SAMEDI 16 Mai 2020
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Vives incitations - année 2"

Animation : Régis MOULU

Thème : Passer par l'irréversible (comme pour dissoudre le passé)

Se donner l'impression de franchir une étape sans un possible retour en arrière apporte une dose de solennité inégalée à tout ce qu'on pourrait faire. Il y a là comme une excitation qui se crée, puisque toute erreur s'inscrirait en drame. Mais verser dans le définitif, n'est-ce pas aussi assumer de s'engager ? Nos choix alors importent, tranchent, dessinent une trajectoire affirmée. Et c'est au bord de ce vertige que nous avons exploré cette nouvelle séance d'écriture riche en surprises, la première étant un excès de palpitations !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance, à savoir (au choix) : Un personnage, excédé par une inertie qui l'entrave, se résout à aller de l'avant en s'engageant dans des solutions sans retour parmi lesquelles figurent des nouvelles perspectives esthétiques.
OU
Votre récit articulé autour de la thématique du chaos (hors actualité à moins d'en avoir du recul) duquel ressortiront des prises de décisions fermes et irréversibles, devra être composé de scènes montées en ordre antéchronologique.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support qui explicitait des astuces dramaturgiques, la notion de "partis pris" et le concept de "phrases définitives" a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Cavalier seul" de Angeline LAUNAY

- "L'air est brûlant" de Christiane FAURIE

- "L'atrabilaire" de Solange NOYé

- "D'eau et de feu" de Nadine CHEVALLIER

- "Le cri du homard" de Caroline DALMASSO

- "Le devoir de s'en aller" de Marie-Odile GUIGNON




"Cavalier seul" de Angeline LAUNAY


« Je vois une tâche sur le soleil, dit-il à l’instant de mourir »
                                                                  (Michel Rachline)

       Voilà, je suis mort tout seul, sous un nom d’emprunt, au bord de la Tamise. Mes toiles sont roulées à la cave dans l’humidité. Et moi, serais-je dans l’humilité ? – Rien n’est moins sûr, j’en ai toujours fait à ma tête. Impossible de faire autrement ! Souvent, pris par une sorte de rage intérieure, je me suis mis à dos les honneurs même s’ils étaient venus me chercher. Je n’ai jamais supporté la flagornerie et d’ailleurs, je ne me suis jamais supporté moi-même !
       Tout ça pour en arriver à la notoriété que j’ai fuie comme le choléra qui a fini par me rattraper. Ma pauvre mère… neurasthénique… qui a perdu progressivement la raison… Dire que je l’aimais, c’est beaucoup dire… Comme elle, naguère, j’ai failli la perdre la raison, lorsque mon père avec qui je vivais a quitté ce monde. Mon père… mon assistant, mon confident, mon unique ancrage ici-bas.
       Les seules choses que j’ai jamais sues tenir, ce sont mes crayons et mes pinceaux. Enfant, j’observais les bateaux qui accostaient sur la Tamise. Plus tard, j’ai peint « Le Dernier Voyage du Téméraire ». Triturer les couleurs pour balayer mes toiles de gestes fulgurants, ce fut là mon unique préoccupation entre beuveries et prises de tabac. Pas vraiment d’amis mais des chats et des femmes comme Sarah, Sofia et quelques autres…
       Je suis né vieux et taciturne. Ma vie… ah, trouver un mot impossible à trouver… bien que je pense à « tumulte » ou « abîme »… Le Palais de Westminster a été en partie détruit par les flammes. J’en ai éprouvé de l’horreur mais aussi de la fascination. Le trouble et la débâcle avaient envahi mon esprit. Alors j’ai jeté des lueurs incandescentes à la surface exsangue de toiles qui se sont embrasées sous mes yeux.
       Marasme de mon existence sous l’emprise de Seth, maître du tonnerre et de la foudre, dieu de la confusion et du désordre… Il exerça sa puissance sur les zones arides et les contrées désertiques. Quelquefois j’ai essayé de redresser la barre mais la plupart du temps, elle m’a échappé des mains. Ma folle embarcation a bravé les vents et les tempêtes. C’est comme si, au cœur de la tourmente, j’écoutais l’appel du cosmos. J’ai défié les lames et les brisants afin d’accéder à de nébuleuses vérités, révélées avec vigueur dans l’intransigeance.
       « Ni maître ni valet », telle a été ma devise. Je n’ai jamais attendu quoi que ce soit de qui que ce soit. Je n’ai suivi personne. Personne ne m’a suivi. Ce ne fut pas joyeux, pas désespérant, peu enviable, peut-être même exécrable… J’en ai crevé de devoir faire face à des institutions et c’est pour cela qu’un jour, je me suis réfugié aux abords  de ce fleuve parsemé d’îles qui serpente vers la mer du nord.

Je viens de naître. Un nom m’est donné, je n’ai pas à l’inventer. Je serai ce cavalier seul qui chevauche un maverick fougueux. Je resterai dans la mémoire du monde et  partirai pour l’éternité quelque part, sans dire où…



"L'air est brûlant" de Christiane FAURIE


L’air est brûlant, il me faut avancer. Nulle présence humaine autour de moi. Juste les battements désordonnés de mon cœur desséché par le jour qui n’en finit plus.
La nuit sera glaciale, je resterai éveillé.
Rien ne me préparait à une telle épreuve. Je m’étais toujours maintenu vaille que vaille au sommet de la crête.
Je déteste l’échec, il laisse une salissure indélébile sur moi, une tache visible par tous derrière leurs volets fermés.
Ils m’observent. Je le sens. Ils ont oublié depuis longtemps le goût des bonnes choses, bonnes nouvelles, parfums enivrants.
Et si quelqu’un en ressent encore les effluves, il doit se taire car il sera éliminé purement et simplement.
Plus de friandises, des hangars aux enseignes explicites jalonnent la route tracée. Pas moyen de bifurquer. Chacun doit se conformer aux règles.
Je n’ai plus de nom. Seule la compétence devient titre. Plus de référence aux livres ; ils les ont brûlés.
Je n’ai pas de quoi écrire pour rassembler mes idées. Tout a été calciné.
Je ne suis pas fou, seulement sauvage.
Je déteste ce voyage sans retour. On m’a volé mon identité. Mon passé n’existe plus. Pour eux non plus, alors pourquoi se cachent-ils pour m’observer derrière leurs persiennes ?
Je ne leur fais courir aucun risque. Quelles sont mes chances de survie ? Je dois continuer à faire semblant, sera-ce mon échappatoire ?
Que s’est-il passé ? Je n’en ai aucun souvenir. Pourtant il a bien dû y avoir un avant un jour ?
Les femmes ont le sein sec, aucun enfant ne crie. La vie s’est enfuie comme les rires, les confidences.
Les hommes déambulent, le regard vide et les joues creuses.
Je croise un stade. On a disputé des matches endiablés jadis. Seuls des gardiens sont postés devant les entrées pour en interdire l’accès.
Une réunion secrète s’y tient sans bruit.
Plus loin, le cimetière semble un musée aux vestiges d’un temps lointain.
Tout est figé. Rien n’a été démoli. Pas de danger perçu et pourtant je ne me risque pas à y pénétrer. Les gardiens veillent. Ils crieraient au complot.
Pourtant des visiteurs étrangers, des touristes, viennent par cars entiers visiter notre ville. Ils observent, recherchent le contact mais il me faut rester à distance.
Les femmes sont vêtues de jupes virevoltantes, colorées, d’humeur joyeuse.
Je suis abasourdi de tant d’audace. Une femme s’approche de moi ; je détourne la tête pendant qu’elle m’interroge en anglais.
-« vous êtes heureux ici ? »
Pas le choix : « oui, je suis heureux »
Je la regarde à la dérobée sans que l’on puisse voir mes yeux concupiscents.
Je tourne au coin de la rue, des voitures circulent. Au volant, des hommes stéréotypés. Leurs vêtements s’harmonisent avec la couleur de leur véhicule.
Où vont-ils ? Aucune réjouissance dans leurs regards.
Leurs femmes à l’arrière ne semblent pas concernées, engoncées dans leurs tenues surannées.
Nulle sensualité ; c’est sans doute l’effet recherché.
Je suis désormais à l’approche des maisons. Des jardins sont entretenus, ne laissant pas de place la moindre herbe folle.
Les femmes semblent trôner au milieu de cet espace mais restent inertes et insensibles aux effluves subtils.
Elles veillent à ce que chaque fleur reste à sa place, bien alignée.
Je parviens au bâtiment indiqué. Je frappe. Un homme apparaît à l’embrasure de la porte.
Il me fait signe d’entrer, de m’assoir.
Il fait glacial, peu de lumière. Ne pas parler, écouter, obéir, faire semblant et attendre.
L’attente est interminable, déshumanisée.
Je m’accroche au mince espoir qu’il va se passer quelque chose d’inattendu qui me ramènera à ma vie, la vraie, celle où tous mes sens étaient en éveil.
L’attente est longue. D’autres personnes entrent et s’asseyent en silence.
Je me répète comme un mantra
« je suis vivant – je suis vivant, la sève est en moi »
Je vais me réveiller. Ce n’est qu’un cauchemar.
Nous sommes maintenant vingt hommes en pleine force de l’âge attendant comme moi l’issue.
Minuit sonne à la cloche de l’église. Nous ressentons une certaine effervescence. Des portes s’ouvrent et laissent entrevoir vingt femmes alanguies, le regard vide.
Chacune nous observe longuement puis elles disparaissent à nouveau. S’en suit un long conciliabule.
Les gardiens nous appellent. Numéro 1789 ? C’est mon tour.
Je me lève, on me fait signe d’entrer dans une pièce où trône un grand lit à baldaquin. Une porte au fonds de la pièce laisse entrevoir une salle d’eau rudimentaire.
Une des femmes aperçues tout à l’heure est déjà couchée.
Le gardien élève la voix à notre intention.
« Vous avez toute la nuit pour féconder ces femmes ! »
Au lever du soleil, vous devrez disparaitre et rentrer chez vous. Nous ferons appel à vous dès que ce sera le moment propice.
Ainsi, nous étions promus au rang de reproducteurs.
Les hommes de la contrée n’avaient plus de semence.
Je leur ferai payer ce trésor le prix fort.

Comment ? Je ne sais pas encore mais je trouverai.

 

"L'atrabilaire" de Solange NOYé


Me voici enfin strastophérisé. Il m’en aura fallu des heures de traversée sur tous chemins, noirs et de traverse, pour fuir mes tracas. Ils parlaient tous de l’ « après » quand je me concentrais sur le « dorénavant ». Plus que jamais je me sentais hors de leur monde. Étrange, étranger. À eux et, plus tragiquement, à moi-même. J’avais appris avec une joie astrale ce poème de Jacques Prévert, issu d’un recueil intitulé Fatras. Ce titre, déjà, me paraissait extraordinaire.
Être Ange
C’est Étrange
Dit l’Ange
Être Âne
C’est étrâne
Dit l’Âne
Cela ne veut rien dire
Dit l’Ange en haussant les ailes
Pourtant
Si étrange veut dire quelque chose
étrâne est plus étrange qu’étrange
dit l’Âne
Étrange est !
Dit l’Ange en tapant du pied
Étranger vous-même
Dit l’Âne
Et il s’envole.
          Aujourd’hui, je vis entouré de tragopans satyres, faisans cornus et colorés, de tétras des armoises, réfugiés dans la sauge buissonnante. Je m’infuse d’estragon, me goberge d’astragale, garantis sans nitrates. Je trafique mon pastrami quotidien. Mon travois de trappeur, tout de guingois, m’a conduit à l’opposé des terres australes. Le soutrage est ma litière, chaude et bienfaisante après des journées de chasse et de cueillette et un bain dans les eaux lustrales de la rivière, abri pour ondatras peu sauvages avec moi. Pas fils de paysan pour rien. « Ce qui est acquis est acquis ! », claironnait le père clairvoyant. Encore un de ses mantras, hérité de la tradition-qui-n’a-pas-de-prix. « À part celui de nos vies », pensais-je, « heureux stratagème que voilà pour faire gober n’importe quoi. »
          Perché sur mon trapèze, moi tramelot élytral, je gambergeais. Je tracanais, j’avalais de travers. Je me tracassais. À raison. Vint cette période faste pour tous les castrats strassés posant sur leurs estrades. Splendides photos de classe ! Ils péroraient, contrecarraient à coup de mistral les droits des « autres », des « ceusses » qui ne seraient pas comme eux, leurs «  chers concitoyens » ! Ah oui, les cons, sinistres en double métrage !
          Tralalas, falbalas montés en trémolos. Des mots durs comme l’anthrax, grenat comme le sang, propre et figuré, que verseraient au nom d’une idéologie outrageante les outragés en solde du joyeux marché de dupes, organisé à l’intranational comme à l’international par le pouvoir central.
          Mais je les ai reconnus, moi, leurs traquets, pièges à animaux puants. Leurs traceurs suceurs de sang m’ont pas foutu le trac. Je leur en ai servis des tracts tout trash, en veux-tu en plâtras ! Dans les trams, dans chaque travée. Ils m’ont traqué. « Ennemi du peuple ». À pleurer de rire. « Et les comme-moi, voient pas ce qui s’trame ? », me tracassais-je.
          I’faisaient que causer de l’« après », comme si l’Éden ou je ne sais quel paradis allait pousser sur cet enfer. Mais, putain de bon sang de bois, pour le passé y’a plus rien à faire ! Occupe-toi du dorénavant ! Je gueulais sur le poste, seul appareil encore autorisé dans mon repli obligatoire. Les ultracrépidarianistes ont sérieusement commencé à me courir sur le haricot. Les toutologues de tout poil pullulaient, envahissaient jusqu’à mes tragus trapus. Quand on n’a rien à dire, y’a qu’à s’taire.
À situation foutrale, décision exceptionnelle ! De mon sûtra personnel, je tirai ceci et le criai à pleine trachée :
Am, stram, gram,
Pique et pique et colère gronde,
Bourre et bourre le masque immonde
Am, stram, gram
          Je honnis tous ces satrapes menaçants dans leur fatras d’impudence. Ils ne me feront plus outrage. Je refuse leur matraquage de trafics officiels, leurs matraques et leur estrapade.
          Fouchtra ! Par Trafalgar, pas de patatras pour moi. Je ne tolère de la satrapie que la pataphysique de Alfred Jarry.
          Quand ça traboule de travers, faut savoir prendre la poudre d’escampette. Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, je partirai. Sur les chemins du trabendo.

          Êtrâne, je m’envole. Ça fait si longtemps que je ne me suis pas trahi.

 


"D'eau et de feu" de Nadine CHEVALLIER


Jour de chaos, où tout devait finir …
Et voilà que j’aperçois le canot.
Pendant les minutes, les heures où j’ai nagé, surnagé au milieu des débris de plus en plus épars, j’ai cherché à quoi me raccrocher.
Le paquebot avait coulé aussitôt l’alerte donnée. Je m’habillais pour dîner à la table du capitaine (au moins si j’y passe, j’arriverais bien vêtu devant le Très Haut).
Pas eu le temps de monter dans une embarcation. Me suis dépêtré, dépêché, démené. Je ne voulais pas finir noyé.
Quelle idée de fuir en paquebot... Pourquoi pas l’avion ?
Depuis l’histoire de la montgolfière, les transports aériens, ce n’est pas mon truc…
Et tuer mon ami Bertrand, impossible. Je l’ai bien senti en le suivant dans la forêt. Malgré tout, j’ai essayé sur le terrain vague. Malheur, c’était le jumeau. Je l’avais oublié celui-là depuis le temps qu’il était parti.
Si j’y réfléchis, ce jumeau, il est parti à peu près au moment où j’ai décidé mon Grand Projet. J’en ai tué trente, sans être pris, ni même inquiété, c’est beau ça !
Et voilà qu’ils trouvent le Père Desbordes. Maudite montgolfière et son stupide conducteur. J’aurais pu lui faire son affaire à celui là. Mais bon, ce qui n’est pas fait, n’est pas fait…
Le père Desbordes, ce n’est pas mon dernier mort. Non, c’était en 2013 je pense … un remords de conscience m’avait poussé à la confession. Bien gentil le vieux curé. Il m’a dit d’aller tout avouer à la police. J’ai eu peur qu’il me trahisse. Un curé ? Mais bon, ce qui est fait, est fait. Un coup de couteau bien placé.
Je l’ai installé bien confortablement, pas loin de Bertille Lanoix, ils étaient amis dans la vie. Il faut penser à ça pour le repos éternel.
Bertille, elle, c’était en 2007 ou 2008 je dirais. Elle, je l’ai étouffée, je me souviens parfaitement. Je leur explique toujours pourquoi ils doivent mourir, c’est mieux qu’ils sachent. Elle ne s’est pas débattue, elle comprenait la nécessité.
Ça n’a pas été le cas pour tous . L’Armand Duchene par exemple m’a donné bien du mal. C’est de là que j’ai cette cicatrice sur le bras gauche. J’ai dit aux urgences que c’était en coupant les arbres, un coup de serpe. Mais c’était l’Armand, un costaud l’Armand, maréchal-ferrant, à la retraite, mais encore fort comme un bœuf. Après lui, j’ai pris davantage de précautions. On apprend toujours de ses erreurs.
Oui, il faut qu’ils sachent, qu’ils sachent que je l’ai promis à mon père quand il est mort : «Je te vengerai, Papa, je le jure».
On ne revient pas sur la parole donnée.
A ce moment là, j’avais déjà perdu le contact avec Bertrand et son frère depuis longtemps.
Quand je suis revenu à Saint Kléber des Étangs, ils n’étaient plus là. Les gens m’avaient oublié. J’avais changé mon nom pour celui de jeune fille de ma mère. Elle n’était pas du pays. Personne n’a fait le rapprochement.
Et puis un médecin généraliste qui s’installe au pays dans ce temps de pénurie, qui s’en plaindrait ?
Nous avions déménagé elle et moi après le jugement. La vie n’était plus possible pour elle. Elle était délaissée par tous ses soi-disant amis. Je les entendais dans la file devant la boulangerie, à la terrasse du café, même une fois au salon de coiffure :
« Mais ma chère, c’est son mari sans aucun doute »
« Oui savez-vous, il en voulait au père Delamare pour un vieille histoire de clôture »
« C’est une rivalité ancestrale, d’avant la révolution si vous voulez mon avis »
On ne le voulait pas mais on nous le donnait quand même.
Moi, j’entendais tout ça, on faisait moins attention aux gamins et je savais me faufiler en douce déjà à l’époque. Ça m’a bien servi ensuite.
Ma pauvre Maman est morte de chagrin en deux ans. J’ai été placé en foyer, à Dijon.
Mon père se trouvait en prison depuis trois, quatre ans.
Le procès avait déchaîné les passions dans tout le département. Vous verrez les gros titres dans les journaux de l’époque si vous êtes un peu curieux.
Moi, j’étais gamin, j’ai grandi avec ça comme j’ai pu. La vie en foyer, vous imaginez. Si je n’ai pas mal tourné, c’est vraiment par chance. J’étais bon élève, j’ai réussi mes études.
Pourtant dans ma mémoire brûlait toujours la maison des grands-parents Delamare.
Jamais je n’ai pu croire que mon père avait allumé l’incendie.
Jamais je n’ai pu croire qu’il avait pu tuer intentionnellement.
C’est pourtant ce qui lui a été reproché.
C’est pourquoi, j’ai décidé de le venger.
J’ai tué tous ces gens depuis trente ans, tous ceux qui n’avaient pas pris sa défense, tous ceux qui le croyaient coupable, tous ceux qui avaient médit de lui.
Je suis là devant la grande maison en feu.
Les habitants ont fait une chaîne dérisoire des eaux d’eau.
Les pompiers arriveront trop tard. Les grands-parents de Bertrand seront morts asphyxiés par la fumée.
Nuit de chaos, où tout a commencé.

 



"Le cri du homard" de Caroline DALMASSO

            
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"Le devoir de s'en aller" de Marie-Odile GUIGNON



Jusqu'à avant-hier, il vivait dans le ronronnement chaleureux et routinier d'un confort de subsistance, bien que de petits bouleversements jaillissaient ici et là en s’amplifiant, il se rassurait les yeux clos, aveuglé par ce qui devait fatalement se produire.
Hier, une fois de trop, il avait subi l'humiliation, la chasse à l'indésirable, les blessures des coups violents...
Alors, aujourd'hui, sa décision, il la prend à bras le corps.
L'oreille basse il s'en va lentement, rasant les murs, les herbes, les autres, son passé dans l'inertie.
Il trouvera l'Eldorado qui sublimera ses capacités étouffées par la dépendance.
Maintenant la nuit tombe. Elle recouvre de grisaille toutes choses inertes, toutes choses vivantes... Il se réjouit de cette immanence.
Il s'évade, objectif louable. Il ignore la direction de son futur possible.
Soudain la faim, le froid, le doute l'assaillent. Il se tapit.
L'invisibilité est nécessaire à la réflexion.
De ses yeux verts il scrute la pénombre : des ombres passent...
Serait-ce possible de s'allier pour résister aux paramètres que génèrent un changement radical ? Comment résoudre les problèmes qui tenaillent le corps ?
Que sait-il de ce lieu qu'il espère ?
Voyager loin si loin aussi loin possible pour recommencer une vie heureuse, utile, véritable...
Dans l'immédiat : se nourrir, boire.
Il distingue un container. Il fouille, il renifle, il trouve du comestible, du liquide qui le régénère.
Désormais, aller de l'avant sera sa devise.
Le jour se lève.
Il avise un camion de transport en stationnement.
Il se glisse sous une bâche, se pelotonne, convaincu de disparaître il s'endort. Ensuite, bercé par la vitesse il perd conscience.
Un coup de frein d'arrêt le réveille en sursaut.
Des voix, des injonctions, des aboiements, que de bruit ! Attention !
L'anxiété le paralyse...
Un pan de bâche se soulève, de nouveau des cris et des gestes dangereux... Une arme ?
A peine le temps de sauter hors de portée qu'il détale à perdre haleine...
L'aire de stationnement de l'autoroute chargée de véhicules à l'arrêt, puis ces buissons odorants tel un labyrinthe, sauve qui le peut.
Il n'est d'aventure qu'avec des surprises...
Il arpente la campagne. Combien de kilomètres userons ses pas ?
Aucun de semblables en vue.
Seul il se ressent ; sa solitude comme compagne et au fond de lui, cette aspiration qui le pousse comme le vent fait tourner une éolienne... De l'énergie, il en a et il en aura...
Dans ce paysage il joue les chasseurs cueilleurs et cela lui plaît...
Quelques temps seulement... L'espace peut vite sembler inhospitalier.
Les montagnes à franchir épuisent les nerfs, où uniquement le carburant de la volonté permet de poursuivre un chemin caillouteux et vertigineux.
Jamais il n'avait envisagé de tels changements de panorama...
Emprunter les chemins des vallées exige de l'intelligence, des alliances, des concessions.
Il choisit d'accepter un travail temporaire, pour bénéficier de quelques congratulations passagères, non désagréables, le temps de se refaire un peu de ressources, de toutes façons, la flatterie, il connaissait, dans sa vie de jadis...
Le passé-présent-avenir, l'amalgame savant de l'espace temps courait sous sa peau...
Le voyait-on comme un pauvre hère ?
Les regards en coin en disent long sur la condition du migrant...
Ha... Voilà qu'il se découvrait un qualificatif ! Non pas ça. ! Pas lui ! Trop fier, trop beau, trop... Quoi encore ?...
« Continue, tu n'es que toi, un candidat du changement !... Ils ne veulent pas que tu stagnes ici. Et toi ? » Sa voix intérieure. La raison la plus forte...
Désormais, le désert...
La rencontre des scorpions, la chaleur torride qui brûle toutes les étapes du désir de progression. L'avancement dans la mollesse des sables, des propositions, des possibilités d'issues, les cailloux rouges, bruns, blancs, noirs, les contrats morbides, la perte des repères...
Enfin le mirage de la ligne d'horizon.
L’espérance sert de bâton de marche à qui s'emploie à l'apprivoiser.
Subitement... Une rivière ? Un Fleuve ? L'océan ?
Tantôt la frontière langoureuse, tantôt sa contraire, terrifiante de creux, de remous, de menaces...

Être échaudé craint l'eau froide...

Un liquide velouté aux reflets changeants appelle le franchissement en offrant ses rats d'eau...
Oui, il se hissera sur l'un de ces rafiots...
Le risque importe pour accéder au meilleur, à l'irrémédiable, au but de sa quête.
Il s'embarque.
Le bateau l'emporte.
De nombreux passagers, trop.
L’embarcation sombre à la crête d'une vague extrémiste.
Naufragé il gagne son salut grâce à une planche flottant à sa portée.
Il échoue sur une île...

La suite de l'histoire, vous la lirez peut-être après, après, après demain, dans la gazette des faits divers de votre journal préféré ?
A moins que cette histoire ne soit que le rêve d'un minet blessé désireux d'échapper à sa sorcière de maîtresse puis recueilli par une amoureuse de petits félins ?...

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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