SAMEDI 2 février 2019
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Vives incitations"

Animation : Régis MOULU

Thème : Dénoncer une peur ou une exclusion

Et voilà que l'insupportable se traite, est dénoncé, se fait malmener... pour au final se résorber ? Pour un motif de justice ou dans un souci de vérité, bref pour que le collectif retrouve son honneur, sa grandeur, ses valeurs, des combats se mènent, des langues se délient et des stylos crachent leur encre noire ! Portés par une saine rage, nous avons donc vu ce que ce genre de motivation apporte à notre style au cours de cette inédite séance !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : dénoncez avec malice une injustice (fondée ou infondée) qui paralyse de peur sa victime (personne ou collectif inventé) pour laquelle vous aurez de la compréhension, et a fortiori accusez les responsables de cette situation (remarque : si possible, se couper de notre actualité brûlante qui nous fait manquer de recul)

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Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support portant sur "comment critiuqer respectueusement" et la technique du pamphlet a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Le pouvoir qu'on se donne" d'Edith SEVRIN

- "Invasion, peut-être" de Joëlle SABBATIER

- "La calomnie" de Janine NOWAK

 

 

"Le pouvoir qu'on se donne" d'Edith SEVRIN


Depuis que les agissements d'Harvey Weinstein ont été dévoilés, les femmes osent parler de leurs expériences et de leur peur de devoir céder aux demandes, vous voyez lesquelles, d'un homme, d'un chef ou d'un "chefaillon", pour obtenir  un travail, un rôle, un avancement ou parfois simplement des congés.
Justine a rendez-vous avec Stéphane DURAND, D.R.H.
La veille du rendez-vous, Justine ouvre son armoire bien rangée, pantalons à gauche, robres au centre et jupes à droite.
Elle pose sur son lit les cintres avec les jupes, elle range celles qui lui arrivent en dessous des genoux.
Ça y est, elle choisit celle petite jupe en cuir qui moule sa taille fine.
Le haut maintenant. Ce sera forcément un chemisier, car avec sa poitrine bonnet 100, elle pourra mettre en valeur son décolleté.
En bas de l'armoire, les chaussures noires avec juste ce qu'il faut de talon pour galber ses jambes
8 H : le lendemain matin, le maquillage est la touche finale. Elle se regarde dans la glace, elle se plait, elle va faire bonne impression.
8h45 ; elle se présente à l'accueil de l'entreprise et demande où est le bureau de Stéphane DURAND. Elle s'installe dans la salle d'attente. Ses mains sont moites, sa respiration s'accélère, la peur l'envahit. Comment va t'elle débuter l'entretien ? n'en  a t'elle pas fait trop avec ce choix de tenue ? n'est-elle pas trop aguichante ?
9H ; la secrétaire vient la chercher et frappe à la porte du DRH. Et là Stéphane DURAND est une femme!!!! Et oui le prénom est mixte, rappelez-vous Stéphane AUDRAN !!!!!!
La DRH amusée et habituée voit  d'abord la surprise dans les yeux de Justine, puis un sourire gêné, car Justine pense aux efforts vestimentaires qu'elle a faits pour être une bonne candidate.
Le rendez-vous s'est bien passé, mais Justine sait que le malaise qu'elle ressent n'est pas dû à l'attente de la réponse de la DRH.
Elle a besoin de parler ; elle m'appelle. Nous échangeons sur ce qui vient de se passer. Elle me confie que lorsqu'elle a vu cette femme, elle s'est concentrée sur son CV, ses expériences, ses compétences. Elle a eu un peu honte d'avoir mis en scène ce rendez-vous, en soignant son apparence, enfin à ce point. Elle repense au slogan "balance ton porc" à ce que disent les hommes ; que les femmes les aguichent et qu'il ne faut pas qu'elles soient surprises des conséquences.
Elle culpabilise d'avoir voulu séduire et qu'en effet, elle aurait pu induire un tel comportement.
Pourquoi a t'elle voulu être sexie ? pourquoi avait-elle besoin de faire cela ?  cette mise en scène ne l'aurait pas rendue ni  plus intelligente ni plus expérimentée.
Je la sens désemparée. Elle me dit sa peur de ne pas savoir mettre en avant ses compétences.
Nous discutons, enfin elle parle beaucoup.
Je lui propose de faire du théâtre ou de participer à un atelier d'écriture pour "oser" devant les autres. Mais sa peur était double, ne pas avoir le poste, et en avoir fait trop et ainsi être l'objet de proposition déplacée.
Je lui dis, que sans être féministe, l'autre a le pouvoir qu'on lui donne.


"Invasion, peut-être" de Joëlle SABBATIER


Mes amis, mes chers amis, je vous le dis n’y allez pas.
Je vous le crie n’y allez pas.
Très difficile d’en revenir.
Vous n’avez pas les armes qu’il faut ils sont trop nombreux.
Ils sont trop sauvages, trop déterminés,
Leur objectif, tout envahir, tout maîtriser, tout dominer, tout anéantir.
Armez-vous, n’oubliez pas, ils sont télépathes, ils vont au fond de vos cerveaux, ils vous scrutent.
Ne pensez pas, foncez.
Ils savent tout de vous et n’hésitent pas à utiliser vos faiblesses. Ils retournent vos forces contre vous-mêmes.

On nous avait prévenus mais on a tous continué à consommer à excès.
Le chauffage à fond, la voiture pour acheter sa baguette, les sacs en plastique à la mer, trop de chaussures, trop de tout fait, trop d’égoïsme, trop de mépris, trop de plaisirs tout simples tout purs insatisfaits alors trop plein dans les placards, trop plein dans les poubelles.
Et voilà, voilà le résultat,
Le choc génétique.
Les derniers sont devenus les premiers. Ceux qu’on ne voyait pas, auxquels on ne pensait même pas.  Ceux, objet de nos tests en labo, tous nos tests,
test de nouveaux produits, nouveaux médicaments, 
test de vitesse,
test d’apesanteur,
test du vide.
Puis la Terre a tremblé,
Le choc génétique.
Ils ont résisté à tous nos essais, nos caprices.
Ils ont muté.
Ils ont brisé les barreaux de leurs cages et se sont mêlés à leurs frères libres.
Et voilà le résultat.
Ils ont envahi nos villes, nos campagnes, chaque groupe porteur d’une maladie mortelle pour l’espèce humaine.
Je vous le redis, surtout ne pas visiter les sous-sols, ne pas approcher les greniers.
Mettez vos moyens en commun, unissez-vous.
Synthétiser l’antidote est le seul moyen de sortir l’humanité de ce chaos.
Partagez,
Seul, vous ne résisterez pas,
Oubliez le passé,
son petit chez-soi, sa petite famille, son petit boulot, son petit trésor,
Fini tout ça.
Nous devons ne former qu’un pour mieux résister.
Ne vous laissez pas approcher, ne vous laissez pas toucher.
Ils peuvent prendre l’apparence humaine pour vous convaincre, pour vous séduire et vous détruire.
Ne vous y fier pas. Regardez leurs mains et si vous y voyez un peu trop de poils, alors méfiez-vous et fuyiez, foncez, vite, vite.
Avaler votre remède et vos forces seront décuplées.
N’hésitez pas un seul instant.
Prenez la potion, très efficace, nous l’avons testée sur eux.

Sortez les lance-flammes,
C’est eux ou nous.
A présent, ce qui nous distingue d’eux, vous le savez,
Notre faculté d’aimer, de nous attendrir, de pardonner et de sourire.
N’y pensez pas,
Retrouvez votre instinct sauvage de survie.
Sortez les lance-flammes

et débarrassez-nous définitivement de ces rats qui se prennent pour des hommes.



"La Calomnie" de Janine NOWAK



Trois jours. Trois jours seulement ont suffi pour détruire une jeune fille qui ne demandait qu’à embrasser l’existence avec confiance. L’ignoble vêtement de condamnée au bûcher, dont on l’a revêtue, ne parvient pas à dissimuler le charme de sa silhouette bien proportionnée.
Ses fossettes et la vivacité de son regard dénotaient, il y a si peu de temps encore, un agréable tempérament et une jeunesse impétueuse. Tout en elle respirait la joie de vivre. La gaieté pétillait dans ses yeux verts. Elle avait un visage ravissant, délicatement ciselé, un profil pur.
Une chevelure flamboyante complétait le tableau…
Tout est venu de là…
Chevelure flamboyante, égal : créature du Diable. Hé oui, l’odeur du souffre se fait vite sentir.
Une rumeur se fit entendre : Guillemette aurait des pouvoirs !
Des pouvoirs ? Quels pouvoirs ?
Des pouvoirs… On ne savait pas trop lesquels, mais ça se disait. Le genre humain est ainsi fait ; c’est juste le besoin de faire du mal.
Besoin de vengeance, aussi. Besoin de détruire ce qui est beau. La jalousie n’est jamais loin. L’envie de ce que l’autre possède, de ce que l’autre, est. Pourquoi ce n’est pas moi qui suis la plus belle ? Pourquoi ce n’est pas moi que les hommes regardent avec admiration ? Pourquoi pas moi ? Pourquoi ? POURQUOI ?
Et voilà. La folie des hommes a fait son chemin. Quand je dis folie des hommes, je veux dire celle de tous les humains. Car les femmes n’étaient pas en reste. Je peux même affirmer, qu’avec leurs caquetages, elles sont à l’origine du drame qui se déroule aujourd’hui.
Une fiancée délaissée. Un jeune homme qui renonce à son engagement et qui brusquement n’a plus d’yeux que pour une autre.
Et cette autre, c’est Guillemette qui n’est pas responsable de ce qui lui est reproché. Car malgré son évidente beauté, elle n’a rien d’une enjôleuse. C’est la créature la plus droite et la plus franche que je connaisse. Elle n’a jamais cherché à séduire quiconque. Ce n’est ni une briseuse de ménage ni une effrontée qui se jette à la tête des hommes.
Jusqu’à présent, tout le monde louait son courage et sa vaillance d’honnête travailleuse. Elle avançait dans la vie, sans fausse modestie, mais sans arrogance, toujours prête à aider son prochain, amicale et respectueuse de son entourage.
Seulement voilà : sa cousine Isabeau, depuis longtemps promise à Béranger, n’a pas su le retenir. Il s’est brusquement éloigné d’elle et s’est mis à tourner autour de Guillemette. Je peux jurer que cette dernière se raidissait à son approche, faisait tout pour le décourager, très consciente du tort qui était causé à sa parente.
Mais la calomnie est toujours présente. Le venin est bien vite craché. Rapidement, le bruit courut que Bérenger était victime d’un sort. Et qui avait pu lui jeter un sort ? Une sorcière, pardi, une sorcière qui a pour nom Guillemette. Forcément, avec des cheveux rouges, à quoi d’autre pouvait-on s’attendre ? Elle fait commerce avec Satan ! C’est une SORCIÈRE, et les sorcières on les brûle !
Oh, le mal s’est fait doucement, insidieusement. Les gens ont commencé à chuchoter dans son dos. Petit à petit on l’a évitée, on ne lui parlait plus guère. On ne la faisait plus travailler. Car elle a des doigts de fée. C’est une habile couturière qui brode et fait de la dentelle comme personne.
Et un jour, les médisances sont arrivées aux oreilles du clergé. Le curé du village, qui est plutôt un brave homme plein de bon sens, ne voulait pas s’engager dans cette voie. Alors, les malfaisants, sont allés au-delà et ont porté leur « bonne parole » à l’Evêché, qui a délégué son représentant. Celui-ci, un homme dur, au cœur sec, aux yeux en fente, à la bouche réduite à un fil, ne demandant qu’à croire à cette infame histoire, s’est empressé d’incarcérer Guillemette. Il l’a interrogée jusqu’à l’épuisement. N’obtenant manifestement pas les réponses souhaitées, il l’a soumise à la question, autrement dit, à la torture.
Et la voici aujourd’hui, pantelante, anéantie, hagarde, dans cette salle d’audience.
Elle a, parait-il, avoué.
Mais qui n’avouerait pas lorsqu’on lui écrase les pieds ?
Qui n’avouerait pas, quand le fer chauffé à blanc, brûle la chair ?
Qui n’avouerait pas, lorsqu’un châtiment d’une violence extrême, inflige d’abominables souffrances ?
Le corps humain a ses limites, et pour que cesse cette infamie, on ne peut que parler, et avouer, et hurler : « Oui, je suis coupable de tout ce que vous voudrez ».
Son crâne a été rasé : il était hors de question de laisser apparaître ce symbole rouge diabolique. On a dû la porter, car ses pieds martyrisés ne la soutiennent plus.
Son procès va débuter dans un instant. Je scrute l’assemblée. L’Evêque, un homme replet, faussement débonnaire, est présent. Et pour la circonstance, le Cardinal s’est déplacé. Il est là, recueilli, vêtu de pourpre. Amusant. Je croyais que le rouge annonçait des créatures de l’Enfer !
Notre brave curé, est modestement assis dans un coin. Ayant toujours reçu les confessions de Guillemette, il sait bien quel être pur et sans tache, elle est. Son visage est blême. Il semble partager les souffrances de l’accusée. C’est tout à son honneur.
Mon regard s’attarde sur la foule. Certains, peu nombreux, arborent de larges sourires et se réjouissent déjà à l’idée du magnifique spectacle qui va bientôt leur être offert : de joyeuses flammes léchant le corps de leur victime.
D’autres sont graves. Certains semblent bourrelés de remords. Beaucoup de femmes sont au bord des larmes. Je sens chez la plupart de ces gens, qui prennent enfin conscience de leur vilénie, plus de regrets que de haine. Voilà qui me réconcilie un peu avec mes semblables.
Tout de noir vêtu, droit, menaçant, tel un spectre maléfique : l’accusateur. Il a la charge de donner tous les détails, d’enfoncer encore davantage la misérable créature.
Le visage de cet homme est sans expression. Mais ses yeux… Ah ses yeux ! Ils semblent posséder une cruauté rarement atteinte.
Moi, je suis le défenseur de Guillemette. Ma tâche va être rude. Mais… j’ai un argument que personne ne peut soupçonner. Et je sais, qu’à l’issue du procès, elle sortira blanchie et libre. Et cet argument, c’est… chut, la séance commence.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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