Ci-après
quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):
- "L'agence VAM"
de Nadine CHEVALLIER
- "Ailleurs, c'est
mieux !" de Jean-François SANS
- "La descente au
paradis" de Fabienne SENNEVILLE
- "Qui veut s'envoyer
dans l'espace, sélectionne ses rayons"
de Marie-Odile GUIGNON
- "Voyage intergalactique" de Véronique VALADE
- "Aujourd'hui... hier..." de Janine NOWAK

à droite, Françoise BOISSEAU incarnant
un texte venant d'être écrit
(coll. J. NOWAK)
"L'agence VAM" de Nadine CHEVALLIER
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capitonnés ou fauteuils roulants à disposition.
La vieillesse avec VAM : des repas à heures fixes, aliments hachés ou
moulinés à volonté.
La vieillesse avec VAM : des animations culturelles gratuites, coloriage,
loto ou petits chevaux, l'embarras du choix.
La vieillesse avec VAM : des activités sportives adaptées, déambulateur
ou kiné sur ordonnance médicale.
La vieillesse avec VAM : dites NON à la solitude du grand âge, chaque
jour, de nouveaux amis vous surprendront par leurs facéties.
Grâce à nos espaces spécialement aménagés, vous vivrez sans solitude
les jours de fête, sans chaleur les jours de canicule car :
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vos pertes de mémoire, vos défaillance physiques, vos troubles sphinctériens
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satisfaire jusqu'au bout...
La fin du voyage vous sera douce avec VAM…
Car avec VAM, la vie s'enflamme !
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"Ailleurs,
c'est mieux !" de Jean-François SANS
Ailleurs, c'est mieux !
Du moins c'est ce que disent les gens. Les gens, ils ont souvent raison.
Il faut tout de même oser y aller ! Ailleurs. En avoir envie. Moi, c'est
venu petit à petit l'envie d'y aller. À force d'entendre les gens: "
Là-bas, c'st mieux qu'ici ! Là-bas, il se passe des choses. Des choses
étranges. Bizarres, étonnantes. Des choses qui ne se passent jamais
ici. Mais quand on les questionne, les gens, ils répondent: " Des choses,
je vous dis… "
Autant ne rien dire! Vous oseriez y aller, vous, ailleurs ?
Ici, on connaît. Tout n'est pas rose, tout n'est pas beau. Mais on connaît
bien? C'est chez soi. On a l'habitude. Mais, là-bas. Avec tout ce que
les gens sur ces choses extraordinaires. Ça fiche la trouille, tout
de même !
Vous oseriez, vous ??
D'ailleurs, ailleurs c'est tellement mystérieux qu'on ne sait même pas
si c'est loin! Vous avez déjà vu un panneau indiquant la direction "
AILLEURS " ?
Vous connaissez le proverbe " Ailleurs, c'est plus loin qu'ici " ou
encore " Plus va ailleurs, moins on reste ici ".
Non, ça fait vraiment peur! Il y a des jours où je me demande si ailleurs
existe vraiment. Pourtant il y a des tas de gens qui ont envie d'y aller.
Ma voisine, par exemple. Une grande voyageuse. Elle a fait tellement
de pays pendant ses vacances. Et bien, elle me parle toujours d'ailleurs.
Comme si ici n'avait pas d'importance. Elle me dit même qu'elle rêve
d'aller ailleurs…
Alors, moi, à force d'entendre tous ces on-dits. À force d'entendre
ma voisine et les gens qui ne disent pas ce qu'ils y ont vu. Ça m'a
fait rêver, moi aussi. Rêver à un point que je ne pensais plus qu'à
ça! Je ne parlais que de ça. J'en parlais à tout le monde. Les amis,
compatissants, écoutaient et me donnaient raison. La famille. Je sais
bien la famille, elle devait penser: " encore une de ses idées… " Bref,
ça m'obsédait. J'ne parlais même au boulanger. Il revient de loin, lui.
Transplanté cardiaque. Il sait écouter. Finalement, c'est lui qui a
tout déclenché. " Vous y êtes déjà aller… ailleurs ?
- j'y vais bientôt ! "
J'étais coincé. Comment oserai-je acheter mon pain après cette déclaration
? Il ne manquerait pas de me demander: " Alors c'est pour bientôt ??
"
Coincé vous dis-je !
Alors un matin, ça m'a pris ! Ce genre de matin où l'on se réveille
et on sait. On sait qu'on va prendre la bonne décision. Je suis allé
le voir, le boulanger. J'ai acheté un croissant, au beurre. Et droit
dans les yeux je lui ai dit: " J'y vais ! "
Après le petit déjeuner, il n'y a pas de bonne journée sans petit déjeuner,
je suis sorti de chez moi. J'ai marché dans ma rue. J'entendais ma mère
me dire: " pourquoi aller ailleurs ? On n'est pas bien ici ?? "
J'ai marché comme si de rien n'était, et d'un coup, j'ai tourné au coin
de la rue…
"La
descente au paradis" de Fabienne SENNEVILLE
Vous ne me connaissez pas encore !
Moi je dis toujours :
" Le monde est à portée de main, mais faut bien la choisir ! " (la main…
enfin…)
Alors j'ai pris un train…
Rêve ou réalité ? Moi-même je ne sais plus.
Vous verrez qu'il y a de quoi douter…
Un train, une gare et l'ombre du passé
Un nuage épais m'a poussée
Dans une zone interdite, la maudite
Celle qui fait peur aux heures dites.
D'un seul coup, éblouie, aveuglée
Mon corps, transporté, absorbé
Par je ne sais quelle puissance,
Comme un fou, est entré en transe.
Tout à coup, la terre s'est mise à trembler
L'espace s'est ouvert sous mes pieds
J'ai sauté dans le vide malgré moi
Je ne pouvais m'agripper aux parois
Moi qui dis toujours :
" S'aventurer dans un trou noir peut endommager la mémoire "
Là, j'étais gâtée, pas d'issue…
Alors j'ai glissé en roues libres dans le fond
Dans le tréfonds, dans le profond…
Je ne pouvais m'arrêter !!
Aucun bruit, aucune ombre, aucune vie,
Arrêt net aux enfers…
Terminus, tout le monde descend !
Et là ! Merveille des merveilles
Comme Alice et son chat
Une odeur délicieuse et inconnue
Me transportera droit vers un pays
Digne de Gulliver
Des êtres magnifiques m'ont accueillie
Chantant des petites mélodies
Qui se sont enchevêtrées entre elles
Et ont su me donner des ailes
Un soleil éblouissant sortait des petits hublots,
Certainement acheminé par des tuyaux…
Type bambou ou liège…
Moi qui dis toujours :
" Une lumière en vaut bien une autre "
Celle-là était la perfection même.
Du jamais vu !! Croyez-moi.
Un phénix est né en moi à e moment là…
Après avoir poussé la chansonnette avec eux, ils m'ont prise par la
main et m'ont présentée au reste de la tribu ; ils m'ont fait des massages…
un peu comme ils existent dans certaines tribus asiatiques vous savez
! Et je sais de quoi je parle sinon je me tairai !!
Moi qui dis toujours :
" Ne parle jamais si tu n'as rien à dire " ou dans une autre forme assez
proche : " N'affirme jamais quelque chose dont tu n'es pas sure ".
Alors j'ai pleuré, pleuré et pleuré.
Le plexus solaire avait finit par toucher les tuyaux.
Ensuite nous avons mangé,
Mangé des aliments à base de soja qui, pour eux, est symbol de pureté
et de sagesse.
Enfin, la sagesse serait plus symbolisée par le lait de soja m'ont-ils
dit.
Après tous ces délices des sens : l'odorat, le touché, la vue, le goût
et l'ouïe, aurai-je pu espérer remonter à la surface ?
Oui, car j'avais quelques courses à faire…
"Qui
veut s'envoyer dans l'espace, sélectionne ses rayons" de Marie-Odile
GUIGNON
L'opaline du croissant blanc des nuits marines sera ma
destination.
De ses éclats temporaires je décoderai ses mystères. Ce soir, gala d'orages,
tous les nuages, s'habillent de zébrures. Rien de tel qu'un bel éclat
brillant pour voyager rapidement. Les transports électriques, c'est
économique et écologique. Le trajet se déroule dans les éblouissements
et dans les bondissements d'une rayure à l'autre !
Finalement projetée par un nuage coléreux, j'atterris sur le croissant
blafard.
Je m'accroche à son sourire goguenard…
Je le scrute parcimonieusement.
Il a un visage resplendissant de scintillements.
" Quand le croissant sourit, rêver avec lui.
S'il ferme les yeux, balancez-vous dans les cieux.
S'il découvre ses reliefs, palpez-les de douces caresses.
Sur la courbe de son dos, jouez du piano. "
Réconfortée par le confort moelleux de son arc parfait, je me lance
dans l'exploration de ce corps céleste. Je chemine, je farfouille, je
survole, je rase, je fouine, je m'attarde ici et là…
Quel merveilleux croissant ! Je tamise la poudre magique de ses cendres
argentées, j'attrape les brins de ses rayons rares, je cueille des pierres
précieuses dans l'espace lunaire, j'écoute les subtilités des songes
de nuit semées tous azimuts, mes regards se perdent dans l'horizon sans
fin de l'espace sidéral, je plonge dans les cratères de sa face effacée,
je déplisse les canyons de ses rides ombrées, je nage dans ses fleuves
glacés, j'escalade ses monts acérés…Il m'offre l'abondance de ses biens
d'astre lunaire… Le temps passe. Je découvre son caractère lunatique…
Un caractère croissant… en Lune montante qui arrondit une face... Un
peu de prudence me semble nécessaire car…
Il croît imperceptiblement, mais sûrement…
L'échéance du séjour, c'est le yin et le yang fondant dans le cercle
de la métamorphose. C'est l'arrondissement d'un arc visible avec l'arc
invisible d'un disque noirci…
Diablerie !
J'ai dépassé la frontière du croissant visible.
Une réflexion de frontière ?
Paf ! Je m'égare.
Pif ! Me voilà séquestrée dans l'obscurité.
Pof ! En stationnement la nuit tombée.
Bof ! Dans un chaos de frilosités !
Pfff ! Un peu de patience me semble nécessaire car…
" L'aventure commence à l'aurore,quand le mensonge lunaire
se dessine dans le ciel clair. "
Inversion du croissant…
Pour le retour,
Il devient décroissant.
Il tend la corde d'or de son arc blanc,
Je chevauche sa flèche d'argent et d'un trait de laser,
Je redescends sur terre… Boum !
Là-haut, une virgule d'opaline blanche dessine son profil éclatant dans
un ciel nocturne percé de milliers d'étoiles.
" Les voyages s'archivent sur les rayonnages de nos univers. "
"Voyage intergalactique" de Véronique VALADE
Mon dernier voyage ? C’était en juin. Je suis partie 2 mois. C’est sur, dès qu’on fait un voyage intergalactique, il faut prévoir du temps. C’était très bien. Sauf la bouffe. Passée la 1ere semaine, il n’y a plus de produits frais. Ils ont bien des congélateurs mais on ne fait des repas 5 étoiles avec des produits congelés. Ceci dit, ce n’était pas un voyage 5 étoiles mais j’avais quand même ma chambre avec vue sur terre et un balcon. Non je rigole, ils n’ont pas encore fait les fusées avec balcons, mas ça viendra. Côté animation, tout était prévu. Le soir, c’est soirée dansante en apesanteur. La première fois, ce n’est pas évident. Mais après on s’y fait. On sait faire les atterrissages avec amorti en choisissant sa cible, un jeune et joli garçon de préférence. Il faut bien viser, car la moyenne d’âge est assez élevée. Par contre, il y a plus d’hommes que de femmes. C’est une sacrée expérience, dans l’espace. En apesanteur, vous imaginez… Non c’est difficile, il faut le vivre. Je vais quand même pas vous raconter…
Donc le but du voyage était une visite guidée des cratères de la lune et observation de mars. Très instructif. Les guides, super, très calé, en tout.
Donc on a visité le premier cratère et on a dormi à l’hôtel sur place. Il est beau l’hôtel, très design. On n’en a pas des comme ça sur terre. Ensuite, on a fait différents sites, on s’est déplacé en navette. On est allé jusqu’à Mars-ville, la ville ou se trouve le grand observatoire pour scruter Mars. Alors là, il y a du monde. Pour l’observatoire, il faut réserver son créneau horaire. Mais ça vaut le coup. Franchement, si on va sur la lune, il faut absolument aller à Mars-ville. Et là, il y a pas mal d’autochtones. Ils sont sympa. J’ai un avantage, je parle le lunaisien. Ca aide pour bien communiquer. J’en ai rencontré un, il s’appelle Yaquive. Il a les yeux rouge brillant. Quand il te regarde, tu es transpercé. Et quand il te touche… tu es figé. Leur température corporelle est de 20 degrés.
Mais c’était bien. Il a un bel appart. Il m’invite l’année prochaine. Je retourne sur la lune pour 6 mois, ou plus si affinités.
"Aujourd'hui... hier..." de Janine NOWAK
Ecoute-moi, mon Bébert : aujourd’hui, j’ai envie de nous sortir de notre médiocrité, d’oublier un instant notre marasme ; j’ai besoin d’une bouffée d’oxygène, tu comprends ? Aussi, j’ai pris la décision de nous faire rêver…
Comment je compte m’y prendre ? C’est tout simple : je vais relater une soirée de l’époque où j’évoluais dans le grand monde.
Et le voilà qui rigole ! Il ne me croit pas ! C’est pourtant la vérité. J’ai connu des jours meilleurs. Avant de tomber au bas de l’échelle, j’étais au sommet.
Je galèje ? Non te dis-je ! Tu m’attristes et tu me vexes à la fin ! Je te jure, j’ai été quelqu’un d’important, quelqu’un qui comptait ici-bas ; je faisais partie de la Haute Société !
Et puis… et puis, un revers de fortune… la dégringolade et pour finir, la débine, la dèche totale, le ruisseau.
Tu doutes de ma parole. Réfléchis un peu : tu apprécies ma conversation ? Oui ? Alors, à ton avis, comment connaîtrais-je tant de choses si j’étais née dans le caniveau, hein ? Tiens, tu peux m’interroger sur n’importe quel sujet. Essaie un peu pour voir. J’ai de la culture tu sais, j’ai reçu une instruction très poussée, j’ai obtenu des tas de diplômes. Allez ! Allez ! Vas-y !
La capitale du Honduras ? Tegucigalpa !
Le théorème de Thales ? Par tout point extérieur à une droite, on ne peut faire passer qu’une parallèle à cette droite, et une seule !
Qui a écrit : «Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches » ? Verlaine !
Mais dis-moi… Tes questions prouvent que toi aussi tu as eu un passé plus brillant qu’il ne parait de prime abord, et que tu n’as pas toujours fréquenté « la cloche », où nous évoluons, hélas, aujourd’hui ! Petit cachotier ! Il faudra que tu m’en parles un jour de ton « jadis à toi ».
Allez, sois gentil, écoute-moi. Voyageons dans le temps, veux-tu ?
Gommons quelques décennies, projetons nous à l’époque bénie de notre jeunesse.
Commençons par nous installer confortablement dans un coin tranquille, sous ce pont. A présent, laisse-moi faire : je vais évoquer. Ferme les yeux et contente toi de me suivre : embarquons sur le bateau des souvenirs…
Voilà, je plante le décor. C’est un beau soir d’automne. L’air est très doux. Je porte une longue robe blanche en taffetas et organdi. C’est le jour de mon anniversaire : je fête mes 25 ans et je suis l’invitée d’honneur du raout organisé par Monsieur le Vicomte Harebourg de la Base de Lancement. Le manoir scintille de tous ses feux. La soirée bat son plein. Les conversations vont bon train. Tout le gratin est présent.
Un célèbre couturier-styliste se complait à raconter sa vie décousue.
Un chirurgien-dentiste, passionné de navigation, décrète qu’il va prendre une année sabbatique afin de voguer avec son nouveau voilier sur les mers du monde entier.
Quelqu’un de bien informé certifie que, ses affaires allant au plus mal, le patron de l’usine de textiles file un mauvais coton.
Le commissaire de police se gargarise volontiers de ses exploits ; il vient, ce jour même, après l’avoir fait mijoter en garde à vue pendant 24 heures, de cuisiner un charcutier-traiteur soupçonné de cannibalisme !
Conformément à sa chère habitude, c’est cramponné au buffet et se gobergeant tant qu’il peut, que nous trouvons le Curé de la Paroisse, le Révérend Père Itoine, qui, ce soir là, tient compagnie à un nouveau venu dans la commune, le Rabbin Moussan.
Et puis voici que surgit, copieusement abreuvée de Champagne, l’inénarrable et pétulante Baronne Liliane de La Forest. C’est une toute petite femme d’ 1,47 m qui, lorsqu’elle est un peu trop imbibée, devient très farceuse et a tendance à tenir des propos un tantinet « olé-olé ». Et la voici qui fonce brusquement sur le Rabbin Moussan à qui elle n’a pas encore été présentée. Se plantant sous le nez de celui-ci, elle déclare tout de go, avec un incroyable aplomb : « Bonjour. Je me présente. Lili… pute ! Pour connaître mon adresse, demandez-donc au notaire, un fidèle client qui vient souvent en tapinois, voir la tapineuse que je suis ! ». Gros scandale. On dut reconduire la Baronne chez elle, manu-militari.
Ah, que je te parle aussi, de Madame la Sous Préfète. Ce n’est pas triste non plus, tu vas voir. Anglaise d’origine, elle se prénomme Polly. En temps ordinaire, c’est une femme charmante, très digne, qui fait honneur à son époux. Hélas, tout comme la Baronne, elle supporte mal les boissons alcoolisées. Nous en étions aux petits fours sucrés, lorsqu’une intempestive volée de cloche se fit entendre et nous attira tous sur la terrasse. Et là… spectacle affligeant : la Sous Préfète, cramponnée à la chaîne de la cloche du portail, carillonnait à tout va. Nous voyant réunis, elle s’écria hilare, avec son délicieux accent : « Ha-ou… You pas sa-vouar ? But, il feu-oo que Polly sonne ! ! ! ». On expédia discrètement cette dame « fatiguée », comme on dit pudiquement dans ce milieu huppé.
Après ? Oh après, la plupart des invités commençant à être sévèrement imprégnés, c’est la spirale infernale. Se souvenant qu’ils sont à un pince-fesses, quelques-uns de ces pignoufs se permettent quelques privautés sur ma personne. Je dois les souffleter.
Gavé de nourriture, et donc candidat à la crise de foie, c’est généralement le moment où l’abbé rend.
Le vernis craque. De bonnes blagues, bien graveleuses, fusent, tandis que la tisane infuse.
Brusquement, le président du club de foot se met à scander : « Allez les verres ! Allez les verres ! ». Comme nous sommes loin de la ville de Saint-Etienne avec son fameux football club, et que de surcroît, il agite sa coupe de Champagne, il est aisé de comprendre qu’il réclame ainsi une nouvelle tournée !
Sur le tard, le vieux Colonel, grand amateur de chansons paillardes, décrète qu’il va fonder une chorale avec ces messieurs. Constatant l’état dans lequel ils se trouvent tous, je me dis, qu’il pourrait baptiser son groupe de pochetrons : « La Chorale des Grands Chanteurs à la Gueule de Bois » !
Que dis-tu Bébert ? Je viens de tourner une page de ton passé ? Ton nom est Aldebert Harebourg de la Base de Lancement ? Tu es le fils du Vicomte ? Et tu assistais à cette fameuse soirée ? C’est à peine croyable ! Tu étais un des pignoufs que j’ai dû souffleter ?!?!!
C’est merveilleux, Aldebert, merveilleux !
La vie est magnifique !
Hé bien, je vais te faire un aveu : je préfère, incontestablement, le charmant et courtois Bébert d’aujourd’hui - même s’il est moins reluisant - au jeune freluquet de l’époque, pédant, trop content de lui, imbu de sa jeune personne !
Morale de l’histoire : la bonne éducation n’est pas toujours là où on pourrait s’attendre à la trouver. Et posséder des millions n’est pas synonyme de distinction.
Allez, empressons-nous de fêter ces retrouvailles. Sers-nous un coup de Beaujolais, mon Bébert. A la bonne notre ! Et puis, foin du passé avec ses fausses valeurs. Vive le présent !