Ci-après
quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):
- "La leçon"
d'Angeline LAUNAY
- "Cours d'art dramatique"
de Janine NOWAK
Guillaume EYMARD incarnant un texte ardant... (coll.
Janine NOWAK)
"La leçon" d'Angeline LAUNAY
(Le professeur Nemo a aligné dix pots avec une fleur plantée dedans.
Il entreprend de leur apprendre à lire. L'index de la main droite levé,
il s'adresse aux fleurs.)
Mesdemoiselles, je vais vous enseigner l'alphabet. La première lettre
est " a ". Voyons, ce n'est pas compliqué : " a ". (Il sourit) " a "
(Il insiste) " a " (Sévère) " a " (Enervé) " a " (En colère) Eh bien
" a " (Eructant) " a " (Indifférent) " a " (Ramolli) " a "… Bon, je
considère que c'est intégré, oui mesdemoiselles, intégré !
La lettre suivante se prononce en rapprochant les lèvres : " b " (très
calme) " b ", c'est ça " b "… be be be be be. Oui, vous y êtes presque…
On ne va s'énerver cette fois. Je sais que vous me captez (Hochant la
tête de haut en bas) C'est simple, c'est très très simple… Vous verrez
quand on en viendra à la lecture… Vous serez (il écarquille les yeux)
étonnées… Vous tressaillerez de joie… (Il rit de manière peu naturelle)
Ho Ho Ho… (Il respire profondément en fermant les yeux) Vous vous extasierez
à la musique des mots, à leur sens, ah le sens des mots… (Un moment
de silence inspiré puis il reprend de manière incantatoire) Oui mes
filles, les lettres forment des mots, qui forment des phrases, qui génèrent
des pensées ou des idées si vous voulez… (Il se tient le front) Ah,
tout ce qui grouille dans un cerveau… un cerveau gauche, (Il saute à
gauche) un cerveau droit. (Il saute à droite)
(Changeant de ton, il redevient didactique) Bon, dites " c " maintenant.
Allez… " c ". Je vois bien, mes petites mutines, que vous n'êtes pas
très attentives… Je vous sens un peu ailleurs… (Mielleux) Voyons, secouez-moi
ces petites corolles… expansez-moi ces petites consciences… Ce n'est
pas sorcier un alphabet ! (Se parlant à lui-même) Quoique, si on y réfléchit
bien, tous ces signes kabbalistiques... Il faut le temps de l'initiation…
(Il racle la gorge et adopte un ton docte) Vous allez voir ce que vous
allez voir… Si je vous dis " d ", " t ", " p "… Ah, vous entendez qu'il
se passe quelque chose… Qu'est-ce qu'elles reçoivent vos oreillettes
? "de", "te", "pe" (Il attrape une assiette en carton) Voilà, c'est
comme un miroir, un petit bouclier… " de " : je vous montre le miroir...
" te " : vous vous regardez dedans. Et " pe " : nous repoussons cet
écran entre vous et moi. (Il fait le geste de repousser) " pe ", " pe
". Vous entendez… les syllabes parlent toutes seules ! (Convaincant)
Pas besoin de leur expliquer la nature du message…
Tenez, si vous prenez " fe ", " se ", " ze "… Vous le sentez ce zéphyr
qui passe… (Il insiste sur les consonnes) " ffe "… Il accourt le vent,
du Nord, du Sud, de l'Est ou de l'Ouest… tantôt froid, tantôt chaud,
sinueux et insistant, sensitif comme une caresse autour de vos frêles
robes… " sse ", " sse "… Son souffle s'insinue sciemment sous les sassafras…
Si, si… (Suivant son délire) " ze ", " ze ", il repart ze zagouin, comme
il était venu, comme il reviendra zi le zinzin lui en dit, et zi zon
inzpirazion lui zazite le zébulon ! (Emphatique) Ainsi parlait Zarathoustra…
Vous rendez-vous compte… Le jour où vous pourrez rencontrer ce magicien
dans le texte, (Il dessine une spirale avec la main) dans le contexte,
la contexture, la texturescence verbale et même non verbale…
(S'approchant de ses élèves, il met le nez sur leur pistil) Ah mais
oui, mes petites lutines… Comment n'y avais-je pas pensé… Vous êtes
dans la communi- cation non verbale… Vous êtes ce que l'on pourrait
appeler " l'inconscient révélé "… (Il passe la main plusieurs fois devant
ses yeux) Je vous vois, je ne vous vois plus. Vous me voyez, vous ne
me voyez plus. (En détachant chaque syllabe) Et nous nous com-pre-nons…
Et nous com-mu-ni-quons… sans alphabet, sans mots, sans phrases ! Nos
pensées n'ont pas vraiment besoin de tout cet arsenal alambiqué, obsolète,
inutile ! (En colère contre lui-même) Moi, le professeur " Alambicus
"… " Obsoletus ", " Inutilus "… touché et coulé dans les entrailles
de son Nautilus !
(Pleurnichant) C'est la ruine du système traditionnel, l'avènement du
système D ! (S'exprimant comme s'il avait perdu l'esprit) Tenez, je
ne vous avais pas encore parlé de la lettre " d " : ddddd, dddd… " d
" comme les dents, le dentifrice ou la digitale, " d " comme didascalies,
décalcomanies, doubitchous et daturas - à cheval sur mon dada - " d
" comme dinde, dindon, débandade, déluge, déraison… Voilà où j'en suis
mes mignonnes… dans la débâcle de la méthode ! (Il s'assied par terre,
découragé, désespéré. Il fait des tas de petits signes incompréhensifs
aux fleurs alignées dans leur pot, puis il se met à rire nerveusement,
mécaniquement. Petit à petit, le rire perd de son intensité).
Mes petites frivoles, pour vous ce sera sans paroles, sans beaux discours,
sans tambours ni causettes. Pour vous ce sera… (Il insiste sur le début
des mots) … du ssilence ssignifiant… " s " …du ssens ssuggéré… encore
" s " ; pour vous ce sera le zadieu-aux-armes zannoncé des zécritures…
" z ", la fuite finale du phénomène alphabétique… " f ". (Il verse dans
le rêve poétique) " f "… Furtives formes funam- bulesques qui se faufilent
entre les fourrés telles un furet fureteur mais fugace… Ah mes corolles
sans paroles, mes douceurs, mes couleurs, mes senteurs, mes pensées
volatiles, tout de même volubiles, profondes, fécondes, péremptoires
voire contradictoires, avec ou sans effet miroir… Je me le tiens pour
dit. Nous nous le tenons pour compris. Vous êtes mes lumières sur l'esprit.
Que suis-je pour vous que vous n'êtes pas pour moi… (Il écrase une larme
puis sourit béatement et murmure…) Vous m'apprenez plus que je n'en
sais… mes fifilles, mes fifines fleurs… " f "…
"Cours
d'art dramatique" de Janine NOWAK
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Affiché sur la porte d'une classe, on peut lire :
COURS FLORISSANT
Classe de Monsieur Michel FAUPAS
23 Septembre
1ère séance : Les attitudes
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Entrée dans la salle du professeur. Visage jovial,
comportement nonchalant, décontracté. Il se plante sur ses deux jambes,
jette un regard circulaire sur l'assistance silencieuse et attaque :
- Bonjour. Je suis Michel Faupas. Vous avez pu me voir dans quinze courts
métrages et trois longs métrages (dont un de Jean-Paul Rappeneau). Voilà
pour mon pédigrée cinématographique. Mais je suis surtout un homme de
théâtre. Et vous aussi, pour la grande majorité, êtes destinés au théâtre.
Ah, le théâtre ! Je crois que l'on peut dire, sans se tromper, qu'il
est avant tout, l'école de la précision.
Ce préambule pour expliquer l'importance de la leçon du jour qui a trait
à l'art du geste. Sur scène, le geste doit être particulièrement étudié,
méticuleusement maîtrisé, peaufiné au maximum. Le cours d'aujourd'hui
explorera les attitudes et ce qu'elles engendrent.
S'allongeant brusquement sur le bureau, Michel Faupas prend l'aspect
d'un félin languide, le bras droit un peu en avant du corps, le menton
reposant sur le dos de la main, l'œil rétréci et scrutateur ; il se
met à déclamer :
- " Dans l'acajou fourchu, lové comme un reptile,
C'est l'heure où, l'œil mi-clos et le mufle en avant,
Le jaguar au beau poil flaire une odeur subtile,
Un parfum de chair vive égaré dans le vent. "
Il se redresse subitement, l'œil rigolard devant la mine surprise
de ses élèves.
- Hé oui, les enfants, ça vous épate, hein ? Je viens sous vos yeux
de me transformer en jaguar à l'affut. Sachez qu'au théâtre, on peut
tout devenir, tout représenter, jusqu'à en oublier le genre humain.
Voyez-vous, petits canailloux, l'important c'est que le spectateur y
croit. Et vos têtes d'ahuris prouvent que j'ai réussi mon coup. Nouvelle
démonstration :
Accroupi, mains sur le front, tête basse, il soulève d'abords les
doigts, un par un, puis doucement, sa tête se dresse, son corps remonte
en ondulant harmonieusement, puis se met à osciller pendant qu'il récite
:
- La fleur n'en finissait pas de se préparer à l'abri de sa chambre
verte. Elle choisissait un à un ses pétales. Elle ne voulait pas sortir
toute fripée comme les coquelicots. Elle ne voulait apparaître que dans
le plein rayonnement de sa beauté. "
Se relevant, il marque une pause et précise :
- Le Petit prince - Antoine de Saint-Exupéry.
Comme vous avez pu le deviner, j'étais une fleur naissante ; avez-vous
bien senti ma fragilité, ma délicatesse, la grâce et la volupté de mes
mouvements afin de faire éclore cette rose si tendre ?
Mais, après la faune et la flore, passons à un autre genre, le genre
humain, cette fois-ci ; et ce n'est pas forcément le plus facile à traiter,
contrairement à ce que vous imaginiez.
Il s'agira dans cet exercice, de mettre en valeur la virilité et le
machisme d'un proxénète en train de " recruter ".
Il s'assoit, croise les jambes, prend un crayon qui fera office de
cigarette : il se le plante au coin de la bouche et, toisant une supposée
belle fille assise près de lui, déclare, avec un accent parigot assez
marqué :
- Dis donc, poupée... On t'a jamais dit que t'étais choucarde ? Balancée
comme t'es, sur le Sébasto. tu ferais un malheur. Si tu veux, ma beauté,
je te prends dans mon écurie. Tu verras, je suis pas le mauvais cheval.
Avec moi, c'est réglo ; pas d'embrouille : je te laisse tes dimanches
et 10 % de tes gains.
Debout, il redevient le pédagogue :
- Avez-vous remarqué comme le comportement influence le parler ? Dans
ce que je viens de mimer, il aurait été inconcevable que ce mac n'ait
pas un accent en harmonie, c'est-à-dire bien vulgaire.
Si vous voulez, déplaçons mon protagoniste et installons-le sur le Vieux
Port, à Marseille. Ca donnerait quelque chose comme ceci :
Il s'effondre sur une chaise, toujours la cigarette aux lèvres, les
yeux à demi-fermés, les bras ballants, le pied droit reposant sur la
cuisse gauche et il dit, " avé un assent qui fleure bon l'aïoli " :
- Oh, Pitchounette ! Vé comme elle est belle cette petite caille ! Sais-tu
qu'avec ton mignon pétadou et ta façon de parpeléger, tu ferais fondre
tous les mâles de la Montée des Accoules ? Allez vaï, ma coquinette,
avé Fernand (Fernand, c'est moi), tu auras la belle vie. Et si tu es
bonne gagneuse, le dimanche je t'emmènerai manger la bourride aux Goudes
!
Il retourne à son attitude professorale :
- Mêmes propos, même détestable personnage et pourtant, le second est
moins antipathique que le premier. Pourquoi ? Parce qu'il a l'art de
bien envelopper ses propos ; en outre - et c'est là qu'est le danger
- son accent séduit. Alors, un conseil, les filles : méfiez-vous des
beaux parleurs. Ne succombez ni au prestige de l'uniforme, ni aux accents
charmeurs, ni aux regards langoureux.
Par ailleurs - et ce discours s'adresse tout particulièrement aux garçons
- il est bon de savoir que même un personnage au physique peu avantageux,
peut émouvoir et se rendre attirant. Souvenez-vous de Quasimodo dans
Notre-Dame de Paris. N'était- il pas attendrissant, poignant, quand
il se mourait d'amour pour Esméralda et répétait à l'infini " Belle,
belle, belle… " ?
Devenant le célèbre bossu, Michel Faupas, dos voûté, se penche sur
le côté, déforme son visage en fermant l'œil droit et en laissant pendre
sa lèvre inférieure en une lippe innommable, pendant qu'il enchaîne
une série de " Belle, belle, belle… ".
Retrouvant la verticalité, il poursuit :
- Qui ne serait touché par tant de tendresse ? Je suis certain que vous,
les filles, seriez tentées d'accueillir ce gros nounours dans vos bras
afin de lui prodiguer un câlin consolateur… Non ?
- Autre chose, à présent. Très difficiles à imiter, sont les enfants.
Car on tombe vite dans la caricature :
Il écarte un peu les jambes, met l'index droit dans son nez, se gratte
vivement la fesse gauche avec la main gauche et, se dandinant sur place,
chantonne avec une petite voix fluette :
- Zé bien manzé
Zé bien bu
Zé la peau du ventre bien tendu
Merci petit Zézus
Il redevient lui :
- Je viens de vous offrir un aperçu complet et précis de… ce qu'il ne
faut JAMAIS faire ! Vous comprenez, un enfant c'est avant tout, mignon,
très frais et spontané. On peut les juger un peu naïfs, à nos yeux d'adultes,
mais ils ne sont jamais niais, jamais cabotins… sauf, hélas, lorsqu'on
leur demande de faire l'acteur. Très ardu à diriger, les enfants. Mais
sachez qu'au naturel, ils sauront éviter le ridicule.
NA-TU-REL ! Le mot est lâché. Avec ce terme, tout est dit.
Vous devrez im-pé-ra-ti-ve-ment jouer avec NATUREL. J'insiste lourdement
sur le terme, car faire le contraire serait une insulte au théâtre.
Et j'ajoute : même si votre personnage est outré, excessif, il faudra
l'interpréter avec du ressenti, du sentiment.
C'est à vous de croire en lui et donc… d'être vrai !
Et du coup, les autres croiront en vous, et ce sera gagné.
Fin de la leçon.
Demain, même heure, même salle.
Sujet : la tristesse.
Salut !