SAMEDI
4 mai 2024
dans le cadre du Nouveau cycle Animation : Régis MOULU Thème : Changer de perspectives (mais qui parle ?) Une même histoire racontée avec des angles différents n'a pas la même force, la même portée, la même singularité. À l'instar d'un réalisateur qui mettrait sa caméra à l'endroit le plus judicieux, ou même parfois à l'endroit le plus cocasse, l'écrivant a à faire ce choix : qui est le narrateur ? Avec quelle identité et quelles caractéristiques parle-t-il ? Quels sont ses buts avoués ou cachés ? etc. Nous allons donc explorer ce parti pris essentiel qui s'avère être une précieuse ressource lorsqu'il est bien choisi et suffisamment défini. Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : Écrire une histoire qui brasse deux points de vue ou bien une histoire qui repose sur une polyphonie narrative (plusieurs narrateurs).
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Ci-après
quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):
- "Quelle mouche l'a piquée ?" de Claudine CARPENTER - "La motrice de notre rêve" de Régis MOULU
Je les hais tous et toutes, que le diable les emporte !
"Quelle mouche l'a piquée ?" de Claudine CARPENTER
La jeune fille, qui venait de décrocher son bac, avait emménagé avec elle pour faire ses études. Faire ses études, c'était un bien grand mot, disons qu'elle s'était inscrite à la fac de psycho à Paris III et qu'elle semblait profiter plus de son lit, de sa chambre et de son téléphone que des bibliothèques du quartier ou des milles choses qu'il y a à faire à la capitale. L'idée lui avait pourtant semblé si séduisante au départ, quand son frère l'avait appelée et lui avait demandé si elle pouvait loger sa fille qui voulait absolument venir à la capitale pour faire ses études, elle avait accepté tout de suite. Elle avait bien voulu accueillir la jeune Lilas chez elle dans son appartement du 8e arrondissement pour plusieurs raisons. Tout d'abord parce que cela lui ferait de la compagnie, depuis sa séparation, elle vivait seule dans son grand appartement, parfois les soirées et weekends lui semblaient être des longues plages de vide. Une jeune fille, surtout une gentille jeune comme elle, ça serait quelqu'un à qui parler. Elle s'était dit que cela lui ferait du bien d'avoir une jeune à la maison, un peu de vie et de fantaisie dans sa vie bien trop rangée. Elle adorait la petite qu'elle avait vu grandir de trop loin, a la faveur des fêtes de famille et de très courtes visites les uns chez les autres et son plus sincère désir était qu'elle soit heureuse. Pour elle la condition siné qua non du bonheur était qu'elle puisse faire de belles études dans de bonnes conditions. Elle le savait bien, si Lilas était restée avec son père à Conches en Ouche, elle aurait dû aller à la fac de Rouen en autocar tous les matins. Jamais Gilles n'aurait pu payer un studio à Rouen ou même une voiture à sa fille, la vie était tellement dure pour lui depuis qu'il avait voulu reprendre l'exploitation familiale. Pour Lilas, c'était tellement mieux d'être à la capitale, avec ses musées, sa culture, sa mixité et ses opportunités. En plus, elle était logée, blanchie, nourrie et n'avait à s'inquiéter d'absolument rien sauf d'aller à la fac qui était à 20 minutes de chez elle de porte à porte. La petite était courageuse, une élève brillante et elle méritait toute l'aide qu'elle pouvait lui donner. Elle s'était remémorée sa jeunesse, son arrivée à la capitale, sa chambre de bonne et les petits boulots alimentaires qu'elle avait dû faire pour payer le loyer, le temps de passer l'Agreg. Elle s'était rappelé les amis qu'elle s'était faits, avec qui elle allait à la bibliothèque du Centre Pompidou et les diners qu'ils faisaient les uns chez les autres le samedi soir, les soirées en boite ou dans les bars, les longues promenades le long de la seine en été, les fous rires, les blagues de potache et combien cette période avait été une période d'effervescence, d'apprentissage et de bonheur. C'était à tout cela qu'elle avait pensé quand elle avait dit oui. Elle qui avait pensé amener de la légèreté et de la joie dans son appartement était assise ce matin, en face de cette jeune fille au teint blafard, au regard hagard qui était en train de tremper sa tartine dans son chocolat chaud (dix-huit ans et elle buvait encore du chocolat chaud le matin !) elle se sentait presque trompée sur la marchandise (" Remboursez ! " pensa-t-elle). Elle se força a prendre un ton amical et léger quand elle adressa la parole à Lilas : " As-tu des plans pour ce samedi ? Vas-tu voir des amis ? ". Elle se doutait bien que la petite ne voudrait pas passer son samedi après-midi avec sa vieille tante et n'allait pas lui proposer de l'accompagner au film des Frères Cohen qu'elle avait prévu d'aller voir avec une amie. " Tu sais, continua-t-elle, tu peux inviter des amis à la maison si tu veux, je peux m'arranger pour ne pas être là et vous pourrez profiter de l'appartement. " Peut-être que la petite n'osait pas ramener des amis, qu'elle avait peur qu'elle ne lui tape l'incruste devant ses amis, peut-être que c'était ça le problème ? " Et tes partiels ? Comment les sens tu ? C'est dans quatre semaines, n'est ce pas ? ". Elle avait des collègues professeurs de Psychologie et même psychologues qui pourraient l'aider si elle avait besoin d'aide pour ses examens et même lui prêter les livres qu'elle ne trouverait pas à la bibliothèque. Les réponses de Lilas " Je ne sais pas trop. " " Merci " " Ça va, je les sens bien " étaient courtes, ternes. Ternes comme son visage éteint mais chaque réponse était comme un reproche, une accusation contre laquelle elle ne savait pas se défendre. Lilas était épuisée, elle avait encore très mal dormi. Le bar qui était au rez-de-chaussée de l'immeuble avait fermé tard et comme tous les vendredi soir, les habitués avaient fait un boucan effroyable, le voisin du dessus l'avait réveillée quand il était rentré, accompagné, à deux heures du matin et enfin la circulation, les bip aigus des klaxons l'avaient tirée de son sommeil trop léger a cinq heures du matin et elle ne s'était pas rendormie. En plus, hier, en rentrant de la fac, un type avait essayé de lui arracher son sac, il avait raté son coup et n'avait pas réussi a le prendre mais elle était tombée sur les genoux, ses paumes étaient toutes égratignées et personne ne s'était arrêté pour l'aider. C'est toute seule qu'elle s'était relevée, qu'elle avait vidé le contenu de sa bouteille d'eau sur ses mains ensanglantées et qu'elle était rentrée à l'appartement. Elle s'était réfugiée dans sa chambre pour panser ses plaies morales et physiques. Le torchon ensanglanté était dans sa poche, tout chiffonné elle le mettrait directement dans la machine à laver pour éviter des questions. Et maintenant, ce matin elle était là dans la cuisine, assise en face de Tata, et elle se retenait de ne pas éclater en sanglots pour ne pas lui faire de peine. Trois mois qu'elle était à Paris, encore quarante à tirer si elle ne redoublait pas pensa-t-elle en buvant une gorgée de Nesquik. Y'a vraiment intérêt à assurer aux exams. Elle était rarement montée à la capitale avant d'aller y faire ses études et elle ne s'était pas attendue à un tel bruit, une telle ébullition, une telle violence. Elle avait cru que Paris, ce serait comme les villes qu'elle connaissait mais en plus grand. Mais non, Paris ce n'était pas un grand Evreux ou Rouen, ou elle traînait avec ses copines le samedi après-midi. Paris c'était le bruit constant, la cohue. Paris c'était minéral et froid. Elle regarda sa tante et se demanda si cela avait été pareil pour elle quand elle était arrivée à Paris. Elle se demanda si au départ, elle s'était aussi languie des matins à la ferme, de quand les ululements des hiboux laissaient graduellement la place aux chants des oiseaux en même temps que le soleil se levait. Elle n'allait pas lui demander, car la réponse était sans doute non. Tata, ça avait longtemps été son idole, elle venait à la ferme à toutes les vacances, avec des livres, des histoires, des rires. Elle avait adoré ses visites, toujours attendues avec impatience. Elles allaient se promener dans les champs, elle lui racontait les animaux et les plantes et Tata lui parlait de ce qu'elle avait lu ou vu aux musées. Elle rêvait d'une chose, d'être comme elle quand elle serait grande. Elle s'était donnée à fond pour le bac. Toujours bonne élève, elle s'était surpassée et elle avait été la seule de sa classe a avoir été reçue avec mention. Cela n'avait pas suffi pour obtenir une bourse au mérite comme elle avait espéré et elle s'était résignée à la fac de Rouen, moins prestigieuse mais quand même respectable. Mais papa lui avait dit qu'elle pourrait aller chez sa tante qui avait une chambre dans son appartement ! Le rêve. Comment ne pas accepter ? Ou c'est ce qu'elle avait cru au départ. Tata était gentille, c'était indéniable, mais ce n'était pas ce qu'elle avait imaginé. Leurs relations étaient trop polies, trop distantes. Ses questions, sa sollicitude restaient trop impersonnelles et semblaient interdire tout rapprochement . Peut-être que Papa avait raison, peut-être qu'elle pensait vraiment qu'elle était mieux qu'eux, eux les culs-terreux ? Que voulait Lilas ? Elle voulait sauter dans les bras de sa Tata, lui faire un gros câlin, si possible avec des chatouilles comme quand elle était petite et se laisser envelopper par sa douce odeur de parfum parisien, comme quand elle était petite. Elle voulait que sa Tata l'emmène à Montmartre pour manger des crêpes, pour voir les caricaturistes de la place du Tertre et qu'elles montent toutes les marches du Sacré-Cyœur pour voir paris depuis le ciel… Parce que la tour Eiffel c'est pour les touristes et que nous nous ne sommes pas des touristes ! Hein Tata ? Tante Sandrine regarda sa nièce qui débarrassait la table, le visage morose. "Tu sais à la cinémathèque, ils ont une rétrospective de cinéma surréaliste, ça pourrait t'intéresser et être utile pour tes examens, les surréalistes s'intéressaient beaucoup à la psychologie et la psychanalyse, tu sais. Je crois qu'ils vont repasser un chien andalou… tu devrais en parler à tes camarades de promo, surtout que c'est gratuit ". " Merci Tata. " répondit Lilas en rangeant le bol dans le lave-vaisselle.
"La motrice de notre rêve" de Régis MOULU, animateur de l'atelier
Freesia. ! Oui, elle longerait ce bois Astérie. ! Oui, elle serait là, Freesia. ! Bien sûr que si Astérie. ! Oui, Freesia. Freesia. ! Oui, je vois bien que tu la contemples Astérie. ! Pas encore totalement ! Freesia. ! Et c'est une réussite, Astérie. ! Et elle diffuse, Freesia. ! Oui, comme ça, Astérie. ! Et la forêt nous regarde profondément Freesia. ! Et les fleurs y ajoutent leur pollen Astérie. ! Et nous sommes dans cette zone d'influence, Freesia. ! Si, un peu quand même Astérie. ! Leur blondeur vaut « palais doré » Freesia. ! Très vite notre peau devient ambrée, Astérie. ! Maintenant, quatre corbeaux nous bordent, Freesia. ! Où nous nous endormons déjà (en hommage à Bernadette Lafont) |
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Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet ! |