SAMEDI 13 janvier 2024
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du Nouveau cycle
"Techniques fécondes, tonique faconde"

Animation : Régis MOULU

Thème : Trouver son style, cultiver une identité

Bien évidemment, chaque texte a son identité propre, sa musique singulière, sa façon d'exprimer et de suggérer des idées. Aussi il est précieux pour un auteur de repérer dans son expression ce qui crée sa signature personnelle et de le cultiver. Conscient de ces atouts électifs qui permettent d'être positivement "plein de soi", il en développera alors une manière de faire vivre son texte afin de le partager tout particulièrement, ce qui rendra sa démarche... unique ! Ce sont ces éléments fondamentaux que nous avons repérés et travaillés, avec chacun les siens !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : Écrire un récit qui tachera de donner le reflet exact d'une réalité. Le sens de la description et la concision permettront de gagner la dimension du vraisemblable. En outre, les détails (concrets ou symboliques) évoqués créeront un système de réseaux signifiants qui aideront le lecteur à comprendre la mentalité d'un personnage, ou la particularité d'un univers, ou les coutumes d'un groupe, etc. (à défaut d'inspiration, le thème central de votre texte sera un enfant et le lieu de l'action devra être peu commun).
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support contenant notamment tout ce qui constitue concrètement un style efficace a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Gaëtan, l'incompris" de Christiane FAURIE

- "Drachenbronn" de Nadine VILLETTE

- "Tes yeux sont noirs comme des araignées qui bougent, qui bougent" de Régis MOULU

- "Un dimanche après-midi au village de vacances" de Nadine CHEVALLIER (écriture en différé)

 


"Gaëtan, l'incompris" de Christiane FAURIE


Moins de bruit ; Ne cours pas partout. Mouche-toi.  Viens t’habiller, il fait froid dehors !
Dès ma plus tendre enfance, ces phrases ont ponctué le cours de ma vie.
Moi, je suis si bien nu. Quelle liberté !
A la rigueur, un slip pour ménager la susceptibilité des adultes qui ne cessent de s’offusquer.
J’aime courir dans le jardin, escalader les arbres dans le plus simple appareil.
Les voisins se plaignent auprès de mes parents qui, par ricochet, m’admonestent. Ça ne les dérangerait pas s’ils n’avaient pas à rendre des comptes.
Oui je crie, je m’égosille, je vitupère. Je veux me faire entendre !
J’hurle à me déchirer les cordes vocales.
Maman me porte dans ma chambre située à l’étage et ferme la porte pour ne plus m’entendre. Je redouble alors d’intensité.
Je vous jure que ça fait mal ! Et le temps s’écoule lentement.
J’essaie de tenir bon mais à bout de souffle, je dois capituler, furieux de ne pas être entendu à ma juste valeur.
Je dérange, je ne me sens pas appartenir à ma tribu.
Ma grande sœur me traite de débile. Je lui fais honte. Cela m’attriste mais je ne parviens pas à lui ressembler.
Moi, j’aime le fouillis comme autant de petits nids douillets dans lesquels se blottir. Chaque tas a son parfum, sa texture, sa couleur, comme au cœur de la forêt.
J’ai demandé à Papa de me construire une cabane autour de mon lit. C’est mon territoire. J’y entasse ce que j’ai glané ça et là.
Maman, quand elle s’aventure dans mon antre, explose et extrait d’un air rageur tous les détritus – c’est comme ça qu’elle nomme mes trésors-.
Elle me prive de mes cailloux aux formes extravagantes, mes billes aux couleurs chatoyantes.
Certaines nuits, je choisis de dormir par terre, comme les chercheurs d’or.
Bien sûr, il manque le feu de camp au beau milieu mais j’ai déjà récupéré des allumettes, au cas où.
Mon entrée en maternelle m’a laissé de bons souvenirs. Car le jeu était au centre des apprentissages.
J’ai pu monter un projet de construction d’un avion avec un copain.
Pendant des mois,  au grand dam de ma mère, j’ai amassé des matériaux divers dans le jardin. Des plantes pour produire de l’oxygène, des cages pour installer des poules, et la photocopie de la carte bancaire de Papa pour nos besoins essentiels.
Les apprentissages de base, à  savoir, la lecture, l’orthographe et le calcul une fois acquis péniblement, il a fallu faire face à la performance.
Mes parents ayant constaté des lacunes, m’ont fait consulté des spécialistes en tout genre mais sans résultat notoire.
De mon côté, mes connaissances me conviennent parfaitement, donc me suffisent.
Je peux dorénavant aller chercher ce qui m’est nécessaire via les applications à ma disposition.
Il persiste cette obligation de se vêtir.
Si je me sens bien  au coeur de l’hiver en T-shirt et short, qui cela dérange t’il ?
Je dois user de stratagèmes pour sortir de chez moi et me travestir une fois arrivé en classe.
Mes parents sont alors convoqués et repartent tout penaud avec l’étiquette indélébile de parents indignes.
Alors débute le défilé de professeurs particuliers.
Mais laissez-moi vivre. Je sais ce qui est bon pour moi.
Je m’amuse à noter sur un carnet les motifs de leur abandon : Je déménage, j’ai trop de travail en ce moment…
Certains, plus courageux, s’aventurent «  votre enfant est trop rétif aux apprentissages »
Ma mère pleure de désespoir.
Elle interroge sa propre histoire et débute alors un épisode de thérapie familiale où tout et n’importe quoi se déballe sous mon œil indifférent.
Je suis convaincu d’avoir suffisamment de connaissances pour choisir la vie dans laquelle je vais m’accomplir.
J’ai treize ans. Je suis plutôt beau gosse, ma musculature est bien développée et ma force physique est phénoménale.
J’ai un style vestimentaire original que certaines filles apprécient.
Encore trois années à faire semblant. Que de temps perdu.
Pendant que les autres apprennent leurs leçons, je m’instruis via des tuto.
J’apprends à parler le Japonais. Ce pays m’attire.
Je sais déjà aspirer bruyamment les ramens à l’aide de baguettes. Je sais renifler au lieu de me moucher et je m’entraîne dans mon bain à rentrer dans les onsen bouillants.
La perspective de me marier avec une japonaise qui s’occupera des enfants pendant que nous nous réunirons le soir entre hommes pour refaire le monde en riant me plait.
Donner libre cours à mon attraction pour les jeux dans les temples dédiés me réjouit.
J’ai ouvert une cagnotte qui sera peut-être suffisante à réaliser mon rêve dans trois ans.
L’aventure est en moi. Cela effraie ma famille car ce n’est pas inscrit dans leur schéma mental.
Les aventuriers ont toujours bravé les obstacles et fait fi des  convenances.
Je vais leur prouver que je peux réussir.
Mais faites-moi confiance ! Regardez-moi comme un des vôtres.
J’ai besoin de votre amour et de votre fierté qui seront mon armure contre l’adversité.

 

 

"Drachenbronn" de Nadine VILLETTE


« Allo Manon, c’est maman ! Vous êtes prêts tous les deux ? »
« Oui, Maxime se donne un coup de peigne et nous partons ».
Ce jour là,  la fête battait son plein à Drachenbronn. Le soleil ardent illuminait les cœurs des habitants, heureux de se retrouver. Ils discutaient de la moisson prochaine, des méfaits de ce connard de maire, du mariage prochain de la cousine Josiane, et surtout de tout et de rien.
Il était presque midi et déjà,  les villageois se rassemblaient, excités et bavards, devant la camionnette de Karl. Il faisait soif, la bière coulait à flots et Karl avait déjà vendu presque tous ses bretzels.
Un peu plus loin, un orchestre couinait et le chanteur de charme alsacien massacrait une chanson de Julio IGLÉSIAS.
Sylvie avait insisté auprès de sa fille Manon : «  il faut absolument que tu mettes ta robe rouge pour la fête,  elle te va si bien ».
En effet, Manon était lumineuse vêtue ainsi. Ses grands yeux marron brillaient sous les longs cils habillés de mascara. Maxime, son époux depuis trois jours, était doté d'un charme irrésistible. Vêtu d'un pantalon blanc et d'un polo jaune, il était très élégant.
«  Ah, vous voilà »  s’exclama Sylvie en apercevant les amoureux. « On se retrouve tout à l'heure, je vais chercher mon amie Nadia »
Les deux femmes s’étaient connues à l'école,  où la passion des hannetons  les avait réunies. Après en avoir attrapé un, elles l'attachaient à un bout de ficelle et le faisaient tournoyer devant les autres enfants ébahis.
Cette amitié avait perduré.  Veuves toutes les deux, elles se retrouvaient souvent devant une tarte flambée qu'elles dégustaient en papotant.
« Bonjour Nadia, ça va ? »
« Ma foi, oui, contente de te voir ».
L'orchestre jouait maintenant un air brésilien au ralenti. Cette musique sentait la guimauve, mais personne n'y prêtait attention.
Sylvie proposa d'aller chercher une tarte flambée au munster et un verre de Pinot noir. Nadia accepta et elles se dirigèrent vers la camionnette de Karl. Des tréteaux couverts de planches avaient été disposés dans un grand hangar au toit de tôle. Ces tables de fortune étaient couvertes de nappes en papier multicolores.
Les villageois arrivaient de plus en plus nombreux et les deux amies durent attendre un bon moment avant d’être servies. Assises sur un banc dans le hangar, elles entendaient les cris et les rires des enfants entre les auto- tamponneuses et le kiosque du marchand de barbe à papa.
Maintenant, les joyeux fêtards venaient s'installer dans le hangar,  portant chacun une assiette remplie de choucroute garnie. Et « hopla »,  comme disent les alsaciens.
«  tu as l'air triste, Nadia »  interrogea Sylvie.
«  Oui, je pense à Gabriel et à maman, ils me manquent tous les deux ».
L'orage grondait depuis dix minutes et la pluie se mit à tomber à grosses gouttes, couvrant la voix de Nadia.
L'orchestre était devenu fou. Le chanteur s'égosillait et Michel DELPECH devait se retourner dans sa tombe.
La pluie s’était vite arrêtée. Sylvie tourna la tête,  surprise. Un homme grand et maigre, portant un chapeau noir, s'était assis près d'elles. Il but rapidement une bière et quitta les lieux, bousculant les gens sur son passage. Il fut très vite hors de vue. Les deux femmes se regardèrent,  étonnées de voir un homme seul dans cette fête.
«  tu viens avec moi ? on va chercher Manon et Maxime ? » proposa Sylvie. « D'accord »  fit Nadia, et elles quittèrent le hangar.
Soudain on entendit des cris puis des hurlements. L'homme grand et maigre courait sur la route voisine, un couteau ensanglanté à la main.
Un attroupement s’était formé derrière les auto-tamponneuses. Les gens criaient.
« Que se passe-t-il » s'inquiéta Nadia. « Sûrement une bagarre d'ivrognes » rétorqua Sylvie. Soudain, le hurlement d'un homme domina le tumulte. De loin, Sylvie reconnut la silhouette de Maxime.
Les deux amies s'approchèrent. Terrifiées et sans voix, elles virent sur la pelouse le corps sans vie de Manon, baignant dans le sang.
Maxime sanglotait, agenouille devant le corps de son épouse. Le docteur venait d'arriver.
Sylvie se mit à hurler «  mon dieu, ce n'est pas possible, dites moi que ce n'est pas vrai, ma petite fille ! Au secours ».
Elle sentit le froid dans tout son être. Hébétée,  elle tremblait comme une feuille. Sylvie ne voyait plus rien d'autre que le corps de sa fille. Nadia l’entourait de ses bras et sanglotait.  Derrière son amie, des femmes murmuraient : «  il paraît qu'elle avait eu un amant... ». « La pauvre, elle était si gentille ».
Sylvie était secouée de sanglots. Le docteur s'approcha.
Alexandre, l’homme grand et maigre, le couteau à la main, avait vite été rattrapé par deux villageois. Son idylle récente avec Manon était connue de tous.
L'orchestre s’était tu. Un silence glacial entourait Sylvie, Maxime et Nadia, qui continuaient à sanglots, le visage décomposé. La police venait d'arriver.

 



"Tes yeux sont noirs comme des araignées qui bougent, qui bougent" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


La rue Ravaillac fait un coude.
Le petit Valentin se trouve là.
La pluie d'il y a une heure
n'est plus que taches au sol.
Mirages dans tous les sens.
Exercices de brillance.
Une nuit à son commencement
cueille la plupart des détails présents,
on ne les retrouvera qu'au petit matin.

L'éclairage du lampadaire
fait comme un cornet
qui couvre l'enfant.
Le réchauffe.
Ou le stabilobosse.

L'enfant est fatigué d'avoir couru.
Petit corps éprouvé, essoré.
L'épreuve a gonflé et fait rougir son visage.
Là où les bambins affichent déjà
une grosse tête non proportionnée à leurs corps,
pour ce qui est du petit Valentin, c'est pire.

Joues de faïence.
Peau joliment tramée
comme de la toile d'un mouchoir très fin
dont les broderies seraient les yeux.
L'aspect « poupin »
se retrouve également dans les cheveux
qui ont la vigueur et le vivace d'une gerbe.
Chérubin. Réceptacle d'offrandes.
Il vient de tuer son chien Hector
sans le faire exprès.
Puis il a couru, couru, couru jusqu'à
cette douche de lumière.

Il jouait avec le basset,
lui aussi excité comme un chien.
Il faut dire que les yeux de cette race
dégagent une tristesse
qui force la complicité et l'action.
Oui, c'est vrai, on se doit de jouer avec eux instantanément,
déjà qu'ils ont des petites pattes – quatre ! –,
ce qui ralentit vilainement tout exercice.

Bref, et parce que sur son trottoir le garçonnet ne bouge plus,
c'est toute sa mémoire qui soudainement
tourne autour de lui,
tel un vautour charognard.
Le manège des impressions alors s'affole.
Images d'horreur se mêlent aux sentiments générés à cette occasion,
aux sensations,
voire à des hallucinations.
Comment démêler tout cela, calmer tout cela
et surtout, comment ne pas s'en étourdir ?

D'habitude un compas,
ça ne sert qu'à faire des cercles réguliers, zut alors !
Et il revoit le beau tapis du salon
en damiers noirs et blancs
perdre sa symétrie et sa perfection
avec l'apparition d'un Barbapapa de sang
à cheval, en plus, sur plusieurs cases, ça dépasse !
Maman était à l'étage.
Elle chantait fort en pliant du linge.

Bien sûr, il eut envie de tout nettoyer
pour ne pas se faire gronder.
Surtout nettoyer comme pour tout recommencer à zéro,
effacer ce cauchemar.
Mais surtout la question : où mettre le chien
semblable, désormais, à un sac crevé…

Hector, c'était son « amour animé »,
un « plus que doudou »,
le doudou n°2 qui, à la différence du n°1,
manifeste autonomie réelle.
Quelle souffrance, quelle peine,
quel boulet en fonte il se trimballerait !
Les paroles d'adultes compatissants
sont des caresses
que Valentin n'aura pas pour cette tragédie.

À toute hâte, Valentin est parti, Valentin est parti.
Personne d'autre que lui
verrait cette fuite comme une solution,
mais c'est comme ça.
Or tout drame non puni
génère bien souvent d'autres drames.
L'infortune exponentielle,
c'est ce que nous verrons.

D'ailleurs, présentement, un de ses chaussons modestes
prend l'eau.
Une vie de feutrine n'a, pour le coup,
plus lieu d'être.
Passe un chat pouilleux,
sa nature profonde étant d'être égocentré,
il ne se passe rien,
le félin offre juste la distraction de son image
et de sa vitalité intéressée.
Ce menkoun est en chasse,
renifle des trajectoires de rats,
refait quasiment vivre leurs fantômes surréels.
Et c'est ce qu'il éprouve, là, grâce à sa truffe :
tout un monde.

Et l'enfant repère bien cela.
D'avoir été trop nourris aux dessins animés, Tom et Jerry,
l'y aidant grandement.
Énorme désaltération
qu'est cette distraction.
Un homme à vélo passe. Un ouvrier aux « 3 8 ».
Puis un autre. Très ressemblant au premier.
Pauvre petit, son état de solitude s'en trouve renforcé.
Tout devient alors étrangement et démesurément
anormal.
C'est la première fois de sa jeune existence
qu'il est transparent.
Insignifiant.
Réduit à rien.
Exilé de tout.

Maman devrait à présent s'inquiéter, s'agiter, hurler.
En plus, à la maison, il n'y a pas de papa.
Oui, ce n'est pas le moment de rentrer.
Et c'est d'autant plus impossible
que « la peur de se retrouver en face de sa propre conscience »
l'a fait courir plus que de raison, bien loin,
c'est-à-dire à plusieurs kilomètres au-delà de la zone connue,
la rue Ravaillac étant pour le coup
une drôle de découverte.
Valentin est extrait de son monde.

Dans la poche de son blouson,
il sort alors son petit carnet
avec son porte-stylo avec petit stylo à bille.
Une poésie lui permettrait de remordre à la vie,
se remettre dans le présent.
Sa petite main gonflée comme un gant fourré
s'anime aussitôt.
Sorcellerie gauche
d'où des déliés d'encre vont surgir,
souples comme des yogis dévergondés.

« Amour de chien,
chien mon amour,
tu as beau t'habiller comme un tapis,
je suis fou de ton museau,
la poire est mon fruit préféré.

Et pi quand tu bouges tes pattes,
tu en as plus que 4,
je n'arrive pas à les compter.

Et pi quand tu cours, tes oreilles flottent,
on dirait un gros papillon rigolo,
mais quand tu ne bouges plus,
c'est un nœud-papillon, tu es classe !

Immobile, tes yeux deviennent grands
comme 2 océans,
or j'aime beaucoup aller à la piscine.
J'y vois mon reflet,
tes yeux sont noirs  comme des araignées
qui bougent, qui bougent.

Je t'embrasse très fort,
je t'embrasse encore maintenant.
Et pi tu seras toujours dans ma tête.
Jamais je ne te laisserai sortir,
tu seras toujours avec moi,
tout le temps,
au moins une fois par jour
car tu es mon meilleur copain, je te le jure.
»

À la suite de ces quelques lignes,
l'enfant se met à dessiner Hector.

Et le dessin d'Hector commença à s'animer dans ses yeux.
Même hors du carnet.
Et même dans les airs, très loin, très proche, tout est possible.

Valentin a aujourd'hui 32 ans.
C'est un beau jeune homme
au regard profond.
Âme qui a pleuré pousse
à la sensibilité exacerbée.
Un cœur en grenouille.

Dans cet organe « rouge chair de betterave »
stationne parfois, d'ailleurs, Hector,
vif comme un ventricule.

Le chien s'est transformé avec le temps.
Il est moins précis et plus présent.

Aujourd'hui Valentin a 52 ans,
et s'apprête à déménager.
Réapparaît le petit carnet-talisman
au détour d'un carton à combler.
L'homme ne relit pas sa poésie.
Arrache les feuilles dédiées au petit chien,
les plie méticuleusement
de manière à en faire le plus beau des Concordes supersoniques,
ouvre la fenêtre du salon,
le jette de toutes ses forces.
Il part s'installer avec Clothilde,
une femme moderne de 31 ans
avec qui il aura 7 enfants.
Le premier qui s'appelle…

 

 

"Un dimanche après-midi au village de vacances" de Nadine CHEVALLIER, texte écrit hors séance, dans les mêmes conditions


Ah, vous voulez que je vous raconte une histoire vraie ! Eh bien voilà, c’était il y a plus de vingt ans mais je revois tout comme si c’était encore sous mes yeux.
C’est dans le Massif Central, le nom du village je l’ai oublié mais pas ce qui s’est passé !
Après le repas, tous les enfants sont partis se baigner.
Avec Yves, nous avons préféré marcher un peu pour découvrir le village, notre fille Jeanne et son mari nous ont accompagnés. Les bâtiments qui constituent ce village de vacances sont plutôt laids, il faut le dire, trois barres d’immeubles des années 60, ce sont les anciens logements des ouvriers de l’usine d’extraction d’uranium. Dans cette vallée étroite pour loger le plus grand nombre, il fallait construire en hauteur. Avec la fermeture des mines, toute cette population a déserté. La région peine à faire venir les touristes. Aussi, les tarifs restent attractifs et les moins fortunés y trouvent un lieu de vacances à la hauteur de leurs moyens.
Les montagnes nous entourent de toutes parts, leurs flancs couverts de forêts sombres. En ce dimanche de juillet dans ce creux de vallée, le soleil se reflète sur les vitres des quatre étages. Une chape de chaleur couvre le village. Les zones d’ombre sont courtes en ce début d’après-midi. Mais une légère brise apporte par instant une fraîcheur bienvenue.

A l’ombre maigre d’un arbre, nous nous sommes accoudés sur la rambarde qui borde le chemin. En contrebas s’étendent les larges marches des gradins menant à la piscine.
Des serviettes multicolores, des sacs, des sandales y sont dispersées. Allongées les yeux fermés, quelques femmes en maillot prennent le soleil.
Mais le spectacle est dans l’eau. Des enfants sautent du bord, d’autres se lancent des ballons. Certains tentent quelques brasses mais il y a trop de monde pour pouvoir aller bien loin. On s’éclabousse, on crie, on chahute, les voix résonnent dans la vallée, démultipliées par l’écho. Quelques adultes assis au bord du bassin semblent surveiller tout ce petit monde. Beaucoup des vacanciers sont instituteurs, on ne se refait pas sans doute ! Mais c’est bien, car la baignade n’est pas surveillée.

Mes petits enfants savent bien nager. J’essaie de les distinguer dans la multitude, c’est difficile, tous me semblent pareils.
Et soudain un mouvement s’enclenche, les baigneurs s’écartent créant un vide au milieu du bassin, le processus se déplace, un couloir se forme dans l’eau.
Je vois alors deux hommes soutenant une jeune fille en maillot de bain noir, elle paraît inerte. Ma fille à côté de moi s’élance vers l’entrée de la piscine, descend à grandes enjambées les escaliers.
Pendant ce temps, les hommes ont sorti la jeune fille de l’eau, l’ont étendue sur le bord du bassin. Mon Dieu, serait-ce ma petite fille ? La couleur du maillot, la taille, les longs cheveux ... J’ai froid tout à coup.
Plusieurs personnes se sont approchées, elles tentent de tourner la jeune femme en position latérale. Jeanne est maintenant arrivée près d’elles. Elle s’agenouille, semble discuter, les sauveteurs et les curieux s’écartent un peu. L’un d’eux s’éloigne et remonte l’escalier rapidement. Je vois ma fille de dos, elle se penche, je ne distingue pas ce qu’elle fait. Elle se redresse et les mouvements saccadés de son dos me font penser qu’elle fait un massage cardiaque.
Yves passe son bras sur mes épaules.
- Ce n’est pas Magali, murmure-t-il. Regarde, elle est assise là sur la première marche avec son frère et ses cousins.
Je soupire de soulagement, oui, toute ma petite famille est là. Et je me rends compte soudain du silence qui s’est abattu sur le village. Le bassin s’est vidé, les gens se sont massés tout autour sur les gradins, d’autres, nombreux, sont aux fenêtres de l’immeuble. Mais plus un mouvement, plus un bruit, les souffles sont suspendus à ces secousses rythmées de ma fille sur la poitrine de la jeune femme.
Le temps s’étire.
Puis Jeanne s’arrête, se recule un peu. J’imagine qu’elle parle avec les personnes qui sont restées près d’elle.
Et c’est comme un signal, comme si la vie revenait et avec elle le bruit et le mouvement.
Des propos fusent :
- Elle respire !
- Est-ce qu’on a appelé les pompiers ?
- Apportez des couvertures !
- Son cœur est reparti ?
- Les pompiers sont en route mais c’est loin...

Les sauveteurs ont tourné la jeune femme sur le côté. D’autres donnent des serviettes, la jeune femme est essuyée. Bientôt, des couvertures sont apportées de l’immeuble voisin. La jeune femme en est couverte. On dirait qu’elle tremble.

Et après une éternité, voilà les pompiers. Ils sont jeunes. Portant un brancard, ils descendent rapidement vers le bassin. Je vois Jeanne leur parler puis leur laisser la place.
Elle remonte lentement. Les gens s’écartent devant elle, elle est au centre de tous les regards.
Elle nous rejoint. Elle est pâle.
Je l’interroge : « Tu as eu peur que ce soit Magali ? »
- Non, non, je ne sais pas pourquoi j’ai couru, je n’ai pensé à rien. J’y suis allée, c’est tout. La fille ne respirait plus, elle n’avait pas de pouls et ils voulaient la mettre en PLS*, il fallait d’abord la ranimer !

Ce n’est pas tous les jours que votre fille sauve quelqu’un ! En plus c’était le jour de son anniversaire, elle avait quarante ans. Vous pensez bien que je n’ai jamais oublié ce dimanche de vacances.

* Position Latérale de Sécurité

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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