SAMEDI 5 Octobre 2019
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Vives incitations - année 2"

Animation : Régis MOULU

Thème : Oser le grandiose et même viser l'épique

Cette dimension qu'on se permet stimule avantageusement toute écriture. Il y a comme un vent nouveau qui est inspirant, un avis de tempête féconde et intense. Plus concrètement, ce regard autre, cette énergie plurielle sera mobilisable au travers, par exemple, d'une ambition qui irriguera un héros, quelle que soit sa stature. Ou même d'un parcours hors pair, de par sa longueur ou sa difficulté (qui font alors office de faire-valoir). Bref, c'est tout cela que nous avons expérimenté au cours d'une inédite et haletante séance !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), ce sujet a été énoncé en début de séance : écrire un texte qui dote son personnage principal d'une vision de conquête pleine de fureur et de suées.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support ciblant les techniques qui permettent de rendre une écriture épique a été distribué en ouverture de session, ah, ça c'est chouette !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "D'abord ce n'est qu'une ligne fulgurante" de Janine BURGAT

- "En campagne" de Nadine CHEVALLIER

- "La vie comme elle va" de Marie-Odile GUIGNON

- "Avec un bonnet de dragon" de Régis MOULU

- "La montagne sacrée" de Caroline DALMASSO

 


"D'abord ce n'est qu'une ligne fulgurante" de Janine BURGAT


D'abord ce n'est qu'une ligne fulgurante qui alerte mon regard. Une ombre fugace, une petite balle traçante qui a coupé ma paisible vision.
La veilleuse s'allume au fond de moi. Une lampe terrifiante qui murmure : "il est là. Il y en a un et tu es seule, toute seule face à lui".
Et s'il me frôlait ? Me touchait même ? Je mourrais sur place, emportée par un vaisseau d'épouvante qui me plongerait dans un puits noir sans fin.

Je scrute la pièce, je le cherche. Dans mes yeux, un laser. Je balise, je croise toutes les directions.  Il va se déplacer, va s'approcher, ils s'approchent toujours, et, nez à nez, lui fou, et moi armée. J'ai pris mon arme bien en main. Une arme flamboyante, traitre raquette qui électrocutera ses ailes sombres immenses, ses pattes, énormes et son corps lourd, velu, noir, répugnant. Ah ! L'entendre grésiller sous la raquette traitresse !
Dans sa folie à lui, qu'il tape seulement une infime parcelle de ma peau et il me fera atteindre le bout de ma ligne de peur, celle où j'éclabousserais de sang, tombant inanimée.

Ce point de non retour, je ne l'ai jamais atteint. Toutes les bonnes âmes humaines à mes côtés ont souvent pris mon épique combat sur leur dos valeureux.

"Ca y est! Je l'ai eu, tu peux revenir ! La voie est libre !" disait le sauveur apaisant.
Derrière la porte, en transe, je sentais revenir le soulagement. Enfin ! C'était fini, alléluia, allégresse, joie totale. Le danger était loin, jusqu'à la prochaine fois. Il faut savoir savourer le frisson d'aise qui suit l'immense frayeur du néant. Une petite frustration pourtant m'effleurait. Un jour, il me faudrait vaincre, seule, moi et moi, seule. Ce jour là, serais je enfin, sauvée ?

Combien d'années, combien de soirs d'été avais je attendu ce moment de vérité ?
C'est là, c'est maintenant. Le moment est venu. C'est pour cette nuit. Je vais être chevalière en armure, ma raquette infernale à la main, qui touchera le gros ventre noir, Sainte Michèle archangeresse terrassant le démon, mon démon. Et le grésillement se fera. Mon arme contre lui, c'est la chaise électrique. Il va fumer, de tous ses pores, de tous ses yeux brillants, malfaisants. Il va se consumer seconde après seconde, les ailes, les pattes et je vais assister au massacre, en être même l'auteur !
Jouir de son trépas et comme tous les vainqueurs sur cette terre, lever les bras bien haut, la raquette encore chaude : "Je l'ai eu ! Je l'ai eu !".

Pour l'heure, il est quelque part. Dans cette pièce tranquille où les lumières tamisées se font confortables.
Je barricade les portes environnantes. Surtout pas la chambre. Et si, en dormant, il venait, silencieusement se poser sur moi ? Point de nuit possible tant qu'il rôde. Le massacre se fera dans le salon, face à face.
Je bouge, je tape dans les mains, je fais de l'esbroufe. Montre-toi, bête immonde ! Je suis là ! Viens ! Allez viens ! Approche tes yeux fourbes !

Et le voilà qui s'élève derrière la bibliothèque, bien planqué, furetant par petits coups d'aile le long du mur blanc.
Descends, oui, descends, encore, encore un peu. La raquette s'abat avant qu'il ne reprenne son vol.
Je tiens ferme la raquette et appuie sans faillir, fort, très fort sur le bouton latéral, sur le manche.
D'ordinaire, les saucisses sur un barbecue ne me font pas rêver. Là, je suis en extase.
Le bûcher l'estourbit mais il lutte encore et ma raquette immobile sur le mur est un vrai rempart.
Qui a eu cette idée folle, un jour, d'inventer la raquette, la tapette électrique ? Il mérite les palmes académiques.
Bien collé contre les croisillons de fer, il bouge encore, faiblement, grogui. Il ne volera plus.

Révulsée, ma raquette bien plate, un peu tremblante j'atteins l'évier.
Après le feu, l'eau bouillante. Il disparaît. Mon salon a remonté le temps jusqu'au Moyen Age.

Venu, vu, vaincu, et pour la première fois, seule, j'ai vaincu seule !

Oui, je sais. "A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire". Et c'est encore moins glorieux quand on garde ses prouesses pour soi.

Mais tout de même, bousiller, seule, toute seule, un papillon de nuit inoffensif, à peine plus gros qu'une grosse mouche, c'est grandiose, et la bagarre épique.

Permettez que je me félicite, à défaut d'en être fière...

 


"En campagne" de Nadine CHEVALLIER


L’homme se lève, fait face à l’assemblée.
La salle vibre de conversations croisées, on se salue, on s’apostrophe. Chacun a trouvé un siège. La salle n’est pas grande, une ancienne salle de classe, du temps où l‘école retentissait encore de cris d’enfants.
Devant le mur du fond, là où se trouve encore un tableau noir, on a placé un écran. Un vidéoprojecteur y envoie la photo un peu floue du village vu du ciel. La forêt et les étangs enserrent le bourg d’une ceinture de verdure noyée d’eau.
L’homme, il est grand et maigre, les cheveux blancs encore abondants, lève la main droite. Les gens assis peu à peu se taisent et le brouhaha comme une vague reflue. Le silence s’installe.

L’homme en costume sombre et cravate fleurie, la main toujours levée, voit passer dans sa mémoire l’image du petit garçon qu’il a été, ici même, levant le doigt pour répondre à la maîtresse. Il sourit, baisse la main et d’une voix tranquille, commence :
« Mesdames et Messieurs, tout d’abord merci.
Merci d’être venus si nombreux à cette première invitation. Merci de vous être déplacés malgré la froidure, le vent et … le match de foot à la télé (quelques rires fusent). Merci de montrer par votre présence l’intérêt que vous portez à la vie de notre village.
Beaucoup d’entre vous me connaissent. Certains étaient à l’école avec moi, ici même. Bien sur, la vie m’a éloigné de nombreuses années. Mon emploi dans une grande entreprise agro-alimentaire m’a conduit à travailler à l’international, m’a permis de développer des qualités d’organisation et de management et de me constituer un formidable réseau de relations.
C’est tout cela que je veux mettre à profit aujourd’hui au service de la communauté, au service de Saint Kléber des Étangs. »
L’homme fait une pause, appuie sur une télécommande. Apparaît à l’écran une photo de la place de la Mairie.
L’homme poursuit d’une voix plus forte :
« Vous le savez, Mesdames et Messieurs, notre village se meurt -irrémédiablement, disent les esprits chagrins. Non, mes amis ! Je ne partage pas cet avis affligeant !
Je me fais fort, avec votre aide, avec l’aide de tous, de donner un second souffle à Saint Kléber des Étangs.
Le budget de la Mairie est dans le rouge, déplorent les cafardeux. Je demanderai des comptes à l’équipe municipale dont la gestion regrettable a entraîné ce bilan catastrophique. Elle devra s’expliquer sur ses choix déplorables.
Avec courage, je ferai face à la situation
Avec persévérance, je mènerai le combat pour en sortir
Avec votre force à mes côtés, nous réussirons.»

L’image change et montre un chantier de construction.
L’homme enchaîne :
« Les entreprises, les artisans quittent la région, regrettent les nostalgiques. Non mes amis, je ne laisserai pas circuler de tels messages de désolation. Notre zone artisanale est riche d’expertises qualifiées. Je construirai des relations pérennes avec les professionnels du secteur. La confiance reviendra à Saint Kléber des Étangs et avec elle, la prospérité et des emplois pour tous ! »
Une nouvelle image : le camping sous la neige.
« Les touristes désertent le village, le camping va fermer, pleurent les affligés.
Non mes amis, le tourisme est une porte ouverte sur le monde. Je ne la laisserai pas se fermer. Saint Kléber des Étangs est riche d’attraits. Nos forêts, nos étangs sont de prodigieuses merveilles à mettre en avant. Notre sens de l’accueil, du partage, la générosité de notre population sont autant d’atouts qui retiendront les visiteurs de tous pays. Je saurai leur donner envie de venir et revenir à Saint Kléber de Étangs !
Vous le savez, Mesdames et Messieurs -il montre derrière lui l’écran où apparaît l’image d’un groupe d’enfants -, la situation n’est pas désespérée comme d’aucuns voudraient le faire croire.
Qu’ils aillent au diable les anxieux, les méfiants, les tourmentés !
Quelles que soient les embûches qui vont se présenter
Quelles que soient les contradictions qui me seront opposées
Quelle que soit l’hostilité
Quelle que soit la rivalité
Je ne baisserai pas les bras, je ne renoncerai pas.
J’irai jusqu’au bout pour que vive Saint Kléber des Étangs dans l’harmonie et l’abondance,
C’est pourquoi, Mesdames et Messieurs, je m’engage devant vous aujourd’hui à poser ma candidature aux prochaines sélections municipales »

La suite est une autre histoire...

 


"La vie comme elle va" de Marie-Odile GUIGNON


Le hasard voulu qu'il naisse dans la vastitude désertique d'une splendeur assoupie s'étalant à perte de vue hors du temps ! L'ombre d'un soleil noir hantait les méandres du terrain. Dans une courbe, il grandit, arbre majestueux il devînt. Cerné à perte de vue par son royaume doré, l'ambition de la procréation jaillit dans sa sève.
C'est ainsi que le temps s'inscrit dans des branches !
Divinement de fabuleuses fleurs extrêmement superbes flattèrent sa générosité, une jubilation surexcitée accéléra la production de graines qui, fécondées par l'ardeur de la conquête d'un territoire s'empressèrent de germer avec force et courage. Leurs tiges s'élevèrent envahissant les alentours fabuleux. L'arbre père contemplait divinement son œuvre : une forêt en effervescence resplendissait de feuillage verdoyant...
Sa stature superbe dominait la canopée. Sa puissance s'épanouissait au-dessus de ses descendants – L'arbre qui cache la forêt – Sa conscience s'éveilla soudain car un frémissement parcourait ses feuilles, impossible d'identifier son origine ? L'esprit souffle et nul ne sait d'où il vient et où il va - Sous son regard la forêt se déshabillait peu à peu de sa verdeur qui, gisant aux pieds des troncs brunissait le sol (c'était l'automne !). Il devait réagir !
Alors, ses racines développèrent des tentacules dans les profondeurs à des kilomètres à la ronde, connectées aux racines de tous ses enfants, elles organisèrent un réseau de communications, puissance souterraine ultra-perfectionnée !
Sa superbe affronterait ses premiers ennemis – Les saisons, vents, chaleurs torrides, tornades, tempêtes, froideurs et gels intenses...Et d'autres viendront... - Il n'est point de royaume opulent sans ennemis
Ce qu'il avait construit dans la sérénité de l’orgueil il devait le défendre avec fureur et héroïsme, inventer des alliances... faire appel à l'hyper-créativité de l'univers. Certains arbres se nommèrent persistants, s'armèrent d'aiguilles ! Hélas, le feu raffolait de leur sève de résineux. D'autres fabriquèrent des fruits pour attirer les bonnes grâces d'oiseaux gourmands apparus un beau matin dans le ciel du printemps des premières migrations de volatiles. Puis des arrivants se manifestèrent dans les sous-bois : animaux de toutes tailles, énormes et minuscules, bigrement débrouillards pour assurer eux aussi leurs survies.
Sur le qui-vive, les arbres se multiplièrent de toutes les tailles et de toutes les couleurs.
L'arbre-père de l'origine se débattait pour dominer, dominer sans relâche ! Il se haussait dans l'air, enflait son tronc et ses branches maîtresses, multipliait ses feuilles, embaumait de chlorophylle les alentours, poussait ses racines les plus lointaines à remonter vers la surface pour donner naissance à des rejets afin de se régénérer en cas d'attaque immodérée... Car...
… De nouveaux envahisseurs se glissaient entre les taillis... Les hommes ! Des hommes, nantis d'un attirail mystérieux... Déjà, quelques-uns de ses fils gisaient à terre expirant de leur sang clair, abattus, impuissants...
Alors la forêt remplie d'aversion et de rancœur pactisa avec les ronces, les épineux, les serpents, les araignées venimeuses, et toutes sortes d'insectes repoussants. La forêt développa, dans une collaboration archi-excessive, une hostilité et une animosité viscérale envers les humains.
Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?
L'arbre père avait gommé le désert, désert d'or blanc, inerte. Au sommet de sa puissance du vert à l'infini, à ses pieds la densité ultra-aveuglante d'un désordre végétal bienveillant où la vie circulait !!!
Était-il un héros ?
Question d'appréciation de l'esprit humain !
Épilogue :
Au fil des siècles, l'arbre-père devînt crépusculaire, la forêt baissa de vigilance les hommes s'y risquèrent, admiratifs de sa beauté. Ils inventèrent les gardes forestiers chargés de maintenir ses splendeurs, le vieil arbre fut admiré, vénéré, attribué de pouvoirs magiques, ainsi que quelques autres de ses descendants de noblesse de port.
Un équilibre s'était établi depuis ce jadis, mais aujourd'hui, il semble avéré qu'un déséquilibre et qu'une discorde viennent de surgir... Parce que sur tous les tons unephrase résonne dans l'atmosphère « Écologie, sauvons la nature, sauvons les forêts... »

Décidément, comme il est difficile de maintenir l'harmonie où que ce soit !



"Avec un bonnet de dragon" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Gauvain était un homme bigrement râblé, sacrément gentil, délicieusement idiot, fabuleusement pattu, divinement inspiré, superbement allumé.
À la fois à une tête de veau et à une bouille de porc faisait penser sa tête farcie d'idées, écumante de paroles, chevelue d'imagination, somme toute auréolée de courage.
Que les déesses se soient penchées un peu trop profond dans son berceau l'avait pourvu de qualités extra-humaines, archi-déroutantes, quasi-mythiques, totalement magiques… bien que parfaitement indétectables, au premier coup d'œil.
Sous un rougeaud vernis de bonhomie replète, cet enfant des dieux était bardé de 31 ans d'expérience, riche à profusion d'avoir exploré les paysages dans toutes leurs longueurs et leurs hauteurs, quand ce n'est leurs profondeurs, ici un lac infesté de caïmans, là un volcan faussement éteint, ou bien encore une grotte ébouriffée de stalagtites semblables à des glaives de boutiques qu'aurait exposé en herse un vénal armurier. De même, il avait usé quantité de villes.
Et autant de prouesses bouillonnaient comme jamais en Gauvain, rendant son corps trop petit, presque mal cousu car bien trop forcé de l'intérieur : il ne tenait plus en place, faute d'avoir déjà rongé tous ses ongles.

Est-ce aussi pour cela qu'il riait exagérément, bougrement et vachement ?
– oui.
Est-ce pour cela encore qu'il se sentait désespérément désœuvré, même lorsqu'il courait la brebis pour l'égorger et l'embrocher, dans l'embrasure de la nuit, lorsque le margotin rougeoie et commence à faire des étincelles semblables à des grillons épileptiques ?
– oui.

Tout homme a besoin d'une quête pleine de fureur et de suées, au moins une fois tous les dix ans.

Aimer sa nourrice et l'escalader occupa ses dix premières années – bien !...
Sonder ses manques, s'en plaindre et les dépasser fut au menu des dix suivantes – parfait, on comprend…
Puis surgit la décade du bâtisseur qui érigea sa chaumière en la meublant d'un bahut stylé, d'un lit à baldaquin, d'un sol tout en mosaïque et d'une femme avec sa suitée – mais depuis, plus rien !
Et déjà une année d'errance mentale et de jachère physique grossièrement déguisée en habitudes et en dialogues de série B.

Mais où sont les déesses d'antan ? On nous avait pourtant assuré que, quel que soit le moment où on les voit, elles gardaient le même âge, les mêmes facultés, la même ubiquité, la même providence.
N'étaient-elles plus éternellement là, avec nous, comme en nous, du moins au-dessus de nous, mais tout de même pas trop haut ?!
Gauvain buvait beaucoup, croyant que du vin jaillirait une quelconque révolution, à défaut se remaria autant qu'il put, en prenant bien soin d'intercaler à chaque fois un divorce.
Mais tous ces mouvements ne suffirent pas. Maussade, malheureux, désenchanté et anéanti devint-il, en un mot « ramolli ».

La tristesse est un couteau qui se promène la nuit, tel un aileron de requin qui tourne autour du lit, jusqu'au jour où elle nous poignarde d'une vision.
Il fit, en effet, un rêve qui, tant qu'il n'est pas réfléchi et exploité, se pavana en cauchemar…

Tout de blanc vêtu, il se trouvait au pied d'un tournesol géant. Surgit alors de la paupière de l'horizon un majestueux héron, avec un bonnet de dragon. De la maille !
Son vol calligraphié le rendait alternativement danseur et acrobate. Cet insecte lors de son apparition s'avéra être une baleine lorsqu'il le rallia. Soudainement un vent frais rabougrit son nez. Le ciel s'assombrit comme lors d'un méchant accident de coloriage. Et un silence de chambre froide nappa la contrée. L'échassier se saisit alors de la tête du tournesol.  Ce n'était point, pourtant, un fromage ! Tout disparut, comme une gorgée rend flagrant et mélancolique le vide qui la suit…

C'est à cet instant que Gauvain ouvrit les yeux : il savait désormais, au plus profond de lui, qu'il se devait de redonner à la Terre tout le Soleil qu'elle mérite.

Le lendemain, il partait, extra-excité, archi-résolu, immodérément enthousiaste.
Il se prit les pieds dans le paillasson : ça commençait bien : sa fureur se transforma vite en suées !
Il faut d'ailleurs dire combien son accoutrement le desservait admirablement !
Car, pour attirer le Soleil, il lui sembla pertinent de s'habiller en Lune, aussi était-il rebondi et tendu comme une patate métallisée.
Il dodelina ainsi des jours et des jours, partout où il put, essayant avec ses modestes atours d'attirer l'attention du Soleil afin de s'en saisir d'une partie.
Il sua argent et eau, mais sa vigueur ne chut pas. Il fallait le voir s'adonner à sa parade. Son inspiration était grandiose, et son énergie monumentale. Partout où il avait sévi demeura son fantôme tant l'image qu'il y produisit était forte, persistante, rémanente, revigorante, en fait « belle ».

Le Soleil se leva donc de son fauteuil. Descendit sur Gauvain. L'inonda. La Lune s'en réjouit. S'en souvint. En fut tellement marquée qu'elle garda pour l'éternité, l'éclat de ce roi comme s'il lui avait prêté sa couronne de rais.

 

"La montagne sacrée" de Caroline DALMASSO, texte écrit hors séance, dans les mêmes conditions

Brusquement la brume se dissipa, la montagne apparut dans les lueurs de l’aube. Elle était gigantesque… Ses pieds se perdaient encore dans les restes ombreux de la nuit tandis que ses racines plongeaient dans le coeur rouge de la terre en fusion, y puisant la force nécessaire pour une hyppothétique promesse d’explosion de colère.
Les flancs hostiles et mystérieux s’étageaient du violet le plus sombre au bleu du monde en éveil et, très loin, là haut, tout là haut, la cime s’illuminait doucement d’une étincelle de vie comme si Dieu avait décidé de sortir l’univers de son obscurité originelle afin de nous donner, enfin, accès à la connaissance ultime.
Mais le plan divin n’est pas accessible aux pleutres, aux paresseux et autres procrastinateurs, le plan divin se mérite et seuls les vaillants peuvent goûter au sublime, effleurer l’impalpable, contempler le merveilleux et peut être, peut être un jour dire l’ineffable.
Moi le plan divin, ça me tente bien. La connaissance, l’illumination, la sagesse, tout ça, ça me botte. Mais pour atteindre ça, punaise, il faut que je grimpe tout en haut de cette foutue montagne? Enfin c’est ce qu’on dit, prendre de la hauteur et tout le tintouin.
Le courage, je n’en manque pas. D’ailleurs j’ai affronté, pas plus tard qu’hier, des hordes de ménagères en furie… Premier jour des soldes! Je ne vous dis pas! Les troupes d’Attila le Hun conquérant le monde, des plaines d’Europe orientale aux portes de Constantinople, c’est de la gnognotte à côté.
Ben quoi, il fallait bien que je troque mes talons pour des chaussures de marche digne de ce nom! J’aurais eu l’air fine avec des nus pieds sur les sentiers escarpés longeant l’abîme, sur le chemin de ma vérité.
La vérité c’est que dans la boutique de chaussures, il n’y avait évidemment plus ma taille dans le modèle qui me plaisait. Pas étonnant vu le grand dévalisage en règle auquel
j’assistais . Ca m’a obligée à reporter mon choix sur une autre paire, beaucoup moins bien que la première je dois le dire, déception, mais bon, je me faisais une raison. Et là, même combat, nouveau désenchantement, plus ma taille, ou alors dans un horrible coloris bleu canard. J’étais au bord au bord de l’anéantissement. Complètement accablée je n’ai pas renoncé cependant. Sans me rechausser, je suis repartie à l’assaut des rayons du magasin me frayant tant bien que mal un chemin au milieu de la foule hystérique.
Bousculades, regards haineux, l’hostilité était palpable, pas de doute c’était la guerre.
J’étais sur le point de renoncer, de battre en retraite, de déserter quand soudain, sur un étal à moitié vide, je les ai vues. Elles étaient comme éclairées de l’intérieur… Une onde exquise a parcouru mon corps, c’était une véritable apparition divine. J’ai vécu, le temps d’une seconde d’éternité, le temps d’appréhender le Kairos, une expérience mystique…
Elles sont belles, magnifiques, elles sont roses, elles ont des paillettes et les lacets sont en crin de licorne magique.
A la vue des baskets de mes rêves, au bord de l’extase, je me suis élancée, le monde s’est effacé, plus rien n’avait d’importance, plus rien ne comptait que le saint graal tant convoité. Il me les fallait! Ma respiration s’est accélèrée, l’oxygène a afflué dans mon sang que j’ai senti pulser dans mes tempes, mes muscles se sont bandés, mes forces se sont décuplée et j’ai bondi dans l’arène. J’ai dégagé d’un coup de sac une pétasse plantée au milieu de mon ascension, j’ai griffé de mes ongles acérés une grognasse qui faisait mine de s’intéresser à l’objet de tous mes désirs. Horrifiée je l’ai vu les frôler, les effleurer, elles voulait me les prendre. NON, Elles sont à moi!
Je touche au but, je les vois, je les sens, je les touche, je les prends, je les tiens contre moi. Dans cette vibration je vis un moment de félicité, j’atteins le nirvana…
Bon c’est pas tout, ça c’était hier. Aujourd’hui c’est rando, il est 8h, on en est qu’au début et je suis déjà fatiguée. il faut dire que mon parcours initiatique de la veille m’a épuisée.
« Eh! les copains! En fait, allez y sans moi. Je vous attends là. J’ai des nouvelles chaussures et elles me font mal aux pieds. »

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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