Ci-après
quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):
- "Cannelle"
d'Angeline LAUNAY
- "Où est
le monstre ?" de Nadine CHEVALLIER
- "Tumulte dans
un crâne" de Janine NOWAK

Fabrice CASTAJON endossant un texte qui rend
rouge de peur !
(coll. Janine NOWAK)
"Cannelle" d'Angeline LAUNAY
… Cette soirée chez Pierre-Jacques… Dès l'entrée, j'avais remarqué que
des bâtons de cannelle empestaient au fond d'un gros cendrier. Sur la
table de la salle à manger, des bougies parfumées à la cannelle diffusaient
leur insidieuse senteur. Le repas a commencé par une assiette de lamelles
de navet abondamment saupoudrées de cannelle. Je me suis retenue pour
ne pas demander les toilettes. Le plat de résistance était une volaille
copieusement arrosée d'une sauce brunâtre au curry et… à la cannelle.
Les enfants qui dînaient à la cuisine, ingurgitaient des cannelloni-cannelle.
Il se trouve que j'ai une aversion pour la cannelle et donc, j'ai été
piégée jusqu'à la moelle. Tant pis pour les hôtes ! Ils m'avaient poussée
à la faute… J'ai débuté les hostilités en évoquant le parfum de cette
Anglaise givrée qui n'a rien trouvé de mieux que de se présenter à une
soirée vêtue de sacs-poubelle… " Eh bien, Vivien Westwood a créé un
somptueux flacon pour le remplir d'une écoeurante odeur de cannelle…
Et on appelle ça un parfum ! "
Pierre-Jacques a feint de ne pas saisir mon allusion. Sa femme n'a pas
pipé mot. J'ai fini par avouer que j'avais la cannelle en horreur. Là,
Pierre-Jacques a quand même réagi et m'a proposé des œufs au plat. Je
lui ai fait remarquer qu'on n'était pas au petit déjeuner et que la
morale stoïcienne se résumait à " Supporte et abstiens-toi ". Cela ne
m'a pas empêchée de tout fustiger : la teinte " moutarde " de la moquette,
le grillon en faïence épinard-tomate, la cheminée en carton-pâte et,
sur cette même cheminée, les trois pichets dans le même style que le
grillon. J'ai proféré un avis très mitigé sur le dessert (crumble aux
pommes à la cannelle - ben voyons...). Quant à la musique, j'ai déclaré
qu'elle me faisait penser à l'ambiance à laquelle on pourrait s'attendre
sur une île infestée de scorpions, au large du Yémen.
Au bout d'un moment, j'ai bien senti que les invités s'interrogeaient
du regard… Certains même devaient se demander s'ils avaient été conviés
à un jeu de massacre dont les règles leur auraient échappé. Pierre-Jacques
s'est brusquement levé pour se lancer dans un solo de percussions qui
a plombé les conversations. Etait-ce inten-tionnel… Puis il a mimé un
combat de boxe en découvrant une dentition irrépro- chable. Je me suis
dit que s'il devait mordre quelqu'un, il n'hésiterait pas à jeter son
dévolu sur moi… Je ne sais pas pourquoi, j'ai pensé qu'une morsure au
talon serait un moindre mal…
Sa femme s'est mise à hoqueter violemment. On s'est tous précipité avec
une serviette en papier à la main, ça a failli l'étouffer. C'est alors
que P.-J. s'est révélé sous son vrai jour… Il a foncé vers le meuble
du fond de la pièce et en a sorti une peau de gorille des montagnes
qu'il a revêtue. Puis, prenant son élan, il a sauté sur la table. Je
lui ai fait remarquer qu'il serait plus à l'aise nu-pieds…Pierre m'aurait
assommée pour moins que ça mais Jacques fut retenu par les sentiments.
C'est alors que cet animal fougueux me tendit une patte velue…
Décor : la jungle de Bornéo… Je me trouvais aux prises avec un pseudo
grand primate… Dans ses bras puissants, j'exécutai des figures aléatoires,
sensées s'apparenter à une danse, en tentant d'éviter un plat de fonds
d'artichauts dont il n'était plus besoin de préciser l'arome - la surprise
du chef - et le chef, justement, allait sûrement me faire payer cher
tous les affronts que je n'avais pas manqué de lui faire subir sous
son propre toit ! Autour de nous, l'assemblée poussait des cris gutturaux
en se frappant le torse. L'étau se resserrant, je commençais à suffoquer.
Des mots que je fus seule à entendre me parvinrent à l'oreille : " Petite
garce, tu as foutu ma soirée en l'air ! Mais c'est comme ça que je les
aime les soirées ! Je t'en ficherai de la cannelle et t'as d'la chance
que je barbouille pas ton fichu sourire en coin de crumble avec sa crème…
Qu'est-ce que je fais de toi maintenant… - Je murmurai : " D'abord,
enlève-moi ces souliers… " - P.-J. : " Et si je les enlève, qu'est-ce
que je gagne ? " - Je répondis au hasard : " Une gifle ou un baiser
", et tous de reprendre en chœur : " Une gifle ou un baiser ! Une gifle
ou un baiser ! "
P.-J. souleva sa tête de gorille et je me vis dans l'obligation de flanquer
une gifle à Pierre et de donner un baiser à Jacques. L'assistance était
déchaînée. L'être hybride qui me faisait face projeta sa tête factice
sur les pots en faïence qui surmon- taient la cheminée et qui volèrent
en éclats. La " foule " survoltée courait autour de la table en scandant
" Ca-nnelle, ca-nnelle ! Une gifle et un baiser ! "
Pierre enleva un soulier qu'il jeta au travers du lustre de la salle
à manger. Quant à Jacques, il ôta l'autre chaussure qui " vola dans
l'atmosphère en sifflant comme un merle " (merci Mr. Vian…). Quelqu'un
avait poussé la musique au maximum et on pouvait maintenant s'imaginer
sur une île infestée de scorpions, au large du Yémen !
"Où
est le monstre ?" de Nadine CHEVALLIER
Bonjour à tous !
Mes chers amis, mon nom est Satan. Voici plusieurs siècles que l'on
me prend pour ce que je ne suis pas ! Jamais ! Jamais, je n'ai pendu
personne par les pieds !...
Jamais ! Jamais, je n'ai fait bouiller quelqu'un dans un immense chaudron
de cuivre !...
Jamais ! Jamais, je n'ai acheté l'âme de qui que ce soit contre la promesse
-idiote!- de bâtir un pont en une seule nuit !...
Tout ça, ce sont ragots de bas étage et racontars colportés par des
grenouilles de bénitier dont la charité et la bonté sont les principaux
défauts... qualités ?! Ces gens là sont sans doute capables de telles
atrocités pour en accuser les autres... pour m'en accuser, Moi !
Moi qui ne suis qu'un pauvre diable...
Je ne suis pas le monstre que vous croyez !...
D'ailleurs est-ce que j'existe seulement...
***
Non !!!
Non, mais attendez, là ! qu'est-ce que vous croyez ? Que je vais laisser
faire sans rien dire ? Qu'est-ce que vous me reprochez à la fin ?
quoi ?
De n'avoir pas fait mon boulot ? D'avoir écrit seulement trois lignes
? Et alors ?!
"Etre concis", vous avez dit !
"Pas trop long", c'est écrit là, noir sur blanc, j'ai bien lu ! Si !
Si !
Bien sûr, pour vous c'est facile, c'est vous qui inventez le sujet...
Il s'entraîne avant... Il prépare son texte à la maison... Il le répète...
Il l'apprend par cœur... Facile pour un acteur... Et hop ! Arrivé ici,
il le recopie et nous fait croire qu'il vient de le sortir tout droit
de son esprit fécond !
Ah ! Si j'étais à votre place... Mais là, je rame, je m'épuise, je me
coagule les méninges sur des monstres hypothétiques...
Et arrêtez de rire, s'il vous plaît ! Ce n'est pas drôle du tout !...
Quoi ? vous dites qu'il faut se faire plaisir, qu'il ne faut pas que
ce soit un martyre ?... Aïe ! Martyre moi-même ! Arrêtez ! Vous me dites
ça maintenant ? Après trois heures de prise de tête ... C'est qui le
monstre ici ?
C'est bien la dernière fois que je viens, tiens ! Marre de me faire
torturer comme ça ! ...
Bon, allez, je blaguais ! Je ne vous en veux pas..., c'était pour rire...
c'était pour faire le monstre !
Sans rancune ?...
Je reviendrai en avril !
"Tumulte
dans un crâne" de Janine NOWAK
" La beauté cachée des laids, des laids,
Se voit dans délai, délai ".
Vingt ans qu'il est mort, notre Gainsbourg - Gainsbarre.
Une petite pensée pour lui, au passage.
Hé bien moi, j'ai un gros point commun avec cet artiste : ma beauté
est intérieure.
Ah, que de belles envolées lyriques n'a-t-on pas fait sur le thème !
Foutaises ! Foutaises ! Foutaises !
Pas commode pour la drague………….. la beauté qui n'est qu'intérieure !
Et pourtant lui, il y arrivait, le bougre. Et il séduisait les plus
somptueuses créatures, encore. B. B……. Ah, B.B. au temps de sa splendeur…
Dire qu'il l'a tenue dans ses bras, le salaud ! Jaloux moi ? Pas du
tout. Je n'ai pas ce défaut.
D'ailleurs, des qualités, j'en ai. A revendre.
Je ne suis ni jaloux, ni envieux. Et même, j'irai plus loin : je suis
admiratif. Oui, la réussite des autres, me fait plaisir pour eux. Sincèrement.
Ce n'est pas digne d'une grande âme, ça, peut-être ? Je suis pétri de
bons sentiments, vous dis-je.
Pour en revenir à ma bobine : " je ne suis pas moche, j'ai un physique
difficile " (là, je plagie Thierry Lhermitte qui parle d'Anémone dans
le " Père Noël est une ordure ").
Bon, je ne fais quand même pas peur aux enfants…enfin, tout juste.
Ah, ce n'est pas toujours facile pour moi.
Alors du coup, parce que je suis très poilu, parce que mon regard qui
sonde les autres comme une vrille, dérange, met mal à l'aise, on aurait
tendance à me classer dans la catégorie " des méchants ".
Vous connaissez le roman de Simenon " Les fiançailles de Monsieur Hire
", qui a été porté à l'écran sous le titre de " Panique " et interprété
par le génial Michel Simon ?
Ben voilà, c'est moi.
C'est un sombre mélo. Où l'on voit le gentil Michel Simon effrayer tout
le monde alors qu'il a le cœur sur la main. Il passe pour un satyre,
une brute, et pourtant il n'a que de bonnes intentions.
C'est moi tout craché.
Je n'ai jamais rien fait de mal à qui que ce soit, mais on ne m'aime
pas. Va savoir pourquoi ? Un mot aimable à la petite fille des voisins
? Vite, sa mère la rentre chez elle, en me jetant un regard noir.
Je veux aider une vieille dame à traverser la rue ? Elle se cramponne
à son sac, le hurlement au bord des lèvres.
Quant aux femmes…
Parlons-en des femmes…
Je n'essuie que moqueries et rebuffades.
Une fois, pourtant, j'avais su faire deviner les bons sentiments que
je cache sous ma rude façade. Cette petite femme était un ange de douceur
et de compréhension. Je suis allé jusqu'à envisager le mariage…
C'est là que ça s'est gâté.
Sa famille, déjà, me tolérait avec difficulté. Mais à l'idée que leur
fille, l'adorable Isabelle Charmasson (comme elle portait bien ses noms,
associant " belle " et " charme " !), puisse devenir madame Tronchu…
!!! ( Hé oui, en plus… ) a été au dessus de leurs forces.
Oh, et puis, il n'y avait pas que le nom… et si les futurs enfants allaient
ressembler à leur père… ???
Une fois de plus je me suis incliné.
Fin de la romance.
Il y a des gens marqués par le destin
" Je suis marqué, par le destin,
C'est comme ça, y'a rien à faire ".
C'est Fernandel qui chantait ça, jadis. C'était l'histoire d'un pauvre
bougre à qui rien ne réussissait.
Pour en revenir à moi, les gens imaginent que je suis le bruit, la fureur,
le tumulte et le fracas réunis, alors que je ne suis que douceur et
délicatesse.
Je n'ai aucune tare. J'ai un Q. I. au dessus de la moyenne. Mais oui
! Mon métier est intéressant et rémunérateur. J'ai les pieds sur la
terre ; j'ai même fait la démarche d'aller consulter un psychiatre pour
m'assurer qu'il n'y avait en moi, aucun dysfonctionnement. On ne sait
jamais… on se connait mal.
Verdict : impeccable, le bonhomme.
Alors, pourquoi, pourquoi ?
J'apprécie la poésie, la grande musique. J'ai de la culture. Je suis
très raffiné. J'aime les promenades bucoliques, les fleurs, la nature,
les animaux.
Mon chat m'aime. Oui, il m'aime tendrement, lui.
Depuis quelques temps, j'ai tendance à me replier sur moi-même.
Et si les méchants, c'étaient les autres ?
Et si, celui qui a dit : " L'enfer, c'est les autres ! " était dans
le vrai ?
Moi, j'avance, la main tendue, en quête d'amour et d'amitié, et surtout,
SURTOUT, souhaitant DONNER amour et amitié.
Et systématiquement, on me tourne le dos, ne m'offrant que méfiance
et mépris.
C'est dur. Ah, c'est dur ; mais que faire ?
On ne peut pas forcer les gens à vous aimer !
Je suis tout ce qu'on veut, sauf un misanthrope. Le monde m'attire et
je souffre d'être mis à l'écart. Bon Dieu, oui, que je souffre !
Et pourtant, je ne veux pas renoncer !
Il doit bien exister de par le monde, des êtres " au dessus de ça ",
prêts à m'accepter ?
J'ai foi en l'humanité.
Je n'ai pas encore essayé les clubs, les associations.
Le théâtre d'amateurs, peut-être ? Là, je pense ( enfin, j'espère ?)
que je trouverais des gens larges d'esprit, qui ne me jugeront pas sur
mon physique. Les artistes, c'est plus cool, non ?
Et si le rôle de Quasimodo se présente, gageons qu'il sera pour moi
!
Je n'ose espérer obtenir celui du jeune premier ! ! !