SAMEDI 5 octobre 2024
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du Nouveau cycle
"Techniques fécondes, tonique faconde"

Animation : Régis MOULU

Thème : Rouler à l'ordinaire peut être extraordinaire

En exagérant un peu, tout peut nous sembler bien ordinaire, banal, usuel. Mais, dès lors que notre regard y voit un spectacle, une poésie, une qualité, une curiosité, une profondeur, nos yeux eux-mêmes deviennent des diamants. « Comment ériger le singulier en remarquable » a donc été notre mission à la faveur d'idées et d'astuces valorisantes au cours de cette présente [super] séance !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : Écrire une histoire dont le point de départ est un objet simple et sans valeur. Et c'est avec l'idée que « révéler du merveilleux » s'atteint plus facilement quand on essaie de  « croître en clarté et en pureté » que vous allez procéder.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support contenant notamment tout ce qui fait office d'extraordinaire en écriture a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "L'effet "pantoufles" "de Nadine CHEVALLIER

- "Être raisonnablement malheureux" de Régis MOULU

 

"L'effet "pantoufles" " de Nadine CHEVALLIER, texte écrit en différé dans les mêmes conditions qu'en séance

L'effet " pantoufles " D'une main délicate, Marie-Louise pose ses pantoufles neuves sur le tapis brun, un peu élimé qui couvre les carreaux froids de la salle de bain. Elle a décidé de ne pas les mettre avant d'avoir les pieds propres. Sa petite fille les lui a offertes en lui précisant " Mamie, ce sont des pantoufles magiques, elles te conduisent où tu veux !

" Elle frissonne en se déshabillant. Enlever son pull lui demande un gros effort, ses bras ne montent plus assez loin au dessus de sa tête. Assise sur le coffre à linge, elle enlève ses bas en soufflant. La voilà nue, elle trouve sa peau blême et flasque, ne veut pas se regarder davantage.

Levant doucement le pied droit d'abord, elle entre dans la douche, la jambe gauche suit avec difficulté. Elle s'agrippe au robinet, réussit à l'ouvrir et reçoit un jet d'eau glacé sur la tête. Poussant un cri de surprise, elle se recule, se cogne à la paroi. L'eau coule à flot, se réchauffe. Elle ne voudrait pas se mouiller davantage les cheveux. Elle se hisse sur la pointe des pieds. S'appuyant au mur lisse, elle parvient à attraper le pommeau, à le décrocher. Avec un soupir de bien-être, elle dirige le jet sur son ventre, son dos. Posant la douchette au fond du bac, elle se savonne en prenant soin de ne pas glisser. Elle se rince longuement. Les gouttes tièdes roulent sur sa peau, diluent la fatigue, emportent les pensées. Elle fait tout au ralenti. Surtout, ne pas risquer la chute.

Le tapis est rugueux sous ses pieds mouillés lorsqu'elle sort avec d'infinies précautions. Elle a oublié la serviette sur la patère, doit faire trois pas sur le carrelage pour l'attraper, elle a froid maintenant. Elle s'essuie en frémissant et glisse enfin ses pieds secs dans les pantoufles roses.

Aussitôt, ils se sentent à l'aise, chauds et détendus. Alors, elle se met à tapoter le sol du pied, le droit, en chantonnant un air de valse. Les pantoufles suivent son désir, le pied gauche s'en mêle, ses pas se font plus surs, elle tourne sur elle-même, les bras écartés, elle chante maintenant à pleine voix " je vois la vie en rose ".

Elle ne porte que ses pantoufles roses. Elle retourne au temps de sa jeunesse quand elle dansait la valse avec son amoureux. Regardez ! Marie-Louise dans sa salle de bain, toute nue devant le grand miroir ! Elle se trouve belle.



"Être raisonnablement malheureux" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Trois oranges, deux citrons,
cinq fruits dans une coupe,
ce soleil dans une main
qui se tend,
qui s'allonge maintenant vers toi.

Après une si longue marche;
tout est mirage
au moment même où tu es prêt à ne plus voir
de fleurs mais des surprises,
de passereaux mais des merveilles,
de chats mais des lions,
d'inconnus mais des amis,
notre monde mais un paradis réactivé.

Pour l'heure, la soif t'a troué
et ton espoir marche loin derrière toi,
reste-t-il des violons
qu'enchantent leurs archets
en toi,
le kiosque à musique dans ton être
s'est effondré,
la tempête du doute est passée par là,
et voilà qu'un compotier t'apparaît,
beau et indéfinissable
comme un palais doré.

Son or à présent t'éblouit,
te trompe peut-être,
en tout cas recolorie ta peau,
qui bénéficierait d'une telle lumière
finirait par porter une couronne,
son reflet,
toujours est-il que ce rayon de vitamines
t'a agrandi.

Coupe de fruits comme un visage
qui maintenant s'anime,
te susurre ses petits mots doux,
t'enchante, te charme,
ton cerveau tel un gigot
piqué d'ails,
des électrodes en surchauffe,
y succombe.

T'est offert un nouveau voyage
au milieu des nuages
grenus comme des peaux d'agrume,
au final, on te dit
ce que tu veux entendre
mais tu ne veux pas y croire
car ça serait trop bien,
ton insatisfaction organisée
garde en effet la main,
te rend sensible, quasi abruti par intérêt,
et tout ça c'est bien toi,
l'homme qui vit de se savoir ordinaire,
insuffisant,
raisonnablement malheureux,
cette posture tu la tiens bien !

Trois oranges, deux citrons,
t'apparaissent comme un puits
dont tu es le fond,
l'eau stagnante,
pauvre candidat au pourrissement,
c'est une poignée de bijoux
que ton âme évalue
puis met en cachette,
comme ça, juste pour s'admirer
tant « s'admirer » ce serait finalement « renaître »,
mais pourquoi cette poésie
ne s'affiche-t-elle pas sur ton visage ?

Tu bois les fruits de ton regard,
prétentions en sucre
que génère ton désir solide,
un couteau à la main
et le sens du sacrifice
pour seul alibi,
tu es devenu un acteur,
l'exécutant d'une partition,
le fruit va couler,
l'icône va mourir,
cette histoire va disparaître
mais demain existera.

On est « demain »,
tu n'as toujours rien fait,
les agrumes sont mous
et pleins de mouches,
palais en ruine
que le fantôme de ta décision parcourt.

Une odeur de romantisme
te tire des larmes,
te serre dans son écharpe,
les insectes sont un poivre irritant,
une instabilité travailleuse qui te gène,
te cherche,
te défait progressivement
… serais-tu toi-même
un fruit déliquescent ?

Le compotier s'élève,
puis s'envole
jusqu'à s'engouffrer dans la ligne d'horizon,
sous l'épais matelas de notre azur :
nouvelle pièce d'or
insérée dans le juke-box
de notre entendement,
là où la chanson du cosmos
poursuit son ouvrage.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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