SAMEDI 5 Avril 2014
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"J'écris comme d'autres peignent"

Animation : Régis MOULU

Thème : Erotiser pour mieux décupler (Klimt)

Au cours de cette séance, il s'agit de tenter la sublimation de son style, de cette sublimation qui est activée par le désir de vérité et de chair !

Notre écrit peut être un condensé doté d'une puissance "éro-atomique" ! Cette charge lui confère une dimension humaine particulière, de nature à faciliter la fascination des lecteurs ! 

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), ce sujet a été énoncé en début de séance : Ecrire ce qu'une femme (ou plusieurs femmes) voudrait/attendrait/désirerait une fois arrivée dans un lieu très inattendu.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support a été distribué en début de séance... Que c'est chouette !




 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Métamorphose" d
'Ella KOZèS

- "Lettre de motivation" de Nadine CHEVALLIER

- "Voyage au cœur" de Christiane FAURIE

- "Effleurements" de Marie-Odile GUIGNON

- "La prison de tissu" de Dominique DOUSSAUD

- "Une femme d’exception, en l’an de Grâce 1085" de Janine NOWAK

- "Au marché des boutures" de Régis MOULU



"Métamorphose" d'Ella KOZèS

Voilà, je suis tombée dans cette ornière à mon corps défendant. Je ne voulais pas. Je ne savais pas. Je me doutais pourtant que je n’allais pas aimer cette posture. Pourquoi faut-il que je me mette toujours dans ce type de situation ? Chaque fois que je veux obtenir quelque chose, je donne un sens à ma vie qui me paraît être la bonne direction. Chaque fois, je ne sais par quel mauvais sort, alors que je crois arriver à mes fins, je me retrouve à terre.
Là, allongée, au creux de cette chose inconnue, dans ce lieu innommable, je suis prisonnière. Lovée entre deux parois infranchissables qui se rétrécissent parfois jusqu’à risquer de m’écraser, je ne peux faire confiance à mes yeux. Lorsque les murs se rapprochent, la lumière diminue. Je me trouve alors dans le noir complet. Je m’épuise à résister pour éviter de finir en bouillie. Une grande lassitude m’envahit. A quoi bon lutter ? Où suis-je ? Sur quelle étagère ? Comment suis-je parvenue de l’autre côté du miroir ? Quelles alouettes ai-je encore suivies ? Je n’en sais rien. Je me souviens seulement que quelque part, dans un monde parallèle, ma famille existe et doit me chercher. Jamais, au grand jamais, personne, mais vraiment personne, ne pensera que je suis dans une autre dimension. D’ailleurs, qui imagine d’autres dimensions ? Nous ne sommes pas du genre à croire à ces choses-là, chez nous.
Voilà, je n’ai plus qu’à accepter mon sort. Je me laisse bercer par un rythme régulier. On dirait la mer. Oui, c’est cela, comme si je faisais du bateau. Pourtant, non. Pas de vague visible. Aucun embrun ne me mouille la peau. Je ne suis pas sur l’eau. Un drôle de rythme binaire assez régulier me parvient. Je ferme les yeux. Je me détends. Le son envahit mes oreilles. Boum Boum…. Boum Boum… Boum Boum… Ce son m’est familier. Je respire. Ma main rencontre alors la matière sur laquelle je suis allongée. C’est tout doux. D’un doux soyeux… Rarement j’ai connu pareille sensation au bout de mes doigts. Quelle délicatesse au toucher ! Et puis, c’est moelleux. J’appuie un peu l’index sur cette surface étonnante. Mon doigt s’enfonce très légèrement. Je le retire prestement, comme ça pour voir ce qui se passe. L’empreinte reste très légère le temps d’une seconde. La matière retrouve sa position initiale en un clin d’œil. Je recommence plusieurs fois, à différents endroits. La réponse est la même partout. Maintenant, j’essaie en mouillant avec un peu de salive. La matière est imperméable de façon homogène. Et si j’essayais de la pincer très légèrement ? J’hésite. Je vais peut-être déclencher la fureur du lieu… J’ai vraiment très envie d’essayer. Je vais commencer doucement, très doucement. Le résultat est étonnant. La matière est vraiment d’une plasticité surprenante ! Elle s’étire puis revient lentement à sa place. Au fur et à mesure de mes essais, je constate qu’une légère coloration se produit lorsque j’y mets toutes mes forces. Prudente, je décide d’arrêter les pincements et dans un réflexe naturel, me voici en train de caresser mon nouveau domaine.
Je me suis habituée aux petites secousses sismiques  et aux battements réguliers. C’est plutôt rassurant. Confusément, je sens que la solution est la symbiose.  Kafka a tout compris avec « la métamorphose ». Une seule différence de taille : rien en vue pour me nourrir. Ça tombe plutôt bien : je n’ai pas faim du tout. Kafka m’obsède. Il est loin le temps où j’ai ouvert ce merveilleux livre. Sans doute la plus belle et la plus universelle leçon qu’il m’ait été donnée de prendre. Je réalise alors que mes vêtements font obstacle à cette volonté de ne faire qu’un avec mon nouvel environnement. Calmement, je les retire. Je commence à dégrafer mon chemisier et dénuder les épaules au ralenti. Curieuse sensation de se sentir belle. Je fais glisser le pantalon en me déhanchant en rythme, mais sans la moindre précipitation. J’ai tout mon temps.  D’ailleurs le temps n’existe plus. Les yeux fermés, le corps ivre de désir, je dépose un baiser sur le flan douillet de la falaise qui m’accueille.  Je ne sais plus qui de moi ou du lieu a retiré mes sous-vêtements. Je ne sais plus où je me trouve, ni qui je suis. Mon corps enfle progressivement pour remplir le creux dans lequel je me m’abandonne. En cet instant, je veux prolonger ce désir qui menace de se transformer en plaisir. Je veux contenir la tempête. Je veux rester pour toujours dans cet endroit improbable. Si le paradis existait, il lui ressemblerait. Mon corps continue d’enfler de façon démesurée. Ma peau colle à la paroi qui répond maintenant à mes caresses. La musique du tam-tam s’accélère. Je suis dans une contrée sauvage, primaire, authentique. Je suis dans la vie.  Le flot du désir balaie tout sur son passage. Les forces vitales sont à l’œuvre. Mon corps continue sa transformation. Bientôt, je déborde de l’ornière qui me protégeait et dans une pluie d’or salvatrice, j’en suis expulsée.
Par je ne sais quel phénomène, je me retrouve dans la salle de bains, face à mon miroir, en train de scruter cette ride qui me paraît s’être brusquement élargie. Elle est arrivée d’un coup, sans prévenir, se loger dans un pli d’amertume, juste à la naissance de la bouche. Elle se fraye un chemin jusqu’au menton, la vilaine. Mes yeux brillants d’un bonheur secret l’observent maintenant avec bonté. Je la tapote, puis je la pince afin de réveiller les fibroblastes et l’élastine. Je n’arrête qu’au signal d’une légère rougeur, comme chaque jour. Je suis toujours émerveillée des différentes qualités de la peau : Non seulement, elle me différencie de tout mon environnement, mais elle est protectrice, imperméable, solide, souple, se régénérant en permanence. Sa capacité d’adaptation, notamment au soleil, est un modèle tout « kafkaien »…
A l’évocation du maître de la métamorphose, une curieuse fatigue me saisit. Inutile de résister à la sieste. Je dégrafe mon chemisier, ondule pour faire tomber mon pantalon et me glisse dans des draps frais. Une sensation de déjà vécu tente de me tenir éveillée. J’inspire profondément avant de sombrer dans un sommeil réparateur d’après-midi ensoleillée.

 

"Lettre de motivation" de Nadine CHEVALLIER

Emilie Finster
31589ième avenue
Europolis - Terre

Dossier de candidature EHVEL n°7347

Le 5 avril 2084

Monsieur le Président,

Un vaisseau interstellaire partira en juillet 2087 emportant des hommes et des femmes de notre planète Terre pour le première Expansion Humaine Vers les Etoiles Lointaines. Je souhaite me porter candidate pour participer à cette migration vers l'Etoile d'Or et la planète baptisée Klimt.
Toutes les données rassemblées par les robots explorateurs sur cette planète ont montré le développement d'une vie végétale spécifique et pourtant si semblable par son évolution au début de la vie sur notre planète Terre.
En tant que phytobiologiste, j'ai fait partie de l'équipe qui a analysé ces données et elles m'ont enthousiasmée.
Monsieur le Président, imaginez ces petites fleurs jaunes comme des pâquerettes alignées en grappes brillantes sur de longues lianes bleutées, ces lichens en taches sombres à cœur violet posés sur des roches de granite brun et rose, ces boules de mousses d'argent comme des ballons flottant sur des mares aux eaux bouillonnantes.
Voyez, Monsieur le Président, ces filaments vert pâles tombant de prêles géantes, ces feuilles phosphorescentes sur des fougères préhistoriques, ces immenses palmiers porteurs de noix dorées qui,  lorsqu'elles tombent au sol, laissent s'échapper des grains de poivre d'or comme un brouillard au fond d'un tableau de Klimt.
Imaginez, Monsieur le Président, qu'il n'y a pas d'insectes là-bas ! La fécondation de ces plantes extraordinaires est assurée par ces petits animalcules qu'on a nommés gastéracus amiboïdes - dont on ignore encore s'ils sont toxiques pour l'homme dans leur milieu naturel ! Ils se déplacent en troupeau sur des sentiers de sable bleu, entre des plages de cailloux blancs et des roches brunes et rouges.
Les vallées profondes semblent dépourvues de végétation mais y -a-t-il d'autres formes de vie ? L'humanité pourra-t-elle s'y établir, y élever ses enfants ?
C'est là tout l'enjeu de ce voyage, un enjeu fascinant et effrayant à la fois mais qui me captive au plus haut point.
Pendant ce voyage de plusieurs années, je suis également volontaire, Monsieur le Président, pour donner naissance à plusieurs enfants - de pères différents ainsi qu'il est demandé pour assurer le brassage génétique  et permettre la survie du premier groupe humain en exil de la planète Terre.
La présence des enfants nés du voyage, renforcera notre détermination à réussir notre adaptation. Notre connaissance du désastre que l'humanité a provoqué sur la Terre devra être transmise à nos enfants pour la sauvegarde de la planète Klimt.
Pour appuyer ma demande, Monsieur le Président, j'ajoute que je suis une personne pratique et que j'ai le sens des responsabilités.
Étant la plus âgée d'une famille de sept enfants, et bien que phytobiologiste de formation,  je sais changer une couche, réparer un pneu crevé, faire la lessive sans machine, semer des radis, tuer un poulet sans pleurer. Je sais éplucher des pommes de terre, calculer une racine carrée, allumer un feu, coudre et tricoter, sauter en parachute, faire des roulades et du vélo, cuire des nouilles, rire et chanter des comptines, construire des cabanes, désinfecter une plaie. Je sais utiliser une scie sauteuse, jouer du violon, déboucher un évier, calmer une bagarre, donner des baisers et des caresses, planter un arbre, faire un créneau, conduire un hélicoptère, méditer, et rêver.

Monsieur le Président, c'est avec l'espoir que ma candidature sera retenue que je vous adresse mes plus klimtiennes salutations.

                                                                                                       Emilie Finster

 

"Voyage au cœur" de Christiane FAURIE

Je l’avait tant appelé de mes vœux ce voyage au bout du monde, comme une délivrance, une renaissance, une re-création de l’ordre des classes, débarrassée de toute convention, sans connivence, sans marchandage avec soi.
Un retour aux sources de soi, laisser parler son corps alors que sa main réécrit perpétuellement l’histoire.
Il était  là, presque palpable, et j’étais prête, ma valise gueule ouverte, attendant que je la gorge de ces tenues orgueilleuses la remplissant d’aise, habituée qu’elle était à briller devant ses semblables. Se gonflant de suffisance dès qu’on  effleurait  ses flancs chargés.
Je ne lui offrais qu’une maigre pitance, quelques tenues de brousse, un anti moustique et un panama qu’elle laissait ostensiblement glisser hors d’elle à maintes reprises me laissant à penser que ce couvre chef ne me reconnaissait pas comme tel.
Une fois mes effets calés confortablement, je pouvais me laisser partir seule en vacances avec moi.
J’avais beau en avoir dessiné les contours, je ne parvenais pas à imaginer ma vie là-bas.
Mes nuits étaient peuplées, mon corps luisant de sueur alors que je me débattais contre des       armées de moustiques dévorant mes chairs blanches.
J ‘étanchais ma soif en croquant des baies aux teintes sublimes que je partageais avec une faune des plus bigarrées et plus ou moins hostiles.
Leur regard multi facettes me dévisageait sous tous les angles en même temps, ce qui avait tout pour me surprendre.
Pendant ce temps, des chenilles géantes et urticantes s’abattaient en quelques secondes sur un tronc de coloquinte le laissant sans vie.
A ma droite, des herbes apparemment inoffensives se montrent récalcitrantes quand je veux me frayer un passage pour atteindre les mûriers  en me débarrassant au passage de ces myriades de coléoptères accrochés à mollets.
Mes cheveux, laissés à l’air libre, sont soudain emprisonnés dans les fruits du baobab tombant lourdement telles des guirlandes.
La faim et la soif me font affronter tous les dangers sans en mesurer les risques.
Au matin, épuisée, je me plonge dans un bain tiède comme un ventre maternel pour m’y ressourcer avec délice.
Etais-je réellement prête ? Mais oui, j’en avais dessiné tous les contours, chaque jour, chaque nuit depuis des mois !
Nulle bonne raison de renoncer !
Quelle lâcheté, quel manque d’ambition !
Il me fallait affronter cet environnement hostile, sauvage, hors des règles établies que j’avais toujours respectées.
A peine parvenue au point de rencontre, je suis saisie par un barrissement  si violent que tout mon corps se révulse. Il était là, prêt à charger, sa trompe se balançant comme un fouet prêt à s’abattre, dansant d’un pied sur l’autre en une danse initiatique où je n’étais pas admise.
Il fallait se taire, faire acte d’humilité, s’allonger pour montrer sa soumission.
Moi qui n’avais jamais baissé les yeux, quelle humiliation !
Chaque respiration était comptée, chaque pas devenait lourd de sens.
Puis mon guide me mit en garde contre un groupe de léopards à l’affût, sans vergogne. Je sentis la peur m’envahir et les larmes qui montaient sans que je ne puisse les refouler plus longtemps.
Moi qui pensais me débarrasser de cette crainte de l’autre dans ce qu’il a de dissimulé, de destructeur, je me trouvais en prise avec de vrais prédateurs qui luttaient pour leur survie.
Pas de faux semblants, un combat à la loyale, mais la peur de chaque instant, comme un corps en émoi attendant l’homme de sa vie.
Je ne faisais plus qu’un avec l’animal, sentant son haleine sur mon corps. Je devinais ses griffes redoutables et je les espérais sur moi.
Au loin, les troupeaux d’hippopotames baillaient au soleil découvrant leur gueule rose.
Leur masse inerte paraissait réconfortante mais leurs mâchoires étaient elles aussi redoutables !
Auprès de qui trouver le réconfort ? Même les plantes les plus resplendissantes étaient vénéneuses.
Mon guide, un sage, m’appris peu à peu à lâcher prise avec l’autre monde, ne pas me laisser guider par les apparences mais développer mon sens de l’observation et de l’écoute depuis si longtemps oubliés.
Les animaux et les plantes luttent pour leur survie et non pour dominer l’autre. Il n’y a pas de faux semblant dans ces règles établies et connues de tous. C’est une guerre sans merci mais adoubée par tous.
La violence à l’état pur mais à ciel ouvert,  en combat régulier, sans subterfuge.
Se mesurer avec soi-même, plus encore qu’avec l’autre, avec des temps de trêve où l’amour laisse place à la guerre, c’est bien l’aboutissement de toute une vie.

 

"Effleurements" de Marie-Odile GUIGNON


Fuir. S'enfuir. Ailleurs.
Vide à inventer. Espace à combler.
Des lieux de l'infini...

Dans un lieu de l'infini...
Sur une couche profonde,

La Nuit et le Jour sommeillent, enlacés pour l'éternité...
Du ciel de leur lit, des éclats d'or et d'obsidienne se percutent comme des cymbales d'orchestre de jazz.
Le chaud et le froid s'agressent mêlant flammes et icebergs.
Une pluie de poussières d'étoiles tombe en averse torrentielle sur des horizons multiples.
Les murs sombres de la démesure dressent des échafaudages vertigineux.
L'atmosphère indéfinissable déplie ses membres vers des aires interminables.
Des béances s'expliquent ça et là pour défendre leurs territoires encore vierges.
Des ondes germent et fleurissent éparpillant leurs messages catastrophiques.

Dans un lieu de l'infini...
  Sur une couche profonde,

La mort et la Vie sommeillent, enlacés pour l'éternité.
Du ciel de leur lit, des oiseaux de paradis s'envolent en ronde funèbre.
Les couleurs de leurs plumes écrivent des poèmes vite effacés par les vents du désespoir.
Le dynamisme combat l'inertie mortifère.
Une forêt luxuriante s'étouffe sous la pression des doigts anguleux d'un monstre hideux.
Le silence et le bruit n'exprime que surdité.
Il n'y a que chaos. Il n'y a plus de monde.
L'appétit rivalise de formules nourricières périmées de leurs inventions.

Nuit - Tic – Jour – Tac –
Vie – Tic – Mort – Tac –
Tic – Tac – Tic-
Le tac !... Si ?...
Stop-taxi...
Destination : Ailleurs.

J'ai soif...
Une soif d'infini...

Soif d'une cascade de fraîcheur, soif de tendresse rebondissante.
Je suis un galet immergé, roulé par un torrent, glissant sur les herbes vertes des rives...
Je voyage au gré de ses accès d'humeur colérique.
Je me prélasse dans ses clapotis quand il somnole.
Il m'entraîne incontestablement vers le large à la découverte des folies du courant.

J'ai faim...
Une faim d'infini...

Faim de douceurs juteuses et pulpeuses, faim de souplesse gustative.
Je suis un verger, mes fruits succulents se parent d'un velours délicatement coloré par les rayons dorés d'un Soleil.
Sa lumière joue dans mes branchages, mes feuilles frémissent quand elle se glisse entre leurs plis.
Sa splendeur me déleste à maturité de mes parures qui jonchent le sol des couleurs de la gourmandise.

J'ai soif et j'ai faim d'évasion sans fin...

L'océan m'empoigne dans sa houle mouvante, Il sculpte les contours de mon épave, il l'emporte vers des pays lointains.
Je flotte à découvert vers des milliers de lieux attrayants...
Le flux et le reflux de sa marée incessante me berce .
Je plonge dans l'épaisseur de sa masse.
Les algues dessinent des chemins de volupté.
Je sombre dans les abysses …
Je suis avalée comme Jonas par une baleine qui me dépose langoureusement sur une plage de sable blond...
Grain de sable mouillé des puissances désirables...

J'ai faim et j'ai soif d'un voyage sans fin...

Un désert m'accueille.
Mille petits grains scintillent alentour.
Ils suivent les lignes des crêtes croquées par le vent.
Un souffle m'emporte.
je ne suis qu'une particule transportée dans une respiration.
J'affronte les bulles vibrantes de son oxygène surchauffée.
Je croise ici et là son haleine tiède.
Parfois un courant d'air me déplace d'un creux à l'autre.
Un sirocco me bouscule.
Je décolle dans l'azur pour disparaître dans les nues...

Je chute mollement : Ailleurs...

J'ai encore soif !... J'ai encore faim !...

J'inventerai des vides nouveaux...
Je comblerai des espaces neufs...

Et je gommerai la finitude une bonne fois pour toutes !

 

"La prison de tissu" de Dominique DOUSSAUD


Sophie une fois de plus s’était laissée porter par la frénésie d’organisation de sa sœur. Elle aurait tout prévu, lu tous les guides, stocké les médicaments les plus improbables pour parer le plus infime malaise, tracé chaque étape de ce périple qu’elle espérait initiatique. Clotilde était le chef de ce duo si mal assorti. Directe, curieuse et terriblement efficace.
Sophie regardant l’heure empila négligemment quelques vêtements dans sa valise, rassembla les trois livres dont elle avait débuté la lecture en même temps et n’oublia pas le joli carnet dans lequel chaque soir elle tentait de rassembler ses émotions, ses idées qu’elle glissa dans son sac.
Il ne lui restait que trois quarts d’heure pour rejoindre l ‘aéroport. L’Afghanistan, pourquoi lui avait-elle dit oui ? Pourquoi une fois encore s’était-elle laissée happer par le désir de sa sœur. Elle détestait la marche, la montagne et le froid.
« Un trekking de quelques jours avec un guide aguerri dans un décor fabuleux » lui avait-elle lancé avec son entrain irrésistible. Sophie du plus loin qu’elle se souviennait n’avait jamais su dire non à Clotilde. Lorsque l’avion décolla elle fut envahie par un pressentiment étrange, que pourrait-elle trouver dans cette contrée reculée ? rien là bas ne saurait l’intéresser, retenir son attention. Elle détestait déjà l’idée d’éviter de croiser le regard des hommes, de camoufler son corps svelte dont elle était si fière dans des vêtements informes. Clotilde avait-elle idée du supplice qu’elle allait lui imposer durant ces quinze jours ?
Le taxi qui les attendait à la descente de l’avion vint renforcer en elle cette idée que rien ici ne saurait la satisfaire.
La piste que le 4/4 emprunta était interminable, caillouteuse et bosselée. Un nuage de poussière leur succéda s’infiltrant dans l’habitacle de la voiture. Clotilde engageait déjà la conversation avec le chauffeur dans un anglais impeccable.
Les faubourgs de Kaboul ne ressemblait à rien de connu. De grosses maisons aux toits plats, aux façades grises ne laissaient rien transparaitre. La chaussée était défoncée, de gros fils électriques enchevêtrés traversaient les avenues soutenus par des poteaux en bois d’un autre âge.
Le ciel était bas, de gros nuages gris menaçaient d’éclater, le vent devait être glacial. Nous croisions ça et là des hordes d’enfants-de petits garçons aux yeux très noirs, aux cheveux rasés- poursuivant la voiture en criant, défiant le danger en riant.
Plus loin je croisais ces ombres bleues, un petit pan grillagé devant les yeux pour se diriger. Le vent s’engouffrait dans ces prisons de tissu laissant apparaitre la frêle silhouette de ces femmes sacrifiées.
Au loin d’immenses montagnes pelées se découpaient dans le soir montant. Pas un arbre, pas une fleur nous entrions dans un univers minéral, froid et hostile. Le taxi s’arrêta devant l’une de ces maisons dont l’entrée suggérait plus une geôle qu’un hôtel confortable.
Clotilde régla la course et s’avança vers un homme surgi de nulle part. Cette fille était incroyable. Rien ne pouvait l’étonner, l’inquiéter. Elle se fondait dans ce décor lunaire. Elle était elle même une pierre obsidienne, dense, noire et très belle.Je comprenais tout à coup pourquoi ma sœur avait eu cette idée saugrenue de venir ici. Ce paysage lui ressemblait, il était à la fois grandiose, sinistre et essentiel . Gravir cette montagne, vaincre cet environnement inhospitalier, imprimer sa marque voilà quel était le nouveau défi qu’elle s’était fixé, voilà comment son élan vital se régènerait, voilà comment elle assouvissait son désir de puissance.
Mais quel était le mien ?

 

"Une femme d’exception, en l’an de Grâce 1085" de Janine NOWAK


Enfin, elle aperçut dans le lointain le clocher de l’Abbaye.
Trois jours que, costumée en homme, en compagnie de huit policiers travestis en manants, elle chevauchait à perdre haleine, se contentant de quelques brefs instants de sommeil, dissimulée dans le foin des granges ou dans des cabanes de bûcherons abandonnées.
Ce voyage n’avait pas été facile, pourtant, ce n’était rien à côté de ce qui l’attendait.
Parfois, elle se demandait si elle aurait la force, le courage de remplir cette nouvelle mission.
Mais la vérité devait éclater à tout prix.
Elle tira sur les rênes ; son fougueux alezan réagit immédiatement, passant du galop au trot, puis du trot au pas et finit par s’arrêter.
Un petit cours d’eau se présentait fort à propos. Elle y conduisit son animal qui aussitôt, se mit  à patauger joyeusement dans l’onde claire, buvant tout son soûl.
La jeune femme s’assit sur un rocher au bord de la rivière, pour se reposer et se nourrir des derniers rayons de soleil.
Plongée dans une profonde réflexion, elle n’avait plus conscience du temps qui passait. Respectueux, ses compagnons de chevauchée se tenaient à distance.
Sentant quelque chose d’humide sur sa joue, elle sursauta, mais sourit en réalisant que c’était son cheval qui la rappelait à l’ordre, en frottant ses naseaux frais et doux sur son visage.
Elle se leva vivement, tapota amicalement la croupe de son étalon.
Ensuite, elle détacha le sac suspendu à sa selle. De ce bagage, elle extirpa une tenue de moine, qu’elle enfila sur ses habits masculins.
Avec ses cheveux courts et sa minceur, elle avait tout à fait l’aspect d’un jeune moinillon en quête d’une place dans un monastère.
Les dés étaient jetés. L’heure était venue de passer à l’acte.
Elle donna ses dernières instructions aux hommes qui l’accompagnaient, leur enjoignant de se tenir cachés aux abords immédiats du bâtiment conventuel et d’attendre son signal pour intervenir.
Elle abandonna son beau cheval, et enfourcha le brave Grison, l’âne qui les avait suivis durant tout leur périple ; hé oui, il fallait être crédible : un pauvre ecclésiastique ne peut pas être propriétaire d’une trop belle monture !
Elle fut vite rendue devant le lourd portail. Elle actionna la cloche. Un judas s’ouvrit. Elle parlementa quelques instants avec le portier, réclamant le gîte et le couvert pour la nuit.
On la fit entrer.
« Me voici dans la gueule du loup », pensa-t-elle. « Je dois redoubler de vigilance et de prudence si je veux arriver à mes fins ».
On la conduisit directement au réfectoire. Toute la communauté était attablée. Pas un religieux ne leva la tête à son entrée. Avalant leur soupe, ils écoutaient, dans un silence recueilli, le Frère faisant la lecture des Evangiles.
Le dîner terminé, on lui offrit pour son repos, une cellule austère, seulement décorée sur un mur, du traditionnel crucifix, et des horaires des offices.
Pas une parole n’avait été prononcée, hormis au moment de son arrivée. Aussi, avait-elle du mal à imaginer qu’un endroit à l’aspect si sévère, qui affichait tant de rigueur, cachait autant de turpitudes. Et pourtant…
L’Evêque avait été formel : des abominations étaient perpétrées en ce lieu ; il fallait que les coupables soient châtiés.
Bien évidemment, la condition sine qua non était de les prendre sur le vif.
Assise sur un tabouret, elle attendit que le temps passe. Au bout d’une heure qui lui parut une éternité, elle estima que le moment d’intervenir était arrivé.                                                                          Elle ouvrit précautionneusement la porte de sa cellule, et c’est en tapinois qu’elle partit en exploration.
Elle avait longuement étudié le plan de l’Abbaye avant de se lancer dans cette dangereuse aventure. Rasant les murs, elle se dirigea donc sans hésiter vers ce qu’elle savait être les appartements du Révérend Père.
Son cœur battait. Elle s’estimait un peu folle de prendre tous ces risques.
Depuis toujours, elle avait combattu l’injustice. Elle ne supportait pas le mensonge, la rouerie, la fausseté, défauts trop souvent répandus, à son avis, chez ses semblables. C’est ce qui l’avait poussée, à entreprendre des études de droit.
Elle était unique en son genre. Elle réalisait un travail habituellement réservé aux hommes. Pensez : une femme qui sait lire et écrire, qui parle le Latin et le Grec, qui a étudié l’Histoire et la Théologie !
Elle avait quelques temps été presque considérée comme un phénomène de foire.
Alors, sans brusquerie mais avec fermeté, elle avait fait ses preuves, débrouillant des situations à priori inextricables.
Petit à petit, le regard que les autres portaient sur elle, changea. Elle n’était plus une curiosité, mais une personne digne de confiance.
Elle fut respectée, puis sollicitée. Désormais, son sexe n’était plus un obstacle ! Elle devint indispensable, tant son savoir, ses qualités d’analyse, son courage et son audace étaient exceptionnels.
Et c’est ainsi qu’aujourd’hui, elle, Jehanne, était aux aguets, afin de déjouer les plans de ces infâmes personnages.
Elle risquait sa vie. Mais c’était plus fort qu’elle. C’était comme devenu un besoin viscéral.
Certes, faire régner l’ordre et la justice, défendre la veuve et l’orphelin, la poussaient en avant. Mais, elle devait bien l’admettre, l’action… oui, l’action la faisait vibrer !
Oh, elle aurait eu toutes les qualités pour devenir une bonne épouse et une bonne mère de famille. Seulement voilà, elle avait aussi un cerveau qui n’avait demandé qu’à être exploité au maximum. Et il aurait été dommage que tant de dons de Dieu restent inutilisés.
Ainsi donc, telle était la vie qu’elle avait choisie, celle d’une vierge justicière.
Et à présent, elle se trouvait là, contre la porte du Supérieur de ce Couvent.
Et ce qu’elle entendait la faisait frémir.
Des gémissements… Oui, son oreille exercée percevait des gémissements… des gémissements qui n’étaient pas de plaisir, mais de douleur.
Elle posa sa main sur la clenche de la porte. Doucement, tout doucement et silencieusement, elle fit tourner cette poignée. La porte s’entrouvrit légèrement. Les sons devinrent soudain plus nets.
De toute évidence, on torturait dans ce local.
Jehanne sortit de dessous son aube, l’olifant qu’elle y avait caché
Par la mince fente de la porte, elle jeta un regard. Plus aucun doute : ce qu’elle apercevait n’avait pas de nom. Une ignominie pareille ne pouvait rester impunie.
Prenant une profonde inspiration, elle porta l’instrument de musique à ses lèvres et souffla avec toute la puissance qu’elle pouvait donner.
Soulagée, elle vit ses compagnons de route qui, lestement, franchissaient les murailles de l’Abbaye.
Elle ne bougea pas, resta sur place pour laisser les gens d’armes accomplir leur devoir.
Sa mission était terminée. Une fois de plus, justice allait être rendue.

 

 

"Au marché des boutures" de Régis MOULU, aminateur de l'atelier


Diamant, diamant, diamant,
l'aimant des amants,
la convoitise la plus architecturée qu'il soit,
l'absolu lumineux qui met notre excitation en kaléidoscope,
une pureté aveuglante, véridique !
ou quand le précieux nous touche
et s'empare de nous,
qui croise la beauté se retrouve incisé, profondément,
une plaie en forme de porte
derrière laquelle se trouve notre âme,
la radicalité du diamant saura, mieux que quiconque, ouvrir cette porte
et sucer d'un coup notre intériorité,
de notre être, il n'en restera rien face au merveilleux,
telle est notre condition,
notre tribut funeste,
Jade,
assistante de direction chez Essilor,
branche "verres à polir",
venait de se faire décapiter par cette abasourdissante pensée,
en pleine rédaction de son compte-rendu
à déposer avant seize heures
dans la boîte mail de Monsieur Charpy,
son directeur.
Sous l'intensité de son émotion,
elle s'était défaite de son escarpin gauche,
une Salamander rouge vernis,
à moins que ce ne soit une San Marina.
Et puis, sans le savoir vraiment,
elle n'avait de cesse de tourner
sa bague annulaire
avec son pouce,
dans un frottement subtil
mais ô combien rassurant,
ce qui revient à être stimulée, in fine…
Un vent frais généré par le ventilateur
du disque dur de l'ordinateur
faisait de sa chevelure
un rideau à la lisière d'or qui se mouvait :
torride slow qu'entretenait sa coupe Franck Provost
avec l'homme invisible qui s'avère être présent,
comme toujours,
dans chaque pièce,
et comme à chaque fois,
dès que lui monte une excitation au cerveau.

Le compte-rendu avait de grande chance
de ne pouvoir atterrir où que ce soit,
de toute façon, on s'en fout, passons.

Comme une baignoire se vide
dans un grand "chglooorppeuh",
voilà qu'elle était repartie au pays des improbables,
arrachant  au passage la maille serrée de son collant chair,
semi-opaque,
taille 2.

Et elle besognait, sueurs à volonté,
pour rejoindre le marché des boutures,
pays magique,
là où tout se forme,
son souhait le plus cher
étant d'enquêter sur
ce qui pouvait générer un diamant,
elle désirait donc plus que tout
assister à leur naissance
avec l'espoir secret d'en déduire
qu'elle aussi en était un,
une folie !
… une folie d'autant plus grande
que le marché des boutures s'avérait être
étendu comme l'océan pacifique sur notre globe,
mais ça également, on s'en fout, passons.

Au cœur des fabriques,
elle ne savait plus
où donner de la narine,
où tourner l'œil,
où tendre sa main, plus voleuse qu'une crevasse.

Ici,
plus que dans tous les manuels scolaires
édités ou à éditer,
se trouvait la réponse à toute chose,
ce Génezland promettait par conséquent
d'être un parc d'attraction
d'où l'on ne sort jamais.
Jamais.
Ou alors si changé
que l'on se retrouve nouveau né
… pour la vie entière !

L'œuf ne vient pas de la poule
mais de l'œuf.

Dans chaque arbre,
une poutre allumette
pas plus grande qu'un petit phasme
est à son commencement.

Ou bien encore, un cahier a pour origine
une bactérie aquatique
et inconnue.

Sans oublier que si tout manteau existe,
c'est parce qu'une poche lui préexiste,
autrement dit une envie d'envelopper "le néant".

Etourdissants enseignements !
Les con/naissances à gogo deviennent ici
les friandises de son cerveau
gourmand
et sans fond.

Jade venait d'écraser
son gobelet de café
avec son avant-bras,
sans s'en rendre compte.

Le jus noir léopardait déjà
la moquette angora,
les cristaux de sucre restant en surface,
telle la rosée qui s'efforce toujours de perler
comme pour réenchanter le monde
en commençant par les terrains vagues,
nos futures décharges,
sans commentaire, n.d.l.r., passons.

Jade bavait.
Légèrement.
Ça tenait à un fil ténu
qui ferait la fierté
de n'importe quelle araignée pré pubère,
mais bavait,
et bavait même depuis longtemps
sur le clavier de son ordinateur,
chaque touche devenant une potentielle île,
île de caractère, bien sûr !
bien trempée, ça va de soi !
même si des îles aussi bien alignées
ne peuvent faire penser qu'au spectre persistant
de Songdo New City, passons, passons !

Une joie comme un enfant sautillant
la traversait,
bondissait dans son corps.
à moins que ce ne soit
la pulsation de son sang
qu'elle éprouva
tout bêtement.
Toujours est-il que son chemisier
avait perdu son bouton le plus alpiniste
– comme sauté dans le vide ! –,
sa chair, comme gonflée d'impatiences, semblait à présent
forcer l'entrave que représentaient ses vêtements
relégués au rang
de vulgaires téguments
passagers.

Et elle instruisait encore et encore son jugement,
comme si, à chaque fois,
elle accédait à l'origine du monde,

si bien que,
sur sa chaise à roulettes,
elle était haletante
telle une forge
qui brûle en continu
et sous pression.

De quoi rêvait-elle,
si ce n'est que de comprendre toute chose
que pour mieux les investir,
que dis-je,
de les incarner.

***
*** Ainsi, ***
*** devenue plus diamant que diamant, ***
*** elle pourrait se jeter ***
*** dans la rivière des splendeurs ***
*** afin d'en accroître le courant, ***
*** consciente que ce bras de mer ***
*** est le seul chiffon ***
*** capable d'astiquer l'univers ***
*** et d'en faire briller ses habitants. ***
***

Monsieur Charpy
se tenait sur le chambranle de la porte
depuis un bon moment.
Il était 16h30
mais Jade ne s'aperçut de rien,

même pas qu'il était,
à son tour,
parti dans ses pensées,
comme pour l'y rejoindre !!

Conclusion-rassurance :

"Les petits cours d'eau,
dès lors qu'ils sont deux,
font des grandes rivières,
fort heureusement !"

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
Retour page Atelier d'écriture