SAMEDI 20 septembre 2025
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du Cycle "Techniques fécondes, tonique faconde - année 3"

Animation : Régis MOULU

Thème : Etre le plus libre et le plus généreux qui soient

L'écriture - comme beaucoup de choses - fonctionne mieux lorsque l'on se sent libre et généreux. Cela apporte à nos textes des qualités d'affirmation, une voix singulière, un chemin inédit, un style sans concession en plus d'une vitalité empreinte d'une force de partage. L'élan créatif n'en est que plus fort. C'est tout cela que nous explorerons au cours de cette marquante séance !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance: Écrire une histoire située dans un lieu que nul n'a jamais vu (ou que le protagoniste principal n'a jamais bien regardé/e) ou vis-à-vis d'une personne qu'on ne connaît que superficiellement. Coups de théâtre incessants, positifs et négatifs, sont de mise.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support avec notamment la délivrance de la méthode du "free writting" a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Les poissons-salsifis" de Régis MOULU

 


"Les poissons-salsifis" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Bon eh bien voilà, l'avarie était fatale. Le bathyscaphe coulait lentement tel un ascenseur mal entretenu. L'issue devait ressembler à une explosion. Ah la pression, toujours la pression ! Romuald ne s'en mordait pas les doigts. Au contraire, ses mains s'impatientaient que ses yeux découvrissent des nouveautés ondulantes. Et quel festival que ce qui advint : lasagnes de salades comme prises sous des loupes de grosseurs différentes, poissons-salsifis, nuage de crevettes irisées par la lumière du plafonnier que constitue le jour hors de l'eau, serpentin de murène qui chasse ce qui ressemble à un poulpe particulièrement délié, tout ce monde inédit habitait son seul et unique hublot transpirant. Les fixations semblaient fragilisées. Le froid de la vitre glaça son nez lorsqu'il l'y colla. Le spectacle benthique l'absorbait tellement qu'il n'y prête pas attention : nez blanc. Aussi respirait-il ce fond marin, élargissait-il son espace à vivre, son sentiment de liberté, la joie dans ses veines. Des yeux qui pétillent se dédoublent, se triplent, voyagent beaucoup plus, font d'incessants allers-retours, bref émulsionnent le cerveau. Une ombre oblongue soudain couvre le petit amas de tôles déboussolé. Il se voit plongé dans la même poésie que nous offre un nuage dont l'ombre court sur un vallon. L'être humain a toujours manifesté un attrait pour ce qui est plus grand que lui et qui bouge. On éprouve bien un amour pour ce qui nous oblige à être humble, à sa juste place, voire fragile et en sursis. Peut-être est-ce la seule façon d'être vraiment " soi ", après tout. Il s'agit d'un paquebot qui passe. Amande que les ondes rendent limace : une citerne flottante pleine d'individus, une chance minime d'être secouru. Mais est-on toujours assez gros dans le radar de l'autre ? Une traînée de météores bleus le suit, Romuald ne se doutera pas que ce sont des dauphins. À l'intérieur de son habitacle réduit, l'air est appauvri. Une large possibilité de vertiges tourne maintenant autour du sinistré. D'ailleurs ses idées s'associent désormais étrangement. Il est, malgré lui, comme dans une autre logique, une nouvelle approche de l'existence. Tout est plus fluide, plus massif, plus vrai … en somme plus fou sans être fou. Un ban de poissons solidaires offre leur chorégraphie d'oiseaux. Pas tout à fait des rougets. Leurs gueules relèvent de la magie du masque africain. Une tribu de sorciers en fin de compte. Pourquoi courtisent-ils le bathyscaphe à la faveur de leurs géométriques et ésotériques déplacements ? Notre forcené étudie cela de près. Comme quand, enfant, il épuisait les heures à regarder ici une libellule, là une mante pas si religieuse. Les animaux ont-ils une imagination pour être à ce point inspirés, décidés, sûrs de leurs choix comme si en définitive, ils ne choisissaient rien, tout s'inscrivant dans une liberté, un naturel, une nécessité, une vérité qui nous dépasse ? De toutes ces observations, Romuald s'en nourrissait, c'était depuis toujours son lait maternel, notre homme présentait un beau gabarit. Finalement il était comme au cinéma sauf que l'écran était rond. Évasion passagère tant il était conscient de dériver, ça faisait une heure que la manette défectueuse avait lâché, comme cassée à sa base, conclusion : les petites hélices de propulsion s'avéraient " inopérationnelles ", et le voilà ballotté au gré des courants, et à la longue, emporté vers le fond, les bas fonds. Il avait mis son plus beau costume : vivre l'expérience de ses rêves méritait bien cela. Il avait beaucoup économisé les mois qui précédaient. Avait loué une petite chambre sur le port. En parlait avec énormément d'enthousiasme à son entourage et aux personnes qu'il croisait, ces derniers temps, essentiellement des buveurs de bière au Bar des Grosses Baleines. Mourir lors d'un plaisir n'était pas tout à fait mourir, après tout. Et le voici, malin comme un homard, à se réarmer d'une pince afin d'avoir prise sur le bout de métal cassé. En vain. Mais il aura essayé. " Avec ses ongles ", comme une bête qui serait dotée d'un meilleur instinct de survie que lui : pas mieux. Nul regret. Il fut méchamment secoué tout comme son " dodu cloporte de métal ". Sa tête cogna. La tempe droite. Du sang le maquilla aléatoirement. Sa face telle une peinture au Palais de Tokyo ! Dans le hublot, une grille de mots croisés mais sans aucune case noire était apparue. Avec son doigt, il entreprit d'y placer quelques lettres que la buée naissante rendit éternelles. Improbable scrabble qui prenait la dimension d'un bouquet final. Il s'agissait des maillages d'un chalut. Son embarcation, s'était-elle transformée en cétacé comestible ? Et si on le remontait à temps, à l'air libre, parmi les thons et les morues, il pourrait de nouveau programmer une plongée, peut-être même la semaine prochaine ?! Drôle d'impression que de se faire tracter. Un bonheur enfantin l'envahit, un sourire lui échappa, sa raison ayant perdu les commandes. Le film de son immersion venait de s'accélérer. Les décors défilaient, et surtout les espèces maritimes s'intensifiaient en nombre et en variétés au point de taper contre son bâtiment. Masse remplie de proies agitées comme le seraient des œufs dans une casserole d'eau bouillante. À l'agitation suivit l'affolement, à l'affolement la détresse de la proie qui se sait être " proie ". Ratissage bien infâme, rafle qui fera l'opulence des assiettes. Il y avait aussi comme " quelque chose proche du bol d'un mixeur vu de son dedans ". Le chalutier approcha du port. Le filet fut remonté. Le bathyscaphe découvert. Puis ouvert. Romuald inanimé à l'intérieur. Des interjections et des commentaires s'additionnèrent. Le sang sur son visage dessinait une silhouette, une sorte d'homme en houppelande cramoisie. Un enfant dans l'assemblée des badauds que le drame avait réanimé vit cette figurine bouger, parler, prophétiser. Une bonne I. R. M. qui sera inventée à peu près dans trente ans aurait permis d'accéder à toutes les pensées qui vinrent se ranger dans les étagères de son jeune cerveau. Cet homme s'appelait Anselme. Il était conte au temps du Moyen-Âge. Son désir le plus grand était de découvrir une terre inconnue, là où les hommes savent qu'il n'y a plus d'hommes, là où les animaux ringardisent nos connaissances, là où la végétation rouvre des possibilités, là où le spectacle est complet, là où l'inconnu est souhaité, fêté, honoré et aimé comme un enfant qu'on protège : bref, s'exhalant de la blessure de Romuald, tout un music-hall de l'espoir s'exprimait.

 

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
Retour page Atelier d'écriture