SAMEDI
1er octobre 2016
dans le cadre du cycle Animation : Régis MOULU Thème : Écrire ce qu'on aime est régénérant (Léautaud) L'amour ouvre notre saison, entre autres, grâce à l'esprit de Paul Léautaud qui a consacré sa vie à l'écriture. Il déclare, à ce titre, que « je n’ai senti, vu, entendu les choses, les sentiments, les gens que pour écrire [...] ce qui me faisait plaisir à écrire. Je garde de tout cela un profond bonheur. ». C'est donc en mobilisant ce ressort créatif et productif que nous avons écrit un texte généreux. Remarque
: au-delà de la contrainte formelle
(thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : « Moi : la notice-mode d'emploi à lire avant de m'aborder ! ». |
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Ci-après
quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):
- "Noblesse oblige" de Dominique ALZERAT - "Because I am !" de Caroline DALMASSO - "Moi... je" de Marie-Odile GUIGNON - "Un maniaque de l'ordre" de Janine NOWAK - "Honoré, de Balzac" de Solange NOYE Sans titre de Janine BURGAT J'aime pas les gosses. Ca se dit pas ? Moi je le dis. Quand je passe devant une école, et que ces foutus gosses me frôlent avec leur patinette, regardez pas mes yeux. Vous auriez peur. J'aime pas les vieux non plus. Ceux du dessus trainent leurs meubles en pleine nuit. A se demander s'ils ne se construisent pas des cabanes. J'aimerais bien voir des cabanes de vieux, ça doit sentir le renfermé. J'aime pas les sans visage. Ceux de l'immeuble qui occupent la chambre de bonne tout en haut. On les voit jamais, on les entend. Trop. Même si je suis un peu demeuré et sourd, Je n'entends qu'eux. J'aime pas leur musique surtout. D'ailleurs j'aime qui ? Moi. Je n'aime que moi et surtout moi. Hier j'ai entendu une drôle de phrase : "l'être humain est une porte entrebaillée conduisant à la maison commune". Fermée ma porte. Et la maison commune j'y vais jamais. Qu'ils restent entre eux dans leur maison commune. Moi, j'ai rien à y faire. Ou bien des horreurs que je garde pour moi, dans ma grotte. J'habite une grotte, ça me rassure. Roublard, hypocrite, désagréable, c'est tout moi. Et c'est bien ce que vous ressentez, là, maintenant, devant ce que je vous jette à penser ? - Et il aime qui alors ? Il aime pas les gens, tous les gens, et pas la musique. - Il aime pas la musique ? Alors il aime rien ! Aujourd'hui si on n'aime pas la musique on est à la marge. Noté. Connoté. On devient vite insignifiant. Au fait, qui donc est ce "on" ? genre :celui-là ou celle là ? Va savoir ! On aime le vent, sur le visage, le vent tiède, le vent doux, le vent du soir celui qui vient de loin. On aime le soleil qui amène la lumière et se mêle aux arbres, en haut, tout en haut des nuages. On aime le chien qui tend sa truffe humide au bout de sa laisse. Car il y a toujours une laisse au bout du chien. Et si le chien n'a pas de laisse c'est un vagabond. Dans ma grotte, pas de vagabond. Pas assez de place. Seulement des idées, bien rangées, confectionnées jour après jour, souvenir après souvenir, comme un patchwork et que pour moi. Vous pensez : impossible ! Dans notre monde de communicaton, impensable. Si. A une condition : "ne communiquer qu'avec soi-même" et surtout, ne rien laisser voir. Suivez ma filoute démonstration. "Et où il va ce petit bonhomme ce matin ?" ça c'est moi devant l'école. "Et que puis-je faire pour vous ?" ça c'est moi face aux vieux dans le hall d'entrée de l'immeuble. "Puis je vous accompagner, vous faire traverser ?" Transparent, je vous dis. Suffit de croire ce que vous voyez de moi et, du coup, ce que vous cernez. Mais vous ne cernez rien du tout sinon mon apparence. Rien que mon apparence. Dommage pour vous, ma grotte s'est déjà refermée sur mon moi, celui qui cogite ses mots, maux après maux , ceux qui ne déserrent jamais leur étreinte. Parfois, je me demande si ce "moi" là, un jour, ne finira que par m'étouffer. Comme ces grosses bulles de Malabar roses. On souffle, elles enflent, on souffle fort, elles enflent, encore, et encore. Qu'elles éclatent et on se retrouve ridiculement ridicule, avec le nez et la bouche collants et poisseux, tout penaud et contrit. Comme aujourd'hui, en tenant les mots à distance, sans bruit et sans "vies à vies".
"Noblesse oblige" de Dominique ALZERAT
"Because I am !" de Caroline DALMASSO
"Moi... je" de Marie-Odile GUIGNON
"Un maniaque de l’ordre" de Janine NOWAK
Mademoiselle, J’ai l’honneur de vous faire savoir, que votre annonce du 16 courant a retenu toute mon attention. J’ai lu avec grand intérêt, le portrait que vous avez tracé de vous-même. Vos vertus semblent multiples, et je ne peux (ni ne veux), mettre en doute votre sincérité. Toutefois, afin que les choses soient très claires entre nous, je vais, à mon tour, mettre mon âme à nu. Sachez, Chère Mademoiselle, que je suis un homme résolu, qui suit un code de l’honneur, qui aime l’ordre, la méthode et ne se polarise jamais sur des détails insignifiants. On pourrait, éventuellement, me faire le reproche de me limiter à une vision peut-être trop réaliste des faits, mais assurément pas de me laisser aller à des extrapolations émotionnelles, ou encore à une quelconque impétuosité. Je suis quelqu’un de foncièrement honnête, droit, rigoureux, exigeant. Par exigeant, j’entends qu’avec moi, ce qui compte avant tout, c’est d’aboutir rapidement, quelles que soient les situations, afin d’arriver à une certitude, bonne ou mauvaise. Pour rester simple, le mieux, je crois, est que j’énumère les qualités qui, selon moi, sont essentielles à une bonne entente entre deux êtres : 1 – La modestie. S’abstenir de tomber dans l’exagération. Par exemple, ces histoires de pêcheurs fanfarons, où les poissons s’allongent, grossissent de plus en plus à chaque nouvelle version m’insupportent. Ces gamineries chez des adultes me mettent hors de moi ! 2 – La sincérité. Ne jamais tromper son interlocuteur ; exposer simplement les choses telles qu’elles sont, sans les travestir, sans ambiguïté. Il est si facile d’inventer des mensonges. Ce serait trop commode. N’oublions pas que « qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage » ! 3 – La dignité. Tout ce qui est lubrique, scabreux, m’horripile. Avec moi, les privautés ne sont pas de mise ; en passant outre, nos relations deviendraient vite difficiles, voire insoutenables. En pareil cas, la sanction tomberait comme un couperet. Je n’admets pas la frivolité. Je hais ces femmes qui minaudent et qui, pour exciter leur partenaire, s’ingénient à trottiner à l’instar des prostituées qui déambulent sur le trottoir en tortillant leur « gagne-pain ». Quelle moralité de chattes de gouttière ! Quelle vulgarité ! De la tenue, que Diable ! Mais je m’emporte et vous prie de m’en excuser. 4 – Avoir un niveau de culture suffisant. Je ne cherche certes pas à épouser un Prix Nobel, mais échanger des propos, discuter, parler littérature ou musique, le soir, après dîner, serait pour moi assez réjouissant. Je viens récemment de relire, avec émotion, toute l’œuvre de Pierre Drieu la Rochelle, mon auteur favori. Côté musique, j’ai un faible pour les marches militaires, surtout celles de la Werhmacht, qui ont sur moi un pouvoir apaisant. 5 – Etre cuirassé contre l’adversité. N’avons-nous pas tous eu, au cours de notre existence, lorsque le contexte s’y prêtait, l’envie, la tentation de tuer ? Si nous sommes outragés, si nous sommes victimes d’une injustice flagrante ou d’un gros préjudice, cette idée de passage à l’acte me paraît assez naturelle, légitime. Mais attention : je parle de justice et non de vengeance aveugle. Car la haine véritable, tout comme une passion amoureuse, sont des sentiments enflammés, dont on doit se méfier. 6 – Quelles valeurs morales pourrais-je encore évoquer ? Travail, Honneur, Patrie. Voilà une devise qui signifiait quelque chose ! De nos jours, la femme s’émancipe, devient une évaporée, oubliant ses devoirs vis-à-vis de ses proches. Elle déserte le foyer familial pour travailler. Travailler à quoi, Grand Dieu ? A des tâches futiles, bien évidemment, alors que sa place est à la maison, où elle a le devoir de dresser ses enfants et d’obéir à son époux ! Je suis confus. Je m’aperçois que dans l’enthousiasme du moment, je m’emballe encore. Je vous renouvelle mes excuses. Mais aussi, je dois avouer que votre intéressante missive a éveillé en moi des sentiments folâtres qui m’incitent au marivaudage. Ainsi donc, Chère Mademoiselle, j’attends votre réponse avec impatience, par l’Agence Matrimoniale qui nous sert de boîte à lettres. Je vous prie d’agréer, Mademoiselle, l’expression de mes sentiments distingués.
"Honoré, de Balzac" de Solange NOYE
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Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet ! |