SAMEDI 7 décembre 2024
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du Nouveau cycle
"Techniques fécondes, tonique faconde"

Animation : Régis MOULU

Thème : User d'humour

Finalement l'humour, c'est déjà un raffinement. C'est comme si on ouvrait un nouveau champ à ce qu'on considère à tort comme étant plat ou univoque, il y a donc une sorte d'élévation. De l'esprit. Une nouvelle vision ou un possible coup de théâtre. Cet aspect qui suppose de faire preuve de maîtrise sera alors notre fer de lance au travers d'une séance qui fut cocasse et relâchée ! Boîtes à rire inutiles, ça va sans dire.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet quivant a été énoncé en début de séance : Partir d'un minuscule mensonge (ou défaut, ou trouble non assumé par le héros) et amplifier ses conséquences et les contradictions dans lesquelles il plonge l'acteur principal de votre histoire. On peut alors, au besoin, augmenter la tension du récit en utilisant ces oppositions : " il faut… alors que j'ai envie " et " je devrais… mais je ne peux pas ".
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support comportant notamment les 27 procédés comiques a été distribué en ouverture de session, c'est drôle, non ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Pas de vagues" de Claudine CARPENTER

 


"Pas de vagues" de Claudine CARPENTER


" Mademoiselle Taylor, rentrez, je vous en prie. " dit la principale quand je frappai à sa porte entrouverte. Je poussai la porte, je me glissai dans son bureau et la refermai silencieusement. Elle me fit signe de m'asseoir et je tirai la chaise devant son bureau et je m'assis en attendant qu'elle ait terminé de lire le document qu'elle parcourait. Mme Chou, Marie de son petit nom, devait avoir la cinquantaine, elle était une femme de petite taille, trapue qui s'habillait en tailleurs style années 80 dont les épaulettes carrées ne faisaient qu'accentuer sa forme de brique. Elle avait des cheveux noirs frisés coupés au carré qu'elle retenait avec un serre tête en velours épais qui me rappelait mon enfance. Elle leva ses yeux cerclés de crayon bleu en ma direction. " Mademoiselle Taylor, je viens de lire votre rapport de visite envoyé par le rectorat. Pour vous comment s'est-elle passée, cette visite ? " Elle me regardait fixement, ses lèvres pincées me firent douter le sentiment optimiste que j'avais eu à la fin de l'inspection. Elles me firent douter également de l'entretien que j'avais eu avec l'inspectrice après le cours ou elle avait loué la qualité de mon anglais et été très encourageante. " Euh… Assez bien je pense… " je parlais d'un ton hésitant. " Ah, m'interrompit Mme Chou, je lis ici que vous avez exclu cinq élèves. " " Non, je ne les ai pas exclus, je commençai, ils sont arrivés quinze minutes après la fin du cours et je les ai renvoyés à le vie scolaire… " " C'est à la vie scolaire de gérer les élèves que vous ne voulez pas ? " " Non… le règlement dit que je n'ai pas à les accepter avec plus de cinq minutes de retard… " je commençai à transpirer, remettant en question ma décision. " Ça ne vous est jamais arrivé d'arriver avec quelques minutes de retard ? Peut-être qu'ils étaient aux toilettes ? Peut-être qu'ils n'ont tout simplement pas entendu sonner la cloche ? Ils méritent d'être sanctionnés comme ça ? " " Ils n'ont pas été sanctionnés puisque la vie scolaire me les a renvoyés dix minutes plus tard. A ma connaissance, ils n'ont eu aucune sanction. " Sa remarque m'avait énervée, l'inspectrice avait relevé lors de mon entretien que c'était intolérable que les élèves traitent mon cours comme un moulin " Je vous rappelle que les enseignants ont le devoir de neutralité bienveillante envers les élèves. Ces pauvres petits avaient déjà manqué le début du cours à cause de leur retard et vous les avez renvoyés de cours pour rien, leur faisant perdre cinq minutes de cours supplémentaires. Il faut que vous sachiez faire preuve d'empathie pour ces enfants. " Ces enfants… avaient déjà été enfants bien longtemps. Je repensai à la petite Sonia, une des retardataires, une longue fille au traits équins dont le rire ressemblait à un braiement. Elle allait pouvoir voter aux présidentielles de ce mois de juin et je tremblais en pensant à ce qu'elle ferait toute seule dans l'isoloir. Donner un tel pouvoir à une cruche pareille… ça faisait froid dans le dos. On était bons pour Sarkozy, c'est sûr. " Ces petits sont en troisième, beaucoup d'entre eux n'iront pas au lycée, vos cours d'anglais sont sans doute les derniers qu'ils auront. Le moins que vous pourriez faire serait de ne pas les exclure sans raison. " Madame Chou se redressait sur sa chaise encensée par sa juste colère. Si je la laissais poursuivre sur sa lancée je ne serais pas sortie de l'auberge, il était déjà 17h et j'avais vingt minutes de bus, quarante minutes de RER et quinze minutes de marche pour rentrer de Clichy Sous-Bois à chez moi. " Oui, madame Chou, je comprends votre point de vue. Je ne vais plus les exclure de cours pour un retard. Dans le fond, c'était stupide, ils ont interrompu mon cours deux fois plutôt qu'une. J'ai perdu du temps. " Je parlais très vite dans l'espoir que si je faisais sortir mon mea culpa insincère rapidement, il ferait moins mal en sortant. Peine perdue. " En effet, Mademoiselle, en effet. Cependant, continua Mme Chou qui gonflait sa poitrine replète, il faut que vous gardiez bien à l'esprit que le plus important ici, ce n'est pas votre cours comme vous dites, le plus important, c'est l'éducation à laquelle ces enfants, français après tout, on le droit. " " Donc… mon cours ne fait pas partie de l'éducation à laquelle les élèves dont j'ai la charge ont droit ", j'essayai de comprendre le sens de cette affirmation et n'y arrivant pas, je rangeai cette pensée dans un des coins de mon cerveau pour essayer de l'analyser plus tard. Je signifiai cependant à Mme Chou que j'avais compris en hochant de la tête. " D'ailleurs, ajouta-t-elle, soyez un peu respectueuse du matériel qui vous a été confié par l'éducation nationale. Le rapport dit ici que vous avez fait tomber le tableau noir et manqué de le casser. " La salle 313, au fond du dernier couloir du dernier étage de l'établissement était la salle qui m'avait été allouée pour le lundi après-midi. Il s'agissait d'une salle sombre avec un vis-à-vis sur les HLM ou vivaient la plupart des élèves. La peinture s'était déjà écaillée depuis belle lurette de ses murs troués et il y avait une odeur de moisi constante. Elle avait un tableau noir, accroché à par une seule vis, l'autre était tombée quand le plâtre qui la soutenait s'était effrité. J'avais déjà signalé le problème au gardien du collège qui m'avait dit qu'il avait autre chose à faire que de refixer un tableau qui tenait très bien au défi des lois de la gravité. Cependant, pour être sincère, j'avais été énervée quand mes retardataires étaient revenus, surtout qu'ils avaient fait un boucan monstre en s'installant à l'arrière de la salle, et en me tournant pour écrire sur le tableau, j'avais appuyé un peu fort avec la craie et l'avais fait glisser au sol, en manquant mon pied de justesse. Donc oui. J'avais fait tomber le tableau noir. " Euh, j'avançai d'un ton hésitant, j'avais déjà signalé que le tableau tenait mal. " " Et ensuite, plutôt que d'appeler Monsieur Ben Ali pour qu'il vienne réparer, vous avez demandé aux élèves que faire puis vous avez fait porter le tableau à deux élèves pour le mettre en équilibre périlleux sur deux chaises. " C'était vrai. Très secouée par l'incident, j'avais décidé de transformer l'évènement en opportunité de faire de la communication, de la vraie communication. Je m'étais retournée vers la classe et dit " Oh dear ! What can we do now ? " (" saperlipopette ! Que faire maintenant ? ") Les mains des élèves avaient fusé, avec leurs suggestions Julien Portero avait proposé de me faire un prix d'ami sur un joint, Marina avait proposé d'arrêter le cours et de jouer aux cartes, Miléna me demanda si je ne m'étais pas fait mal et Mohammed et Caleb, mes deux cancres bienveillants m'avaient proposé en français d'appuyer le tableau sur deux chaises pour que je puisse y écrire. Ils s'étaient levés et avaient poussé deux chaises contre le mur derrière l'estrade et avaient ensuite soulevé le tableau sous mes consignes en Anglais : " Higher, to the right, push it back like that. Great ! " j'avais conclu mes consignes (sans lesquelles ils n'auraient sans aucun doute rien pu faire) d'un " Well done boys ! " retentissant qui avait été suivi d'une acclamation des élèves de la classe ainsi que quelques " Especes de Boloss ! " des élèves du fond. " Oui, c'était leur idée et je ne voulais pas encore arrêter le cours. " Mme Chou mit sa tête entre ses mains et soupira longuement. " Mademoiselle, qu'allons-nous faire de vous ? " elle s'arrêta un instant et poursuivit " Vos problèmes de discipline nous inquiètent, c'est bien pour cela que nous avions demandé cette inspection, pour vous aider. Les élèves se plaignent de vous … constamment. Ils ne comprennent pas votre anglais. " " Ah oui, ils ne comprennent pas mon anglais, en effet, c'est un problème. " " En effet, il faudrait que vous fassiez quelque chose, l'éducation nationale propose des stages de remise à niveau vous savez. " Le ton de Mme Chou s'était radouci, était devenu encourageant. " C'est un problème parce que je suis anglaise… que j'ai grandi dans la banlieue de Londres" mon ton était sec, la colère que je ravalais depuis le début de l'entretien, ou plutôt depuis le cinq septembre de cette année était sur le point de sortir. Je sentais une force noire monter en moi. " Euh. Je ne savais pas, ce n'est pas écrit sur votre front que vous êtes anglaise… " mme Chou avait pâli, ses joues couvertes de blush ressortaient dans son visage, deux plaques cramoisies dans un océan de blanc. " Oui, je peux peut-être essayer de franciser mon accent mais je ne pense pas que ce soit une solution ? " " Vous leur parlez trop vite… c'est pour cela qu'ils ne comprennent rien. " elle commençait à perdre pied mais se raccrocha " Je ne comprends pas pourquoi vous avez tellement de problèmes, nous faisons tout ce que nous pouvons pour vous aider, Mme Lalande qui a débuté en même temps que vous n'a aucun problème de discipline et elle s'est parfaitement intégrée. " Mme Lalande avait en effet mon âge et en effet, elle avait très rapidement compris comment tenir ses classes et garder la pêche pour les récrés et la cantine. Elle accueillait les élèves assise à son bureau et leur aboyait " Allez ! Vous sortez vos manuels et vos cahiers, on fait les exercices 7, 8,9 et dix de la page trente-sept. Je ne veux rien entendre, le premier à parler aura trois heures de colle ! ". Aucun problème de discipline. Alors que moi avec mes flash card, mes dvd en VO, je m'efforçais de faire parler mes élèves en Anglais… J'étais bien cruche après tout. " Mme Lalande est professeur de mathématiques, on n'enseigne pas les maths comme l'anglais ! " je maitrisais mon ton avec difficulté. Mme Chou se redressa et me fit un sourire charmant " Je ne vois pas pourquoi vous ne pourriez pas, enseigner c'est enseigner, il n'y a pas 40000 façons de le faire. " Ma voix quand je repris la parole était calme et posée : " Madame, je pense que vous avez raison, je suis trop fragile pour ce métier. Notre entretien m'a énormément secouée et je ne sais pas si je trouverai la force de revenir demain matin, ou après-demain. Je vais voir mon médecin pour voir s'il peut m'arrêter pour quelques semaines. Puis s'il peut prolonger mon arrêt, et encore le prolonger… jusqu'en fin juin. Ne vous en faites pas, je ne vais pas vous laisser dans une situation difficile… je reviendrai en septembre… au moins pour la rentrée.Car je ne compte pas perdre le bénéfice de mon concours. " Je me levai et sortis du bureau, laissant la porte ouverte. Puis je descendis jusqu'à la salle des professeurs ou je vidai mon casier car je ne comptais pas revenir.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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