Ci-après
quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):
- "Chanson de l'ogre" de Solange NOYE
- "Besoin de vous pour aimer" de Christiane FAURIE
- "Le labyrinthe de la page" de Marie-Odile GUIGNON
- "Des rond dans l'eau" de Nadine CHEVALLIER
- "Je crois en l'éternité de la vérité" de Régis MOULU
"Chanson de l'ogre" de Solange NOYE
J’ai besChanson pour l’ogre
J’ai entendu tes paroles araignées noires,
J’ai entendu tes flèches, dingues, dingues sons,
J’ai entendu ta dinguerie ricocher l’eau de mes plus anciens souvenirs,
J’ai entendu tes pierres lapider à foison ta raison,
J’ai entendu cingler tes maux crus, mots cruels,
J’ai entendu ton indicible combat à mon endroit,
J’ai entendu : « Je voudrais que tu sois morte ! »,
J’ai entendu foisonner tes poisons acides,
J’ai entendu tes plaintes de mangeur de cru,
J’ai entendu ta faiblesse de bouilleur tout cru,
J’ai entendu ton exil dans la forêt sombre, si sombre.
J’entends ceux qui m’aiment à demi mot, sans mot,
J’entends ceux qui me portent par leurs mots si doux,
J’entends celui qui m’a donné le sang des mots,
J’entends, ogre géniteur, bâtir mon nom propre,
J’entends, dans l’eau claire et vive, que tout commence,
Sans toi.
"Besoin de vous pour aimer" de Christiane FAURIE
J’ai besoin de toi pour aimer comme du souffle de l’air sur ma peau pour éprouver le frisson que mes narines aspirent comme une drogue offerte à tous les paradis artificiels. J’ai besoin de la caresse de la branche pour que mon corps s’abandonne au pied de l’arbre couvert de mousse humide de tant de nuits à attendre la chaleur du ventre fertile. J’ai besoin de l’océan de tes yeux posés sur moi pour m’y baigner et apaiser le torrent qui gronde de tant d’entraves. J’ai besoin de l’espérance d’une moisson pour ancrer mes pieds mal assurés entre les épis graciles durant cette marche dans l’obscurité de moi. J’ai besoin de me soumettre et d’abandonner les armes forgées par tant de générations qui ont façonnées mon personnage jusqu’à le figer dans l’éternité d’un savoir immuable qui détourne le regard de l’essentiel. Tandis que je ploie sous le joug du passé, d’autant d’épreuves fantasmées, j’ai besoin de toi pour les apprivoiser et en supporter le poids. J’ai besoin de reconnaître ta propre fragilité pour laisser entrevoir la mienne. Je devine que je suis sublime quand j’accepte la soumission. Seule celle liée au désir et à l’abandon de soi est précieuse, le reste est aliénation. L’océan n’est-il pas soumis aux caprices de la lune en déployant ses marées ? Gare aux raz de marée qui le déchainent et emportent tout sur leur passage. Ils anéantissent les empreintes du passé pour renaitre apaisé et délesté de ses morts engloutis dans ses flots impétueux. Faut-il mourir d’aimer ou mourir pour être aimé ? Est-ce la flèche ou la cible qui gagne le combat ? Mourir d’aimer c’est se fondre dans le désir de l’autre et éprouver en s’éprouvant. C’est une bataille digne d’être menée. Fais-moi confiance, prends en compte ma différence, fonds la dans la tienne pour offrir une greffe à ton cœur porteuse d’un fruit gorgé de soleil. Ne condamne pas l’arbre à dégénérer en un tronc stérile. Les mots touchent, blessent, caressent, laminent, donnent corps aux sentiments ou anéantissent à jamais. Ils valent mieux que le silence de l’oubli, la mort ou le néant.
"Le labyrinthe de la page" de Marie-Odile GUIGNON
La terre cherche son univers. Perdue dans l'espace infini, elle gravite dans des illusions qui l'aplatissent. Elle suit son orbite de rides circulaires semblables à celles émises par la goutte d'orage qui chute sur l'onde de l'étang. Planète, pensée platitude de nos ancêtres, surmontée d'un firmament où siège la lumière, suspendue au-dessus des ténèbres. Le tracé des saisons dessine un cercle habité par un troupeau de masses insaisissables blanchies par l’œil. La folies des nuages gris décoche les pires atrocités envers les rêves, la grêle agressive les transperce et la neige glaciale les ensevelit. Je suis pétri du limon et ma petitesse s'étourdit dans mes aspirations. Je guette l'ambiguïté d'un souffle capable de me projeter dans le vivant d'un jet de lumière. Je cherche la trajectoire de l'étoile du matin. Je glisse dans l'oxygène en sifflant une vibration d'espoir. Flèche aveugle en chemin, je ne vois de la voie lactée que la limite d'un arc mobile. Le discobole de la galaxie dissimule sa réalité complète. Son geste s'est figé dans la rudesse du marbre. Un noyau invisible, une graine, portent les prémices de la vie reproductible à l'infini de sa descendance. Je marche sur la corde raide à la juste tension pour traverser le fleuve de ma conscience. J'ai vu la cible, transpercée par les pointes acérées, agoniser dans les douleurs de son usage. Si les cœurs vidés de sève se consument jusqu'à la cendre, l'espoir renaît du phénix qui déploie ses ailes. L'oiseau porte dans son bec le manuscrit de l'éternité orné d'un ruban arc-en-ciel.
"Des ronds dans l'eau" de Nadine CHEVALLIER
Un poème inerte ne satisfait pas son auteur, ne satisfait pas son lecteur. Le poème doit s'élancer, vibrer, palpiter de ses mots, du sens de ses mots, donner envie, en vie. « L'idée cloue le poème au sol » a dit Edmond Jabès. Mais l'idée est une flèche vive qui n'atteint pas le cœur immortel de la poésie. Tel Guillaume Tell, elle abat la pomme-poème mais pas le fils-poésie. Le poète doit donc se méfier des idées, les prendre une à une et les rejeter. Pour cela, au bord d'un étang, le poète peut se rendre. Une idée surgit, caillou dans la mare de son cerveau bouillonnant, le poète la retient, la serre bien fermement, tel un javelot dans la main de l'athlète, d'un geste souple et puissant la lance dans l'eau profonde. Touchant la surface, elle provoque des cercles concentriques qui s'élargissent en vagues successives, créant une cible mouvante et scintillante. S'y reflète en sautillant des nuages lourds voguant vers le firmament. S'y élance un arc en ciel tressautant que le poète emprunte d'un pas hésitant, les bras en balancier, craignant la chute vers l'oubli. Mais voila qu'une nouvelle flèche naît, se fraie un passage dans les circonvolutions de ses hémisphères cérébraux, cibles palpitantes créatrices d'idées. Surpris, le poète fait un faux pas. Il trébuche, il chute vers l'eau sombre. Alors monte vers lui la voix de la sirène, le SAMU de la poésie. Elle prend la forme d'une main, il tend les siennes et s'y accroche comme un trapéziste volant, il remonte sur l'arc en ciel maintenant presque effacé, s'y assoie, s'y cramponne. Il souffle un moment dans le crépuscule tombant. Puis c'est la nuit, mère de la poésie. L'arc en ciel s'éteint. Le poète flotte un instant, inquiet, agitant ses membres dans le vide des ténèbres. Son cerveau lui semble aussi mystérieux et insondable que l'espace infini du cosmos. Aucune idée ne lui vient sur ce qu'il peut faire pour se sauver. Se rendant compte du ridicule désespéré de sa situation, le poète éclate de rire. Alors il prend conscience -comment sont-elles arrivées là ?- qu'il a des ailes. Il les ouvre largement et s'élance dans le noir étoilé à la rencontre des « êtres incolores qui peuplent le silence ». Il les poursuit, les apprivoise et s'en nourrit. Il devient autre, il devient multiple. Quand l'aurore paraît, le poète est ivre comme un bateau. Il n'a plus d'idées, il n'a que des mots. Des mots pour écrire pendant mille ans, mille et un poèmes ou davantage. Mais toujours à la recherche du vrai visage de la poésie, cible étincelante et invisible qui ne se laisse jamais atteindre au cœur, souvent au bord d'un étang, le poète reviendra lancer son caillou-idée-javelot, rêvant d'être « l'ombre qui épouse l'eau ».
"Je crois en l'éternité de la vérité"" de Régis MOULU, animateur de l'atelier
Comment te dire que tu es convoqué, toujours, avec d'autres, précisément, franchement et massivement ? Comment te dire que tu es aussi celui qui convoque, précisément, franchement et massivement ? Alternativement, nous sommes ce que les autres feront de nous et nos actions. Et maintenant je te vois, je te vise et je cherche le chemin le plus court entre nous, le trouve, le prends, m'approche, te touche, et tu en garderas la trace pour des siècles comme un tableau s'enrichit à chaque couche supplémentaire, comme une pierre se destine à être le noyau d'une montagne, dans un lendemain très très proche, peut-être bien, alors, qu'on finit toujours par être un peu l'autre, ou celui qui n'est pas encore, ou même celui qui est déjà l'autre, celui qui me regarde déjà, celui que j'ai commencé à appréhender, et comment, par la même occasion, t'apprendre à repousser tout ce qui nous éloigne, tout ce qui ne tient pas, tout ce qui ne change plus, tout ce qui tue. Oui, je suis plus grand que ce qui nous éloigne, plus fort que ce qui ne tient pas, plus affirmé que ce qui ne change pas, plus vivant que ce qui tue parce que je suis toi et moi réunis, oui, tout est à prendre, je crois en tout, la vérité me nourrit présentement, me façonne, je crois en son éternité, je suis sa forme, sa destination, son rêve sur terre et son messager, et tu es une cible parce que tu as été flèche, et je suis et serai toujours ta flèche parce que tu es ma cible, immanquablement, comment te promettre ce grand voyage, cette pensée compotée, ce verbe, la poignée de mains qu'engagent nos mots ? Et je cherche à t'offrir l'immanence de ma fraternité, ce bout de royaume qui fluctue, cette inconstance, ce souffle cranté d'oublis, ce partir de rien qui pourchasse la mémoire des rivières et qui s'en habillera, et je guette les crépuscules de la joie et m'en resservirai pour t'en faire des surprises, on sera unis, comme brûlés ensemble, fondus dans le même poème, celui que notre vertige rédigera sur un coin de table, comment te dire que tu es ma langue, ce que ma bouche va formuler, tu es mon avenir, ma hantise, mon obligation d'être tes oreilles, le devoir hors du temps, en tout lieu, tu es l'espoir de ma déchirure, l'espace qui grandit dans la nuit, tu ressembles à tous mes ancêtres quand tu multiplies tes absences, je suis la flèche qui réclame notre part de consistance, affamée parce qu'insatiable ou extralucide, la cible n'existe que par ce défi, n'apparaît qu'après l'absolu, les ombres que laisseront nos ailes m'épuisent, nos épousailles dormantes sont interminables, laborieuses, abasourdissantes, comment te dire que je t'ai tout donné ? Ensuite, le silence peuplera mes insuffisances, tout comme l'imagination a su, en son temps, rendre fou la tranquillité.