Ci-après
quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):
- "Généalogie" de Christiane FAURIE
- "Disparition troublante" de Nadine CHEVALLIER
- "Trois bidons d'essence parmi d'autres" de Régis MOULU
"Généalogie" de Christiane FAURIE
Du plus loin que je me souvienne j’ai eu contact avec ma vieille âme. J’ai longtemps ressenti le poids de l’existence qui m’empêchait d’être légère comme tous les enfants de mon âge.
D’ailleurs, très souvent on demandait à mes parents mon âge suivi de cette réflexion : elle est mûre pour son âge.
Très jeune, j’étais déjà en recherche de ce qui pesait en moi comme une malle trop lourde.
Tous les jeudis, jour de congé scolaire, je fouillais la maison à la recherche d’indices.
J’avais l’habitude de lire en cachette les romans photos que ma mère cachait dans un petit meuble bas à une seule porte en bois de chêne, coincé entre le lit et la fenêtre de la chambre parentale
C’était comme un vol de l’âme de ma mère, peu encline à révéler quelque sentiment que ce soit. Pas de démonstration d’affection de même que pas de manifestation d’attachement à mon père. Elle veillait comme une guerrière sur la maisonnée. Elle fournissait le gîte et le couvert.
Penser que ma mère puisse lire chaque semaine ces histoires d’amour à l’eau de rose m’intriguais, elle qui investissait si peu la vie de couple, au point de me questionner sur l’intérêt d’une vie avec un homme. Ma sœur et moi, nous avions ouvert un journal appelé UFKEPRIBAM - lettres prises au détour des pages du dictionnaire- et avions fait le serment de ne jamais nous marier.
Ma mère n’affichait aucune photo de qui que ce soit nulle part dans la maison.
Elle entreposait tous les clichés dans une vieille boite à chaussure au fonds de ce buffet.
Lors des rares sorties autorisées chez une copine, au contraire, toute la famille était mise à l’honneur, tout sourire dehors.
Chez nous, les visages étaient graves.
Un jour, je décidai de fouiller plus avant ce buffet ventru plein de mystère. Je vidai le ventre des romans, boite à chaussure, vieux draps envisagés en chiffon à poussière, cartes postales, vieilles factures…
Rien de passionnant dans cet antre sombre. Mais un bout de carton, inséré dans la planche du fonds du meuble attira mon regard. Après plusieurs tentatives, je sortis mon butin triomphalement.
Une photo de vieille dame usée, au regard redoutable et imprégné d’une douleur infinie.
La joie de la découverte passée, c’est une peur immense qui m’envahit. Qui est-ce ? Pourquoi cet air si terrible ?
Il ne m’était pas possible de solliciter ma mère sous peine de coups de martinets à la hauteur du crime de désobéissance qui devrait être puni comme il se doit.
J’attendrai donc de revoir ma grand-mère paternelle lors des prochains congés scolaires d’été. De longs mois à attendre et à cacher mon butin du regard acéré de ma mère.
L’attente fut longue et me permis d’échafauder tous les scénarii possibles.
Etait-elle une sorcière brûlée sur un bûcher ou décapitée sur l’échafaud qui rendait plausible ce regard ?
Le mois d’août se présente enfin. Nous embarquons dans le train qui devait nous emmener dans la ferme de mes grands-parents. Sur le quai nos apercevons notre grand-mère, toute petite mais le corps droit, vêtue d’un tablier fleuri et d’un chapeau de paille protégeant sa peau des rayons brûlants.
Sa voix tonitruante contrastant avec sa petite taille et son sourire lumineux nous invita à sauter dans la carriole pour nous conduire dans son domaine emplit d’animaux un peu effrayants. Quel contraste avec notre monde de la ville.
Les mouches bourdonnaient autour de nous comme pour nous accueillir mais nous lancions nos bras en moulinets dans l’air pour les éloigner.
Une fois les bagages défaits et nos lits attribués, un goûter étrange nous attendait : de grandes tranches de pain de campagne à la croûte dure et recouvertes de « grilloux », sorte de rillettes dures aux morceaux de viande grillée crissant sous la dent accompagnées d’un bol de lait trait du jour. C’était bon.
Je n’avais qu’une idée en tête une fois ce goûter avalé ; c’était de montrer la photo.
-« Mémé, c’est qui cette dame ? »
-« Mais c’est ton arrière grand-mère Marguerite »
-« Mais pourquoi est-elle si méchante ? Ses vêtements sont si tristes, si noirs »
-« Tu sais, je ne l’ai pas beaucoup connue, elle est morte si jeune, elle n’avait pas 60 ans. Elle était malade »
Cette tristesse je la reconnaissais, elle était en moi comme un fardeau. Elle se prénommait Marguerite, quelle étrange coïncidence. Toute petite, je demandais souvent à mes parents pourquoi ils ne m’avaient pas appelée Marguerite. Ma mère haussait les épaules sans rien dire.
Petit à petit je nourris une grande rancœur, une haine viscérale envers cette aïeule. Elle m’avait jeté un mauvais sort. Elle m’obligeait à porter son deuil, j’en étais persuadée.
Parvenue à l‘âge adulte, au détour de mes rencontres, j’ai eu un témoignage d’une personne qui avait rencontré un médium capable de la mettre en relation avec des personnes proches décédées.
J’étais alors bien dans ma vie, heureuse entourée de mon mari et de mes enfants. J’eu envie de savoir.
Arrivée dans son cabinet, il me fait asseoir sur son canapé en velours rouge très confortable et
Il me dit immédiatement : vous avez la visite d’une certaine Marguerite, elle veut vous parler ?
C’est mon arrière grand-mère et je la hais.
Il prononce alors ces paroles « mais elle ne pouvait faire autrement »: elle a appelé la mort de toutes ses forces et la maladie l’a délivrée. Sa vie a été un enfer. Je vois une très belle femme que tout le monde enviait.
Ses parents morts de la grippe espagnole, elle a été élevée par ses grands parents incultes. Ils l’on mariée à 16 ans avec un vieux monsieur qu’ils croyaient riche.
Il était ruiné, l’esprit étroit. Elle était effrayée par ce personnage.
Vous ne pouvez lui en vouloir.
Si elle vous a choisi, c’est que vous pouviez l’aider à porter cette peine et la laisser retrouver son paradis
Je senti un grand apaisement tout à coup.
Je pouvais enfin me sentir le cœur léger et appréhender la vie avec bonheur.
"Disparition troublante" de Nadine CHEVALLIER
Elle n’était plus à ses côtés. Pierre se retourna dans le lit et se rendormit. Pas d’inquiétude. Pauline se levait parfois la nuit quand elle ne pouvait plus dormir, elle allait écrire son journal.
Ce n’est donc qu’à 6h30 ce matin du 10 février que Pierre se rendit compte de la disparition de sa femme. Il avait dormi à poings fermés jusqu’à la sonnerie du réveil sans remarquer que Pauline n’était pas revenue se blottir contre lui.
Il fit le tour de la maison. Personne. Il fit le tour du jardin. Personne.
Dans le bureau de Pauline, son journal était ouvert sur la table. Il lut « 9 février, 23h10 » souligné de deux traits comme Pauline avait l’habitude de le faire pour les dates. Pierre s’empêcha de lire plus avant. Bien que Pauline ne lui ait jamais interdit la lecture de son journal, Pierre se refusait à le faire.
Dans la cuisine, l’agenda notait un rendez-vous chez le coiffeur pour 9h30. Pierre remarqua l’absence des baskets de sa femme. Bon, elle est partie courir, c’était sa nouvelle marotte après la méditation, le jogging.
Elle aurait pu me laisser un mot pour m’avertir, elle le fait d’habitude …
Il alluma son téléphone, pas de message. Il tenta d’appeler le portable de Pauline et entendit sonner dans la poche du manteau suspendu dans l’entrée. Elle a encore oublié son portable, se désola-t-il.
Sans trop d’inquiétude, il partit travailler. Mais sans aucune nouvelle à midi, il finit par se tourmenter. Le téléphone sonnait toujours dans le vide. Il décida de quitter le bureau en début d’après-midi, annulant une réunion avec ses collaborateurs.
Pauline n’était toujours pas rentrée. La maison semblait avoir retenu son souffle depuis le matin. Il vérifia l’absence des baskets, absentes. Le portable toujours dans la poche du manteau.
Pierre appela le salon de coiffure. Oui, sa femme était bien venue ce matin à 9h30.
Ça alors ! Que se passait-il ? Y avait-il de nouveau une intervention des extra-terrestres dans ce mystère ?
Depuis l’affaire des pierres bleues*, Pierre et Pauline n’avaient plus de nouvelles. Pierre s’interrogeait parfois sur ce qui s’était réellement passé à ce moment là.
Pour tenter de se rassurer, il appela sa mère, elle aussi avait participé à cette aventure. Elle était très proche de sa belle-fille. Peut-être avait-elle eu des nouvelles de Pauline aujourd’hui ?
Non, mon grand, pas d’appel de Pauline ce matin. Mais pourquoi me demandes-tu ça ? Pauline a disparu ? Tu es sûr qu’elle ne te fait pas une blague ? Oui, tu as raison, c’en serait une très mauvaise … As-tu vérifié si elle a pris son sac ? Son porte-monnaie ? Une valise ? Elle n’est pas tombée dans l’escalier du sous-sol ? Tu as regardé ? Non ? Va vite voir et tu me rappelles.
Il avait bien fait d’appeler sa mère !
Première chose, Pierre jeta un coup d’œil au sous sol. Ouf, pas de Pauline blessée dans l’escalier.
C’est vrai, il n’avait pas pensé à regarder dans l’armoire. Le sac de Pauline était là, son porte-monnaie, son chéquier, sa carte bleue aussi. Elle avait pourtant dû le prendre pour payer le coiffeur ? A moins qu’elle n’ait un crédit ? Pierre se rendit compte qu’il ne savait pas comment sa femme réglait ce service. Avait-elle pris des vêtements ? Non, tout semblait là. Aucun désordre dans les tiroirs, ni dans les piles de tee-shirts, aucun cintre vide dans la penderie. Les valises toutes bien rangées sur le haut du meuble.
Vérifier le sous-sol tout de même ! Pierre descendit jusqu’à son atelier où il passait de longues heures à construire des mécanismes d’horlogerie.
Et là, posé sur l’établi, entre les tournevis et les engrenages de toutes sortes, bien en évidence, trônait le journal de Pauline. Ouvert à la dernière page écrite où on pouvait lire « alors cette nuit, j’ai décidé de le faire. En route... »
Mais que se passait-il ? Où Pauline voulait-elle se rendre ? Qu’avait-elle décidé ?
Pierre tourna machinalement la page. Il lut « 11 février, anniversaire de Pierre » souligné de deux traits comme Pauline avait l’habitude de le faire pour les dates.
Mais elle n’avait pas l’habitude d’écrire son journal à l’avance. Pourquoi y avait-elle déjà noté le jour de son anniversaire ?
Pierre s’affola un peu puis tenta de se raisonner.
Rien ne semblait indiquer qu’un malheur soit survenu. Il n’y avait aucune trace de violence dans la maison. Le journal apparu dans l’atelier alors qu’il se trouvait ce matin dans le bureau prouvait que Pauline était passée à la maison entre son départ à 7h et son retour à 15h.
C’était décidément un homme d’honneur ce Pierre. Il ne voulait pas lire le journal de sa femme. Quelles circonstances pourraient-elles l’y pousser ? Il y aurait pourtant trouvé des pistes explications à la disparition troublante de sa femme.
Mais Pierre réfléchissait trop et cherchait toujours une logique dans la succession des événements. Pauline le nommait « mon roc cartésien ». L’épisode des pierres bleues était le seul fait troublant de leur vie jusqu’à présent.
Alors Pierre ne lut pas le journal de Pauline posé bien en évidence comme un jalon sur son établi.
A l’heure qu’il est, 16h30 ce 10 février, vous trouvez donc Pierre faisant le tour de la ville. Chez le coiffeur, oui, Pauline était sortie vers 10h30, toute belle, coiffée et maquillée. On avait remarqué qu’elle portait des baskets, un pantalon noir, un blouson sur un pull rouge, une tenue décontractée pour un jour de congé. A la maison de retraite où Pauline travaillait, on ne l’avait pas vue. Normal puisqu’elle ne travaillait jamais le mercredi. De plus, elle avait pris une semaine de vacances. Pierre ne s’en souvenait-il pas ?
Il ne savait plus que faire. Il décida de rentrer chez lui, peut-être Pauline serait-elle rentrée depuis tout à l’heure. Elle avait une semaine de vacances et il l’ignorait ! Elle lui cachait quelque chose ! Elle était allée chez le coiffeur, il avait d’ailleurs oublié de demander comment elle avait réglé. Mais ça ne changeait rien. Avait-elle un amant ? Impossible, elle ne s’absentait jamais sans un motif connu, les séances de méditation du jeudi, ça ne serait pas Francis tout de même ? Non, impossible...*
Les idées de toutes sortes se bousculaient dans le cerveau maintenant survolté de Pierre. Il traversait la grand-place, tiens, cette voiture ressemblait à celle de sa sœur, même autocollant sur la vitre arrière… la voiture disparut dans la rue Cocteau. Elle avait permis à Pierre de reprendre pied dans la réalité.
Rentré vite à la maison, il rappela sa mère. Personne ne répondit. Bizarre se dit-il, Maman ne s’absente presque jamais. Depuis son AVC, elle ne sort que le matin et il est 17h30…
Quelle journée de dingue…
On a beau être un roc, solide et méthodique, il y a un moment où... Ah ! Le téléphone !
Maman ! Où étais-tu ? Je me suis inquiété !
Jacqueline ne prit pas la peine de répondre et demanda des nouvelles de Pauline. Toujours rien ?
Comment ça ? Tu as son journal et tu ne l’as pas lu ? Mais bon sang, Pierre fais-le tout de suite !
Et Pierre lut le journal de Pauline…
* voir les ateliers d’écriture 2017 /2018
"Trois bidons d'essence parmi d'autres" de Régis MOULU, animateur de l'atelier
Tu as disparu, Adelaïde, disparu.
Seulement présente par ton journal intime
que je garde près de mon corps,
sur l'étagère d'une côte.
Tout le temps.
Un corps à cœur étouffant.
Une ventouse qui me vide moi-même.
Tu m'aspires hors de moi,
tu me mets sur la route,
celle qui me conduira à toi.
Et ton carnet saigne,
tes mots d'encre se distillent dans mes viscères,
les alimentent,
les inondent,
les éclatent.
Comme des révélations, des flashs qui m'arrivent et se succèdent.
Tu sens la poudre,
je ne suis plus qu'étincelles,
tout est grave,
solennel,
une inquiétude ressort de chaque chose que je regarde, qui me traverse,
tout a le goût de l'unique fois,
de l'exceptionnel indice
qui me superposera à toi
dans la folie
de pouvoir retoucher à ta réalité,
cette présence que les circonstances ont effilochée,
un malheur ne frappe jamais à notre porte,
il entre sans crier gare
et ouvre de suite son lance-flammes,
l'humain n'est toujours que bidon d'essence,
très timide à l'idée d'ouvrir son bouchon,
plein et replet de toute sa matière qu'il économise
… et dont il ne se sert pas !
Adelaïde, tu n'as pas encore assez vécu dans mes yeux,
mon regard aurait voulu te lécher plus longtemps,
ton livre me dit que tu ne crois plus
au pouvoir magique de ta maison,
qu'ici, ta géographie se mourrait,
que tu n'en peux plus de ressembler à un chardon, sec,
que tu as mis tes plus belles bottines, les rouges,
qu'après avoir dansé à t'en occire,
tu as profité de cette fatigue pour franchir ta porte,
que tu as mis le feu à ta demeure
et que tu es partie, sans te retourner,
que tu as balancé ce carnet avec tes anciens rêves dont moi,
que ton ombre au début, grande,
s'est rétrécie au fur et à mesure que tu t'éloignais du brasier,
que tu te sens gigantesque, libre, légère
alors même que tu es semblable à une céramique noueuse qu'aurait fait un enfant, avant sa cuisson,
tu oublies de parler de moi,
je suis ton invisible qui te pourchasse,
je vais te retrouver comme on écrit un mot précis sur un papier qui devient sa prison,
tu es dans mon café du matin,
tu es dans l'eau de la douche,
tu es dans tout ce qui est chaud,
le soleil me parle de toi, m'obsède,
me tend ses tentacules invisibles,
nous ligote, tu comprends ?
où es-tu ?
je jalouse cet exotisme que tu pistes,
cet ailleurs aurait pu être moi,
hier, j'ai rêvé que j'étais une balle avec laquelle tu jouais,
puis, une minute après, en unités de rêve, j'étais le chien qui vous courait après,
tu ne peux t'imaginer à quel point, cette vitalité m'est restée profondément cramponnée aux tripes lors de mon réveil,
je sais que ma journée va être pleine,
comme non écrite d'avance,
un moment sans rideaux, sans circonstances,
il y aura juste un précipité d'évidences,
un concentré de révélations avec toi dedans,
le cadeau était dans une pelote de ruban et de flots,
tout va se défaire, se déballer, se dénuder, se résoudre, se proposer, s'établir,
j'attends ce sacre,
et tu me conduis dans tes terrains d'énigmes insolubles,
tu me permets de découvrir qu'on peut mourir d'impatience,
il se peut que tu sois très loin,
j'aimerais collecter tout ce que tu laisseras sur ton passage,
comme des épluchures de ton mode de vie,
des squames de ta philosophie,
les barbes du diamant que tu essaies d'être,
pourquoi tu as fui ?
pourquoi ton passé est désert comme si des barbares l'avaient effacé,
j'aurais tant aimé y trouver quelque chose dans lequel tu te survivrais,
une bague de ta grand-mère que tu aurais portée dans ton cœur, comme enfilée à ton âme,
une rognure d'ongle, la griffe de la bête que tu pouvais encore être lors de nos nuits agitées,
une transpiration encore allongée sur ton matelas,
et l'animal en moi la renifle
comme on aspirerait les mètres-cubes d'air d'une pièce fermée qui n'ont fait qu'entrer et sortir de tes poumons durant toute la sorgue,
c'est un sang invisible que je prélève,
comme une mue inouïe dont je me serais revêtu,
cette folie-là ne me fait plus peur,
et puis il y avait ton journal intime,
cette pile que j'ai mise dans mon moteur,
longtemps, j'ai cru que tes pensées les plus profondes virevoltaient toujours quelque part, tels des machaons increvables,
et que si j'avais été plus attentif, cette vigilance aurait té mon filet à papillons,
le lézard de ma curiosité les aurait ensuite dévorés
comme on désosse des cuisses de grenouille,
avec la détermination de ne laisser aucunes chairs,
et puis il y eut ce bouton de chemisier,
une hallucination de plus qui attisera ma lutte,
ce morceau de nacre qui laissait
– à ton corps plus de liberté, plus d'exposition là où je ne serai plus,
– et à moi le sentiment de disposer d'un bijou que tu as touché le matin et le soir,
cette clef qui fixe ou défait une partie de toi, ce supplément de plis qui s'affale, ce fantôme de rien qui t'épouse si bien,
un tissu d'ombres,
ma graisse pour passer l'hiver de ton absence,
ce bouton, je l'ai avalé,
gardé longtemps sur les papilles
pour que tes empreintes digitales finissent par être des doigts,
des caresses,
des soins,
une main bénissante,
je l'ai senti voyager dans mon corps crispé,
ce fut comme la langue du printemps
derrière laquelle poussent toutes les fleurs,
une poussière lactée qui a révolutionné ma décoration intérieure,
cela m'a réellement précisé l'idée que je me faisais de toi,
il y eut comme une amélioration de mon odorat,
et me voilà reparti,
plus ragaillardi que jamais, tel un braque qui réussira à te débusquer,
toutes les planètes sont sur mon territoire,
rien ne m'échappera,
j'irai partout,
mon œil qui brille est redoutable, insatiable,
ma chair est une meute,
et de ton document olographe, j'en flaire à présent l'information qui tu arrives sur une île,
sa dimension est humaine,
tu cherches à t'étendre dans un hamac,
avide de profiter de son balancement
comme on aimerait se dissoudre dans une berceuse,
tu vises le temps suspendu,
tu réclames un monde démesuré,
tu as compris que tu étais dépendante de la grâce, en manque,
l'atmosphère autour de toi prend une chair de banane,
je suis triste de ne pas profiter de cette beauté flavescente avec toi,
ta liberté, c'est aussi que je ne sois pas là,
mon insistante pensée te dérange,
je pars fumer une cigarette,
elle est âpre telle une toile de jean qui se consume,
sa fumée est solide,
ce calcaire présente quelques dessins que j'essaie de déchiffrer,
cette épreuve révèle en vérité mon désespoir,
mon exclusion de ton paradis me condamne au réveil de ma souffrance,
à la place, je réunis mes rêves
comme on redonne du volume à ses cheveux,
tu me verrais avec cette nouvelle coiffure, tu rirais enfin,
il y a encore beaucoup de légèretés à trouver et à remettre entre nous,
la police est également sur tes pas,
elle a d'autres indices que moi,
d'autres façons d'aimer,
et il te tarde de parler à quelqu'un
mais ce ne sera pas à moi,
sans doute à un vieux natif des lieux,
une mémoire encore vivante et bafouillante
que, après l'avoir complimenté sur sa thébaïde,
tu assailliras et saouleras de questions, un dépouillement,
croyant ainsi effacer tes souvenirs par un entassement de débris de paroles,
dans la jungle des détails, les hommes redeviennent de grands explorateurs,
d'ignobles colons,
puis arrivera un jour où tout cet exotisme t'aura ressourcée, rassasiée, reconvertie,
ce jour-là, tu embrasseras l'autochtone plusieurs fois,
le marquant ainsi à vie et à vif
de ton rouge à lèvre,
ce sera comme des maillons de sang
que tu laisseras sur sa peau,
une chaîne qui l'entravera et le chatouillera toute l'existence,
un autre moi qui souffrira ailleurs et autrement,
un autre chien de chasse remuant,
limier malheureux,
rêveur excessif,
martyr débridé,
épicurien incomplet,
âme prématurément flottante.