SAMEDI 10 mars 2018
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Les ingrédients d'une bonne histoire"

Animation : Régis MOULU

Thème :

Éprouver, c'est surmonter le suspense pour se révéler

Etre confronté à des épreuves fait non seulement émerger des alliés et des ennemis mais aussi nos capacités et nos limites. C'est pourquoi donnons aux personnages de nos histoires créées des tâches à effectuer, et parfois même avec des conditions de réalisation étroites, cela ne rehaussera que mieux leurs profils, leurs statuts, leurs légendes en construction... C'est ce que nous avons testé au cours de cette séance échevelée.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : Votre hérosse lance dans une aventure qui l'éprouvera. Pour ce faire, créer, donc, une épreuve qui comporte au moins deux faits physiques marquants.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support qui liste entre autres les verbes de mouvemant a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Mamie Auli s'est bien habituée" de Janine BURGAT

- "Un désir plus fort que tout" de Janine NOWAK

- "Cailloux" de Nadine CHEVALLIER

- "Le raidillon des framboisiers en folie" de Régis MOULU

 

 

"Mamie Auli s'est bien habituée" de Janine BURGAT

 

"Mamie Auli s'est bien habituée" dit la petite fée à qui veut l'entendre. Trois semaines que Mamie Auli n'a pas mis le nez dehors. Même la petite en la tirant par la main, ne parvient pas à la décoller de la fenêtre. Son seul carré de vision, c'est le petit parc en face, de l'autre côté de la rue. Quelques pigeons s'y pourchassent en se bécotant pour redécoller sans explication. Pas même un moineau. Le moineau est plus furtif que l'arrogant pigeon. Aurélie n'aime pas les pigeons. L'immeuble se dresse dans une impasse. Peu de voitures, seulement le soir et le matin. Rien d'interessant. Tôt le matin, face à sa tasse de café et à sa belle fille qui se pomponne pour sortir, Aurélie essaie de faire bonne figure, reconnaissante de sa sécurité. Elle donne un petit coup de main dans l'appartement, pour la petite le matin et le soir après l'école. Aux dernières nouvelles via la mairie, sa maison en feuilles est toujous debout malgré un accès encore totalement impraticable. L'apocalypse ne s'est pas produit mais la furieuse a bien débordé, grassement, largement mais jusqu'où ? Ils ne savent pas. Ana s'est enfoncée dans un logement pour vieux, à plusieurs. Elle n'a pas encore donné de ses nouvelles. Personne n'est retourné jusqu'à la maison. Personne ne peut évaluer ses chances d'y retourner. D'ailleurs, personne n'en parle plus. Comme si tout le monde était bien tranquille de la savoir à l'abri. Plutôt enfermée, même si personne n'articule la vérité. Ne pas y penser, voir devant alors que son esprit est vide, que son corps n'est qu'une sourde douleur. Elle a mal au dos, aux jambes, même aux épaules la nuit quand elle se retourne dans le petit lit étroit. "Autant crever", pense-t-elle chaque soir en fermant les yeux. Chaque après-midi, elle laisse s'infiltrer dans ses yeux et son cerveau, des heures de télé, de vidéo, de replay. Trois télécommandes et un écran bien commodes pour ne plus penser à rien. La journée elle est seule, avec la fenêtre, le parc, et l'écran. Le soir quand la petite rentre, la vie reprend ses droits. Un câlin, une caresse. Puis le couple revient, une journée dans la tête, une journée dans les jambes. Ils s'écroulent. Ils parlent de ce que leur quotidien leur a apporté. Ou bien ils se taisent. On ne sait pourquoi. Aurélie essaie de s'adapter. Ne pas faire de bruit. Ne pas se mêler à des conversations qui la dépassent. D'ailleurs elle n'a rien à raconter. Sourire, donner le change, esquiver les questions sur son vécu de la journée, les apaiser, se faire oublier, se fondre dans les objets tout autour d'elle qu'elle n'a pas choisis. Ici, tout est électronique, numérique. Elle a peur de ne pas savoir allumer ou éteindre. Peur de se faire un café en n'appuyant pas sur le bon interrupteur, sur le bouton noir ou rouge. Son lit est raide, elle n'y rêve pas, ou ne s'en souvient plus. Personne ne lui parle plus de sa maison, de l'avenir, ne lui propose même seulement de se renseigner. Il faut attendre. Ils n'ont pas le temps, sûrement, ils ont d'autres préoccupations. Elle comprend. Elle a un toit sur la tête. Mais elle est seule dans les murs des autres. C'est pire que sa solitude d'avant. Evoquer "avant" lui donne la nausée. Un matin de plein soleil, en levant le store silencieux, une tache bleue dans le parc attire son regard. Une tente. Une minuscule tente. Une porte fermeture-éclair ronde et noire. Quelques pies sautillent autour en quête de miettes. La nuit a parachuté un objet insolite. Cette nouveauté l'émoustille, la titille toute la matinée. Une curiosité qui ne tardera pas à s'effacer. Plante-t-on une tente dans un jardin public sans conséquence de nos jours ? En début d'après midi, elle a oublié l'écran, elle guette patiemment. Et la fermeture se baisse. Un homme, noir, de haute taille se déploie en s'étirant. Un bonnet sur la tête, un tee-shirt de géant et un short long. Pieds nus. Il se lève, c'est sûr. Il écoute, il hume l'air et rentre dans la tente. En ressort avec un réchaud, un pot de nescafé, une bouteille d'eau. Puis deux verres, Le café dans un premier geste, puis une brosse à dent sortie d'une poche, vient agrémenter la toilette après la cuisine. Aurélie est voyeuse, un peu amusée. Il rentre, il ressort, il rentre et ressort habillé. Sweat, chaussures, jean et bonnet. La tente est soudain vide. Il part d'un bon pas, sans se retourner. Tranquille. Le soir, Aurélie ne dit rien. Les autres non plus. Apparemment personne n'a rien remarqué. Aucune allusion de la petite fée pourtant fouineuse, ni des adultes dans leur quotidien où les parcs publics n'existent pas. En se couchant, Aurélie essaie de voir une lueur au moins. Mais le parc est avalé dans un gouffre sombre. Le lendemain matin, elle se précipite sur le store. La tente est toujours là, silencieuse, mais une seconde a poussé, comme accrochée à la première et dissimulée en partie par un taillis. Aurélie a envie d'aller voir de plus près, d'aller les voir. Elle se sent soudain hardie, gonflée, prête à tout. Elle se bouge, s'habille, se chausse façon promenade de santé. Elle va aller "faire un tour", comme le lui suggère en soupirant son fils depuis trois semaines. Elle fera semblant de flâner. Elle passera derrière la première tente pour voir l'entrée de la seconde. De loin, elles semblent identiques. Est-ce que d'autres voisins ont eu la même idée ? La maréechaussée va-t-elle débarquer ? Sûrement. Alors ils ne resteront pas longtemps. La chasse commencera. La cité est dortoir comme on l'appelle. Deux tentes en plus, personne ne les a encores remarquées. Aurélie suit l'allée bordée de taillis touffus. Elle écoute. La deuxième tente abrite une langue inconnue, forte , saccadée qui trahit plusieurs occupants. Elle tourne les talons, un peu honteuse de sa curiosité, craignant d'être remarquée, quand une voix l'appelle : "Eh ! Mam !". Elle se retourne. L'homme noir entrevu la veille se tient jambes écartées au milieu de l'allée. Il a les bras grands ouverts. On dirait l'homme de Vitruve dessiné par Léonard de Vinci. Aurélie s'approche, penaude d'avoir été démasquée. Que lui veut il ? Il est volubile. Aurélie a un anglais sommaire. Il sourit beaucoup. Aurélie essaie de comprendre. "Home'"revient beaucoup. "Il vous demande si vous connaissez une maison pour dormir tranquille" dit une tête hirsuite émergeant de la deuxième tente. Aurélie acquiese, la deuxième tente est bien plus facile à comprendre. - Une maison ? - Ouais, pour lui et ses amis, une maison pour nous tous, voyez ?" Le cerveau d'Aurélie fonctionne plus vite que sa parole. Pour voir, elle voit. "Cup of tea, Mam ?" dit Léonardo de Vitruve. Aurélie fait oui de la tête. Ils sont mainteant quatre autour d'un verre de thé. Léonardo s'applelle Kiwo de Sierra Léone. Depuis hier, il loge Aritu d'Erythré qui dort encore. La deuxième tente abrite Marcellin d'Abidjan et Baba de Casamance. Marcellin est le chef de tribu de par son aisance verbale. Baba ne parle que le wolof et encore le wolof de campagne mais il parle aussi swahili que tous maîtrisent parfaitement. - Alors, vous avez un conseil pour nous, une idée, on ne sait pas où aller, on peut pas rester quelque part plus de deux jours, c'est dangereux." Marcellin scrute Aurélie comme on regarde les horaires de train. - Laissez moi réfléchir, dit-elle, je reviens demain, enfin si vous êtes encore là !" - Si vous dites rien, alors, on sera peut être encore là ! - Thank's Mam, dit Kiwo la main sur le coeur. Aurélie a de quoi réfléchir le soir venu. Elle est encore plus silencieuse alors que la maisonnée se remplit de voix fatiguées, apparemment toujours aveugles aux nouvelles vies dans l'impasse. Le matin venu, dès que la famille a repris le chemin de son enfer, Aurélie ouvre le carton "Pluie" en haut de la petite armoire et en sort ses bottes en caoutchouc. Elle endosse son vieil imperméable et quitte discrètement l'appartement silencieux. Les deux abris sont toujours là, silencieux. Elle tousse, fort, une fois, deux. Les têtes émergent, un brin inquiètes. Marcellin explique à tous que Mam les emmène à pied voir une maison. En quelques minutes, les sacs plastiques sont fins prêts, les tentes pliées, sous le bras et baskets aux pieds, la petite troupe sort du parc. Aurélie se fait chef de bande. Une fois quitté l'impasse, puis les deux rues en périphérie, elle aborde le chemin qui longe la rivière et évalue la hauteur de l'eau puis la boue qui a déjà séché par endroit. Avril s'étire déjà, la belle saison approche. C'est jouable. Mille détails fourmillent dans sa tête. Au bout de trois bons kilomètres, Marcellin et Kiwo lui demandent de ralentir un peu. Elle marche trop vite. Il faut éviter les trous d'eau qui trouent le chemin comme si des obus l'avaient frappé. Aurélie bouge, Aurélie fonce, ses douleurs sont restées dans l'appartement. Jauger la situation, accéder à la maison. Dans sa poche, elle caresse ses clefs. Dégâts, humidité, et le jardin ?. Aurélie marche. Faut voir, pourront ils l'aider ? Son fils sera furieux. Ce soir elle ne dira rien. Elle doit rentrer avant eux tous. La petite fée sentira-t-elle son escapade ? Ce soir elle saura. Elle aura vu. Elle dormira mieux, c'est sûr. Kiwo et Marcellin aussi, peut-être.

 

"Un désir plus fort que tout" de Janine NOWAK


Après avoir salué les blessés très affaiblis, qui hélas, n’avaient pu célébrer avec leurs compagnons, la victoire dans les libations et les réjouissances, Adalbert entraîne l’herboriste-guérisseur, dans un coin tranquille de son officine.
L’heure est venue pour lui de parler, d’ouvrir son cœur à cet homme qui, en toute logique, devrait être son ennemi, mais qui, paradoxalement, lui semble plus proche que ne l’est son propre frère.
Et il dit tout. Il entre même dans les détails. Ce projet a muri dans sa tête depuis plusieurs lunes. Il y a pensé chaque jour. Des idées s’ajoutaient à d’autres idées. Il a tout peaufiné, organisé avec une rare précision.
Puis, il se tait. Et lui, le redoutable Chef de Guerre à la stature impressionnante, aux larges épaules, au torse puissant, se sent aussi vulnérable qu’un enfant, face au petit être sombre, à l’œil perçant.
Abdallah a écouté attentivement et sans mot dire. Il reste un instant silencieux, songeur, intrigué. Enfin, il s’exprime à son tour. Il fait part de son étonnement. Comment est-il possible que lui, l’esclave qui a été monnayé à un marin-marchand, soit consulté par ce grand Roi ? Comment est-il possible que son modeste avis compte plus que celui des conseillers de ce Chef ? Comment est-il possible qu’on puisse lui faire confiance ? Il n’est qu’un misérable rescapé d’un naufrage, maitrisant encore mal un langage nouveau pour lui ?
Adalbert en a trop dit, s’est trop avancé. Ne pouvant plus reculer, il est bien obligé d’avouer que ce projet auquel il tient tant, ne pourra voir le jour qu’avec l’aide d’Abdallah.
La raison ? Elle est toute simple : il a parfaitement conscience que personne autour de lui n’aura envie de bouger, de quitter cet endroit pourtant ingrat.
Et cependant, il sait qu’il a raison : ils doivent tous s’éloigner au plus vite, sinon leur descendance sera menacée. Déjà, les réserves alimentaires diminuent. Le climat, de plus en plus rude, empêche pratiquement toute culture. La terre est de mauvaise qualité et les récoltes affligeantes. Le gibier fuit et se fait extrêmement rare. Leur existence, sur ce territoire est difficile, pleine d’insécurité. La vie ne persiste que grâce à la vigilance, à la ruse constante et à d’incessants combats – heureusement victorieux, jusqu’à présent - contre des ennemis de plus en plus hardis, implacables, eux-mêmes motivés par le besoin. Dans la journée, le danger est permanent ; et les nuits sont terrifiantes. Ils sont la proie de tribus redoutables, prêtes à tout, prêtes à mourir pour gagner un lopin de terre, un carré d’herbage.
Ils n’ont plus le choix Il faut quitter ce pays.
Mais comment transformer ce peuple de guerriers en navigateurs ? Comment leur donner l’envie d’abandonner cette contrée ? Une contrée, certes, lourde de menaces, mais des menaces dont ils ont l’habitude et donc auxquelles ils savent faire face.
Tous sont braves, courageux, résistants, capables de marcher sans la moindre défaillance, du soleil qui se lève le matin à celui qui se couche le soir. Ils supportent la faim et la soif. Ils résistent vaillamment à des adversaires de taille. Ils sont rodés aux luttes meurtrières et y prennent même plaisir.
Adalbert parle, parle, parle. Il crève l’abcès. Il ose même avouer qu’il hait la guerre. Qu’il rêve d’un monde de paix. Que son corps est robuste, mais son âme sensible. Qu’il n’a envie que de délicatesse. Qu’il veut connaître le pays d’Abdallah, celui où on parle de nourriture comme d’un art et non comme d’un besoin viscéral. Ou on ne boit pas avec l’intention de sombrer dans l’ivresse, mais avec celle de se sentir léger, joyeux, juste un peu étourdi et détendu
Il se tait, reprend sa respiration. Il s’est mis à nu. Il est désarmé devant cet homme qui le regarde intensément…
Après un instant de réflexion, Abdallah s’informe ; il veut savoir très exactement quand et comment il devra intervenir ?
Quand et comment ? Mais son rôle sera capital, essentiel ! Il sera l’unique conseiller d’Adalbert et devra lui préparer ses discours. Oh, parler à ses hommes, quand il s’agit de combats, il sait le faire. Pour les conduire à la bataille, les bons arguments lui viennent aisément à l’esprit, et tous le suivent avec enthousiasme.
Mais cette fois-ci, c’est beaucoup plus subtil. Trouver la patience et la ruse qui font aboutir les entreprises délicates. Agir d’une façon sourde, obstinée, afin de pousser en avant ces colosses sans pitié, à la puissance rugueuse, vers un but qui va les effrayer et leur paraître complètement insensé.
Partir vers l’inconnu ? Difficile à imaginer. Que va-t-on rencontrer sur les mers ? Quels monstres terrifiants ? Le Dieu THOR, le maître du tonnerre, ne va-t-il pas les estimer trop audacieux et les foudroyer ?
Pour les convaincre, il sera impératif qu’il ait réponse à tout, que ses propos soient solides.
Construire des Drakkars n’est pas une mince affaire, mais c’est très réalisable. Le bois de chêne ne manque pas et ils ont parmi eux, des artisans qui s’y entendent.
Prévoir les provisions de bouche à embarquer, la quantité de denrées non périssables, est juste une affaire de logique et d’organisation.
Non, la seule difficulté, est de convaincre son clan. Là est le vrai problème.
Abdallah, sans un mot, s’approche d’Adalbert, le scrute longuement, puis, les yeux dans les yeux, avec un mince sourire, lui donne son accord.
Ce projet l’intéresse. Pas uniquement, parce qu’il a envie de retrouver son pays et les siens.

Mais parce qu’il sera heureux de participer à cette grande aventure. La confiance que lui témoigne Adalbert le touche profondément. Et plus que tout, il est extrêmement honoré de la considération qu’on lui témoigne et d’être traité en ami.

 

"Cailloux" de Nadine CHEVALLIER


Depuis trois semaines, Pauline voit des cailloux partout. Elle les remarque tout le long de son trajet quand elle va travailler, elle en trouve dans la salade qu'elle lave pour le dîner, elle en rapporte sous ses bottes à chaque passage au jardin. Dans ses rêves les cailloux volent, éclatent, se pulvérisent en poussières d'étoiles.
Le caillou bleu lui, est resté dans le tiroir de la table de nuit depuis le jour de la visite à Jacqueline. Pauline ne l'a pas emporté lors des dernières séances de méditation et rien ne s'est passé, elle n'a pas revu les extra-terrestres.
Néanmoins, elle doit bien reconnaître qu'elle ne pense qu'à eux à travers chaque caillou rencontré. Ont-ils trouvé quelqu-un d'autre pour les aider ? Sont-ils toujours en panne entre deux dimensions ? Cette histoire n'est -elle qu'un rêve ?
Sa belle-mère est rentrée chez elle sans aucune séquelle de son AVC. Après quelques jours passés auprès d'elle, Pierre est revenu à la maison. Il appelle sa mère tous les soirs.
Mais ce jeudi là, c'est Jacqueline qui téléphone. Sa voix est pressante :
« -Il faut que Pauline y retourne ! dit-elle, j'ai refait le même rêve qu'à l'hôpital ! Il faut qu'elle emporte le caillou bleu ! »
Pauline a regardé Pierre, il a hoché la tête.
« -Vas-y, a-t-il dit, il faut en avoir le cœur net ! »

Alors Pauline est allongée sur le tapis de méditation, elle tient dans sa main droite le caillou bleu et tente de se détendre en suivant les indications de Francis.
« -Ressentez bien votre pied droit … »
A peine a -t-elle lancé son esprit vers ses orteils qu'elle sent sous ses pieds un sol poussiéreux, une lumière s'allume au fond du cratère lunaire. Elle doit marcher vers elle mais ses pieds sont lourds. Regardant vers l'arrière, elle ne voit que la pente abrupte du cratère, se souvient soudain qu'elle y avait glissé la première fois. Bizarrement, cela la rassure, il n'y a rien à craindre, elle connaît le terrain. Ses jambes se décident à avancer, chaque pas s'enfonce dans une poussière fine comme de la farine complète.
Pauline sent le caillou peser dans sa main, elle le serre très fort, elle ne doit pas le lâcher et soudain elle flotte dans un espace gris et vide, elle remarque avec effroi qu'elle n'a pas de scaphandre cette fois, elle suffoque, bat des bras et des jambes, paniquée comme quelqu'un qui se noie.
La voix métallique surgit alors dans sa tête, calmant son angoisse.
« -Bonjour, nous t'avons attendue longtemps ? As-tu récolté les cailloux ? »
Pauline se sent toute bête. Elle n'a fait que voir des cailloux partout mais n'en a ramassé aucun. Comme la première fois, les entité lisent ses pensées et la voix poursuit :
« - Nous comprenons tes difficultés. Pourras-tu faire cela pour nous très vite ? Nos réserves d'énergie s’épuisent »
Pauline pense que trouver plein de cailloux sera facile mais comment les apporter ici ?
La voix lui explique :
« -Avec l'aide des trois pierres, tu réussiras »
Puis un vide se fait dans sa tête, Pauline sait que les entités ont quitté son esprit. Elle flotte un instant bras écartés, se sent tomber dans le vide et en éprouve un creux dans l’estomac. Elle se retrouve dans la salle du gymnase. Elle ouvre les yeux, les camarades de l'atelier ont commencé à se lever pour le départ. Au moins cette fois-ci, ce n'est pas Francis qui l'a rappelée, c'est un progrès, pense Pauline, je réussis à revenir toute seule.

Pendant toute la semaine suivante, Pauline et Pierre ont ramassé des cailloux. Jusqu'à quelle taille un minéral est-il appelé « caillou » ? Quand devient-il « pierre»  ou « roche » ? Aucun détail n’ayant été fourni sur le poids, la grosseur, la quantité, ils prennent de tout : des petits, des gros, des ronds, des longs, des plats, des gris, des noirs, des multicolores, des brillants, des ternes, des lourds, des légers...
Reste l'énigme : à l'aide des trois pierres ?
Une réponse émerge rapidement, la pierre bleue de la bague de Jacqueline semble indispensable, elle est un lien avec les extra-terrestres, c'est évident. Et bien sur, Jacqueline apporte son soutien, exige de participer à l'aventure avec sa bague.
Avec le caillou de Pauline, voilà donc deux pierres …
Mais la troisième ? Pauline se creuse la cervelle devant son tas de cailloux.
« -C'est moi, dit alors Pierre, c'est mon nom, ce n'est peut-être pas un hasard, je suis Pierre...
- Tu crois ? interroge Pauline.
- On n'a pas mieux, rétorque Pierre, essayons ! »

Alors, ils ont tout mis en œuvre.
Pauline ne se voyant pas arriver à l'atelier de méditation avec trois kilos de cailloux dans les poches, Pierre a réservé la salle du gymnase au nom de son club de karaté.
Jacqueline est arrivée, toute excitée par l'aventure.
Le soir venu, ils se sont rendus à la salle et se sont assis en rond, ont posé le sac de cailloux au centre. Pauline a remplacé Francis pour tenter d'entraîner le trio vers l'espace.
Ça n'a pas marché.
Presque deux heures se sont passées sans autre résultat que de la lassitude et de l'agacement. Le manque de réussite a failli les décourager.
Alors Pauline a eu l'idée de placer les pierres bleues dans les mains de Pierre, « les trois pierres réunies » avait dit l'extra-terrestre. Jacqueline et elle ont posé chacune une main sur celles de Pierre qui serrait les cailloux bleus. Ils fermaient ainsi un cercle autour des cailloux rassemblés.
« -Sentez bien nos mains réunies, a dit Pauline les yeux fermés, nous sommes reliés et reliés à nos pierres, nos trois pierres ... »
Pauline se sent alors basculée dans l'espace vide qu'elle connaît déjà. Dans ses bras tendus, elle devine un tiraillement de recul, comme un refus de la suivre de ses deux compagnons. Elle lance une pensée vers eux.
« -N'ayez crainte, je connais, nos amis sont ici, venez ... »
On serre très fort ses mains comme pour la retenir. Elle appelle :
« Viens Pierre, viens Jacqueline, venez tous les deux ... »
Elle se souvient de sa panique la première fois. Pierre et Jacqueline ne sont jamais venus ici, ils ont peur de cet inconnu, ils reculent et lui tirent les bras en arrière.
Pauline avance, tend son esprit et son corps vers l'espace, intensifie son effort et ses encouragements. Elle appelle les extra-terrestres à l'aide mais ils ne peuvent rien faire contre des esprits qui se refusent.
Pauline relâche alors la tension, elle se sent repartir en arrière, manque d'air un instant et se retrouve dans le gymnase. Pierre et Jacqueline la regardent inquiets.
« -Ayez confiance, leur dit-elle, on va y arriver, suivez-moi, fermez les yeux, c'est comme quand on plonge dans les vagues, imaginez la mer, suivez-moi ... »
Tranquillement, elle a continué à parler.
Ils lui ont fait confiance.
La deuxième fois, flottant dans le vide gris, elle a entraîné avec elle son mari et sa belle-mère. Ils ont dansé tous les trois, balançant leurs bras, tournant sur eux-mêmes, se grisant de cette liberté de mouvements en apesanteur. Quand toute peur a été évacuée, Pauline a appelé mentalement, la voix métallique a retenti dans leurs trois esprits à la fois.

« -Merci d'être venus. Nous devons associer nos esprits pour appeler les cailloux à venir nous rejoindre ici. »
Ils ont essayé. Ils ont visualisé les cailloux, les ont appelés de tout leur cœur, de toute leur volonté.
Les trois compagnons ont senti glisser leurs mains moites de sueur mais n'ont pas lâché. Leurs bras se sont tendus ensemble comme pour soulever un grand poids.
Le temps a semblé s'étirer indéfiniment …
Puis, fourbus, ils ont abandonné.
Pauline a ouvert les yeux dans le gymnase.
Pierre est penché sur sa mère, elle respire doucement, semblant dormir.
Le sac de cailloux ...

 


"Le raidillon des framboisiers en folie" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Le désespoir de cette peuplade était immense. Ils ne se sentaient pas être les élus des Dieux. Et, avec le temps et l'impatience, ils pensaient même être méprisés. L'indifférence nous joue des tours. Tous déprimaient. Rares étaient les repas joyeux, on n'avait jamais autant mangé de viande insipide, des animaux de compagnie commençaient à se suicider, les enfants s'habillaient en gris, la rivière elle-même s'était détournée du village. Même de leurs cerveaux coulaient des larmes. Mollement paniqués, ils cherchèrent néanmoins mille et deux solutions pour ne pas disparaître. Ils allèrent jusqu'à requérir les services de devins plus ou moins experts, plus ou moins compréhensibles, plus ou moins chers, plus ou moins fous, plus ou moins élégants, en tout cas tous fort mystérieux. Ils retinrent les offices de Gougueuil, une femme étrange qui disait avoir les yeux dans les mains et les mains dans les yeux. Hagiteutonbra hétatonyoukakicroitra, le tout avec jeté de débris de coquillages sur un tissu préalablement passé sous une flamme jaillissant d'un feu alimenté en lianes de kiwis… et voilà un dessin qui apparaît, un dessin à interpréter. Gougueuil dit alors : « Houlà ! j'ai oublié de mettre de la poudre d'hippocampe ! » Et hop, cela fut fait. Et Gougueuil de dire alors : « Houlà ! je vois qu'il va falloir partir cueillir, cueillir, cueillir, cueillir beaucoup de fleurs, des anémones et qu'il faudra pour chacun d'entre vous en apposer une encore vivante sur son chapeau, à midi pile, face au soleil. Ainsi la fleur fera une œillade à l'astre millénaire, pensant que ce dernier est son grand frère, lui fera de même, par politesse, et hop, cela vous ressuscitera, et le village sera de nouveau beau comme un cheval au galop ! » Laurent et Eddy, deux voyageurs intrépides qui étaient immobilisés dans ce bourg, suite à un accident de charrette qui perd une roue, venaient eux aussi d'entendre Gougueuil la mystérieuse. Désœuvrés tels des chiens repus, ils se proposèrent pour réaliser la mission énoncée. C'est surtout que, sur leur chemin, à moins de 1000 mammouths d'ici, ils avaient justement vu une prairie constellée d'anémones, jolie comme un ciel de nuit. Le lendemain ils partirent, heureux de pouvoir passer pour des héros. À peine eurent-ils vu disparaître de leur champ de vision le village qu'un corbeau apparut. Tout petit pour commencer, il finit par être très gros près d'eux, obèse comme un dragon ! L'effet d'optique nous joue des tours. Ce corbeau lettré leur tint ce verbiage : « qui s'approche de la réserve des anémones et les touche se verra devenir moche instantanément ». Dans un nuage de poussière allergisante, le porc volant disparut. Aussitôt les deux compères eurent les yeux rouges et le nez qui gratte. Disposaient-ils d'assez de temps pour se laisser distraire par un bestiaire… d'autant plus qu'ils se trouvaient déjà fort moches, donc ils se relancèrent aussitôt dans l'aventure palpitante. Mais le corbeau réapparut : « ah, merde, quel con, j'avais oublié de vous dire que qui coupe une fleur perd un membre… de sa famille, ou un cheveu, je ne me rappelle plus très bien. Mais si vous voulez vraiment le savoir, dites-le moi et je reviendrai ! » Eddy lui fit « non » d'un geste de la main, comme il eut chassé un moustique. L'oiseau rare partit, vexé jusqu'au bout de ses pennes. Un nouveau nuage de poussière plus épais les fit éternuer à se détrousser les poumons, et à s'en décrocher les yeux, si bien que leur en finit par être affectée : c'est comme si de l'eau était continuellement dans leurs cristallins. En fait, leurs globes oculaires paraissaient être un bocal dans lequel leur iris naviguait tel un poisson rouge nauséeux. Vivaient-ils toujours dans le même monde ? Et c'est dans un regain d'énergie qu'ils se remirent en route, slalomant comme des serpents ivres. Ils marchèrent sur le sentier rocailleux, arpentèrent des monts dont le vert tendre avait tout du moelleux des petits pois surgelés, enjambèrent un ruisseau qui fredonnait un succès d'Yves Duteil, trottèrent le long d'une roselière, déambulèrent dans Les marécages des hommes sans corps, avancèrent sur La berme des trois cabanes puis gagnèrent La vallée aux larmes de sueur, ils se dirigèrent alors vers La forêt du hibou insomniaque – qui n'arrive par à dormir le jour –, puis ils se rendirent au Carrefour des deux chênes amoureux pour ensuite se faufiler dans Le raidillon des framboisiers en folie, se glissèrent dans Les gorges de Profond-le-rouge, se coulèrent dans Le passage du puits sans fond, contournèrent Le massif du chien pendu – qui s'appelait avant « du chien perdu qui commence à désespérer » –, piétinèrent un instant à La bifurcation du grand sommeil, pour débouler, l'air de rien, sur La prairie des ânes indépendants, ils enjambèrent alors des fougères, franchirent une barrière de buissons ardents, sautèrent du Piton du moine parachutiste, rebondirent quelque peu sur La dalle aux reflets bruns, tourbillonnèrent pour ainsi dire sous l'émotion produite, flanchèrent donc une seconde, mais dévalèrent très vite sur La vallée aux anémones hystériques. On se serait cru dans une mercerie en foire : que de ronds colorés qui flottaient dans une mer d'herbe fraîche ! Leurs yeux eczémateux ajoutaient d'ailleurs un aspect impressionniste à ce tableau, à la limite du pointillisme. Ils furent intérieurement touchés par cette splendeur, ce qui les transforma. Laurent avait gagné une dimension chevaline. C'est comme si, désormais, son sang galopait en lui. Un cheval à la place du cœur, voilà ce qu'il avait. Quant à Eddy, il crut véritablement que des nymphes à poil lui grattaient le dos. En somme, tel un greffon de fauteuil masseur – comme chez les coiffeurs shampooineurs – qui le suivait partout. Quelle détente ! Être un homme nouveau, c'est finalement peu de choses, se dirent-ils en silence, avec des yeux plus que jamais purulents. Ils s'approchèrent des belles en pétales. Laurent effleura une première anémone, violette, et il ne se sentit pas plus moche pour autant. Les corbeaux gros comme des dragons ne sont définitivement pas crédibles. Eddy en toucha à son tour, une rouge, et rien ne se passa pour lui sur le plan esthétique… car il n'y a pas de degré dans la mocheté. Dans sa foulée, il la coupa. Et ils cueillirent ainsi autant de fleurs que le village comptait d'habitants et les placèrent dans des carquois remplis d'eau. Puis ils s'en retournèrent au village. Évidemment, qui voit mal, se dirige mal : leur trajet prit trois fois plus de temps. Ils se crurent même, à un moment, perdu au niveau du Raidillon des framboisiers en folie et hurlèrent leur détresse, ce que les animaux de la vallée entendirent, avec le sourira us lèvres. Le manque d'instinct nous joue des tours. Ce fut un dimanche, le jour où ils rallièrent le village désespéré. Chacun entreprit alors de se trouver un chapeau, même ridicule, afin de l'arborer d'une anémone encore toute fraîche. Il était d'ailleurs 11h59 quand Laurent et Eddy apprirent que leurs familles étaient décimées, jusqu'au plus insoupçonné cousin le plus éloigné, voire même le plus bâtard. Mais le soleil de midi entra en scène…

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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