SAMEDI 1er avril 2023
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Se doter d'une inspiration extralarge, année 2"

Animation : Régis MOULU

Thème : La nature, cette reine au royaume si inventif, si ressourçant

Tout le monde recherche en général pour ses vacances un site naturel remarquable, que cela soit "mer", "montagne", "campagne" ou "forêt". Il faut bien avouer que leur vastitude et leur promesse de diversité les rendent majestueuses et ressourçantes. Une impression d'un "ailleurs" féerique alors apparaît comme une promesse de régénérescence : on respire mieux, plus fort, plus pur à un tel point qu'on est vivifiés, inspirés, créatifs, délirants. Aussi allons-nous explorer, au cours de cette séance inédite, cette ressource créative, un peu comme si mère Nature et son parnasse de divinités irriguaient de nos veines jusqu'à nos encres.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : c'est l'histoire d'un être humain qui n'a de cesse de creuser un rapport singulier avec la nature. En effet, tel un artiste ou un artisan, la décision de travailler avec des éléments naturels et de les mêler ingénieusement, voire même les réinterpréter, l'obsède et le mobilisera toute une vie, en actes et en pensée(s).

Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support expoant toute la créativité et tout l'art que contient la nature a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Ma chair est un château de charnières" de Régis MOULU

 

 

"Ma chair est un château de charnières" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Nature intuitive, intarissable génie.
La vie dans sa robe viride,
et à la chevelure si ébouriffée.
On y plonge.
Générosité inégalable, beauté insondable.
Qui la regarde en face
réinterprètera la lumière, l'esthétique,
doutera de la force de son propre amour
pour les siens.

« Une reine » je vous dis
puisque, par mes paroles, je disparais en son sein.

En effet, je suis monté, ce jour,
dans ce train de mon futur
que je viens d'assigner à mes désirs,

j'ai le feu des vivaces,
je suis intuitif
par délégation que m'accorde la Belle,
je suis sa bête consciente de l'esthétique,

je me déleste de « tout ce que je ne suis pas »
résumé à « tout ce que je n'ai jamais réussi à être »,
je change de vie,
de principes,
de peau :
« absence de caractère »
s'affiche sur mon pas de tir,
« absence de pensées, de poncifs »,
renouement avec le paradis perdu,
les jardins des délices vaporeux,
« qu'y a-t-il d'éternel en moi ? »
si ce n'est l'acte de créer,
relancer une cuisson,
croire aux flammes instantanées et heureuses,
autrement dit, promouvoir toute forme de vie,
rejoue une naissance
exempte de toute intimité surjouée,

la modestie de la salade
que j'avais ce matin devant moi
m'a produit un abyssal sentiment :
l'pluchant jusqu'à son cœur,
j'ai vécu la sensation
que je n'avais plus de vêtements
ni de chairs.

J'ai été l'impétrant de la mentalité minérale,
ça m'a tout de suite donné
l'envie de tout abandonner,
retourner la table de mes contextes,
croire que la vie est une vieille dame
que je n'ai jamais rencontrée,
on s'est si rarement parlé,
pressentir ensuite que cette mamie
était la Nature,
à commencer par ce breuil à deux pas d'ici,

aussitôt je m'y rends,
ça y est, je suis déjà en son sein,
me rouler dans la glèbe
sera ma première danse.

Peau de terre.

Pas encore incarnée la respiration animale,
mais je m'y approche.
Mon existence sera une œuvre.

Et mon cœur d'attendre
la chorégraphie de ma volonté
pour sautiller dans les fougères
tendues comme des filets.

Poussières de lune
qui apparaissent alors
dans les tiroirs de lumière
que m'ouvre le soleil,
telle est ma rétribution,
mon premier cadeau,

et ça conforte surtout mon choix.
C'est une main posée sur mon épaule,
je suis comme foudroyé
par cet amour naturel.

Ô Nature, ma divine,
toi cette grand-mère
qui vient exceptionnellement de sortir
de son hospice.
Mes jambes, telle une fourche de serfouette
plantée dans l'humus à retourner
me nantissent d'une affirmation
à nul autre pareil.

Orgueil et promesse d'extension.
Je bondis comme l'on adresse
un alphabet nouveau
au vautour de Rüppel,
il n'y aurait bien qu'un ange
pour se proposer de voler plus haut.

Je ne sais comment je retombe.
En tout cas, c'est sur la mousse,
les poils fous de la terre;
le jardin secret de mémère.

Des senteurs de marjolaine
dessinent leurs arabesques, j'en suis.

Sensation de ne plus contenir en soi
que des ronds
que ma respiration exaltée
regalbe en sphères,
ruisseau de perles
qui transforme mon corps
en sautoir,
ainsi m'insinue-je dans les fentes du temps,
plus concrètement, entre les grumeaux d'azur
que le vent paresse à désagréger.

Je suis sûr que mon œil est « pince noire »
comme « pattes d'insecte cruel »,
broyeur-aspirateur,
suceur de délices.
Ou moyen de s'accrocher
au panorama qui glisse,
pour cause de révolution de la Terre.

« Trapézistes avec des manches chauve-souris »
sont mes poumons :
et c'est de la sorte que je meus,
dépourvu de cerveau.

Tout ressenti
est une fraise sauvage
qu'on vient d'avaler.

Repas copieux, bol de cailloux, pierres en coton,
salive de poésie
qui permet encore et toujours de tout digérer,
je suis heureux
comme la couleur orange qui se satisfait d'elle-même.
Se sentir plein.
Peut-être même irremplaçable.

J'ai des pieds
telles des mains de chef d'orchestre.
Le concert de la végétation disponible
a commencé.
Je suis son livre
où se consigneront tous ses états d'âme.
Je suis la mémoire de la terre,
l'ambassadeur de la sève
qui joue à être Dieu.

Si autrefois j'étais des pièces d'avion mal assemblées,
aujourd'hui j'arbore l'architecture d'un elfe,
je veux dire d'un homme précis,
je précise même d'un homme à qui il reste des possibilités
que l'on n' pas encore recensées.

Il y a des rubans dans mon crâne.
Et il y a des rubans qui veulent remplacer mes doigts.
J'accepte.

Ça fait déjà une heure que je danse
et que les pendules sont cassées,
l'ombre du grand châtaignier se prélasse
inexorablement dans la même direction.
Ses feuilles se rassemblent en cumulus.
J'ai du vide en moi.
Un vide qui cherche à grandir,
et je ne parviens pas à m'en faire un avis.

Un dossier de plumes
représente ma carrure,
mon envergure,
mes expectatives.

La mer d'herbes insolentes sue quelques fleurs.
Souvent les mêmes couleurs : rose, blanc, mauve
et ce drapeau s'agite
au moindre chavirement de ma tête,
j'ai une mine
et une silhouette
de beurre sculpté.

Couteaux à bouts ronds
que sont toutes les infirmations circulantes,
piérides et autres papillons
davantage en pinceaux qui me nappent
de leurs coloris poudreux,
à bien y regarder, l'air est granuleux,
et j'enfonce dans ce tapioca mon avenir d'artiste,
mon âme poursuit
la location de mon corps fiévreux,
et je transpire des gestes audacieux
et des mouvements généreux,

en cela consiste la danse
du « total dévoué à sa grand-mère »,
son petit inféodé préféré :
un décalque fou et intentionnel à la fois.
J'ai rajeuni. C'est une supposition très vraisemblable.

La clairière où je suis
n'est plus qu'un nid d'oviraptor.
Et je ne suis jamais allé en Mongolie.

Ma chair est un château de charnières
que hurlent les courants d'air,
paroles de frênes
et chuchotis de ronces
n'y mettant que plus de confusion,
ça s'appelle un vertige.
Aussi c'est ce que j'expérimente tout d'un coup.

Un gel interstitiel.
Écarteur supplémentaire
qui m'ajoute aussitôt
des panoramas de circonstance.
Il y a comme un déballage en moi,
l'arrachage d'un papier cadeau qui, cette fois-ci,
a été mis à l'intérieur.

Impression d'avoir alors vécu
une cousinade avec les trous noirs,
le temps de cette fugace flagrance.
On se joue de moi
en jouant avec mes interrupteurs,
« absence à moi-même » persistante,
je ne me rappellerai jamais de tout,
une brillance de cristal de roche
chante maintenant à ma place,
je m'affale
ou plutôt je viens de renoncer à toutes mes identités,
l'espoir mortifère d'être vierge m'envahit,
me comble,
je crois même, me révoque.

Je suis malade de ne pas voir d'écureuils,
ça fait tellement longtemps
qu'ils n'habitent plus mon regard
que je me déclare « orphelin »,
cette tristesse vaut « foulures », je suis déçu
de mes derniers gestes exécutés.

« J'ai horreur du mime,
abhorre encore plus les imitations » :
grâce à ces sentences,
je pense retrouver un souffle,
je réalise alors à quel point
ici le vert est massé,
oppressant mais pénétrable,
j'insiste pour aller à sa rencontre
mais il me déborde déjà,
à l'instar du jazz
qui, mieux que quiconque,
sait prendre quelqu'un par le cou,
et l'on se rend compte, toujours après,
qu'on a été embrassé.

Ai-je la forme de l'amour ?
Je présume intuitivement
qu'il me faut ressembler à un flacon d'eau de parfum
Yves Saint-Laurent,
ce petit théâtre de verre
aux liqueurs galopantes,
en vaporisateur, ça va de soi.

Et je m'y essaie.
Et je rêve.
Se décrochent alors de moi
quelques rochers de réalité.

Je traverse des rideaux et des rideaux,
miroirs de lac ou linceuls, peu importe,
tout voilage n'étant que punitions affectées à la vue,
pas à la chair incandescente.

Nous ondulons à présent à la même température,
je suis enchanté.
Qui envisagerait, dès lors,
de descendre de ce manège ?

Quand on tourne un certain temps,
tout nous apparaît en écharpes,
et c'est mon cas.

Fantasques lasagnes d'un repas
qui disparaît dans un dimanche,
ou même dans une sorte de mariage,
voire de « petite éternité »
qui réquisitionne sur le champ
toute ma modestie,

à cela, j'ai préféré un long sommeil,
couché dans « le frais cresson bleu ».

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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