SAMEDI 3 février 2024
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du Nouveau cycle
"Techniques fécondes, tonique faconde"

Animation : Régis MOULU

Thème : Le plus de force, de justesse ou d'élégance

Bon, eh bien il va s'agir de sublimer nos écrits. En effet, leur donner force, justesse et élégance va nous inviter à sortir de nos habitudes, du convenu, de nos facilités expressives, en somme de tout ce qui est "passe-partout", insipide ou invisible. Cette finesse recouvrée grâce à notre volonté appuyée apporte dès lors précision et concision, de quoi mieux marquer les esprits, de quoi partager qualitativement des idées  qui retrouvent toutes leurs valeurs. Aussi, c'est à cette exploration que nous nous sommes livrés, tels "des gourmets du verbe".

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : Écrire un texte dont le personnage principal va vivre un instant unique : tout ce qui va lui apparaître sera de nature à marquer fortement, durablement et qualitativement sa mémoire (ciblons de préférence - mais ce n'est pas obligé - les effets que peut produire une rencontre). De plus, cela lui inspirera quelques réflexions raffinées.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Le voisin" de Claudine CARPENTER

 

 

"Le voisin" de Claudine CARPENTER


Récemment séparée, fraîchement coming-outée, j'ouvre la porte d'entrée de mon nouvel appartement. Je contemple ce grand espace (près de 100m) repeint en blanc avec un beau parquet en bois massif. Une douce lumière hivernale rentre par le toit ouvert de la véranda dans le fond, le salon ouvert sur une cuisine, deux chambres… Je vais être bien ici, un appartement pour moi, mon chat, mes plantes et ma puce. Ce sera un endroit pour recommencer, pour panser mes plaies et aller de l'avant après les deux dernières années qui ont été si difficiles. Je m'installe par terre, dos au mur, je n'ai pas encore de meubles après tout, et j'appelle EDF et Bouygues pour régler les dernières formalités administratives dues au déménagement. Tiens… on sonne. Qui est-ce ? Serait-ce l'ancien propriétaire qui a oublié quelque chose ? Un nouveau voisin ? J'ouvre, ce n'est pas l'ancien propriétaire … c'est donc un voisin qui me dévisage avec une expression de curiosité. Je le salue avec mon plus beau sourire : " Bonjour Monsieur, Ciro, je suis la nouvelle propriétaire de l'appartement. Vous êtes ? " Il ouvre la bouche et je me dis que ce type ressemble à un acteur célèbre mais … le nom ne me vient pas. Pourtant… ces yeux larmoyants, ces dents grisâtres, ces bajoues tombantes, ce nez pointu et ce crane dégarni en font le portrait même de… " Bonjour John, votre voisin du premier, mon père habite en face et il est le syndic de l'immeuble. " Ca-y est ! Je me rappelle. Peter " Queue de Ver " Pettigrew des films de Harry Potter. La ressemblance est saisissante. Le pauvre. J'ai pour principe de ne jamais juger les gens sur leur physique et j'essaie de ne pas laisser cette malheureuse ressemblance teinter ma future relation avec ce monsieur qui, après tout, vit juste au-dessus de moi. " Enchantée John. Je m'installerai après avoir fait quelques travaux, normalement, il s'agit juste d'un coup de peinture et quelques étagères à poser. " " Hah ! Vous pourriez également faire changer la porte d'entrée, elle est en sapin ! Même pas blindée ! Ils vous ont roulée ! " Je regarde ma porte d'entrée et je la pousse un peu de la main pour juger de son poids. En effet, elle est jolie mais elle n'est pas blindée. Je suis une femme seule à présent et il ne faut pas plaisanter avec la sécurité. " Oui en effet, vous avez raison, c'est ce qu'on appelle les ajustements post-achat, ça arrive. Je vais aussi appeler le serrurier pour qu'il fasse blinder la porte et qu'il mette une serrure trois points. " En parlant, je remarque une odeur désagréable. Y aurait-il un problème d'égouts dans l'immeuble ? Ou alors on est trop près de la Marne ? Ce n'est rien qu'un plombier et quelques bâtons d'encens ne peuvent pas régler. Il fait un peu la moue. Il a vraiment un regard étrange ce monsieur, une sorte de strabisme qui fait que son regard semble se porter un peu plus bas que sur mon visage. Instinctivement, je relève le col de mon pull pour cacher mon décolleté. " Merci John en tout cas, je suis désolée mais je dois y aller car j'ai encore quelques appels à passer pour régler des questions administratives… vous savez, EDF, la mairie, la box… " " Ah oui. En effet. A bientôt alors. " " Merci. A bientôt ! " Je referme la porte et je me rassois afin de poursuivre mes formalités bureaucratiques. Quel drôle d'oiseau ce type ! Enfin, c'est mon voisin. Nous allons essayer de garder de bonnes relations de voisinage. _________________________________________________________________________________ Quelques semaines plus tard, un beau dimanche, c'est le jour du déménagement. J'ai organisé une pendaison de crémaillère bricolage. Céline se charge d'accrocher les tableaux bien droit avec l'aide d'un niveau. Dan et Richard se chamaillent au sujet de la bonne mèche a utiliser pour percer le mur en béton ou ils veulent accrocher des étagères, le serrurier, qui a accepté de venir un dimanche car je lui ai promis de la pizza, a enlevé ma porte d'entrée de ses gonds et s'occupe d'y mettre une plaque d'acier dans la cour commune. Tout cela est bien chaotique, bien bruyant, le chat est terré dans le fond du dressing et est bien décidé à ne plus jamais en sortir, mais bizarrement comme tout le monde est de bonne volonté, ça fonctionne bien, ça avance même très vite. On sonne. Je me dirige vers l'espace laissé par la porte d'entrée retirée. " Bonjour John ! J'espère que nous ne faisons pas trop de bruit, ne vous en faites pas, on aura terminé d'ici 16h. " " Ciro !, appelle Steph, as-tu du mastic à bois ma chérie ? J'en ai besoin pour recoller un truc ! " " Oui, donne-moi deux minutes ! " " Que faites-vous s'il vous plaît ? " John me dévisage d'un air curieux. " Ah ça ? C'est la pendaison de crémaillère-bricolage. C'est un concept inventé par les personnes fâchées avec les travaux manuels. J'invite mes amis à manger de la pizza et à boire de la bière chez moi tant qu'ils viennent avec leurs outils et sont disposés à m'aider à monter des meubles et accrocher des travaux. On a bientôt terminé, tout le monde va rentrer chez soi d'ici quelques heures, ne vous en faites pas. " " Oh mais si vous avez besoin de bricolage n'hésitez surtout pas à me demander, je peux vous aider et je le ferai avec plaisir ! " Comme quoi, j'ai bien fait de ne pas me fier à la première impression. Il est gentil comme tout ce type. " Ciro ! Je viens de prendre la dernière bière qui était au frigo. Tu peux en mettre d'autres au frais ? " Je souris " Enfin une tâche à la hauteur de mes compétences ! Je m'en occupe tout de suite ! " Je me retourne vers John, " Merci beaucoup, une prochaine fois vous viendrez prendre le café ? Quand je serai bien installée ? " Ensuite, je retourne à mes amis. Steph vient vers moi, il est hilare. Il a un câble noir dans la main, qui a un petit micro au bout. " He dis donc, regarde ce que j'ai trouvé dans la chambre derrière le radiateur ! C'est l'œil de Moscou dis donc ! " Je regarde l'objet, perplexe, c'est sans doute les anciens propriétaires, un objet posé négligemment sur un radiateur qui a glissé derrière et a été égaré puis oublié. Je prends le micro qui pendouille dans la main de mon ami et je le mets dans la poubelle de recyclage. Je regarde les autres radiateurs et me demande si c'est paranoïaque de vérifier qu'il n'y a pas des micros derrière.

Cela fait déjà trois semaines que je suis installée dans mon appartement. J'ai mes tableaux au mur, mes épices dans la cuisine et mes visites hebdomadaires chez Truffaut font que ma véranda est de plus en plus fleurie. Je me sens bien, surtout que je viens de rencontrer quelqu'une, quelqu'une qui est charmante. Elle s'appelle Mathilde et est un mélange de garçon manqué et de fille fille que je trouve craquant. En plus, elle trouve mon chat adorable, c'est très bon signe. Elle ne connait pas encore ma fille, c'est encore trop tôt. Mais, je m'emballe à penser à mes amours, ce soir je suis avec la puce et nous préparons un dîner. On sonne. Je vais ouvrir. Encore lui ! Il a un grand sourire. " Bonsoir John ! Comment allez-vous ? " " Bonsoir, je sors du boulot, je travaille à une pâtisserie, je vous ai pris quelques bonbons, c'est pour vous et votre fille. " Une chanson de Brel commence à me trotter dans la tête : " Je vous ai apporté des bonbons… ". Seigneur, que je suis mauvaise ! " Parce que les bonbons c'est tellement bon "…. Je regarde le paquet de pâtes de fruits qu'il m'a apportées et lui fais un grand sourire " Même si les fleurs c'est plus praiiiii…sentable ". " Merci ! Merci beaucoup ! La petite va être contente, elle adore les pâtes de fruits. " En réalité, comme tous les enfants de sa génération, ma fille est accro au coca et aux bonbons Haribo, mais je ne vais pas lui dire. Je renifle, encore cette mauvaise odeur. Il doit y avoir de l'humidité dans la cave. " De rien, vous savez, ils allaient les jeter et ça ne coute rien. " Tu l'as dit… elles sont périmées mais comme on dit, c'est l'intention qui compte et malgré la maladresse, cela reste un geste gentil. Je le remercie encore et vais fermer la porte. Il m'arrête d'un geste. " Oui, Ciro, il faut que vous le sachiez, votre véranda… elle est illégale. Elle a été construite illégalement. " Je le regarde, les yeux comme des soucoupes. " Que voulez-vous dire John ? Je suis passée par un notaire pour mon achat, une véranda de 20m2 illégale, je pense qu'il aurait vu, non ? En plus je crois qu'elle a été votée en AG. Attendez un instant… " Je pousse la porte, je vais dans ma chambre et je ressors le titre de propriété et je l'ouvre à la bonne page. " Regardez John, la véranda à été construite en 2003, et votée en AG en 2005, plus de 10 ans avant mon achat ! Elle n'est pas du tout illégale. " Il regarde le papier et à un petit rire. " Vous avez vos papiers mais je vous assure qu'elle est illégale. Ne vous en faites pas, ça se passe bien entre nous alors il n'y a pas de problème. " Perplexe, je le remercie pour les pâtes de fruits et je referme la porte. Mais quel relou ce type !

Ma chérie à rencontré la puce, elle est venue diner et elle va dormir sur le canapé. Il est un peu tôt pour tout dire à ma fille, c'est une amie, c'est tout. On ne se touche pas, on ne se regarde pas, on ne s'embrasse pas. Par contre, nous sortons les poubelles ensemble histoire de s'embrasser discrètement sous le porche en riant comme des ados. De vraies gamines. Elle va revenir diner demain soir. Je remplis ma poubelle autant que possible histoire de devoir la ressortir ce soir. J'ai hâte ! On sonne. Qui est-ce ? Je regarde par le judas. Encore le voisin ! J'ouvre. Il faut rester polie. " Bonjour John ! Vous allez bien ? " " Oui, est-ce que je peux rentrer un instant ? " " Euh… oui, rentrez cinq minutes parce que je m'apprêtais à sortir, j'ai un rendez-vous " Il rentre et prend un air gêné. " Alors voilà, votre amie… " " Oui, mon amie Mathilde, je vous l'ai présentée l'autre jour qu'y a-t-il ? " " Euh…je sais que c'est votre petite amie. " " Ah ? Mais comment le savez-vous ? " Je n'ai aucune envie de nier quoi que ce soit, je ne fais rien de mal et ce qui m'intéresse est de savoir d'où il a tiré cette information assez personnelle. " De rien, de rien… j'ai juste vu qu'elle vient souvent et comment elle vous regarde. " Wow ! Et moi qui pensais avoir un gaydar hyper performant ! Trop balèze le type ! " Enfin, heureusement l'homosexualité à été dépénalisée en France il y a plus de 20 ans. Ce sera tout ? " " Euh… Votre fille le sait ? " Non pas encore, mais il vaut mieux que je le dise à la miss assez rapidement, histoire qu'elle ne l'apprenne pas de ce type. " Ma fille sait ce qu'elle a besoin de savoir, ni plus, ni moins. Ce sera tout, Monsieur Planay ? " " Ne le prenez pas mal… s'il vous plaît " " Mais non, je vous en prie. Je suis désolée mais je dois sortir. " Je me lève et lui ouvre la porte. Il sort. Je commence à me poser des questions.

Avril ; le soleil brille, mes amours vont bien, très bien. Ma fille se plait dans le nouvel appartement. Le chat est allongé dehors, il a l'air heureux. Mon ami Ali est venu m'aider à sortir mes meubles de jardin pour que je les mette dans la cour. Je lui ai promis mon curry aux pois chiches légendaire. On parle dans la cour en sirotant une limonade au soleil. " Dis, Ciro, tu sais qu'il y a des caméras de sécurité dans les parties communes, sous le porche ? Je le dis parce qu'elles ne sont pas signalées par une affiche comme elles devraient l'être. " " Non, je ne savais pas. Montre-moi. " Nous allons sous le porche et il me montre le boitier des caméras. Une des caméras est braquée sur ma porte d'entrée. Ce n'était pas le gaydar, il nous filmait le saligaud ! Entre la nausée et la colère, mon cœur balance. Je souris à mon ami. Je le remercie et je me demande ce que je dois faire. Dès le départ d'Ali, je vais frapper à la porte de John. Il ouvre. Je connais maintenant l'origine de la mauvaise odeur qui me prend à la gorge tellement elle est forte. " Monsieur Plantay, j'espère que vous allez bien. Je me permets de venir vous voir car on m'a fait remarquer qu'il y a des caméras dans les zones communes. Savez-vous ce qu'il en est ? " " Ah oui, tout à fait. C'est pour notre sécurité à tous. Les images ne sont pas gardées. " " Normalement, les caméras dans une copropriété doivent être signalées par un panneau, je ne vois rien. " " Si elles sont signalées, Madame, elles perdent tout intérêt. " Euh… Je redescends, je ne sais vraiment pas quoi faire. Il n'a pas l'air méchant. Il n'est vraiment pas futé mais il n'a pas l'air méchant.

Un soir de mai, on prend l'apéro dans la cour avec ma chérie. Ça fait longtemps qu'on ne se cache plus. Mon téléphone se met à vibrer. Je regarde l'écran. Encore le voisin. " Monsieur Plantay, comment allez-vous ? " " Bonjour, euh… euh… Je voulais vous demander quelque chose. " " Je vous en prie. " " Alors voilà, je voulais savoir si vous vouliez sortir diner avec moi un soir. " " Oh ! Je vous remercie pour l'invitation mais ce ne sera pas possible. " " Ah, désolé de vous avoir dérangé. " " Je vous en prie monsieur. " Je lève les yeux. Mathilde me regarde, le teint blanc, le visage exorbité de colère.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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