Ci-après quelques textes produits durant la séance,
notamment (dans l'ordre):
- "Le château des angoisses" d'Aurélie
BOCCARA
- "Fantôme d'avril" de Karine LEROY
- "Le rêve de Gaspy, le cauchemar de Gasper"
de Céline CORNAYRE
- "Intérieur nuit" d'Angeline LAUNAY
- sans titre de Mag LOPEZ
- "Belle" de Marie-Odile GUIGNON
"Le
château des angoisses" d'Aurélie BOCCARA
Dimanche, Planète GURB
Il fait jour. Le ciel se lève à peine. Elle arrive dans le château des
angoisses.
Un escalier. Elle le monte à vive allure. Elle est toujours en retard.
Elle entre dans la chambre. Le soleil envahit la pièce.
Elle l'attend. Le temps passe.
Elle l'attend. Les heures s'égrènent.
Elle se tient toujours dans la chambre, debout, les bras ballant, une
cigarette plutôt deux à la main.
Elle l'attend.
Le temps est à l'orage, sombre présage.
Elle fume encore et elle l'attend.
Il fait nuit et froid, un froid intense.
Elle l'attend.
Le lendemain
6h : elle se réveille
6h45 : perfusion de Prozac
elle s'endort
8h45 : fin de la perfusion
elle se réveille
9h : résultat : toujours aussi angoissée
Ce n'est pas terrible. Elle n'a pas pris un gramme, ni une ride (d'ailleurs)
10h : elle sort de sa chambre
petit-déjeune rapidement
un café et une biscotte sans beurre ni confiture, pas même de sucre
10h30 : au volant de sa Smart flambante, neuve, automatique, avec " clim
", MP3, noire, aux vitres teintées, c'est mieux pour l'anonymat sauf que
pour fumer il faut ouvrir la fenêtre (peu importe)
11h : arrivée au château
toujours en retard
personne
elle l'attend
elle fume une cigarette
elle tousse et crache ses poumons ; c'est déjà son dixième paquet et il
n'est pas midi 14h : elle s'en va. Triste mais sereine
elle sait qu'il ne viendra pas.
Elle ne déjeune pas. Elle fait attention à sa ligne même si elle n'en
a pas besoin.
17h : retour à la clinique
18h : dîner : et oui, vive les 35 heures. On dîne tôt en clinique.
Mais attention, mieux vaut manger car après attention au petit creux de
22h. De toutes façons elle ne s'endort pas avant minuit, même avec tous
les médicaments qu'elle absorbe. Quand on est insomniaque on ne se refait
pas. Heureusement qu'il y a la télévision et la radio.
20h : elle lui téléphone. Messagerie
elle ne laisse pas de message
22h : elle va fumer sa dernière cigarette dehors, après quoi elle devra
" ruser " pour ne pas être démasquée
22h15 : elle pense à lui et d'une certaine façon :
elle l'attend
00h45 : extinction des feux. Dodo
Le lendemain
8h : elle se réveille et pour une fois petit-déjeune normalement
10 h : elle quitte la clinique toujours au volant de sa Smart flambante
neuve.
12h : arrivée au château
toujours en retard
elle ne déjeune toujours pas ; c'est " l'heure du crime "
elle l'attend
Il est moche, il est gros, il ne s'intéresse à rien, il n'a aucune culture,
n'écoute aucune musique, ne va jamais au cinéma, bref il est insignifiant.
Plus grave : il n'est ni gentil, ni attentionné ni même attentif. Et pourtant,
elle l'attend et s'accroche à lui comme à une bouée de secours.
14 h : elle l'attend
15h : elle quitte le château
16h : retour à la clinique. Le ciel est bas, le temps est gris
17h : " attaque " du onzième paquet de cigarettes
18h : extinction des feux. Dodo
sommeil retrouvé à 18h30
Le lendemain
2h : réveil
pas droit à une cigarette avant 7h du matin : dur, dur
8h : petit-déjeuner
elle pense à lui
10h : a décidé de s'arrêter de fumer
12h : arrivée au château
ne déjeune toujours pas
14h : elle l'attend
elle ne sait même plus qui et quoi elle attend
elle est tout simplement terriblement angoissée, perdue et terrifiée dans
ce château
que va-t-elle devenir ?
elle l'attend
Une attente obsédante, terrifiante et tellement puissante.
Elle lui fait mal jusque dans ses tripes, jusque dans ses boyaux, jusque
dans son corps tout entier. C'est quelque chose d'obsédant qui la " mine
" et la désespère.
Comment va-t-elle tenir ?
Jusqu'où va-t-elle aller comme cela ?
18h : elle l'attend
19h : ne rentre pas à la clinique
Le lendemain
6h : arrivée ivre morte à la clinique
est placée directement en salle d'isolement : comme chez les flics, on
enlève bijoux, lacets, montre et ceinture.
18h : fin de " la garde à vue "
20h : contrainte de rester à la clinique
aujourd'hui, pas de château
elle l'attend … toujours
21h : prise de médicaments
injection exceptionnelle de morphine
résultat garanti
21h15 : appelle ses parents et amis
note leurs avis et leurs conseils
a de nouveau décidé de ne plus fumer
21h30 : regarde à la télévision un reportage sur la reproduction des grenouilles
en Afrique du Sud
22h : a décidé de ne pas dormir
22h30 : elle l'attend
23h15 : ne dort toujours pas, même après l'absorption des médicaments
23h20 : elle l'attend
Minuit 00h00 : elle ne dort pas
elle l'attend
2h : allume sa première cigarette depuis tout à l'heure
2h30 : ne dort pas
réfléchit à la façon dont elle va s'habiller dans quelques heures
la passion et l'attente sont obsédantes et insupportables
4h : elle s'habille et se maquille
elle se parfume pour la première fois de sa vie
4h30 : elle fait une micro sieste d'un quart d'heure
5h : elle l'attend
6h30 : elle fait ses bagages
elle ne dort pas
7h : elle quitte définitivement, pour toujours, à jamais, sûre de sûre
la clinique
8h30 : le jour se lève, c'est le lendemain
elle ne dort pas
elle ne mange pas
elle ne fume pas
elle ne va pas au château
elle ne l'attend pas !
"Fantôme
d'avril" de Karine LEROY
Soir d'avril. Autoroute A46. Au volant de sa petite voiture
grise, Eléa fuit la ville. La radio grésille mais elle ne s'en rend pas
compte, elle est ailleurs, absorbée par ses propres pensées palpitantes
et désordonnées. Elle ne sait pas où elle va, elle veut juste être loin.
Loin…Elle veut juste la vitesse dans la nuit. Elle veut une vraie nuit
noire et profonde. Elle veut…Oublier, être seule vraiment. Parfois son
front se plisse dans le rétroviseur, ses mains serrent plus fort le volant.
Son image, son visage, Il n'arrive pas à se décoller de ses pensées.
Alors elle éteint la radio, ouvre la vitre pour mieux respirer. Elle se
concentre sur la route. Le long ruban noir sans fin de l'autoroute la
rend morose, sans réfléchir elle tourne et prend une sortie.
Route de campagne. Enfin la nuit. Enfin seule. Eléa roule doucement, l'air
frais lui change les idées. Elle a envie de chanter, une chanson lointaine
avec des mots oubliés.
Quand tout à coup, sur le bord de la route, elle voit un homme avec un
sac à dos. Il fait du stop. Il a un manteau tellement sombre qu'il se
fond avec la nuit. Un grand chapeau lui cache le visage. S'arrêter ? Elle
hésite, ralentit. Eclairé par la lumière des phares, l'homme tourne la
tête vers elle. Les yeux d'Eléa s'écarquillent. Un effroi muet crispe
ses lèvres…L'homme n'a pas de visage ! Juste une tête blanche et lisse
comme un œuf ! Elle n'a pas rêvé ! Elle a bien vu ! Il a tourné la tête
et il n'y avait rien ! Tremblante, elle appuie sur l'accélérateur mais
au lieu d'accélérer la voiture ralentit et finit par s'arrêter au bout
de quelques mètres. Eléa suffoque, panique. Elle ne comprend pas. Elle
sort de la voiture. Dehors tout est immobile, silencieux. L'homme a disparu.
Un vent léger fait frémir les branches des arbres. Les étoiles brillent.
Eléa reste là sur le bord de la route. Elle a envie de pleurer, doucement
des larmes coulent sur ses joues. Un papillon de nuit aux ailes brunes
vient se poser sur son bras. Il a deux ronds pourpres sur le bord de ses
ailes qui battent lentement. Elle le regarde, son cœur se calme. Elle
soupire. L'homme a disparu mais elle l'a bien vu. Il n'y a rien à comprendre,
rien. Le papillon s'envole. Elle suit son envol du regard et le regarde
disparaître dans la nuit…Elle repense à Lui, elle finit par se dire que
leur histoire est bien finie. Elle soupire. Lentement, encore tremblante,
Eléa retourne dans sa voiture. La voiture redémarre. Elle décide de rentrer
chez elle.
"Le
rêve de Gaspy, le cauchemar de Gasper" de Céline CORNAYRE
Yucatan - Afrique.
Extérieur jour.
Un désert en friche aux herbes désolées. Des fleurs jamais poussées. Un
soleil dominant contre des Hommes dominés.
Gaspy l'africain a faim. Une faim de loup à manger du chien. Comme une
ritournelle sans prix Nobel à la fin.
Gaspy a soif. Il trempe ses lèvres dans un verre d'eau fraîche imaginaire.
Face à lui, une bassine d'eau croupie et un pauvre arbuste accroupi. Ici,
l'eau tue.
Il imagine un chalet en bois exotique, il voit un amas de planches mal
amoncelées.
Il imagine une vraie école, avec une vraie maîtresse et de vrais copains
de classe. Il est seul, ne sait ni lire ni compter. Il sait encore espérer,
mais tout juste.
L'ombre des vautours plane autour de lui. Ils tournent dans le sens des
aiguilles d'une montre, comme pour lui signifier non seulement le temps
qui passe, mais aussi celui qui reste. Et ils attendent.
Les visages qu'il croise ont tous le même regard tragique. Ils attendent.
Il imagine qu'il ne s'appelle pas Gaspy l'africain, mais Gaspy l'américain,
comme Obama, mais en plus petit. De Gaspy à gaspillage, il n'y a que quelques
lettres, il pense trouver sa place, là-bas.
Gaspy est accroupi, face à son eau croupie.
Il attend.
Et il pense.
Et puis il part en rêves.
Connecticut, Etats-Unis.
Intérieur jour.
Gasper s'efface dans un canapé profond, une Gameboy greffée entre ses
deux mains, un casque MP3 hérisse sa tête de l'extérieur, comme de l'intérieur.
Douce infusion de bruit dans la pièce.
Sa courbe de croissance horizontale et verticale est à +3 Déviation Standard.
L'ombre d'un énorme frigidaire accablé de nourritures qui ne demandent
qu'à être mangées, plane jusqu'à lui.
Un 4x4 l'attend chaque matin. C'est toujours le même trajet. Sortir le
véhicule du garage prend plus de temps.
Il écoute sans écouter.
Il joue sans jouer.
Il attend.
Et il pense.
Et puis, il part en rêves.
Autre temps.
Gaspy entre discrètement dans le salon. Il ne sait pas où poser ses pieds
sur le parquet si net. Juste avant le canapé, surnage un joli tapis persan.
Il le contourne, prend soin de l'éviter, se cogne contre la table basse
et son visage blêmi. Il serre les dents pour ne pas crier. Ne pas faire
de bruits. Ne surtout pas se réveiller.
Une curieuse boîte éclairée trône sur l'un des multiples coussins bicolores.
Elle attend des mains. Gaspy la saisit. Elle est ravie. Il trouve un casque.
Hésite. Puis, le met là où cela lui semble le plus judicieux, c'est-à-dire
sur sa tête.
Pour la première fois de sa vie, son visage s'éclaire.
Il sourit.
Gasper est accroupi, face à une bassine d'eau croupie. Il est hébété,
ne comprend pas ce qui lui arrive. Le soleil le cogne et il a envie de
crier. Mais sa bouche est trop sèche et aucun son n'en sort.
Il se lève, avance de quelques pas. Tombe de fatigue. Il a faim et soif.
Il fait trois fois le tour de la bassine et n'en revient toujours pas.
Il cligne des yeux, regarde ses mains devenues esseulées, descend jusqu'à
ses pieds hier propres et habillés, aujourd'hui souillés et nus.
Les visages de ceux qu'il croise ont tous le même regard tragique. Son
visage à lui devenu inutile à ses yeux, pleure en silence.
Gaspy ne veut pas monter dans le 4x4. Il veut bien ouvrir le frigidaire
et aller à l'école, mais refuse obstinément le 4x4. Ses parents ne comprennent
pas. Ils se regardent et la même pensée les traverse au même instant :
un rendez-vous chez le pédopsy s'impose !
Gasper meurt de soif sans retenue mais refuse tout aussi obstinément de
toucher l'eau de la bassine. Sa mère ne comprend pas. Elle n'ose pas le
gronder. Le fait quand même. Avec douceur. La faim le dévore mais il refuse
également la gamelle qu'elle lui tend. Elle craque et rentre chez eux
en traînant des pieds.
Il se remet debout. Et marche.
Pour la première fois de sa vie, personne ne le conduit.
Il est en larmes.
Retour à la réalité.
Manger ou conduire, il va falloir choisir….
Cette phrase frappe Gaspy et Gasper à l'unisson, dans un même cri…
Notre raison brûle et nous regardons ailleurs clame Gasper à son pédopsy
qui n'y comprend rien.
Notre raison brûle et nous regardons ailleurs s'écrie Gaspy à sa mère
qui comprend encore moins.
"Intérieur
nuit" d'Angeline LAUNAY
Appartement vide. Le soir tombe. Tom a prévu de grosses
bougies dans des coupelles à dessert. Le candélabre de ses grands-parents
est le seul objet qu'il a gardé symboliquement… Que la lumière du passé
éclaire le terrain du désastre !
Il est couché, face contre terre, au beau milieu du salon, comme un crucifix
oublié. Il mâche son désespoir comme un Péruvien sa ration de feuilles
de coca. Il est vêtu comme un artiste qui a perdu la notion des couleurs.
Pas un bruit. Le noir s'installe, contrarié par les lueurs tremblantes
des petites flammes. Tom voudrait dormir mais tout l'en empêche… tout
!... le déménagement de ces derniers jours, les pensées qui ont transformé
son cerveau en champ de bataille, et Laura… Laura… Laura…
Il sait qu'elle est là, tout près, qu'elle le regarde, qu'elle connaît
désormais tous les recoins de son âme. Il sait qu'elle est restée sur
le lieu de leur vie, que jamais elle ne quittera cet endroit tandis que
lui, il lui faut partir, sacrifier, abandonner…
Comment comprendra-t-elle qu'il ne soit plus là ?... Comment se décidera-t-elle
à vivre ailleurs ?... Comment acceptera-t-elle que des étrangers investissent
un espace qu'ils avaient aménagé ensemble… où ils avaient patiemment tissé
la trame des années…
Le vent pousse la fenêtre. Tom n'envisage pas de bouger le petit doigt.
Et si c'était elle… - Laura ! Je sais que tu es là. Qu'est-ce que je vais
faire sans toi ? Pauvre fou ! Je suis devenu un pauvre fou !
Il se lève, fait le geste d'aider Laura à se mettre debout. Ils dansent
comme dans un bon vieux film, sur une bonne vieille musique, dans le silence
et l'obscurité, dans la froideur de la nuit, sans joie ni tristesse.
Qu'est-ce qu'il faut faire pour que tout soit comme avant, avant la limite
dont on ne sait rien, que l'on ne voit que lorsqu'elle se décide à se
montrer… Je n'ai rien su tenter pour la faire reculer… Je ne l'ai même
pas vue se dessiner, se préciser, et se planter devant moi sans prévenir…
- Laura, tu danses comme un elfe, tu es si légère… Oh, j'ai perdu ta main.
Où es-tu ? Ne te cache pas. Je ne sais pas où te chercher…
Il tourne sur lui-même, bat l'air avec ses bras et reste un instant étourdi.
Il se rend à la salle de bain, se passe la tête sous le robinet, avale
quelques gorgées d'eau puis retourne au salon, semblable à un drôle de
chien mouillé.
Ici le canapé bleu, là la table basse, plus loin le secrétaire avec son
fouillis de paperasses… et toutes ces choses dans leur absence... Tom
se couche à l'endroit du canapé. Il cherche encore le sommeil qui le fuit.
- Laura, murmure-t-il, je ne peux pas te dire tout ce que tu sais déjà…
Tu as vraiment un grand avantage sur moi. Maintenant, tu connais plus
de choses. Je me sens idiot. Qu'est-ce que je peux encore faire pour toi…
Finalement, c'est une chance de pouvoir faire quelque chose pour quelqu'un…
C'est sans doute ça l'amour… l'opportunité de l'amour… Laura, je n'arrive
pas à dormir. Est-ce que tu peux m'aider ? Je sais que je t'en demande
trop mais là, il faut que je dorme, que je me repose, que je rejoigne
le monde des rêves… Et peut-être t'y retrouverai-je… attablée qu bistrot
du coin…
Tom s'endort, bercé par les conversations des tables voisines, apaisé
par la présence de Laura qui sirote tranquillement un jus de fruits.
La vie reprend son cours, là où elle avait été laissée, douce et menacée…
Le candélabre résume à lui seul cette continuité des siècles, avec ses
bougies qui s'allument et s'éteignent, petites colonnes cireuses portant
traces et coulures comme autant de preuves de l'existence, du passage…
Au-dehors, les lumières de la ville apportent leur contribution à la vie.
Tom et Laura sont allongés côte à côte dans leur salon désert. Plus rien
ne bouge. Plus rien ne compte. Il n'y a plus rien à comprendre. Et l'histoire
pourrait s'arrêter là.
Sans
titre de Mag LOPEZ
Première séquence
Mi janvier, une grande maison dans un parc, sur les contreforts du
Vercors.
7h du matin, il fait encore nuit.
Décor :
Intérieur nuit
Personnages : Catherine et Bertrand son époux , la quarantaine tous les
deux
Chambre des parents.
Sur la table de nuit, un réveil électronique se déclenche et diffuse "
La petite musique de nuit " de Mozart.
Catherine, les yeux encore fermés, tend la main vers le réveil à tâtons,
l'éteint, se retourne en grognant, se pelotonne contre le dos de Bertrand
où elle appuie sa joue.
Catherine (à voix basse) : Bonjour mon amour ! C'est l'heure, tu es réveillé
? Tu te lèves ? Je ne voudrais pas qu'on arrive trop tard, sinon il y
aura la queue aux forfaits.
Bertrand (sans bouger, la tête enfouie dans l'oreiller) : Mouais….c'est
bon….je me lève.
Elle l'embrasse tendrement sur le bout de l'épaule, puis le mordille
en riant
Bertrand (souriant ) : Aïe, tu me fais mal !
Catherine en se levant dégage d'un mouvement large la couette , réaction
immédiate de Bertrand qui jette son bras en arrière pour rabattre la couette
sur lui :
Bertrand : Hé, la couette s'te plait, ça caille !
Catherine (assise au bord du lit enfile ses chaussons) : Oh là là n'exagère
pas ! Tu as dix minutes, pas plus, je vais réveiller les fauves !
Bertrand : Mais ne sois pas si pressée, on en a à peine pour une heure
de trajet !
Catherine : Je sais, mais comme avec vous on ne part jamais à l'heure,
je prends mes précautions.
Bertrand : Elle n'est pas de toi la formule, " Gouverner, c'est prévoir
", non ? Elle pourrait !
Catherine : Fiche-toi de moi !
Elle enfile un peignoir, passe une main dans ses cheveux emmêlés, baille,
se dirige vers la porte en traînant les pieds.
Catherine (sans se retourner) : Tu ne te rendors pas, hein ?
Bertrand (tout en se retournant pour se mettre à plat ventre, jambes et
bras en croix en travers du lit, il arbore un sourire béat) : Pas mon
genre !
Fin de la première séquence
Deuxième séquence
Décor
Intérieur nuit
Personnages : Catherine et Julien son fils aîné, un ado de 14 ans.
A l'étage, chambre de Julien
Catherine (elle entre dans la chambre, ramasse un pull qui traîne par
terre, le pose sur le dossier de la chaise devant le bureau, allume la
lampe en forme de Godzilla menaçant, met un CD de rock, fait une moue
dubitative, puis va s'asseoir au bord du lit) : Bonjour mon cœur, c'est
l'heure ! Tu as bien dormi ? Allez, debout ! Plus vite vous serez prêts,
plus vite on sera sur les pistes, pas vrai mon p'tit canard doré !
Julien (il se réveille et grogne, il a la voie qui mue) : Canard doré,
canard doré, j'ai l'air malin !
Catherine (elle sourit en se redressant) : Tu as de la veine que je ne
t'appelle pas comme çà devant tes copains !
Julien (maugréant) : N'essaie même pas !
Catherine : Pas de menace mouflet, sinon je me venge !
Catherine (elle se penche pour l'embrasser dans les cheveux) : Allez hop,
à la douche, et pas dans deux heures, compris ! Je vous attends en bas,
je vais réveiller ton frère.
Julien (redressé sur un coude) : Eh m'man, il est où Médor ?
Catherine (machinalement elle plie un tee-shirt) : Ben j'en sais rien,
dans le lit de Jérôme sans doute !
Julien : Tu vas me le chercher ?
Catherine : Ben voyons ! Tu n'as qu'à te lever toi-même , non mais ! (elle
jette un coup d'œil à sa montre et va pour sortir) : Allez dépêche-toi.
Tes affaires sont prêtes j'espère ? N'oublie pas tes gants comme la dernière
fois.
Julien (tout en asseyant dans son lit) : Oh là là, bonjour le stress !
Catherine : Je t'en ficherai du stress moi ! Allez, fissa !
Elle sort dans le couloir.
(on entend la voix de Julien off ) : M'man ?
Catherine (qui se dirige vers la chambre de Jérôme) : Trop tard, je ne
suis plus là.
Julien (d'un ton geignard) : Mais m'man !…..
Fin de la deuxième séquence
Troisième séquence
Décor
Intérieur nuit
Personnages : Catherine, Jérôme son second fils, 10 ans, Médor le chat
Chambre de Jérôme.
Catherine (elle entre dans la chambre de Jérôme, et a un mouvement de
recul) : Oh non Jérôme, c'est plus possible !
(elle allume le plafonnier et va ouvrir les volets, tout en constatant)
: C'est effrayant ce que ça pue ici ! (elle se penche sur l'enfant) :
Bonjour mon papoose ! Oh il a encore sommeil mon amour ! Allez mon coeur,
réveille-toi, on va à la neige, tu n'as pas oublié ?
Jérôme (tout ensommeillé) : J'ai pas envie.
Catherine (d'une voix insistante) : Bonjour maman !
Jérôme (la voix traînante) : B 'jour maman !
Catherine (sur un ton de reproche, plein de tendresse) : Dis donc, toi,
tu as encore laissé tes chaussettes et tes baskets dans la chambre, c'est
une infection, tu ne peux pas les mettre sur le balcon, non ?
(elle avise Médor, roulé en boule sur l'oreiller) : Et puis tu sais bien
que je ne veux pas que tu dormes avec Médor, déjà que tu fais de l'asthme,
c'est pas bon pour toi, les poils de chat !
Jérôme (implorant) : Mais c'est lui qui veut ! C'est mon copain !
Catherine (d'un ton un peu plus sévère) : Eh bien puisque c'est ton copain,
tu n'as qu'à lui dire que c'est moi qui ne veux pas, comme çà tu seras
couvert. Ça te va, ça ? Fais un effort !
Jérôme (enfouissant son nez dans les poils de Médor) : Mais quand même,
il est gentil !... Hein, Médor, que tu es un gentil chat ?
Catherine (se lève) : Oui ben c'est moi qui ne vais plus l'être si çà
continue. Allez, zou, la douche, les dents, les fringues et en bas ! Je
vais préparer le p'tit dèj. Bisou !
Jérôme (lui tend les bras, un sourire enjôleur sur les lèvres) : Non,
pas bisou !...Câlin !
Catherine (navrée) : Pas le temps mon chéri, pas le temps ! Tout à l'heure,
promis !
Elle l'embrasse à la va vite, farfouille à pleine main dans la fourrure
de Médor et s'en va en soufflant du bout des doigts, un bisou en direction
de Jérôme.
Fin de la troisième séquence
Quatrième séquence
Décor
Intérieur petit jour
Personnages : Catherine, Stéphane le facteur et Médor le chat
Cuisine
La pendule annonce 8h.
Catherine en tenue de ski, s'affaire autour de la table du petit déjeuner.
Elle prépare des sandwiches, des fruits, des boissons qu'elle range dans
un sac de sport.
Médor tourne autour de ses jambes en miaulant.
Catherine (s'adressant du regard au chat tout en continuant à s'affairer)
: Oui ben toi tu as eu tes croquettes, désolée mon vieux, çà, c'est pas
pour toi ! Et puis çà te fait vomir en plus !
A l'extérieur, on entend un bruit de voiture et dans l'allée on voit
arriver l'estafette du facteur .
Catherine, pose ce qu'elle fait, va devant l'évier et ouvre la fenêtre.
Un jeune homme descend de la voiture, va chercher à l'arrière du véhicule
une liasse de courrier dans un casier de plastique jaune puis se dirige
vers elle.
Catherine : Bonjour mon petit Stéphane, fait pas chaud ce matin !
Stéphane : Bonjour Madame Deschamps, il a neigé toute le nuit sur le Vercors.
Catherine (ravie) : Eh bien tant mieux, la poudreuse on adore !
Stéphane : Vous allez au ski aujourd'hui ?
Catherine : J'espère, oui ! Il faut qu'on parte dans la demie heure, sinon
c'est fichu pour la journée. On n'est pas privé, c'est vrai, mais quand
même !
Stéphane : Bon, je vous retarde pas, voilà le courrier ! Il va faire beau,
bon ski !
Catherine (refermant la fenêtre en frissonnant) : Brrr !...Merci Stéphane
! A lundi !
Stéphane (sans se retourner et se dirigeant vers l'estafette) : A lundi
Madame Deschamps.
Distraitement, elle consulte le courrier, puis pose le tout sur le
coin de la table, sauf une enveloppe qu' elle déchire fiévreusement, le
visage fermé tout à coup.
La lumière s'assombrit autour d'elle, gros plan sur son visage qui se
décompose, même son corps accuse le coup.
Fondu au noir.
Fin de la quatrième séquence
Cinquième séquence
Décor
Intérieur petit jour
Personnages : Catherine et Médor
Couloir au rez-de-chaussée
Catherine (elle sort de la cuisine, se racle un peu la gorge, puis lance
à la cantonade au pied de l'escalier) : Les fauves ? Vous êtes prêts,
faut y aller maintenant ! Le petit déj est servi, venez manger !
Médor tourne toujours dans ses jambes, elle lui jette, agacée : Oh
çà va Médor, hein ! C'est pas le jour !
Catherine (entrouvrant la porte de leur chambre s'adresse à Bertrand)
: Bertrand, tu es prêt ? Grouille-toi, tu peux t'occuper des fauves ?
Commencez sans moi, j'arrive !
Fin de la cinquième séquence
Sixième séquence
Décor
Intérieur nuit
Personnage : Catherine, seule.
Buanderie, les volets sont encore fermés.
Catherine se dirige vers la buanderie d'un pas pressé, ouvre la porte,
puis la referme sur elle, s'y adosse, tenant la poignée des deux mains,
le visage levé vers le plafond, la bouche est grande ouverte, les sourcils
froncés, une expression de détresse déforme ses traits, une larme coule
sur sa joue, sur son menton et se perd dans son cou. On voit qu'elle réprime
ses sanglots.
Elle reprend la lettre au fond de sa poche, la tourne, la retourne avant
de la lire à nouveau, une expression de panique dans les yeux.
Elle s'éloigne de la porte, s'appuie sur le rebord du bac à laver, ouvre
le robinet, se passe de l'eau sur le visage.
Quand elle redresse la tête, on ne sait si ce sont les larmes ou l' eau
qui mouille ses joues.
Plus loin,on entend la cavalcade des enfants qui descendent de leurs chambres
en riant et celle de leur père qui leur demande de se calmer. Catherine
ne semble pas prêter attention à ce remue ménage.
Appuyée des deux mains sur le bac, tête baissée, elle reste prostrée refermée
sur elle-même.
Fondu au noir.
Fin de la sixième séquence
Septième séquence
Décor
Intérieur jour
Personnages Bertrand, Julien, Jérôme, Catherine et Médor
Cuisine
Bertrand et les enfants prennent le petit déjeuner. Catherine arrive,
on voit qu'elle s'est reprise et tente de faire comme si de rien n'était.
Bertrand : Ben t'étais où, tu veux du café ? Il doit être tiède maintenant,
çà fait dix minutes qu'on a commencé ! Jérôme, pose ce chat ! C'est pas
vrai ça !
Jérôme (énervé) : Maman, mais elle est où ma casquette de baseball ?
Julien (il se moque de son frère avec la voie qui mue) : Là où tu l'a
laissée, banane !
Bertrand regarde Catherine qui est restée muette depuis qu'elle est
entrée dans la cuisine et qu'elle est venue s'asseoir auprès d'eux.
Bertrand : Qu'est-ce que tu as ? Ça va pas ?
Catherine (elle pivote sur sa chaise et leur tourne le dos, faisant mine
de chercher quelque chose dans le tiroir du plan de travail derrière elle)
: Non, non, ça va !
Bertrand : Eh ben, on dirait pas, tu en fais une tête !
Catherine ne répond pas.
En bruit de fond, les enfants pendant ce temps-là se chamaillent, sans
s'occuper le la conversation des parents.
Bertrand (fronçant les sourcils commence à se douter que Catherine ne
tourne pas rond, il s'inquiète) : Dis donc, toi, fais voir, qu'est-ce
que tu as ?
Il prend d'une main le menton de Catherine, la forçant à le regarder.
Elle le repousse mollement.
Catherine (d'une voix fatiguée) : Non mais laisse, çà va je te dis ! (un
temps) Ça va aller !
Bertrand approche sa chaise de Catherine, ils tournent le dos aux enfants
qui continuent de se chamailler, il entoure Catherine d'un bras et se
penche vers elle tendrement. Elle lui prend la main avec un pâle sourire.
Bertrand (sérieux) : Dis donc, toi ! C'est quoi ces cachotteries, hein
? C'est pas toi la championne de la vérité contre vents et marées, toi
qui veux qu'on se dise tout, toujours ? Qu'est-ce que tu me caches ? C'est
quoi ce mystère ? Tu sais bien que tu peux tout me dire non ? Alors ?
Catherine hésite un moment, elle lutte pour faire bonne figure, puis
elle se dégage doucement du bras de Bertrand et lui montre la lettre.
Bertrand : C'est quoi, ça ?
Catherine (d'une voix blanche) : C'est la réponse que j'attendais. Les
derniers examens sont formels, j'ai un cancer !
Bertrand (stupéfait et atterré) : Tu plaisantes !... Un cancer ?...Où
çà ? Mais depuis quand ? Pourquoi tu ne m'as rien dit ?
Catherine le nez sur l'enveloppe, n'ose pas lever les yeux vers son mari.
Bertrand (il se lève de sa chaise, s'accroupit devant Catherine, la prend
par la taille, levant vers elle un regard implorant) : Dis-moi mon amour,
dis-moi !
Catherine : Je l'ai su juste avant Noël, je ne voulais pas risquer de
gâcher la fête !
Bertrand (sur un ton de reproche plein de pudeur et de tendresse) : Non
mais tu sais que tu es con, toi des fois ! Mais après Noël , pourquoi
tu ne m'as rien dit après ?
Catherine (dans un pauvre sourire) : A cause du jour de l'An !
Bertrand (d'une voix plus forte) : Toujours la reine, hein pour les excuses
bidon ! Et alors tu attendais quoi pour m'en parler ? Pâques ? Et c'est
un cancer de quoi ?
Catherine : Du col de l'utérus, coup de bol, il fait partie de ceux qui
se soignent le mieux.
Bertrand (dubitatif) : Le mieux, le mieux, n'empêche !
Bertrand, hoche la tête en signe de dénégation, les yeux au ciel, se
relève, il tourne sur lui-même, comme s'il ne savait plus où il était.
Il allume une cigarette, tire une bouffée puis l'écrase rageusement.
Les enfants regardent leur parents et échangent un regard d'incompréhension.
Jérôme enfile son sac à dos et s'adresse à son père en se dandinant
sur place : Allez papa, on y va ?
Bertrand (hagard, semblant sortir de nulle part) : Hein ? Où çà ?
Catherine s'est levée elle aussi et commence à débarrasser la table
sans regarder ni les uns ni les autres.
Jérôme : Ben, au ski !
Bertrand (reprenant contact avec le réel) : Ah oui, le ski, c'est vrai
!
Julien (à sa mère qu'il aide à débarrasser la table) : Faut lui faire
bouffer du poisson, il perd la mémoire le pater !
Bertrand (sur un ton autoritaire et sans appel) : Oui ben le ski, ce sera
pour une autre fois !
Jérôme et Julien ( ensembles ) : Pourquoi ? On est prêts !
Bertrand gêné, ramasse une serviette, il cherche du regard de l'aide
auprès de Catherine qui lave les bols dans l'évier.
Il hésite puis se lance : Parce que c'est pas possible !.... A cause
de maman !
Catherine (elle se retourne brusquement, furieuse) : Comment çà, c'est
pas possible ? Dis donc, avant que je ne reçoive cette lettre, on
était bien d'accord pour aller skier avec les fauves, non ? Et en plus,
on avait tous la pêche pour çà ! Alors tu peux me dire ce qu'il y a de
changé depuis…( elle regarde sa montre )… une demie heure ?
Jérôme : Mais je comprends rien, on y va ou on n'y va pas ?
Julien (comprenant qu'il se passe quelque chose de sérieux) : Maman, qu'est-ce
qui se passe, de quoi vous parlez ?
Bertrand (à l'adresse de Catherine) : Dis-leur, moi je ne peux pas !
Catherine (elle pose le bol qu'elle lavait, s'essuie les mains et se rapproche
des enfants) : J'ai un truc pas marrant à vous dire, ce n'est pas facile,
mais vous savez que je vous dit toujours la vérité, même si c'est dur
et ce n'est pas aujourd'hui , surtout aujourd'hui, que je vais vous mentir.
Voilà, j'ai un cancer.
Julien (les yeux écarquillés, incrédule) : Et…. tu as attrapé çà, où ?
Là, maintenant ? Quand tu es venu me réveiller tu allais bien, non ?
Catherine : C'est que ce matin, je n'avais pas reçu les conclusions du
médecin, je lui avais demandé de m'envoyer le résultat des derniers examens
et de me dire la vérité. Le flou artistique, très peu pour moi ! Moi je
me bats mieux quand je connais la gueule de mon adversaire. Maintenant,
je la connais sa gueule, je suis fixée, j'ai un cancer ! Je vais pouvoir
me battre.
Julien : Putain !!!
Bertrand : Julien !
Julien (haussant les épaules) : Oui ben !...
Jérôme (il tire Médor par la queue pour le prendre dans ses bras) : Et
il te le dit dans la lettre le docteur, quand tu vas mourir ?
Tous se statufient et regardent Jérôme.
Catherine (elle éclate de rire, se penche, prend son petit garçon par
les épaules, s'accroupit et le regarde droit dans les yeux) : Alors écoute-moi
bien, toi ! J'invite chez moi qui je veux, compris ? Pas question que
cette saloperie pose ses valises, d' accord ? Toi Bertrand, va t'occuper
de faire chauffer la voiture, Julien va t'aider pour le pique nique, tout
est prêt dans de sac Adidas. On allait au ski ? On y va ! Parce que, si
on n'y va pas, çà veut dire qu'on lui ouvre la porte à cette vacherie,
autant lui préparer la chambre d'ami et lui laisser les clés pendant qu'on
y est ! Sans moi ! Elle n'aura pas ma peau cette garce ! On a qu'à faire
comme si que ! Tu connais çà, hein mon cœur ? Comme si que elle n'existait
pas, et puis c'est tout ! T'inquiètes je m'en occupe !
Jérôme lui passe les bras autour du cou et la serre fort tandis que Julien
se rapproche de son père.
Bertrand (désemparé) : Mais enfin Catherine, tu délires, il faut que tu
te ménages, essaie de limiter les choses, tu devrais aller te recoucher
pour te reposer, c'est plus prudent !
Catherine (elle se moque de lui) : Eh bien, si c'est çà ton programme
? Merci ! C'est exactement comme si tu me posais une couronne mortuaire
sur le ventre ! Et puis quoi encore ! Je n'ai pas l'intention de me laisser
faire, crois-moi ! Et puis, pas de panique, à nous quatre on va la traiter
par le mépris, on va tellement lui mener la vie dure à ce crabe de malheur,
qu'il n'osera même pas poser sa trousse de toilette. Qui c'est les plus
forts ? On se fait le serment des mains croisées ?
Ils se groupent autour d'elle et, tendant leurs mains en avant, les
tapent, les croisent, d'avant en arrière.
On sent que c'est une coutume dans leur famille.
Tous ensembles : Qui c'est les plus forts, c'est nous, c'est nous, c'est
nous !
Le rituel terminé, l'atmosphère se détend. Bertrand prend sa femme
dans ses bras et lui susurre quelque chose à l'oreille, elle sourit.
Catherine : Bon, c'est pas tout çà, mais si çà continue la neige va fondre
! Allez hop ! Tout le monde a ses chaussures , ses gants...
Julien (en même temps) : Les gants ! J'ai !
Catherine (continuant) : …son bonnet ? Médor, monte la garde, on est tranquille
! C'est bon ? On y va ! On a rien oublié ?...
Ils se dirigent vers le garage. Tout à coup Catherine s'arrête net.
Catherine : Attendez-moi, je reviens, j'ai oublié mes lunettes avec tout
çà !
Jérôme (il fait un clin d'œil à son père) : Comme d'hab, hein, papa !
Bertrand : Ah, les femmes ! Compte pas sur moi pour t'expliquer comment
çà marche !
Fin de la septième séquence.
"Belle"
de Marie-Odile GUIGNON
C'est comme un décor d'arbres touffus aux troncs ligneux. Le sol est recouvert
de mousse verte et de feuilles brunes et or. Une jolie femme est étendue
les yeux clos. Sa robe est blanche et soyeuse. Un bruit de galopade grandissant
s'approche et stoppe. Un homme descend de sa monture. Il se penche sur
le corps. Il murmure en lui-même " ... Peut-être qu'elle s'est rendormie
pour cent ans... ". Il marche et semble réfléchir... Puis il s'arrête
: il sort son téléphone de sa poche, compose un numéro et dialogue : "
Oui... Très profondément endormie... Je ne peux pas la réveiller... (Pas
une seconde fois) ... Effectivement c'est mon épouse !... Oui... Il est
nécessaire de la transporter à son domicile avec mille précautions...
Je vous attends... ". Il donne les coordonnées du lieu et coupe la communication.
Arrive un véhicule de transport d'urgence, avec deux infirmiers et un
médecin. Ils constatent un sommeil naturel mais très profond, calme et
serein. Avec des soins infinis la femme et prise en charge. Le véhicule
s'en va. L'homme reste seul, son visage exprime comme une sorte de satisfaction
mêlée d'étonnement en même temps que d'inquiétude : Il y a quinze ans
d'un baiser il l'avait réveillée... Malgré cela au fil du temps qui passe...
Elle avait quand même cent ans de plus que lui...
C'est comme derrière un rideau qui tombe. L'homme s'en va et disparaît.
Dans un appartement cossu des enfants et leur père échangent. Ils semblent
à la fois bouleversés et soulagés. Leur mère est le centre de leur conversation.
La discussion tourne autour du débat suivant : Malédiction ou Bénédiction.
Les plus âgés au seuil de l'adolescence se réjouissent. Ils vont éviter
bien des conflits de génération. Les plus jeunes ont quelques larmes qui
coulent mais quelques plumes de Liberté commencent à pousser sur leurs
petites ailes de putti. L'aînée des filles s'angoisse... Et si c'était
héréditaire ? ... Le débat devient scientifiques et médical... Le père
se veut rassurant. Soudain le plus petit réclame sa mère...
C'est comme une cérémonie. Plus tard. Une grande salle sobrement meublée.
Une femme est étendue sur un lit médicalisé, elle est " branchée " à un
moniteur qui affiche son état de santé. Cette femme repose calmement dans
le plein épanouissement de sa féminité accomplie. Le père entre avec un
petit garçon. L'enfant embrasse doucement la main de celle qui est sa
mère. Dans la chambre une musique d'ambiance étouffe le bruit des appareils
de contrôle. L'enfant s'en va. Un par un d'autres enfants lui succèdent.
C'est comme la nuit qui tombe. L'homme est seul assis dans un fauteuil.
La pièce est chaleureuse mais elle a un air du passé, un style à l'ancienne.
L'homme écrit, parfois il lit à haute voix son texte qui parle des difficultés
de vivre au présent avec des coutumes vieilles d'un siècle. Il expose
les changements incontournables que la modernité apporte dans la quotidienneté...
Il évoque son coup de cœur irréfléchi quand il est entré dans ce château
merveilleusement intact... Ses études d'archéologue l'avaient conduit
dans cette contrée oubliée... Dans cette forêt luxuriante à faire perdre
le latin au plus passionné des écologistes à la pointe de la sauvegarde
des écosystèmes... Et subitement, sa vie avait basculée... Vivre simultanément
à deux époques... Il s'était adapté car ses larges connaissances en sociologie
et en Histoire avaient contribué à la compréhension de son épouse si séduisante...
Mais elle était issue d'un autre période et cette situation alourdissait
tous les jours pour lui le poids du temps sur ses épaules... Ses allers
et retours d'un siècle à l'autre.... Un divorce ? Comment aurait-il pu
l'aborder, l'envisager ? Quelle bonne idée avait eu sa dulcinée de revenir
en voyage dans Son Bois...
C'est comme le jour qui se lève. Avec dynamisme il sort dans une lumière
ensoleillée, presque éblouissante. Aujourd'hui, dans son bureau du muséum
d'anthropologie : Le professeur travaille joyeusement, en chantonnant.
" ...Elles sont toutes bel-les, bel-les, belles comme le jour....tilali-tilali-tilali-li-lala...
"
C'est comme un espace vide qui ensuite s'anime. Au fond, deux grands écrans
télévisuels. L'un affiche les chiffres des jours en les égrenant un à
un... L'autre affiche les chiffres des décennies lentement, très lentement...
Sur le premier se projette la silhouette d'un homme qui se déplace d'un
pas joyeux. Sur le second se projette la silhouette d'une belle princesse
endormie. Devant, des enfants dansent, s'enroulent en farandole, s'amusent,
et.... Se jouent du temps qui passe...
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