Dans les Cuisines.

par Angeline LAUNAY

Quatre personnages : Le chef cuisinier, La patronne du restaurant, Gustave (le second cuisinier) et Jojo (l'apprenti).

 

La patronne - Qu'est-ce qui se passe ici ? Le buffet est prêt pour huit heures et vous êtes tous là à traînasser !

Le chef - Ah, tout doux la patronne. . . ici, on prend son temps. (Il attrapa les frisées) Regarde ces belles vertes ; elles attendent de prendre un bon bain avant de décorer les assiettes. (Il les repose et saisit deux petits melons qu'il lance en direction de 1'apprenti.) Attrape, Jojo, tu vas me les découper en petits dés pour les entrées, et quand ce sera fait tu me les mets au frais. Puis tu iras décrocher le jambon de Parme.

Gustave - La Vichyssoise, qu'est-ce que j'en fais ? Je commence à la verser dans les coupes ?

Le chef - Laisse ce plaisir à la patronne, que ça a le doigté qu'il faut pour ce genre de prouesse. (A la patronne :) Tu pourras t'occuper de la Vichyssoise quand tu auras un moment ? Pour le reste, c'est notre affaire. (A l'apprenti :) Petit, tu me nettoies les radis, les poireaux et les frisées, et je veux pas qu'il reste un seul grain de sable ! Après, tu me disposes le tout sur ce plateau. Et que ça saute ! (A Gustave :) Gustave, toi tu te coltines les dindes. Il faut désosser, dégraisser et émincer. Je te donne un quart d'heure, pas plus, après, tu fais la peau aux langoustines.

Gustave - O.K. chef ! Et pendant ce temps, qui va le dresser le buffet ?

La patronne - T'inquiètes, c'est pas tes oignons. J'ai demandé à la Toinon d'amener ses filles. Quand elles sont ensemble, ça déménage. Elles courent dans tous les sens, se démènent comme des diablesses, et quand on se retourne, on n'a plus qu'à admirer le travail. Tout est en plan, arrangé comme par magie, et encore, elles continuent à fignoler avec leurs doigts de fées.

Le chef - Hé, patronne, c'est que tu nous mets l'eau à la bouche avec tes histoires.. . On se demande s'il vaut mieux tripoter toute cette nourriture ou bien aller se rincer l'oeil avec ton manège de filles !

La patronne - Tu ferais mieux d'être à ton affaire comme tu dis si bien ! Ça ne te suffit pas de crouler sous le poids de toutes ces patates qu'il faut réduire en purée, de ces choux à plonger dans l'eau bouillante, et cette montagne d'oignons qu'il reste à couper en rondelles !

Le chef - Suffit, patronne, tu vas pas m'énumérer le programme des réjouissances... Tiens, tu pourrais pas m'ajuster le tablier qui se balade sur mes banches ?

La patronne - J'ai que ça à faire ! (Elle lui resserre le tablier.)

Le chef - C'est qu'elle a de la poigne, la marquise !

La patronne - Marquise, et puis quoi encore ! On lui met son vêtement en place et voilà qu'il vous donne de la noblesse !

Gustave - C'est vrai ça, je vois pas le rapport...

Le chef - Cherche pas, tu trouveras pas. Regarde plutôt ce qu'il fabrique le Jojo.

Gustave (rejoint Jojo) - Et alors, mon Jojo, on va se recevoir le jambon sur le crâne ! C'est pas comme ça qu'on s'y prend ! Les nœuds, c'est pas un casse-tête chinois ! Tu attrapes un couteau à désosser et tu tranches d'un coup en soutenant la barbac avec l'autre main.

Jojo - Gustave, me laisse pas tomber, donne-moi un coup de main. C'est trop lourd. J'y arrive pas.

Gustave - Tâtez-moi ça ! C'est nourri à la bouillie et ça veut récupérer des kilos sur la tronche ! Ah, qu'est-ce qu'il faut pas voir ! Allez, tranche-moi cette ficelle et gare-toi sur le côté.

Le chef - C'est pas bientôt fini vos histoires de ficelles... Vous feriez mieux de me transformer ce jambon en feuilles de papier à cigarettes. Y'a intérêt à aiguiser les lames !

La patronne - Brrr, vous me faites froid dans le dos !

Le chef - Mais non, c'est pas une boucherie ici ! C'est le sanctuaire de tous les délices. . . Y'en a pour tous les estomacs !

Gustave - Il vaut mieux qu'ils soient bien accrochés, les estomacs.

La patronne - Qu'est-ce que t'u vas nous chercher là !

Gustave - C'est qu'il y a une sacrée différence entre les cuisines et la salle du resto... Ici, on tape, on coupe, on fend, on presse, on pétrit, on écrase, on lance, on attrape...

La patronne - On ramasse, on effleure, on caresse, on saupoudre...

Jojo - On se prend un jambon sur la caboche.

Le chef - Et hop par-ci, et hop par-là ! En cadence s'il vous plaît !

La patronne - Ecoutez-le, il se prend pour un chef d'orchestre ! Regardez-le, il brandit sa baguette, heu. . . son grand couteau ; il l'agite dans tous les sens, le lève, le baisse, lui fait faire des moulinets et puis, toc ! (Admirative) C'est vrai qu'il a le rythme !

 

Fin.

... sous la contrainte d'écriture suivante :

Ecrire un dialogue qui contient du vocabulaire suscitant une réalité physique que nous permet par exemple notre toucher (notion d'épaisseur et de poids) et qui évoque une grande bouffe.

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