Ci-après
quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):
- "Évolution" de Joëlle SABBATIER
- "Et un chicken avec une petite frite" de Janine BURGAT
- "Retournement de situation" de Janine NOWAK
- "Le cri du silence" de Nadine CHEVALLIER
- "Tout fiel sur la Tour Eiffel !" de Régis MOULU
"Évolution" de Joëlle SABBATIER
" J'ai 14 ans, coiffure informe, dents en avant et quelques petits boutons rouges sur les joues.
Personne ne m'embrasse.
Trop petite pour l'équipe de basket du lycée
Trop lourde pour la compagnie de danse
Trop aphone pour la troupe de théâtre
Alors je rentre chez moi et je parcours les 2 kms qui séparent le lycée de la maison,
pieds en dedans, regard baissé.
Je marche,
Dans ma tête les airs de chansons à la mode, Johnny et Claude François, comme les autres, les filles de ma classe qui échangent sur leurs idoles.
Finalement non !
Seule Françoise Hardy arrive à me faire chanter sous la douche.
Une fois rentrée, à l'abri des regards, je m’adonne à ma passion,
Les maths,
Je fais et refais tous les exercices de la page,
Pythagore et Thalès me visitent,
J'apprends par cœur les formules, formules magiques qui régissent l'univers.
Je vole je m'envole
Un jour je saurai... TOUT !!!
Ma mère arrive, j'atterris, elle me regarde, me câline et me dit
" tu es belle " alors je me tais.
J'ai 17 ans, mes cheveux flottent sur mes épaules.
Trop serrée dans mon jean, je cache mes rondeurs avec des pulls trop longs et des chemises taille XXL
L'autre jour, lorsque j'étais au tableau afin de démontrer que "toute chose était égale par ailleurs", un garçon a déclenché l'hilarité générale en criant et m’interpellant : " hé ! tu es toute seule dans ta chemise ?!"
Je retourne à ma place, je ne dis rien, je suis un peu honteuse et une boule se forme.
Une fois chez moi, j'oublie tout, à l'abri des regards, je plonge dans mon monde de rêves.
Baudelaire et Boris Vian me saluent,
J'apprends par cœur les vers qui me touchent et dis en moi-même
" sois sage, ô ma douleur et tient-toi plus tranquille "
Un petit nénuphar s’empare de ma poitrine.
Mon père arrive, j'atterris, il me regarde, m'embrasse et me dit
" tu es belle " alors je me tais.
J'ai 25 ans, mes cheveux encadrent mon visage peu fardé.
Mon téléphone sonne sans cesse et les fêtes sont spontanées.
Le jour, je rédige des plaidoiries qui seront soutenues par mon chef, Grand Maître au barreau de Versailles, entouré d'une équipe qui effectue recherches et démonstrations, application des jurisprudences, cas similaires.
" mon petit, me dit-il, n'oubliez pas que dans notre métier, qui cherche trouve, alors cherchez, cherchez et vous trouverez "
Eh oui ! je suis son nègre préféré, c'est un Grand Maître !!! et moi je lui souffle tout, tout en restant muette.
Le soir, la liberté retrouvée,
Je suis entourée de garçons de mon âge
Ils m'envahissent et me traquent.
Je deviens le gibier, la souris que l'on chasse,
souris, souris, je souris pour faire face, je m'écarte et m'enfuis avec le plus téméraire, le plus audacieux du moment.
Une fois chez lui, quelques baisers échangés, il me regarde et me dit
" tu es belle " alors je me tais.
Maintenant il suffit !
J'ai 45 ans et je ne suis pas blonde,
Ok je suis belle, tout le monde le dit on me l'a tellement répété...
Est-ce que cela va changer ma vie, est-ce que je suis épanouie ?
Cette vie rythmée entre le travail et la maison...
Une carrière sans faille, droite, ligne droite dans le droit.
Deux enfants parfaits, sages et brillants.
Un mari bien que présent dans la vie quotidienne souvent absent, allez savoir ce qui le fait courir le soir ?
Il ne me dit plus que je suis belle.
Maintenant il suffit !
Alors forte de ma vie et de connaissances accumulées,
Accompagnée par tous ce qui ont éclairé ma conscience,
Sarthe, Voltaire, Rousseau, Nietzsche, etc.
Je n'ai en tête qu'un slogan : " il est interdit d'interdire " non pas celui là, l'autre, " sous les pavés, la mer", non trop poétique, l'autre encore,
" à chacun selon ses besoins ",
Et me voilà partie à la recherche de ce qui nous construit, nous unit, ce qui a fait de nous un peuple unique.
Plus question de se taire,
Tant pis si mon visage est déformé par les cris,
Tant pis si mes airs dérangent,
alors je monte, en haut du podium,
sous un bras, les droits de l'homme, et sous l'autre, 1984,
suivie d'une foule ivre de revendications et nous scandons en cœur :
LIBERTÉ - ÉGALITÉ - FRATERNITÉ."
"Et un chicken avec une petite frite" de Janine BURGAT
Silence les mouettes !
On rivalise elles et moi. Moi avec ma vieille canne à pêche dans la petite crique, où je pense, donc je suis ; et elles, qui virevoltent au dessus des vaguelettes vertes lèchant mes pieds nus.
Elles attendent les chipis que je retire ma ligne. Elles me chaparderont ma proie, j'en suis sûre. Encore faudrait-il que ma ligne attire quoi que ce soit.
Dans ce monde, les algues remplacent les poissons. Elles ont faim les mouettes. Enfin celles qui restent encore. Elles dédaignent les algues mais moi, j'en fais mon frichti. Je m'y suis habituée aux algues. Faut bien se nourrir. Tous les matins, je pêche des algues brunes, mes préférées. Et moi qui suis phobique de tout ce qui vole, savez-vous que finalement, toute cette destruction ambiante du vivant, ça me va ? Confondant non ? Ils se morfondent tous devant les poissons quasiment disparus, devant les oiseaux crevant de faim, mais moi qui panique devant un papillon, je glousse de plaisir. Finies mes frayeurs jugées bien inutiles.
Sauf en ville, où les pigeons survivent avec nos restes. Je déteste ces bestioles arrogantes au jabot gris et rebondi. Et dans ce petit coin de mer, je pensais trouver enfin le silence, le silence de la mer. Et bien non ! Voilà que ces volatiles à l'oeil rond et fou, me frôlent de leurs ailes argentées.
Mes vieilles peurs phobiques remontent. Comme un égout trop plein.
Une mouette particulièrement se pose, s'envole et revient. C'est la même. Je la suis des yeux depuis un moment. Elle m'épie, elle me guette. Elle me dévisage. On dirait qu'elle attend. Mon coup de canne oui.
Imagine-t-on un coup de canne à pêche sur une mouette affamée ? Choqué le quidam ? Pas moi. Je trucide depuis longtemps sans état d'âme tout ce qui vole et s'approche trop près. Chacun chez soi. La mouette serait chez elle ? Moi aussi. Alors chacun son coin de sable ou de rocher, chacun son air, son ciel, son enfer ou son paradis.
Si je m'écoutais je lui donnerai un nom. Elle piaille bizarrement. On dirait qu'elle me parle.
"Friti ! Friti ! Friti !"
Mes frites ? Elle aussi aime le Mac Do ? De mon sac de papier au logo rouge, des frites dépassent.
Le nouveau Mac Do végétal est excellent. Quelle impudence ! Elleveut boulotter mes frites !
"Tu n'auras pas mes frites et mon ketchup et malgré tout, c'est moi qui le mangerai !" Et me voilà chantant l'Alsace et la Lorraine à tue-tête maintenant.
J'enfonce mes frites au fond du sac. Mon chant guerrier l'a fait s'éloigner sur le rocher voisin.
C'est dommage que ces bestiaux viennent troubler ce petit coin de rivage. C'est tranquille le matin, paisible. La lumière est éblouissante. L'eau clapote sur mes pieds et en fermant les yeux, le visage en plein dans le soleil de juillet, le paradis sur terre est à moi.
C'est en rouvrant les yeux et en tournant la tête vers le rocher que j'ai compris. Hitchkok avait vu des corbeaux, moi j'ai des mouettes, partout. Et pas qu'en film. De toute la côte "friti" a rameuté ses congénères. Une nuée de pattes, de plumes et d'ailes caquètent, bruissent et se répondent. La crique est grise et jacasse sous juillet.
Je transpire déjà.
Il me faudra les éviter sans les toucher du pied, les frôler pour remonter jusqu'au chemin libérateur. Ma canne à pêche n'y suffira pas. Elle m'attendent.
Affronter la crique soudain couleur perle est au dessus de mes forces.
Devant moi, ne reste que la mer verte d'algues.
Quelle phobie gagnera ? La phobie de l'eau ? Moi qui nage comme une enclume, ou la phobie des volatiles et leur vol menaçant ?
"La nouvelle est tombée aux premières infos du matin.
Une hécatombe pour les écologistes de la côte.
Un tapis de mouettes massacrées jonche, à cette heure, la petite crique dite du Corsaire noir.
Une femme hagarde a été retrouvée, murée dans le silence.
Assise,tournée vers les oiseaux morts, on a remarqué sa canne à pêche qu'elle a refusé de rendre. Elle pêchait les mouettes avec quelques frites restant de son pique nique.
Nul n'a pu expliquer la scène.
Mac Donalds a décliné toute responsabilité."
"Retournement de situation" de Janine NOWAK
La salle est bondée. Et cette odeur malsaine de sueur me prend à la gorge. Les fenêtres ont pourtant été ouvertes pendant la coupure, mais sans effet, tant il fait chaud dehors. Et il va falloir les refermer à cause du bruit extérieur. La puanteur ne va pas tarder à atteindre son apogée.
Quel gros effort je vais devoir fournir pour ne pas me laisser distraire par l’environnement. Le lieu m’inspire une intense répugnance ; cet espace clos m’angoisse et j’étouffe. Je suis lasse… Si lasse. Pourquoi est-ce que je continue encore et encore à parcourir le monde avec mes conférences ? Quelque chose s’est cassée en moi. Je ne sais quoi, mais je sens que mon feu sacré s’est éteint. Alors, comment rester neutre, généreuse, persuasive si moi-même je n’y crois plus ? J’ai désormais l’impression de débiter des flots d’inepties. Plus ennuyeux : mon discours va parfois à l’encontre de ce que je devrais dire. C’est comme si, poussée par une joie idiote, je me défoulais, me libérais de toutes ces trop longues années de sérieux, de retenue, et osons le mot : de contrainte.
Serais-je frustrée ? Ce terme me surprend et m’inquiète. Hélas, je pense qu’il est juste. La frustration est une réponse émotionnelle à l’opposition. S’opposer. Savoir dire non. Ne plus être la bonne fille qui ne sait rien refuser, même si parfois, elle aurait envie de hurler, dire que ça suffit, qu’elle n’en peut plus, qu’elle en a assez, assez, ASSEZ !
Une sonnerie retentit. On va reprendre.
Soudain, un trouble m’envahit. Une sorte de bouillonnement me submerge. Je me sens autre. Je suis comme possédée et je sais d’ores et déjà que cette séance ne va pas être ordinaire. Oser, oui, je vais oser ! Ah, ils vont m’entendre tous ces collets-montés qui sont là, pour m’écouter prêcher la bonne parole, les convenances et bonnes manières, le savoir-vivre, façon Berthe Bernage dans les années 60. A notre époque, ça n’a plus aucun sens !
Allez, un peu de « provoc. ». Je vais les horrifier et moi me faire du bien.
« Mes chers amis. A présent, j’ai envie de sortir des sentiers battus. Pour la seconde partie de ma conférence, je vais modifier radicalement mon plan de travail habituel, et improviser.
Je vous préviens charitablement : vous risquez d’être bousculés.
Vous avez devant vous une femme qui, en quelque sorte, vient de naître ou de renaître. Il y a seulement quelques instants, je me sentais aussi perdue qu’un petit chien qui cherche son maître. Ou plutôt, j’avais l’impression d’être un esprit souffrant qui espère une guérison. Et me voici donc amenée par la force des choses, à remanier mon rituel.
En temps normal, je suis un modèle de pondération, sachant rester calme face aux contrariétés. Mais, à cet instant, je ressens des bouffées délirantes de claustrophobie, et par conséquent, un besoin irrépressible d’évasion.
Je réalise que j’étais aussi fermée que peut l’être le caveau du Comte Dracula aux premières lueurs de l’aube. Je m’étiolais comme une fleur coupée qui manque d’eau.
Parlerais-je des flammes et du souffle de l’enfer dont on m’a abreuvée depuis ma plus tendre enfance ? On s’est longuement attardé à me mettre en garde contre tout. On m’a bloquée, me bourrant ainsi de multiples complexes. On a coupé mes ailes, on m’a amoindrie, me rendant craintive. On m’a élevée sous cloche !
Mais aujourd’hui, je sors de ma coquille.
Quand on est timoré, ce qui apporte de la force et du courage, c’est de dépouiller les personnes que l’on redoute le plus, du moindre prestige qu’on a tendance – souvent à tort – de leur prêter. Ainsi, aujourd’hui, j’ose appeler mon Directeur, « mon incapable en chef ». Il n’est pas là pour m’entendre, me direz-vous. Certes, je semble ne pas prendre de grands risques. Mais je sais que mes propos lui seront fidèlement rapportés par quelques bonnes âmes, et ma carrière risque d’en pâtir.
Tant pis, ce qui est dit, est dit. Cochon qui s’en dédit !
Et vous, vous tous qui m’écoutez, yeux ronds, bouche bée, probablement ulcérés par ces propos que vous devez estimer un tantinet frondeurs, sachez que je ne vous aime pas.
Zazie, vous savez, l’impertinente petite héroïne de Raymond Queneau, aurait commencé par déclarer bien fort, avec sa gouaille inimitable : « Mais doukipudonktan ? ». Car je suis au regret de vous le dire : vous dégagez des effluves déplaisants.
Ah, je suis en ébullition. Je ne sais pas ce qui me prend cet après-midi, mais j’éprouve l’impression de rage désespérée que doit ressentir – enfin, j’imagine – le voyageur qui court, s’essouffle et rate quand même son train d’un cheveu. Une véritable tempête monte en moi. Une bourrasque dévastatrice me submerge et il faut que je déverse toute cette rancœur qui me pèse depuis trop longtemps. Je viens de découvrir que je n’étais qu’une pauvre idiote qui enfin, oui, ENFIN, était prête à réagir contre l’imbécillité du destin.
Je vous regarde avec attention et je suis stupéfaite. L’idée de me délecter de votre effarement, voire de votre courroux, m’avait follement réjouie. Mais il ne se passe rien. Personne n’est parti. Personne ne bouge. Personne ne dit mot. Je remarque même quelques yeux humides. Auriez-vous donc un cœur ? Et soudain je me sens toute bête.
J’ai été insultante tout à l’heure en vous disant que vous sentiez mauvais. Ce n’est pas tout à fait faux d’ailleurs ; par cette chaleur, c’est même inévitable. Mais en vérité, c’est ma propre odeur qui m’était devenue insupportable. L’odeur tenace de ma lâcheté.
Curieusement, je suis bien à présent, apaisée, sereine. Vous me regardez avec indulgence. Nous sommes arrivés à un niveau inespéré de compréhension mutuelle et j’en suis émue. Je voulais vous choquer, vous offenser ; mais votre amicale attitude prouve que vous avez compris mon mal-être, ma déprime passagère, ce qui me touche profondément.
Déprime ou moment d’allégresse ? C’est davantage une assertion qu’une question. Oui, j’opte pour ce moment d’allégresse qui, arrivé à point nommé, m’a soulagée.
Les humains doivent vivre en bonne entente. Dans ce but - très louable je l’admets - de bienséance, on nous donne de bons conseils, puis on nous met sur des rails qu’on nous recommande de ne jamais quitter, sous aucun prétexte. Soit, le respect des autres est capital, primordial. Mais ceci-dit… on étouffe, que Diable ! De l’air ! On a besoin d’air !
On ne peut pas toujours être parfaits, lisses.
On ne peut pas toujours être jugés sévèrement et devoir à notre tour juger les autres.
On a besoin de mansuétude.
On a besoin de détente, de plaisirs, d’insouciance, de rester un petit enfant farceur.
On a besoin de douceur, de relâchement, de tendresse, d’amour.
On a surtout besoin de liberté.
Je vous demande humblement pardon pour mon manque de courtoisie et ma méchanceté gratuite. Je suis allée trop loin et j’ai été injuste ; je le reconnais. Mais, avoir eu le courage de crever l’abcès reste cependant ce qui m’est arrivé de mieux depuis fort longtemps. Et je ne regrette rien, car les fâcheux instants que nous venons de vivre auront permis, à vous comme à moi, de remettre bien des choses à leur place et les pendules à l’heure. C’est une opportunité à saisir. Nous allons évoluer, revoir notre mode d’existence, perdre de notre rigidité. Je sais que désormais ma vie ne sera plus la même et j’en suis heureuse. Mon travail va prendre une autre direction, peut-être pas diamétralement opposée, mais plus adaptée à notre époque, plus favorable à notre vie moderne. La souplesse sera désormais de mise.
Et à présent, je peux vous l’assurer du fond du cœur : votre présence m’est précieuse, indispensable même. Car je ne pourrais pas vivre sans mon public qui est, en quelque sorte, ma bouffée d’oxygène. Et ce public, je l’aime. Oui, je vous aime, sincèrement. J’ai été sensible à votre magnanimité ; je vous en remercie et vous renouvelle toutes mes excuses. Je souhaite vous revoir au plus vite. Laissez-moi le temps d’organiser une nouvelle conférence, et vous pourrez assister gracieusement à cette future séance qui cette fois-ci, je vous le promets, sera beaucoup moins mouvementée ! A très bientôt mes amis ».
"Le cri du silence" de Nadine CHEVALLIER, texte écrit en différé mais dans les mêmes conditions que les autres participants
Moi, je suis sourde.
Vous pensez si le silence, je connais.
Mais je n'ai pas toujours été sourde.
Quand j’entendais, je n’entendais pas le silence. Existait-il alors ?
J'ai connu des gens qu'on disait silencieux.
Pourtant il arrivait toujours un moment où ils ouvraient la bouche et proféraient des phrases inutiles. Alors à quoi bon ? Ils auraient mieux fait de continuer à se taire.
Moi, ça m'est égal de dire n'importe quoi, je suis bavarde.
Depuis toujours, je parle, je parle à tort et à travers, du matin au soir.
Et du soir au matin, dans mes rêves je parle.
Toute petite, on me disait « mais tais-toi donc un peu »
Plus grande on me disait «Mais quand te tairas-tu ? »
Ta ta ta, je ne me taisais pas.
Le son de ma voix me plaisait, je n'écoutais pas les réponses, on me disait insolente.
Moi, je m'en fichais, je parlais.
Je vous passe sous silence toutes les punitions que j'ai eues à l'école. Voyez-vous, je sais me taire quand c'est nécessaire, je ne voudrais pas trop parler de moi et vous lasser.
J'ai connu aussi des lieux qu'on dit silencieux.
Sous des cieux nuageux, sous des couverts d'arbres verts, quel ennui personne à qui parler. Je n'écoutais pas le murmure du vent, le chant des rossignols, le frémissement des feuilles, la mélodie du ruisseau, tous ces bruits qu'on nomme « silence ». Je parlais aux vaches, aux oiseaux, aux moustiques, aux arbres même. Leur réponse était le silence mais je ne l'écoutais pas.
On me disait « mais tais-toi donc un peu.»
On me disait «Mais profite donc du calme.»
Le son de ma voix me plaisait, personne pour me couper la parole, l'écho parfois me répondait et nos voix se mêlaient.
Maintenant je suis sourde.
Maintenant je parle mais personne ne m'entend.
Je me fichais des réponses, on me disait insolente mais pour briser le silence, j'avais besoin de vous savoir à l’écoute.
Pour être entendu ne faut-il pas entendre ?
Quand vous n'entendez plus personne vous répondre, ça c'est le vrai silence.
Aujourd'hui, il y a comme un cri dans ma tête, je ne veux pas de ce silence.
Alors je parle très fort, de plus en plus fort, espérant un jour vous entendre me répondre « mais tais-toi donc un peu.»
"Tout fiel sur la Tour Eiffel" de Régis MOULU, animateur de l'atelier
L'insolence, c'est prendre au soleil un de ses rayons.
En version laser.
De celui qui épile, qui fait rougir, et puis basta !
En somme l'effet barbecue, version courte et intense.
Et je te contrarie, et je te contrarie,
comme l'on casserait les pinces d'un homard.
Fendre, éclater puis broyer : tel est le programme.
Ajoutons-y de manger la chair de l'autre avec délectation. Par petites bouchées.
Ce n'est pas que le met est précieux, c'est que la chair d'une proie a toujours plus de saveur. (Adressé aux possibles proies) Bouh !
Plus je te bouffe tes muscles, et mieux je me sens ! Youpi ! Tralala itou !
Très tôt, j'ai été un prédateur,
tout fœtus étant déjà, par nature, très hâbleur… on n'y prend pas garde mais c'est la stricte réalité.
Un bambin, si on le laisse prospérer, est enclin à s'ensauvager. Très très vite.
Seule la rectitude des rues et des éducateurs nous dressent, nous redressent, nous met sur nos deux pieds, nous les pourvoit de chaussures et lacets.
Chaque jour, je mettais au point et à exécution un estoc mémorable.
Chaque jour, nulle personne ne me gourmandait.
Oui, j'étais seul, heureux, plein, débordant, conquérant et dictatorial comme une accusation adressée aux mythes.
Assurément, je suis le fils qui attente à l'Histoire qui nous constitue et qui nous sauve.
Eh ouais, je gifle notre conscience !
Avec moi, l'instinct de survie des Hommes devient le vilain défi qu'orchestrera ma pomme.
Et moi de me féliciter, chaque soir, de tous mes forfaits commis.
Forfaits non contrariés, forfaits qui se perpétuent, poil au cul !
Je grossissais ainsi mon effronterie, tel un macaque au cœur creux, aux poumons d'acier.
En somme une peau de con avec personne dedans.
Un Don qui rote.
Superbe fantôme, le spectre fripon.
Ce n'est pas que je suis « Rien », c'est juste que je ne deviens plus, avec le temps, qu' « action obsédée d'irrévérence » !
Car, pour unique cerveau, j'avais mon arrogance, un gros pot touillé par ma malice.
Si le semeur lance des graines, l'offenseur lance des baffes.
L'art de la torgnole n'avait plus de secret, ni pour moi, ni pour mes poignets huilés comme des Tahitiennes naturistes.
On eut dit que j'avais deux tourniquets qui arrosaient des parterres entiers de joues avec ses doigts bien irrigués. Le monde s'ouvrait à moi.
C'est que je sentais, tel un pou de bois, le sang m'arrondir de l'intérieur : oh, la belle chatouille !
Le grand retournement !
La stimulation en continu.
Comme électrocuté du dedans j'étais !
Pas étonnant si, quelques fois, des vagues de grossièretés jaillissaient de moi comme on vomit son quatre heures équilibré.
Mais c'était mon identité, ma raison d'être, ma carte de visite que je tendais ainsi aux autres, une prolixe création.
Avec moi, l'existence retrouvait de la consistance.
Car si le drame nous agrandit, c'est sans doute parce que la paix ne nous a que trop ankylosés.
Mon irrévérence vous donne du sens, ne vous en déplaise, j'en prends note et vous promets de ne jamais me tarir.
Mon outrecuidance n'avait plus de bornes.
Et toujours personne pour me contrarier.
Pire, on eût même voulu que je sois formateur d'élite pour des pelotons entiers de C.R.S., moi l'injure sur pattes, l'impolitesse faite Homme.
Enclin à m'autoriser le summum de l'insulte, une matinée où ne pas exagérer enflait en for intérieur comme une déprime auto-cannibale, j'envisageai d'aller honnir la Tour Eiffel, cette vieille pute.
Ah, je te rouillerais bien tes quatre ripatons, le temps d'un soulagement de vessie, satanée rombière !
Et je le fis de tout mon pis,
comme pris sous l'applaudissement lumineux des appareils photos de quelques touristes normés.
En fait, par cette opération du Saint-Kiki, je devins l'insolence-étalon,
mieux, le poster de toute une génération,
un rebelle devenu bête,
le con en chef mis au pinacle,
le dieu Impertinence lui-même !... un concept bien inspirant.
Que des vestales punks et puantes chantent leurs cocasseries hard rock dans un dégueulis de paroles truffées d'onomatopées fessières, je le veux, je l'exige
ou je les revends de suite en les passant toutes crues dans les petites annonces d'un journal sordide, sans doute gratuit.
Eh oh, Pier Paolo Pasolini, ne te réincarne donc pas en moi : la superbe, c'est d'être ce que j'ai pu être sans jamais s'être abîmé avec un prénom de caillou !