décibels n'ont même pas atteint le fleuve. L'eau clapote, doucement.

C'est en tournant la tête qu'elle le repère.
Il la suit, il trottine, tout en douceur, sans bruit, mais avec un faible son tous les dix ou quinze pas.
Manquerait plus que ça. Crier et faire réagir la seule race d'être vivant qu'elle déteste. Elle s'en méfie. On ne sait jamais comment ces créatures vont réagir.
Vous les caressez et quand vous les croyez aimants, craque. Ils vous mordent un bon coup.
C'est pas une race franche. Jamais elle ne s'en est occupée. Chacun avec les siens et le troupeau est bien gardé.
Alors, elle le laisse s'approcher. Il n'a pas l'air farouche. Et elle avance. Et lui aussi. Elle marche plus vite, lui aussi. Elle ralentit, lui aussi. Elle s'arrête. Le fixe. Il se fige. Il la regarde et n'émet qu'une légère plainte par intermittence.
Elle passe la barrière devant l'entrée. Il hésite et se frotte contre le bois usagé.
D'ordinaire elle aurait tapé dans ses mains, tapé du pied très fort et l'autre aurait détalé. Mais ce soir la foutue phrase tourne en boucle. Une obsession de mots et leur musique.

La porte est grande ouverte.
- Allez viens.
Il s'engouffre en courant.  Le bruit de la clef agresse le silence du pallier.
Il hésite encore.
- Alors tu rentres ?
Il court, droit devant dans l'appartement qu'elle éclaire.
Son poil gris brille. Il n'a pas l'air souffreteux. Pas tout jeune mais pas vieux.
Elle prend un ramequin sous l'évier. La bouteille de lait le remplit très vite.
Il est sur le pas de porte. Ses yeux ronds défient la cuisine restée dans la pénombre.
Elle tapote le ramequin sur le carrelage. Il se précipite, avide, la tête la première.
Elle avance la main. Il lève la tête et se laisse faire, toucher, caresser.
Il cherche la main mais retourne au lait froid.

Momone ne va rien comprendre demain.
- Toi ! un chat ! un chat chez toi !- Et tu l'as appelé comment "ton" chat ?

Alors elle crachera la phrase, du théatre, du rideau, du chat.

Et vous, ce chat, vous l'appelleriez comment ?



"Verdict" de Janine NOWAK

 

« To be or not to be? That is the question”.
J’ai bonne mine, moi, avec mon cendrier en forme de crâne à la main.
Pffffou… Fait chaud ici… Manque d’air. Partout des livres. A vue de nez, 10.000 volumes. Certains, de grands classiques, reliés plein cuir. D’autres, contemporains, avec la dédicace de l’auteur. Et une énorme quantité d’ouvrages dits « sérieux » : code du travail, droit civil, vocabulaire juridique, droit des sociétés, droit des entreprises, droit constitutionnel, etc., etc., J’en passe et des meilleurs ! Que des trucs rasoirs, rébarbatifs, même pour moi, le grand spécialiste du droit, que l’on consulte, que l’on respecte et dont l’avis est parole d’évangile.
La barbe, voilà ce que je dis ce soir. Tu entends, Père ? La barbe !
Ah, tu ne réponds pas… Difficile, hein, du haut de ton cadre ! Pas mal, d’ailleurs, ce portrait. Pas une photographie, non, une vraie peinture à l’huile. En pied. Très ressemblant. Sauf que l’artiste, pour se faire bien voir, t’a attribué une humanité que tu étais loin d’avoir.
Tiens, je vais boire un p’tit coup en ton honneur. Haoooon… La bouteille est vide. Je vais appeler ce brave Firmin. Je sonne.
- Firmin, la petite sœur de celle-ci, je vous prie.
- Si Monsieur me permet, je conseillerais à Monsieur de prendre plutôt une camomille.
- Une camomille ! Firmin, je vais me fâcher !
- Je sais, monsieur, comme d’habitude.
- Alors, pourquoi me contrariez-vous ?
- Mais pour le bien de Monsieur.
- Firmin, mon bon Firmin, que vous importe ma santé ?
- Elle m’importe beaucoup, Monsieur. J’ai promis à Monsieur votre père, qu’après sa disparition, je veillerai sur vous, comme si vous étiez mon propre fils.
- Ah, Firmin, que n’êtes-vous mon véritable père !
- Allons, Monsieur déraisonne.
- Non, mon ami, car ma vie aurait été toute autre, avec toi.
- Allons bon, voilà que Monsieur me tutoie. Dans ces moments-là, c’est que Monsieur a bu plus que de raison.
- Vouiiii ! J’admets. J’ai bien tâté de la dive bouteille. Et tu vas aller m’en chercher une autre. Avec un deuxième verre pour toi. Et au trot !
- (Firmin, avec un profond soupir) Bien Monsieur.
(Départ, puis retour rapide du Majordome)
- Firmin, nous allons boire à nous.
- Bien, Monsieur.
- Et nous allons boire aux femmes.
- Si Monsieur le souhaite.
- Et nous allons boire à nos existences ratées.
- Ah non, Monsieur ! J’estime que nos vies ne sont en rien ratées.
- Firmin, tu ne vas pas me faire croire, que faire le larbin te remplit de joie ?
- Si, Monsieur. Car servir Monsieur, est un privilège.
- Un privilège ! C’est la meilleure ! Parce que tu touches un très bon salaire ?
- Pas seulement, Monsieur. Ma paye n’est pas mauvaise, c’est un fait.
- Ha !
- Oui, pas mauvaise. Mais ce qui me remplit de bonheur, c’est de savoir que je suis utile à Monsieur. Et, j’ajouterai même : indispensable.
- Indispensable ! Voyez-vous çà !
- Oui, je maintiens : indispensable. Car je suis la conscience de Monsieur, le « Jiminy Cricket » de Monsieur, en quelque sorte. Un Fou du Roi, serviable sans être servile, et qui place des barrières de sécurité au bon moment.
- C’est vrai que tu es parfois aussi casse-bonbons que pouvait l’être mon père.
- Oh, Monsieur devient vulgaire !
- Vulgaire seulement ? Mais c’est trop peu, c’est insuffisant. Je veux être canaille, grossier. C’est « casse-couilles » que j’aurais dû dire. Voilà : mon père était un véritable casse-couilles ; le plus grand des casse-couilles ; l’empereur des casse-couilles !
- C’est un fait. Je ne contrarierai pas Monsieur. Le père de Monsieur n’était pas facile.
- Pas facile ? Un tyran domestique, oui ! Et puis cesse de m’appeler Monsieur. Je suis Thibault, ton fils, et tu vas me tutoyer, mon vieux Papa !
- Comme Monsieur voudra.
- Non, non, non : Thibault et TU !
- D’accord, Thibault, si TU veux
- A la bonne heure. Alors, dis-moi, mon bon Papa, quel métier aurais-tu aimé faire ?
- Mais je l’ai dit à Mons… pardon : je te l’ai dit tout à l’heure mon enfant, Majordome.
- Waouh, tu déconnes ! Tu peux me dire la vérité, tu sais. Ce soir, je ne suis plus ton patron. Je suis ton copain, ton fils, et tu dois parler vrai.
- Je dis vrai, mon garçon. Te servir est un grand bonheur pour moi. Tout comme servir ton père l’a été.
- Ben ça alors, j’en reste comme deux ronds de flan.
- Et toi, Thibault, puis-je à mon tour te poser la même question ?
- Moi ? (sur l’air de la chanson bien connue) « J’aurais voulu être un artiste, pour pouvoir faire mon numéroooo ! »
- Artiste, monsieur ?
- Oui, artiste, comédien, acteur, théâtreux, saltimbanque, bateleur, baladin. Partir en tournée. Me produire. Recevoir des applaudissements, des clameurs. Avoir du succès. Remporter des bides. Et puis mon nom en haut de l’affiche… ou tout en bas. Faire des panouilles ou être le jeune premier que l’on admire, que l’on vénère ! La scène, voilà ce dont j’ai toujours rêvé. Dire un beau texte. Ou même des trucs farfelus, surréalistes. Faire rire. Pleurer sur commande. Emouvoir. Et finir sur les planches comme Molière.
Tiens, Firmin, j’ai une idée. Il n’est peut-être pas trop tard. Tu vas être mon premier spectateur. Je vais te déclamer le récit de Théramène. C’est dans Phèdre de Racine. Acte 5, scène 6, les 73 alexandrins qui racontent la mort d’Hippolyte.
Je démarre, écoute bien et tu me diras sincèrement ce que tu en penses :
«  A peine nous sortions des portes de Trézène
Il était sur son char… »
(73 alexandrins plus tard)
- Alors, Firmin, qu’en dis-tu ?
- Puisqu’il s’agit d’être totalement sincère…
- Bon, j’ai compris. Vas-y quand même. Ne m’épargne pas.
- Monsieur a une bonne diction. L’habitude de parler en public, probablement. La voix est puissante, bien posée. Et en outre, Monsieur a de la prestance, un physique agréable.
Mais ce qui permet à un comédien de sortir du lot, ce petit quelque chose en plus que les autres n’ont pas – dont je ne connais pas le nom, mais on va dire un don, une grâce – hé bien, Monsieur ne l’a pas. Monsieur a récité son texte très proprement. Mais c’était scolaire. Sans génie. Sans émotion. Vu la puissance du propos, j’aurais dû être saisi aux tripes. Non, j’ai écouté froidement, calmement.
N’ayez aucun regret, Monsieur. Monsieur est le plus brillant des juristes. Gardez vos fonctions. Essayez d’y retrouver de l’intérêt. Et bénissez Monsieur votre père qui a eu le mérite de vous guider dans la bonne direction.

A demain matin, Monsieur. 7 h 30, comme d’habitude. Un œuf à la coque de trois minutes et demie. Bonsoir Monsieur.


"Inspirer, disrupter…" de Solange NOYé


Je cherchais l’inspiration…
Tandis que je conduisais étourdiment à ma conscience arrivèrent en déflagration, surgis du flot de vieilles rengaines diffusées plein tubes, quelques mots. Courtoisie, routière, internationale.
Ma cervelle entre alors en vive ébullition. Dans ce fatras de fausses nouvelles intubées à heures fixes résonnait le terme « international ». Mon esprit vagabondait, peinard, tandis que je franchissais au ralenti le Pont-à-l’Anglais, sis au-dessus d’une Seine avachie, miroitante sous le soleil de mars. Et vlam ! Totale agression. En mode disruptif, voire dystopique, comme disent les jargonneux du moment.
Je tuerais volontiers une dizaine d’automobilistes incivils par jour. Entendre cette voix doucereusérotique me parler de courtoisie routière à l’internationale pendant une semaine, ça me… De quoi cause-t-elle la dame ? De semaine internationale de la courtoisie routière ? De courtoisie internationale ? D’une internationale de la courtoisie routière ? Mais où ? Ici ? Partout ? J’aime les choses simples.
-Faites vos jeux, rien ne va plus !
-Je ne suis pas fou. Je le sais quand même. C’est juste que je ne pense pas comme les autres. Comme vous, quoi.
« Possession ». Adjani le dit. On se voit différent des autres mais on est tous les mêmes, des corps différents, des vêtements différents. Les mots changent mais on dit tous pareil. Au fond. C’est vous qui êtes comme moi. Si je suis fou, vous l’êtes aussi.
-Écoutez, des années d’observation et d’études acharnées nous ont permis de recenser plusieurs centaines de troubles psychiques. Nous avons bien progressé en une petite centaine d’années. Voyez ces volumes savants comme ils ont pris du volume. La Grande Classification nous permet d’y voir plus clair.
-Ouais, parlez plutôt de l’industrie pétro-chimique qui vous gouverne vous et les usines à médocs. Vous fabriquez de la maladie. Ils inventent les remèdes. Remèdes plus nocifs que la maladie-même et qui créent de la maladie nouvelle.
-J’ai mal à dire. C’est tout. Je ne suis pas fou.
Auteur cherche inspiration. Passer une annonce sur les réseaux asociaux. Associer des malfaiseurs de charme. Jouer de nos drames. Appréhender le caractère irréductible de nos êtres. Uppercuter les slams de leur langue de bois embourgeoisée.
Si le diable l’emporte, ce sera notre fin. Irrévocable. Le diable est ce qui sépare, coupe, là où le symbole réunit, jette ensemble du même. Si l’on met à part « eux » et « nous », le diable gagne. Et qui dit diable au logis en sait ce qui peut advenir.
-La messe est dite !
L’Effet Schizomètre. Fiction d’art brut. Je pourrais vous en parler des heures mais ne le ferai pas. Renseignez-vous !
-C’est l’histoire d’un mec qui a éclusé plusieurs hôpitaux psychiatriques, épuisé plusieurs psychiatres et psychanalystes. Il est au téléphone, catalogue de ses produits surgelés favoris sous le nez. Il va passer sa énième commande. Le mec ne peut plus sortir de chez lui tellement il a la frite. Et v’là-t-y pas qu’en disant les codes des produits sélectionnés, il a une révélation. Énorme ! Il envoie illico un mail à son psy :
« Je viens de saisir pourquoi la logique du DSM IV et donc celle des diagnostics/étiquettes qu’on m’a collés m’échappe. C’est qu’ils sont de mèche avec les mecs qui font les codes des produits surgels Picard : ils utilisent les mêmes codes. »
Catalogué 20.2 dans la grande Classification, les 20.2 surgelés sont des crevettes roses entières cuites. Tu vois le genre ? Troubles de l’expression écrite 81.8, épinards en branche. Pédophile / poirier, mousse vanille poire Williams. Pyromanie / poulet à l’indienne portionnable. Personnalité narcissique / gigot d’agneau désossé sans crosse.
Tu peux l’appliquer au plan Général de Comptabilité et de Gestion, au classement Dewey, aux contes des Mille et une nuits, aux 1001 films à voir avant de mourir. Juges-en plutôt : 32.2 trouble dépressif majeur/ Le château de l’araignée ; 51.5 terreurs nocturnes / Woodstock ; 52.2 troubles de l’érection chez l’homme / Performance.
C’est du sérieux. Tout autant que la calcification des troubles psychiques. S’y sont mis à plusieurs : psychiatres, psychanalystes historien de l’art, ingénieur en gestion pour dégivrer le givrés alerter sur l’imprudence réfrigérante.
-Le pire dan stout ç a, c’est qu’il y a des trous dans les références. il manque des maladies…
-Merde, i’remet ça.
-Mesdames, messieurs ! Avancez tranquillement s’il vous plaît. Merci ! Bon spectacle ! Merci ! Bon spectacle !
-Je suis touché de vous présenter ce spectacle ce soir. Nous collaborons depuis…oh ! plus de vingt ans maintenant. Je vais bientôt passer le relai et c’est avec une vive émotion que je remets à Berry devant vous l’affiche de notre premier spectacle commun, affiche réalisée par un des fondateurs de GRAPUS et président de notre association.
-Ben i’va s’taire, oui ? On est venus de loin pour écouter MONTEVERDI et le dernier RER est à 22h20. C’est d’jà du bol que la gare soye à côté, faudrait pas qu’on le loupe, quand même !
Du calme, tu viens ici pour écouter et voir notre fille chanter. J’ai hâte. Sa voix de flûte toujours me transporte.
-Bonsoir à tous…et à toutes, oui, excusez-moi ! C’est l’effet « journée internationale de la femme ». Si j’en oublie quelques-unes, elles vont partir !
Alors ce soir, nous allons voyager au pays musical, remonter à quelques centaines d’années, quand les thèmes principaux étaient la transcendance et l’amour courtois qui, sous l’influence des artistes arabes, se sont trouvés réunis. L’amour de l’absence de l’être aimé, de l’amour non consommé, voilà qui peut être transcendant. L’amour transcendantal, en quelque sorte.
-Je vais dormir avant le début.
-Nous allons interpréter quelques pièces de La Messe des Fous, de MONTEVERDI. La messe des fous, c’est la fête de l’Âne et des Fous, reprise des Saturnales romaines. Elle permettait au bas-clergé d’exulter lors des fêtes carnavalesques, décadentes et violentes. On chantait in falso. On récitait en latin bouffon. On passait du coq-à-l’âne et bien pire.
-Ferme ton Wikipedia ! Joue !
…qui nous a inspiré notre oeuvre en cours de construction, Les Métamorphoses de Marco B. Nous en jouerons quelques extraits avec Steve POTTS, jazzman américain installé en France depuis 1970, armé de ses saxo alto et soprano.
C’est un joli duel, loin des diableries du monde, clarinette et saxo, tétés par un petit garçon joyeux et un autre qui semble en colère, qui m’aura inspirée.
Le spectacle avait commencé, voyage rhizomatique.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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