Ci-après quelques textes produits durant la séance,
notamment (dans l'ordre):
- "Pourvu que..." d'Angeline LAUNAY
- "Variations utopiques" de Marie-Odile GUIGNON
- "La roue de la fortune" de SCRIBUS
- "Vide grenier des espoirs (à plusieurs
voix)" de Céline CORNAYRE
- "La nuit porte conseil" de Janine NOWAK
"Pourvu
que..." d'Angeline LAUNAY
Commencer par dormir
De tout son long, de tout son large, de tout son travers
Au réveil, cligner des yeux
Des éclats de lumière
Se bousculent sur les paupières
Entrevoir l'espoir
Mettre en déroute le hasard
Ranger dans leur boîte les dés du hasard
Poser devant soi les dés des espoirs
Espoir qui rime avec noir
Noir de la nuit profonde
Vaste comme le monde
Dans cette forme ronde
Lire les messages du lendemain
Les petits comme les grands
Et les autres
Ceux qui indiquent le chemin
Qui endorment le chagrin
Et nourrissent le dessein
Le loup des steppes
Le grizzli des étendues sauvages
Se coulent dans le vent et dans le temps
Le sable c'est du vent
L'amour universel c'est blanc
Et translucide et transparent
La bouche de la vérité reste muette
Mais qu'est-ce qui empêche de couvrir le bruit des vagues
D'un rire clair
Tinte, clochette d'argent
Réveille l'âme assoupie
Transforme le poison en élixir de vie
La fée Clochette montre son caractère
Dans son univers
Le mou, le tiède et l'à peu près n'ont qu'à bien se tenir
Liberté contre servitude
Egalité contre finitude
Et fraternité contre décrépitude
Il reste un virage à négocier
Un cheval à fouetter
Une angoisse à calmer
Une leçon à retenir
Une armure à revêtir
Un château de sable à construire
Mon voyage n'est pas de ce monde
La bisonne blanche l'a prédit
Si tu l'aperçois, souris-moi
Je comprendrai, je chanterai pour toi
Alors le volcan éternuera trois fois
Adieu le triste et le fol aujourd'hui
Place à demain, ce mystérieux inconnu
Personne ne sait à quoi il ressemble
Est-il paré de sensibilité
Demain, toujours demain
Ne pas remettre à demain
Monter dans ce wagon qui passe
Conjuguer le présent du futur avant qu'il ne trépasse
S'asseoir sous un figuier
Ou bondir dans un train en marche
C'est la même chose
Souvent nous rêvons
Vague aperçu de ce qui nous attend
Entre la poire et le raisin
De la barque jusqu'au sapin
Rêvons à l'espoir
Vêtu comme une muse qui s'amuse
Saisissons la main tendue des lendemains
Regardons plus loin
Pourvu que le cœur y soit
Voici quelques secrets à murmurer
Dure
Ne pense plus à toi
N'attends rien
Attends tout
N'oublie rien
Oublie tout
Suis le fil invisible
Extrapole
Bâtis un espoir à ta mesure
Du haut de son promontoire
Le lion regarde la plaine
A l'horizon, les pistes se mélangent sous un ciel incertain
Le vent murmure ses secrets
L'esprit se fait accueillant
Un, deux, trois, nous nous élançons
Quelle joie nous fait oublier qui nous sommes
Et devenir la joie elle-même
Aussi légers que des plumes
Rapides que des bolides
Etonnés que des enfants
Nous voici aussi futuristes
Pourvu que le cœur y soit
"Variations
utopiques" de Marie-Odile GUIGNON
Je déménagerai...
Et je m'en irai...
Sur le sommet
D'une colline boisée...
Entre les branches ailées
Des troncs en bonne santé,
La mer dessinerai d'un bleu profond
Dans le lointain de l'horizon
La ligne de vie
De L'écologie...
Je délaisserai la ville envahie
Par un tas de cochonneries
Je séjournerai dans un village fleuri.
Entre les maisons dorées,
Le soleil glissera ses nuances filtrées
A travers une couche d'ozone réparée.
Je quitterai mes fringues codifiées du prêt à porter " économiquement
correct " Je tisserai entre des doigts de fée les fils des soi-même
authentiques.
Je fuirai les tapages grinçants des rues mécaniques, les hurlements
plombés des cieux, les vibrations sournoises enterrées...
J'écouterai les murmures de Dame Nature entre les pierres, les tiges
et les pétales d'une terre généreuse débarrassée des capes de bitume
qui l'avaient entravée.
Je chausserai mes sandales,
Je cheminerai loin des tunnels obscurs des foules en migrations quotidiennes...
Je marcherai allègrement entre les dunes souples et changeantes sans
jamais perdre mon âme dans un désert devenu hospitalier.
Je m'extrairai de la gluante servitude des habitudes routinières.
Je respirerai l'oxygène des amitiés spontanées et durables entre la
liberté transparente réhabilité et l'atmosphère dépolluée de ses gaz
nocifs et insipides.
Je réduirai en cendres blanches les malfaçons de mon existence passée
entre les flammes vertes de l'espérance et les braises rouges du désir.
Je déploierai mes émotions sans craindre les représailles des scandales
édités par une presse conventionnelle au bon sens aboli.
J'oublierai les peines et les chagrins de notre planète isolée et perdue
dans ce monde incongru...
Je chanterai les louanges de la solidarité discrète à travers l'égalité
des différences et l'unicité des langages diversifiés...
J'effacerai les traces des cyclones, des ouragans, des tremblements
de terre, des attentats, des meurtres, des malheurs en chapelet...
J'écrirai les bonnes nouvelles du matin, entre les mailles des fils
d'araignée et les perles de rosées, dans la fraîcheur de l'aurore. Les
véritables toiles alors raconteront les splendeurs oubliées du monde.
Je m'installerai proche de vous, à la juste distance.
Je danserai et nous évoluerons en ronde et en farandole à travers les
saisons réhabilitées.
Je voyagerai,
Je voguerai,
Je planerai,
Je rêverai encore et encore...
Inlassablement
Entre les flans verdoyants
Entre étoiles et firmament
Entre mers et continents...
Sur cette boule de fusion close...
Aujourd'hui, elle est enrobée par les satellites leurs ondes et toutes
sortes d'émissions... Si elle étouffe, demain... Il lui suffira d'une
petite toux, d'un vaste éternuement volcanique pour générer un autre
avenir...
"La
roue de la fortune" par SCRIBUS
Le magicien de l'univers s'ennuie.
Demain, il décidera de changer de spectacle et procédera alors à son
jeu favori : la roue de la fortune.
Sous une impulsion prodigieuse, la roue, après quelques soubresauts
s'arrêtera définitivement sur la case jaune " décade magique ". Le pire
aura été évité entre d'un côté la case rouge " folie incertaine " et
la case noire " crise majeure " qui se joue déjà en ce moment dans toutes
les salles de la planète.
Le ciel se dégagera soudain comme après un orage d'été. Une effervescence
perceptible suintera des arbres et des fleurs. Les oiseaux parleront
aux arbres qui parleront aux hommes.
Trains et navires s'immobiliseront. Montres et horloges seront brusquement
interrompus.
Personne ne comprendra plus rien à rien pendant quelques instants.
On prendra le contre-pied du ciel et de l'enfer
On rira en écho jusqu'aux tréfonds de l'univers
Toi sans moi, moi sans toi, une injure au divin
J'ai oublié de te dire que les dieux nous convoquerons
Pour notre zèle empressé et joyeux de chaperons
Et devant la féerie céleste, célébrerons nos noces de cristal
Le parfum du paradis
C'est du grand spectacle, tu sais
Une féerie céleste
Une odeur envoûtante
Accessible à vous aussi !
Non, ce n'est pas une vue de l'esprit
Juste un poison subtil
Une clé magique
Sorte de laissez-passer
Vers un ailleurs sublime
Une sorte de traquenard inversé
Un voyage millésimé
Vous en doutez ?
Regardez la terre
Ce théâtre pour cupidons de strass
Cette arène de faux guerriers
Ces invertébrés du cœur
A l'amour fugace
Je vous sens comme des poissons domestiques,
Ivres de découvrir l'océan
Comme la fourmi qui visionne d'un seul coup le macrocosme
Il en est ainsi pourtant !
Vertiges sous les pieds, tressaillements, trémolos, étonnements
Vous assaillent à cette vision par la lucarne de l'univers
Poursuivons le voyage
Nous unirons nos cœurs par des fils d'or
Créerons des ponts de lumière entre les villes,
Des cités de la joie, d'autres d'allégresse.
L'humour, partout, sera recommandé
Vents et pluies seront reconduits aux frontières
Le mal sera tué dans l'œuf
La rosée de l'aube renouvellera et réenchentera les esprits
Le choix vous est donné dans ces limbes où vous vous trouvez, d'opter
pour l'ombre ou la lumière.
Car lorsque le grand magicien de l'univers s'ennuiera à nouveau et décidera
de relancer la roue de la fortune, il sera trop tard.
"Vide
grenier des espoirs (à plusieurs voix)" de Céline
CORNAYRE
Nous aurons des maîtres
Dénoyautés de lâcheté
Pacifiés du verbe être
Que nous aimerons et suivrons d'une loyale sincérité
Nous aurons réussi
Là où Einstein s'est échoué
A cuire nos préjugés farcis
Au thermostat le plus élevé
Nous aurons des sourires et des joies
Même quand sonnera l'heure
Des dictées et des boas
Inventés par erreur
Ecole, nous voilà !
Nous aurons la mer, les vagues et son planton
Nos yeux plantés dans la même direction
Le sel de nos bouches et l'écume de nos lèvres
Ne s'émousseront qu'en trêve
Nous aurons l'Himalaya
Vu d'en bas
Blanc d'en haut
Vertigineusement beau
Nous aurons le droit
D'exister tout bas, mais de vivre tout court
Dans nos contrées lointaines, pas à pas
Canada du Nord, Amazonie, et autres basses cour
Nous aurons des promenades
Enlacés comme ensorcelés
Sous nos cabans de ballade
Nos pieds par miracle allégés
Nous aurons de la soupe et du pain
Dans nos cheminées du bois
Au-dessus de nos têtes un toit
Un demain dans les mains
Nous dépasserons nos peurs
Nos chagrins deviendront jardins
D'où pousseront nos fleurs
Arrosées chaque matin
Nous pourrons participer
Evoluer dans le monde des idées
Représenter la vie en théâtre
Et mettre le feu dans nos âtres
Nous aurons dévissé nos fauteuils
Nivelé vos trottoirs
Agrandi vos couloirs
Ouverts vos yeux en mille-feuilles
Nous aurons des pâtes à midi
Du gruyère le soir
Nous aurons l'appétit
Le goût de vivre du tout petit
L'âme d'enfant qui veut croire
Cette âme là qui ne sait faire croire
Nous aurons des vêtements
Des couvertures et même des gants
Pour écrire, ce sera difficile
Pour nous lire, il vous faudra sourire
Nous aurons un mari choisi
Un voile imposé dévoilé
Un rôle à jouer
Un mépris assourdi
Nous aurons ouvert notre âme
Au cœur d'une femme
Nous partirons sur un bateau
Des étoiles amarrées au loin veilleront
Nous irons prendre la mer comme sur un radeau
Comme si nous ne faisions qu'un aileron
Requin absent
Nous aurons des bonnes notes
Même au dernier rang
Nous aurons le droit d'être utile
D'être montré non déguisé
Même à l'âge que l'on veut futile
Celui des soixante ans passés
Nous aurons le désespoir
Au revers du lendemain
D'avoir chassé l'espoir
D'un au revoir sans teint
Nous aurons respecté
Contre vents et marées
Notre souhait le plus vieux
Celui caché dans la boîte à œufs
Nous aurons renoué notre chaise confiance
Indispensable assise
A l'élan amoureux
Même s'il n'est pas tendance
D'être unique et à deux.
"La
nuit porte conseil" de Janine NOWAK
D'abord, me calmer. Je vais tâcher de redonner un rythme normal à ma
respiration. Inspirer lentement, puis expirer longuement. Les battements
de mon cœur et ceux de mon pouls sont encore trop rapides. Mon brevet
de secouriste vieux de quatre ans va enfin m'être utile.
Ensuite ? Faire le vide dans ma tête, empêcher toutes ces images de
tournoyer dans mon pauvre crâne. Et surtout, oh surtout ! ne plus penser
à la situation présente, mais garder l'espoir et envisager l'avenir
d'une façon sereine.
Enfin ! Je respire mieux. J'étouffais. Pourtant il commence à faire
froid, mais je me sentais en ébullition.
Je ne peux espérer aucun secours avant plusieurs heures. Alors, autant
prendre mon mal en patience, ne pas céder à la panique et accepter le
cauchemar dans lequel cet accident m'a précipitée. Mon destin vient
de basculer et je suis en train d'affronter l'expérience la plus douloureuse
de ma vie, avec au ventre, cette peur de mourir que je dois apprendre
à dominer. Cela ne semble pas possible et pourtant cela est. Curieuse
impression : je n'aurais jamais imaginé qu'un tel sentiment d'irréalité
puisse s'emparer de ceux que menacent des dangers vertigineux.
Quand tout va bien, l'être humain s'efforce d'oublier qu'il est le seul
" animal " informé du fait qu'il doit mourir ; triste privilège (qui
nous vient du fond des âges) de posséder une conscience. En poésie,
la mort s'appelle la camarde. Le mot est plus doux, mais le résultat
est le même.
On me dépeint comme forte. C'est l'occasion ou jamais d'utiliser mon
extraordinaire vitalité. J'ai le désir de survivre à tout pris.
Physiquement, je ne peux rien tenter : je suis totalement bloquée, donc
soumise aux lois oppressantes de l'inertie et du silence. Je vais devoir
supporter des heures durant ces lourds fardeaux. Me voici donc réduite
à d'aléatoires expédients : compenser mon incapacité physique par une
force morale, une volonté de résistance que rien ne saura briser.
Je suis déjà en progrès : après ces légitimes moments de panique, me
voici devenue un observateur lucide. J'étais en proie à une intense
fébrilité intérieure et le délire, la folie me guettaient. Mais je vais
batailler ferme et accomplir l'incroyable prouesse de supporter… l'insupportable.
Déjà, je maîtrise beaucoup mieux la situation. J'ai l'impression d'être
Ulysse, c'est-à-dire, être un pauvre jouet entre les mains de Dieux
facétieux. Hé bien, à mon tour d'entrer dans la légende, d'accomplir
quelque chose d'épique, d'homérique.
Dire que je suis claustrophobe ! Il suffit que le métro ralentisse entre
deux stations ou qu'un ascenseur se bloque pour que je me sente mal
à l'aise. Cette aventure - si je m'en sors - aura au moins le mérite
de m'avoir guérie. Miraculeusement, je me sens calme à présent. Dois-je
m'en inquiéter ? Aurais-je un problème de moelle épinière ? Serais-je
devenue un légume uniquement doué de pensée ? Non, car je peux bouger
mes doigts, mes orteils, mes yeux et si ma tête est coincée, je peux
cependant la déplacer de quelques millimètres. Me voilà rassurée : ma
future vie ne sera pas, fort heureusement, végétative.
Et cette situation étant propice à la réflexion, à la méditation, je
vais tuer le temps en envisageant mon avenir.
Quand je serai d'aplomb sur mes deux pieds… Par quoi vais-je commencer
quand je serai d'aplomb sur mes deux pieds ? Je sais : je vais m'offrir
une orgie dionysiaque ! Non, je plaisante, il y aura peut-être plus
urgent à faire.
En priorité, vivre en paix avec les autres et avec moi-même. Car j'ai
le génie de mettre le doigt sur les points faibles des gens, de titiller
des blessures mal guéries. Maladresse de ma part ? Pas seulement. Je
sens en moi un fond de méchanceté dont je veux à présent me défaire.
Sois honnête ma fille : tu le cultivais ce mauvais penchant qui t'aidait
à faire de l'humour à bon compte. J'ai toujours eu un esprit agile,
une pensée capable de suivre des méandres compliqués. Et souvent les
autres en pâtissaient. Je veux désormais être charitable, généreuse
de sentiments.
Les humains sont tous anxieux de savoir ce qu'on pense d'eux. Moi, je
prenais un malin plaisir à leur dire leurs quatre vérités. Désormais,
je me contenterai d'observer sans porter de jugement. Les actions des
autres nous paraissent toujours étranges parce que nous ne connaissons
pas les vrais motifs. Il faudra que je sois plus à l'écoute, plus tolérante.
Mettre davantage en valeur les vertus humaines ; voilà qui est beau,
qui est grand.
Il sera nécessaire que j'apprenne à me dominer. C'était mon côté Jekyll
& Hyde : j'étais capable de passer de la maîtrise de moi à la violence
la plus déraisonnable. J'étais capable de folles sautes d'humeur. A
bannir !
Avec quelle anxieuse espérance j'envisage désormais mon avenir. Je ne
veux pas devenir une Sainte ; non, surtout pas ! J'aime trop la vie
et les plaisirs pour y renoncer. Mais un seul mot d'ordre à partir de
cette minute : redevenir la femme joyeuse et ardente que j'aurais dû
toujours rester. Je me sentais blasée. Je veux retrouver ce don que
nous recevons tous à la naissance, à savoir le pouvoir de l'étonnement.
Posséder de nouveau la faculté de jouir des choses et de la présence
des autres, avec naturel et sincérité. Quel rêve !
Et puis abandonner cette philosophie de pacotille qui faisait le charme
de mes soirées pseudo-intellectuelles. Apprécier comme Jean de Florette,
l'authentique. C'est cela : à mon tour, et à ma manière, " je veux faire
pousser des authentiques " !
Lorsque j'achèterai un tableau, ce ne sera plus pour sa valeur marchande,
mais parce qu'il me fera l'effet d'un poème ou d'une bouffée d'air frais.
Et puis rechercher ce qui est au-delà du matérialisme de notre époque.
Maintenant, il y a " trop de tout ". Réfréner mes envies d'achat et
savoir attendre, désirer et apprécier enfin l'objet convoité. Puis en
faire un meilleur usage. Bref, me borner à l'indispensable.
Je désire par-dessus tout, rencontrer l'amour. Et cet homme, je l'aimerai
sincèrement, profondément. Car lorsque l'on aime aussi intensément,
on doit tout le temps se surveiller de crainte de faire ou de dire quelque
chose qui pourrait blesser. Et c'est cela qui est joli aussi : ne pas
sombrer dans les habitudes ou le laisser-aller.
Je suis en train de faire amende honorable. Et je redécouvre qu'il est
vrai que, quand on a le cœur gai, la vie est plus simple et qu'on a
du plaisir à la croquer à belles dents. Ma bipolarité me compliquait
l'existence : jongler perpétuellement entre deux états est épuisant
: optimisme / pessimisme ; jovialité / déprime. Terminés ces hauts et
ces bas réguliers. Je vais stimuler mes qualités combatives et exciter
mes neurones. Je vais parler librement, simplement et exprimer avec
joie des pensées jusqu'alors enfermées en elles-mêmes.
En fait, claustrophobe, je ne l'étais peut-être pas véritablement. Ce
qu'il me fallait, c'était échapper à l'enserrement qui m'étouffait.
Je semblais vouloir avaler le monde. Mais en réalité, c'était pour masquer
un manque de confiance en mes capacités. Je serai désormais bien dans
ma peau et sûre de moi. J'exprimerai mes convictions et je redoublerai
de détermination. Enfin, je ne cacherai plus mes petites faiblesses,
même à moi-même ; surtout à moi-même. J'aurai une énergie indomptable.
Je veux devenir une femme joviale au rire tonitruant au lieu de cette
grincheuse au sourire pincé. Et lorsque je me heurterai à la mesquinerie
de mes semblables, je serai forte, ne me sentirai plus démunie face
à l'adversité (ce qui me rendait agressive), mais je saurai faire front
avec humour. Les sarcasmes ne me toucheront plus de la même manière.
En fait, je n'étais qu'une sale bête ; oui, une sale bête qui n'avait
même pas le courage d'imiter les vraies bêtes qui elles, vont se cacher
dans un coin quand elles se sentent mal. Il fallait toujours que je
plastronne. J'avais la suffisance des roquets.
Formidable. Depuis un petit moment, voilà que je parle au passé. C'est
donc fait. J'ai basculé du bon côté. Me voici tournée vers l'avenir.
Je me sens devenue une autre, et j'escompte bien que cette heureuse
situation va continuer.
Mon sens de l'humour semble revenir. Je viens de penser " heureuse situation
" alors que je suis toute ratatinée dans cette prison.
En fait, je n'ai jamais eu le temps (ou l'envie ? ou le courage ?) de
m'analyser. Il suffisait tout simplement d'exposer mon cas, sincèrement,
cruellement au besoin, pour arriver à la vérité. Ce désir de faire le
point devait exister sans que j'en prenne conscience. Je me sentais
différente des autres, et souffrais de ne pas être comprise.
Mon avenir s'annonce rose ; afin que ce bonheur perdure, il me reste
à me doter de vrais moyens. J'étais une " éclopée de la vie ". L'expression
n'est pas de moi, mais de Baudelaire. Autre signe : je suis devenue
honnête, car il y a seulement quelques heures, c'est sans vergogne que
je me la serais attribuée, cette jolie formule !
Mon destin m'apparait avec une simplicité triomphante. Désormais, face
à un problème, je me demanderai : " cet incident a -t-il l'importance
que je suis tentée de lui attribuer ?
Je ne me sens réellement plus la même. Si je pouvais esquisser le moindre
geste, je me pincerais pour y croire. Je ne me reconnais plus. Quand
je pense à ce que j'étais seulement hier, je me vois sous les traits
teigneux d'un chien à qui l'on dispute l'os qu'il veut ronger.
Ma rééducation ne se fera pas en un jour. J'aurai des rechutes, c'est
évident. J'étais trop habituée à jouer au chef d'orchestre qui veut
tout superviser. Il faut que j'apprenne à déléguer. Il faut que j'apprenne
à relativiser. Il faut que j'apprenne à atténuer mes jugements. Il faut
que j'apprenne à partager, comme on offre un cadeau.
Et mine de rien, si j'y parviens, cette transformation aura une portée
considérable. Ce sera un véritable évènement pour moi, d'abord, et pour
mon entourage, ensuite.
Je suis là, coincée dans cette voiture, au fond d'un ravin Cévenol.
Le jour semble vouloir poindre. L'air grésille d'insectes. Mon horizon
actuel est plus que limité et pourtant il me parait moins étriqué que
celui qui était le mien depuis toujours.
Je viens de faire preuve de dureté envers moi-même, mais quel bénéfice
je vais en retirer ! Quel bonheur de partir à la découverte de soi-même.
Toute bloquée que je suis, j'ai cependant l'impression d'avoir secoué
une perfide torpeur. J'ai désormais envie de faire des " choses qui
décoiffent ". Et ce sera tant pis pour " les vieilles et grincheuses
perruques ". Je frétille à l'idée de la vie qui m'attend. Je vivrai
une joyeuse démence qui jamais… ne se démen…tira ! Je saurai m'évader
du quotidien. Je n'aurai plus jamais de pensées banales. Ma métamorphose
sera complète.
Quel est ce bruit ? Un gros bourdon ? Non, c'est trop puissant. Serait-ce
? … Oui !!! Un hélicoptère !