Ci-après
quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):
- "Pont de Mai 2025" de Claudine CARPENTER
- "Investir l'autre, c'est être une musique"
de Régis MOULU
"Pont
de Mai 2025" de Claudine CARPENTER
L'après-midi avait bien commencé… Fred descendit les marches qui séparaient
la promenade de bord de mer de la plage. Le soleil de mai, déjà très
vif lui fit plisser les yeux derrière ses lunettes teintées et elle
ajusta son chapeau sur son front pour se protéger de son feu. Elle avait
l'intention de profiter de ce moment de solitude, de la douce chaleur
pré-estivale, du cri des mouettes et du va et vient des vagues jusqu'au
coucher du soleil. Elle s'avança sur les galets, posa son sac sur le
sol et en retira un livre, sa serviette, sa bouteille d'eau et la belle
pomme verte qu'elle avait prévue pour son goûter. Elle étendit la serviette,
mit le sac sur le haut et s'assit sur la serviette avant de retirer
ses sandales avec un soupir d'aise. Les jambes pliées, elle s'allongea
sur le dos en posant la tête sur son sac en tissu avant de saisir son
roman et se plonger dans le monde imaginaire de celui-ci. " Kayii-kao-kao-kao
! " Le goéland était descendu en piqué et avait enfoncé son bec acéré
dans la chair de pomme. Fred se redressa d'un coup et contempla avec
surprise son gouter dont la chair montrait à présent une longue et profonde
blessure d'où s'échappait un jus acidulé. " Putain de goélands ! Putain
de touristes qui donnent à bouffer à cette vermine ! Putain de maire
qui ne fait rien ! Putain de bordel de chiottes ! " cria -t-elle en
se levant et secouant son poing en direction de son ennemi qui la narguait
depuis les cieux en raillant. " Sale bête ! " grommela-t-elle, mettant
ce qui restait du fruit mutilé dans son sac avant de se rallonger, sur
le ventre cette fois. Au contraire d'il y a cinq minutes, elle n'arrivait
plus à se concentrer sur son livre, les galets qui ne la gênaient pas
auparavant semblaient s'être incrustés dans son ventre et l'avant de
ses cuisses, les personnages du roman, si vivants qu'ils en étaient
presque palpables il y a quelques instants étaient maintenant plats,
les décors frappants qui l'avaient captivée étaient maintenant devenus
du carton-pâte. En plus une bande d'ados s'était installée à quelques
centaines de mètres d'elle et leurs voix l'agaçaient. En désespoir de
cause, elle se releva, remit ses sandales en ajustant bien la boucle
pour qu'elles ne glissent pas de ses pieds et rangea ses affaires dans
le sac, ressortant la pomme mutilée pour la jeter dans une des poubelles
du Perrey. Quitte à ne plus être capable de profiter de la plage, elle
irait faire une promenade sur les falaises, respirer une peu, se remplir
les yeux de verdure et d'océan depuis les hauteurs. Elle sortir son
téléphone, inséra ses casques dans ses oreilles et choisit un podcast
à écouter pour sa mini randonnée dont elle avait décidé qu'elle durerait
au moins une heure. Elle s'avança vers la falaise d'amont, celle qui
grâce à l'imagination de Guy de Maupassant était devenue un éléphant
qui trempait sa trompe dans la mer et s'élança dans les 200 marches
qui la séparaient du sommet. Fabienne Synthés parlait avec des experts
en géopolitique de la situation en Europe de l'Est " Trump… Zelensky…
Pays Baltes… " disaient-ils. Elle grimpait, elle était arrivée au point
de vue qui avait été installé au-dessus du bunker de la deuxième guerre
mondiale, plus qu'une centaine de marches, creusées dans la paroi de
la falaise en un corridor étroit et elle arriverait en haut, sur le
petit chemin calcaire qui avait été tracé par les pieds de millions
de touristes depuis le début du vingtième siècle et un million supplémentaire
depuis que la série Lupin était sortie. " Pensez-vous que Macron et
Starmer arriveront à… ? " demanda Fabienne Synthés. " Instabilité parlementaire,
répondit l'expert en géopolitique, RN, France Insoumise, les conservateurs…
". Pas possible, il fallait qu'elle change de bande son. Elle se saisit
de son téléphone et ouvrit l'application livre audio avant de cliquer
sur le livre qu'elle avait commencé à écouter sur le chemin de l'aller,
Les veines ouvertes de l'Amérique Latine de Edouardo Galeano. Elle déboucha
sur le haut de la falaise, le chemin serpentait encore vers le haut,
menant à saint Jouin-de-Bruneval, Octeville puis à une vingtaine de
kilomètres, Le Havre. " Pillages, exploitation, petite vérole, esclavage,
colonialisme " lui susurrait à l'oreille Eduardo Galéano. Agacée, elle
éteint son application et passa sur Spotify et fit défiler ses playlists
préférées. " Classiques de la chanson française " voilà qui ferait l'affaire.
" C'est le plus grand des voleurs… Oui mais c'est un gentleman… " chanta
Jacques Dutronc. Ah mais oui ! elle irait faire un tour à la chambre
des dames et regarderait l'océan et l'aiguille (creuse ?) depuis la
balustrade. C'était toujours sympa de se pencher au-dessus de la falaise
à pic et ça ne représentait qu'un petit détour dans sa promenade. Elle
prit le chemin de traverse, bondé de touristes prenant des photos et
se dirigea vers les deux protubérassions rocheuses ou un seigneur du
moyen âge enfermait les jeunes femmes qui lui refusaient le droit de
cuissage. Tous les mêmes les mecs. Elle pénétra dans la petite grotte
et contempla les deux initiales que Maurice Leblanc aurait fait graver
dans la roche pour donner plus de verisimilitude à son roman sur la
cachette du secret des rois de France. Puis, avec " Le temps des cerises
" de Françoise Hardy dans les oreilles, elle rebroussa chemin et se
dirigea vers le sud. La promenade se passait bien. Jusqu'à ce que l'algorithme
décidât de lui passer un classique d'Indochine " J'ai demandé à la lune…
Si tu voulais encore de moi… ". Sa dernière rupture, la plus brulante,
envahit ses pensées et son corps. Elle ressortit son téléphone et passa
de chanson. Spotify était décidément d'humeur taquine aujourd'hui c'est
" Highway to Hell " d'ACDC qui commença a passer. Mais oui, elle allait
avancer, coute que coute. La chanson se termina, encore Indochine "
Trois jours par semaine ", les souvenirs d'une amimour mariée du passé
lui revinrent en tête et lui donnèrent le sourire. Elle continua de
marcher avec les pelouses impeccables du golf d'Etretat d'un côté et
le bord accidenté de la falaise de l'autre. Elle s'arrêta. Devant elle
un chemin accidenté descendait presque à pic. Elle avait oublié que
les pluies torrentielles avaient, bien entendu, accéléré l'érosion de
la falaise et transformé ce qui était par le passé une promenade du
dimanche en véritable randonnée. Oserait-elle s'élancer sur le chemin
escarpé en sandales ? D'un air dubitatif, elle regarda ses pieds. Elle
portait des sandales plates, avec une semelle en caoutchouc plutôt résistantes
et non lisses. Elle osait et continua de descendre jusqu'à Anfiter.
Arrivée en bas, Dutronc se remit à chanter " C'était un petit jardin…
qui sentait bon le métropolitain… " et merde ! " De grâce, de grâce
monsieur le promoteur, de grâce de grâce épargnez mes fleurs… " continuait
Jacques pile au moment où elle commençait à entrevoir le terminal méthanier.
Pff… quitte à ce que toutes les emmerdes du monde l'assaillent, autant
en rigoler. Elle reprit son application de podcast et se mit sur l'Humour
d'Inter ou les humoristes faisaient de la satire politique. Elle tourna
à gauche, se dirigeant vers la foret d'Antifer et quand elle en sortit,
elle longea les champs jusqu'à arriver la ville, en souriant aux vannes
plus ou moins réussies des humoristes. Rire de tout, c'était la seule
solution. Elle descendit une dernière série de marches, elle était en
ville. Toujours désireuse de s'isoler du reste de l'humanité elle reprit
Spotify et sélectionna une playlist d'Aznavour qui lui chanta " Ma bohème
" pendant qu'elle passait devant la boulangerie et la librairie, " Formi-Formi-Formidable
" alors qu'elle longeait le tennis de la ville. Et enfin, alors qu'elle
arrivait à la maison, qu'elle sortait les clefs de son sac, il entonna
sa chanson favorite " Mes emmerdes ". C'est avec un sourire qu'elle
rentra chez elle.
"Investir
l'autre, c'est être une musique" de Régis MOULU,
animateur de l'atelier
Le texte à lire dont je rêve serait forcément un dialogue parce que
le dialogue, c'est deux vies qui tentent de s'additionner. Il y aurait
deux sexes différents mais on ne saurait pas lesquels. Oui, car il y
aurait du mystère surtout, cette possibilité de ne rien dire au sujet
d'un essentiel qu'on ne lâcherait jamais. D'ailleurs, cet essentiel,
est-ce le présent ou notre avenir gorgé de passé ? Ce serait ni l'un
ni l'autre ou alors quelque chose entre les deux, d'indéfinissable,
d'à peine palpable. Le mot qui le désignerait le mieux, ce serait "
vertige " : il s'agirait de la sensation d'être pleinement là mais avec
l'impossibilité d'y rester vraiment et, en plus, avec la conscience
du vide générée par l'air invisible qui est tout autour de nous, " cette
pression du rien qui est plein ", c'est très très spécial… À préciser
que le vertige, ce n'est pas un coup de casserole sur la tête, non,
au contraire, c'est être dans la casserole oubliée sur le feu de nos
possibles, et la température monte avec les années qui s'affolent. Et
donc, même si on ne dira rien sur l'essentiel, on se douterait tout
de même qu'il serait question d'une grande collecte d'amour, c'est-à-dire
d'amour sous toutes ses déclinaisons dont sa version qui consiste à
lutter contre son synonyme " l'adhésion ", voire pire " l'attachement
", peut-être notre pire ennemie, notre pire brèche, une grande voie
d'eau, pas cool, ça coule ! Non, par cet état amoureux, on croirait
surtout déclencher et accélérer sa métamorphose. Car en nous tout boue
avec la même violence que le vent de la liberté qui nous pousse dans
le dos ! Oui tout change, on a plus de soleil en soi, on se rappellerait
bien d'ailleurs, tout particulièrement, que la lumière a toujours agrandi
tout ce qu'elle touche, et ce serait notre mantra numéro 1. Dans la
pomme, il y avait des pépins instables, et en nous, il y avait un "
plus que nous " qui advient. À cette occasion, comprendre que le volcan
de notre âme n'est jamais éteint. Les deux personnes, deux chairs de
golden, se rencontreraient fortuitement pour commencer, premier rendez-vous,
premier choc fondateur. Leurs langues se sont muées en silex qui génèrent
des constellations d'étincelles, et c'est très beau. À tout moment la
langage peut mettre le feu à l'autre, et c'est ce qui se produit tout
le temps, corps de braise, on s'embraserait donc plus qu'on s'embrasserait
dans cette histoire-là. Et l'on jouerait aussi à celui qui est " le
plus étranger à lui-même ", on serait alors " des nouveau-nés sans cesse
en train de renaître " comme une blessure qui ne guérirait jamais. On
ne saurait pas faire autre chose que " découvrir ", avoir des yeux de
ventouse et des boas de doigts qui frétilleraient d'impatience positive
! " Investir l'autre, c'est être une musique, quoi ! ", enfin je crois.
Oui, c'est qu'on n'est jamais assez liquide, en effet ! Alors " oser
se vider, oser couler, oser se répandre, oser remplir, oser hydrater,
oser dialyser, oser oser, oser être la générosité désincarnée " nous
travaillerait toute la journée si bien que le soir, on le ferait. Oui,
quand le noir ouvre les vannes de l'interprétation, quand " tout " peut
être tout et qu'on ne le retient plus dans notre tête, alors on s'inventerait
son propre parfum qui aurait par exemple pour base " la fleur des trois
désirs ". Il m'est interdit d'en parler, surtout de dire où l'on peut
la cueillir, sinon il n'y en aura plus. Ce qui est bien avec la nuit,
c'est qu'on n'est pas obligé de fermer les yeux pour ne rien voir …
et tout sentir : le parfum de l'autre correspond à son corps qui est
déjà là, en somme qui serait là pour toujours si le vent n'existait
pas. Emprunt d'éternité. Sous forme de télécadeau, oh yeah ! " Surtout
pas d'animaux entre nous, jure-le ! " : la vie est ainsi faite de pactes
qu'on défait avec facéties et complicité ! Cette maison qu'on construit
dans notre tête, existe-t-elle vraiment ? De passage, des parents meurent
ou servent un café, c'est pareil. " Même les légumes du jardin ne viennent
pas de notre propre jardin intérieur " se surprirent à penser les deux
transpondeurs, ils convinrent que là était le principal drame humain,
que faire ? Le pain était incrusté d'inquiétudes, fallait-il retourner
la table en faisant un voyage sans date de fin ? Quand nos pensées ne
sont plus que poésie saignante, ne risque-t-on pas d'oublier de payer
ses impôts ?! Ils voulurent être pauvres comme le sont les " profs de
techno " mais s'accrochèrent tout de même à l'idée que tout est richesse
y compris la pauvreté. Du coup, ils ne firent rien de définitif ce jour-là.
Et pourquoi pas se perdre dans un excès de beauté comme lorsqu'on aime
à croire que seul l'esthétisme peut réordonner le monde et la vision
qu'on a de lui ? Les jours qui suivirent les nimbèrent de grâce. Si
bien que le divin fit son entrée. C'est quoi le divin ? C'est l'espérance
dans une peau d'ange qui vole ? Et pan ! toujours ces connards de chasseurs
! On aimerait alors que tout ça reste enfermé dans un film, mais ce
ne fut pas le cas. De dépit, l'esprit reprit des cours de gymnastique,
se racheta un collant. Une formation suivie avec fanatisme, mais en
extérieur, dans la nature, là où la révolution est de rigueur, en continu
et très répandue. Mais une révolution en continu, est-ce encore une
révolution ? Émus, les deux comparses se transformèrent en " épées de
conquête ", par " conquête " il faut entendre " vengeance " à l'endroit
de la réalité, ce qui constitue une entreprise bien vaine. Et on en
est toujours là. Le texte à lire dont je rêve étant fini, il s'agissait
dès lors de le graver sur une tablette que j'oublierais en -2340 en
Mésopotamie. Je sellai sur le champ mon cheval.