SAMEDI 4 février 2023
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Se doter d'une inspiration extralarge, année 2"

Animation : Régis MOULU

Thème : Quand le personnage d'un récit a sa propre vie

Le rêve le plus prenant d'un écrivain est de réussir que son écrit se rédige tout seul, comme si l'histoire créée ne lui appartenait plus. De même, que les protagonistes de ce récit commencent à lui échapper en "vivant par eux-mêmes" est également un souhait couru. C'est bien la preuve que l'univers qu'il a imaginé a de quoi se suffire à lui-même tant il est puissant, cohérent, fécond. C'est cette dimension que nous avons expérimenté au cours de cette séance singulière. C'est l'occasion de rendre nos écrits particulièrement travaillés, soignés et pensés avant même qu'ils nous aient accordé la liberté de les laisser filer !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), un sujet a été énoncé en début de séance, à savoir : Écrire un roman-feuilleton dans lequel le (ou la) protagoniste, suite à une critique banale sur son physique qu'il reçoit, traversera une crise d'identité et se rendra compte que les gens autour de lui ont de sa personne une image complètement différente de celle qu'il se fait, ce qui le poussera furieusement à agir.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support vous sera distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Malgré la ceinture de buffle" de Régis MOULU

 

 

"Malgré la ceinture de buffle" de Régis MOULU, animateur de l'atelier



Épisode 1. – Sa préparation se fit dans une salle de bain ornée de belles faïences

Il s'agissait d'être belle. Enviable.
Avoir le charme d'un charme neuf.
Comme l'oiseau sort du nid.
Ou la rondeur de la goutte d'eau tendue.
Donc plutôt d'un œuf
qui craque.
Prétendre au « jaune orange »
qui advient en « jaune lingot », en fusion.
Natalia exultait.
Si être coquète appartient au rêve,
mettre en soi du sublime la taraudait concrètement.
Un nuage, un mirage de parfum
parachèverait l'ensemble
comme l'on se sent abouti
après un coup de baguette magique.
Et cette ceinture de buffle couleur « vieille martre »
de la satisfaire pleinement.
Sa belle taille permettait de se caler toujours
au même cran,
un succès personnel.
La preuve qu'elle se surveillait
et donc qu'elle méritait toujours d'être aimée
par elle-même.
Ses yeux en étaient ravis,
presque plus gros
comme si ses poumons résidaient entièrement
dans ses pupilles.
Son charme reposait essentiellement sur cet aspect.
Elle s'en doutait.
Les hommes qu'elle croisait devenaient autres.
Une espèce de brume d'extravagance les reliait à elle.
Un éther passager.
Un état de grâce.
Là est la traduction matérielle du coup de foudre.
Elle devait se rendre chez Cédric Courvoisier.
L'aiguille de la pendule était devenue seringue.
Go ! Fin de l'épisode 1.

 

Épisode 2. – L'invitation, une semaine plus tôt, sur carton renforcé

« Ma chère,
Vous trouvez sous ce pli adressé
toutes mes pensées enjouées
en sus d'un carton d'invitation,
dès lors que ce doux désir de vous prélever
de votre demeure si enchantée
vous apporte mille et deux satisfactions.
Aussi, en mon lieu vous filerez
le bonheur sur ses deux pieds
en ma personne de Cédric Courvoisier,
je vous attends, votre dévoué,
en présumant déjà votre apparition »

« Que le style était désuet ! » songea Natalia.
Mais surtout quelle excitation :
être autre avec un autre
la kidnapperait en quelque sorte d'elle-même !
Elle en fut toute ragaillardie
comme un ogre qui, fouillant sa choucroute,
s'aperçoit qu'elle en était beaucoup plus garnie
qu'il n'en paraissait.
Bref, elle décida de mettre le paquet.
Finalement, la vraie vie,
c'est quand on fait son maximum, qu'elle démarre !
Elle fut aussitôt attristée d'avoir, en somme,
jusqu'à maintenant, si peu vécu.
Le monde venait de se doter de plus de mésanges, désormais.
La feuille de l'arbre se devait aussi d'être plus verte.
La belle crut que ses cheveux avaient
un inédit rebondi.
Un peu à l'instar d'une queue d'écureuil,
du moins avaient-ils le même panache effronté.
Peut-être, faire quelques emplettes
ne serait pas accessoire.
Car, en définitive, acheter du neuf,
c'est surtout augmenter ses chances
de pouvoir renaître.
Un ruban nouveau fit l'affaire.
Sa moire aurait donné à quiconque
l'impression que la magie avait toujours dirigé le monde
… et nos achats.
Dès la sortie de l'échoppe,
un air d'opéra, du Rossini pur jus,
se domicilia dans son crâne.
Elle en tira l'avantage
d'avoir un cuissot plus léger.
Et elle trottina, un pied sur la route,
l'autre sur le trottoir,
sur plusieurs mètres,
Boulevard des Italiens,
Rue de la Michodière,
Rue d'Antin.
Toutes les jeunes filles qu'elle croisa
la prirent un temps pour modèle.
Le bonheur est contagieux
pour qui accepte d'être poreux,
un privilège donc réservé aux jeunes
et aux très vieux…
Ce « ruban frais » se devait d'être
la corde qu'elle mettrait au cou de Cédric,
le jour où il ferait tomber sa lavallière,
dans l'intimité d'une chambre
mangée par les ombres.
Mais la semaine s'était écoulée rapidement,
comme un collier de perles lourdes
nous tombe des mains
lors de son ruissellement sans pareil.
La voilà qui se remettait totalement en cause
au milieu de sa salle de bain,
l'arène était close
par de jolies faïences pastellisées.
Leur rose « chair de saumon sucré »
recolorait avantageusement son teint.
De toute façon, une sauvagerie contenue
régnait bien en elle,
la définissait, l'animait,
pourrait même, dans certaines conditions, la perdre.

 

Épisode 3. – Dès son arrivée chez le bellâtre, ce fut un choc, pas celui qu'elle eût prévu

Un pop-corn.
C'est sous cet aspect psychologique
qu'elle prit conscience
qu'elle était déjà
sur le perron de la belle demeure
de Cédric Courvoisier.
La vitre de la porte, à l'épaisseur inégale,
fut le premier avertissement qui lui fut adressé :
en guise d'elle-même,
elle vit un monstre,
de ces femmes qui retrouvent leur raison de vivre
par le commerce de leur image
dans les foires on un cirque
qui, d'ailleurs, ne peut-être que de passage
tant, de la laideur, il ne faut point s'en accommoder
si l'on veut qu'elle garde
tout son pouvoir traumatisant.
Même son ruban
utilisé en extravagant et pimpant ras-le-cou
dispensait une allure de vieille tagliatelle
copieusement meurtrie
par une bien méchante cuillère.
Dès lors, cette difformité lui affligeait
un âge avancé,
celui-là même où, la peau se relâchant,
notre corps nous presse au divorce.
Quel trouble !
Elle remarqua que les amphores décoratives
qui bordaient la porte d'entrée
étouffaient sous leur couche de poussière.
Elle toussa, comme l'on pète,
n'étant que trop emporté
par l'éclair de sa nervosité.
Déjà le majordome lui pria de s'avancer,
la débarrassa de sa capeline,
en fait, ne l'exposa que plus
au moment-même où elle se pensait
« femme la plus fragile que la terre ait comptée ».
Comme nue.
Comme démunie d'armes.
Comme un petit morceau de sucre
exposé à toutes les humidités.
Cédric, comme bâti sur le patron d'un coq
tant sa joie l'échancrait,
planta ses deux yeux bleus sur elle.
C'est une empoignade qu'elle ressentit.
Mon dieu, comme ce jeune homme
gaspillait sa vitalité !
Une présence de forgeron.
« Et elle d'avoir l'absence de se laisser modeler »
s'infligea-t-elle !
Comme quoi, qui trône dans sa salle de bain
se retrouve plus aisément « paillasson »
une fois exposé dans le « vrai monde » !
Elle se crut atteinte d'un cancer.
Elle estima, aussi, que le plafond du salon
était fort bas,
comme distendu pas ses lourdes dorures.
Tout lui sembla faux.
Un lustre en débris de verre
rassemblé en amas.
Tout fauteuil cabriolet n'était rien d'autre
qu'un vulgaire pouf
planté d'échalas,
etc.
Mais le pire allait suivre. Suite au prochain épisode.

 

Épisode 4. – En guise de bienvenue siffla la critique

« Ma chère et tendre,
grand merci pour votre venue.
Votre resplendissante beauté
fait de cette cabane où je languis
un bien somptueux palais.
Vos grosses omoplates sont pour moi
des phares
que la calèche de votre corps
hisse en soleils.
Imaginez donc un monde
avec deux soleils :
de votre présence, je ne m'en remettrai jamais ! »
De toute façon, Natalia n'entendit pas
la fin de la phrase.
« Vos grosses omoplates » la fit plonger
dans un profond désarroi.
N'était-elle aux yeux du soupirant
qu'épais manœuvre des quais de la Rapée,
de ceux qui charrient tonneaux et barriques
à longueur de journée
et de vie !?
Son image concurrençait-elle à ce point
une si mauvaise haridelle
qu'elle songea, un trop long moment,
lui ressembler ?
La foudre du déshonneur
la frappa en plein cœur,
ventricule gauche.
Des larmes de désespoir
fit de ses yeux deux huîtres laiteuses,
comme flétries d'avarie.
Dissolution soudaine.
Cédric Courvoisier ne se rendit compte de rien,
sans doute parce que l'amour rend aveugle,
cela répondant pour sûr
de notre instinct de survie.
La jeune femme prétexta un oubli
pour repartir aussi sec.
Dans la confusion, elle perdit une boucle d'oreille,
longue girandole
fuselée en crevette presque transparente :
extravagant cadavre
jonchant le champ de bataille
où la jeune impudente n'était plus que souvenir,
lambeau de parfum évanoui.
Une fois arrivée chez elle,
Natalia jeta son dévolu
sur le plus grand couteau de la cuisine.
Il était question de se désosser. Pas moins.      
Ôter littéralement ses encombrantes omoplates.
Sa motivation était si grande
qu'elle ne soupçonna pas le moins du monde
que cette opération génèrerait aussi
quelques souffrances.
Elle avait, finalement, encore la naïveté de croire
que tout acte de chirurgie lourde
se résumerait à une partie de Docteur Maboule.
La lame, conçue expressément « saillante »,
creva la peau de la pauvrette.
Un rubis liquide apparut,
prenant rapidement la forme
d'un chapeau de champignon jeune
après avoir été hâtivement
« petit pou de bois ».
Puis roula cette goutte.
Puis une autre.
Puis une autre.
Puis une autre de manière à créer
un filet ondulant et indomptable
comme un bébé serpent.
Par ce procédé, se viderait-elle par hasard
d'elle-même, hein ?
Suite au prochain épisode.

 

Épisode 5. – Déjà le prochain épisode surgit

Exsangue, elle était maintenant affalée
sur le riche tapis persan.
Vue du plafond, cela crée une image sublime
à l'instar des princesses endormies.
Crise d'identité,
dans son propre tombeau,
sera de fond en comble remodelée.
Et sa résurrection vit le jour.
Car la servante, Marinette,
l'eût déclarée belle et bien morte.
Puis revint sur ce constat
lorsque Natalia se releva,
comme ravigotée,
telle la biche féconde au printemps.
L'œil neuf.
Tout était transformé.
Avec la même force que lorsqu'on change de siècle.
Le docteur, surpris,
était surprenant.
Germaine Duvergeon, la voisine,
qui avait enfin pu être
aux premières loges d'un fait divers,
en tomba sur le cul, par terre,
elle resta coincée du dos pendant six mois.
Il faut dire que « l'anciennement morte »
se trouva fort légère.
Jolie comme une envolée de pétales de cerisier,
c'est-à-dire « comme résidente
de plusieurs endroits à la fois »
tant sa splendeur marquait les esprits
et les lieux
à jamais.
Et tandis que pour Marinette,
elle demeurait une convalescente en opaline bien fragile,
elle, elle se sentait capable de dévorer
une girafe rôtie.
En effet, il arrive parfois que le courage
nous cantonne à la démesure,
ce qui nous paraît tout à fait normal,
a fortiori banal,
et ce fut son cas.
Aussi y avait-il du sang d'héroïne
qui coulait à présent dans ses veines,
le chat Victor ne se risqua plus jamais
à faire ses griffes sur le fauteuil crapaud du salon
… qui n'avait plus rien de funéraire !

Mais la jeune femme n'impressionna
pas seulement le règne animal,
elle fit bien mieux
comme nous le révèle cruellement le prochain épisode.

 

Épisode 6. – On enchaîne

La décence sociétale ne permet pas de développer
la scène qui suivit.
Contentons-nous de dire
que cela lui valut
la prison à perpétuité, par contumace…

[autrement dit, elle a fait un gros massacre
et elle court toujours].

 

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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