Ci-après
quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):
- "Offre-toi l'inconstance joyeuse" de Régis
MOULU
"Offre-toi
l'inconstance joyeuse" de Régis MOULU,
animateur de l'atelier
Dessin
produit en début de séance. Priorisant l'inspiration intuitive
et concrète, j'ai commencé par faire une ébauche
des deux protagonistes de mon histoire, puis ai écrit mon récit
en me focalisant sur eux et leur relation, comme si je ne les connaissais
pas.
Hector se rendit dans la montagne pour y chercher un creux, celui du
rendez-vous avec le berger. L'homme voulait changer de vie, pour l'instant,
il n'avait changé que de lieu. À la première brebis croisée, il fut
rassuré et inquiet à la fois. Rassuré d'être " agissant ", inquiet d'avoir
agi. Survient l'idée de rebrousser chemin : pourquoi en effet précipiter
son futur ? Il eut peur que cela traduise une quelconque prétention.
À trente-cinq ans, a-t-on encore besoin d'être prétentieux ? Folâtrement,
l'ovin s'approcha de lui. Alors il vit en l'animal un message, mieux
: un messager qui lui disait : " sors du troupeau et offre-toi l'inconstance
joyeuse, elle pourrait très bien s'avérer être la mère de ton bonheur
! " Il mit un genou à terre, ce qui rapprocha la bête dans un allant
de danseuse à gros cul, arracha une généreuse fourragère à sa portée
et la tendit vers cette herbivore qui se trouva comme aimantée. Brusquement,
avidement, grossièrement, la gueule en chaussette s'empara du trésor
vert. Instinctivement, Hector savoura cette relation naissante, caressa
la tignasse de la gourmande et s'aventura même à prodiguer quelques
gratouillis. Tout se fit de part et d'autre avec une spontanéité qui,
on se doute, exprime plus que tout la vie, ou plutôt " la vitalité qui
nous prête vie ". C'est avec la main grasse qu'il poursuivit son chemin,
comme hanté par l'œil de la brebis que la grosseur et la protubérance
avaient rendu " topaze ". En fin de compte, ne porte-t-on pas en chacun
de nous le regard de quelqu'un d'autre jusqu'à notre tombeau ? Dan son
dos, les pans de son manteau s'ouvraient à chaque pas si bien qu'on
eut dit un sécateur. Notre homme était un élégant, un produit de la
ville, un pratiquant de manières. Son cheveu ajusté lui garantissait
une fraîcheur, sa barbe courte taillée une souveraineté, sa moustache
vigoureuse telles deux gerbes d'eau présumait de sa hardiesse, peut-être
même de son impertinence, à vrai dire de sa fougue. Il ne se pensait
pas " beau " mais l'était. Par contre, il se savait inabouti, ce qui
le rendait aventurier, insatisfait, impulsif. Là était sa mort. Ses
souliers ripèrent parfois sur les cailloux. Le chemin était austère,
et même de plus en plus douteux sous l'effet de la pénombre conquérante.
Sa blancheur dessinait néanmoins une guirlande qui se perdait au loin,
une drôle de boussole. " Pressons-nous " s'infligea-t-il ! Et, au fur
et à mesure que son " derrière lui " grandissait, il se sentait comme
soulevé, poussé, projeté vers l'avant. Progressivement, un falot prit
forme. Accroché au toit d'une petite maison, il invitait à la rallier.
" C'est le mas du berger ", se convainc-t-il. C'était vrai. À partir
de ce moment, on eut dit un papillon qui n'est plus qu'agitation. Cuisante
attraction, inconsciente déraison. Par mégarde, il dérapa. Essaya, dans
la précipitation, de se rétablir, se déséquilibra davantage, chuta lourdement
comme un filet de bœuf que le boucher plaque contre son étal avec violence
et grand bruit. Au-delà du pantalon déchiré, de son genou et de sa paume
égratignés, le muscle de la cuisse lui faisait bien mal. Mais cette
douleur ne le rendit que plus vivant. Et c'est en piteuse créature qu'il
toqua à la porte de la petite maison de bois couleur acajou, par endroits
cachou. Il était comme repeint par la lumière, comme plongé d'un coup
dans un vieux film sépia. Un chien aboie, ce klaxon animal semble provenir
de derrière la maison. Peut-être. L'ennui avec le sang d'une plaie,
c'est qu'il voyage à notre insu, Hector constata une quantité excessive
de taches brunes sur son bel habit si bien qu'il se prit un temps pour
une vieille coulemelle. " Mais le héros s'apprécie au nombre de ses
cicatrices " s'enthousiasma-t-il, sans trop y croire. La porte qui s'ouvrit
l'arracha de ses rêveries. Vissés sur le crâne comme un fauber usagé,
les cheveux de Gaspard affichaient un gris qui invite à redoubler d'acuité,
le gris étant le plus puissant entre-deux qu'on connaisse. Ses yeux
rieurs, bleu clair, qui semblent encore et toujours s'élargir imperceptiblement,
propageaient leurs ondes, faisaient de son détenteur un prophète. Dans
son visage parfaitement ovale, sa bouche de fraise savait scintiller.
Son corps robuste confirmait qu'il était bien un terrien, un vrai qui
bénéficiait d'une santé de pierre. Il est fort à parier que ce berger
passe pour un impressionnant y compris aux yeux de ceux qui ne sont
jamais impressionnés. Sa voix retentit de manière à imaginer que sa
trachée n'est pas une trachée mais un gros olifant ! " Ah, Hector, mon
ami, mon frère, mon malheureux, entre ! " Le visiteur s'exécuta. But
trois verres de Sauvignon sans s'en rendre compte, grignota des cerneaux
de noix dont l'amertume le resculpta de l'intérieur à son insu, rebut
deux verres, puis encore un … de sorte qu'après ce picorage arrosé,
les phrases de chacun jaillissaient toutes seules, parfois même s'évaporaient.
Ainsi poésie, jurons, rêves inaccessibles, pensées et quelques fois
de grandes idées se mêlèrent. De ce magma vivant ressortit la ferme
décision que le jeune citadin en déroute serait berger car, à guider
les autres, fussent-ils des moutons, on s'habitue à se diriger soi-même.
Aujourd'hui Hector est l'heureux et inquiet propriétaire d'un cheptel
de cinq cents têtes, s'est marié avec Clothilde avec qui ils ont la
charges de cinq cent un enfants.