Ci-après
quelques textes produits durant la séance,
notamment (dans l'ordre):
- "Fausse joie !" de Janine NOWAK

Françoise BOISSEAU jouant un texte encore tiède...
avec adresse à Régis MOULU
(coll. Janine NOWAK)
"Fausse joie !" de Janine NOWAK
Mais que vois-je ? Qu'aperçois-je ? D'où vient donc cette
bonne bouteille qui chambre sur ce coin de table ? Tu as une nouvelle
à m'annoncer ? Tu veux fêter un évènement ! Chouette ! Euh, quel genre,
l'évènement ? Heureux, j'imagine ? Ah, il faut que je devine… Réfléchissons…
Non, je ne trouve pas. Tu ne veux pas m'aider un peu, me mettre sur
la voie, me donner un indice au moins. Que dis-tu ? Un toit ? Un toit…Un
toit !!! Oh, allez, tu me fais marcher ? Vrai ? Sans blague ? Tu as
trouvé un point de chute ! Déjà ! Cela ne fait que huit mois que tu
campes chez moi ! Ouh, la tête qu'il me fait ! Mais je blague : tu ne
me gênes nullement et je ne te reproche rien, car cette situation, je
n'ai rien fait pour qu'elle cesse. Attends voir que je me remémore un
peu tout ça. Voilà, j'y suis. Au début, tu as débarqué " juste pour
un week-end ". Puis, petite prolongation pour " juste une toute petite
semaine, si ça ne dérange pas trop ? ". T'es toujours d'accord ? Bon.
Après, c'était seulement pour " jusqu'à la fin du mois, dernier délais,
promis, juré, craché ". Et puis… et puis… et puis… voilà : huit mois
ont passé !
Alors, n'est-ce pas, on accepte, on en prend son parti, on s'y fait
; et de plus, je vais te dire, on s'acclimate, on s'organise, on attrape
même des habitudes, et, à la limite : on apprécie ! Et là, brusquement,
tout à trac, tu me dis que tu vas partir !!! Aussi, forcément, c'est
un choc pour moi, ça me fait tout drôle et j'ai du mal à réaliser C'est
pour quand ? Ah, tu n'as pas encore signé ton bail. Mais c'est imminent…
Vouiais, vouais, vouais…
Bon, soyons précis : si tu as trouvé un studio, c'est que tu es parvenu
à dégoter un travail ? Car j'imagine mal un propriétaire cédant son
appartement sans garanties ! Ce ne sont pas des philanthropes ces gens
là, ce qui est d'ailleurs dans l'ordre normal des choses. Ah… pour le
boulot, c'est aussi imminent. O.K…
Hé bé, c'est bien tout ça. C'est Byzance pour toi en ce moment ! Que
de futurs chamboulements dans ta vie !
Et, sans indiscrétion, cet emploi, ce serait quoi, au juste ? Oh, ce
n'est pas tout à fait réglé et il reste un infime détail. Et cet " infime
détail " c'est… ? Nous y voilà : tu as besoin que je te donne un petit
coup de main. Voyez-vous ça… Et, il est de quel genre le " petit coup
de main " escompté ?. Hum ? C'est suite à une idée qui vient de germer
dans ton petit crâne de piaf. Et moi, quel rôle je joue là-dedans ?
Attends, attends, ne me bouscule pas. Si je comprends bien, je dois
intervenir auprès de mon Oncle Henri, l'industriel, et le prier de t'embaucher
dans son service de publicité. Mais comment donc ! Ben voyons, c'est
tout simple ! Y'a qu'à demander ! On n'attendait plus que toi ! On se
demande, d'ailleurs, comment ils faisaient jusqu'à présent !
Juste pour info. hein, redis-moi un peu quelles furent tes études et,
pendant qu'on y est, parle moi aussi de ton parcours professionnel.
Nous disons donc : B.E.P.C. Euh, comment le B.E.P.C. ? Raté. Raté de
justesse, mais raté quand même. Voui. Mais cependant, tu es quand même
parvenu à te hisser jusqu'en terminale. Très bien ça. Quelle terminale
? Bac Pro. O.K. Comment ? Raté aussi, le Bac. Pro. Oui, bien évidemment,
c'est de la faute des correcteurs. Continuons. Alors, ensuite, entre
deux périodes de chômage, tu as été employé chez Olida. Comme mannequin
? Ah, ah, ah ! Non, je plaisante, excuse moi ; je ne suis pas charitable.
C'est juste une image qui vient de me traverser l'esprit comme un flash
: étant donné que tes cuisses sont, comment dire… copieuses… je t'imaginais
volontiers posant pour une publicité de jambonneaux ! Je te demande
pardon. Allez, ne boude pas : je rigolais. Et après Olida ? L'alimentaire
encore avec les pâtés Kerbronec. Que faisais-tu chez Kerbronec ? Représentant.
Tu dis que tu es imbattable et que ton bagout te permettrait de convertir
un musulman à la cochonnaille ! Admettons. Je veux bien te croire… mais
ça reste à prouver. Qu'est-ce que tu racontes ? Que tu te verrais bien
responsable de la publicité ! Et allez-donc, déjà une promotion ! Tout
à l'heure tu souhaitais bien modestement faire partie du service et
un quart d'heure plus tard, te voici déjà à sa tête. T'es sans complexe
toi !
Ainsi donc, tu t'imagines créant des slogans. Mais sais-tu dans quoi
il travaille, mon Oncle Henri ? Non, pas vraiment, sauf que tu as entendu
parler de bière. En effet, il est question de bières. Et maintenant,
cherchez l'erreur ! Il y a confusion dans ton esprit : ce n'est pas
DE LA bière… mais…DES bières… des cercueils, quoi. Comme tu peux le
constater, c'est très particulier, ce n'est pas un commerce banal. Il
n'y a pas de périodes de soldes sais-tu, pas de promotions. Les gens
ne viennent pas flâner le dimanche par désœuvrement. Ils n'achètent
pas par envie, mais par nécessité. Alors, tes spots publicitaires… excuse-moi…
Aussi, pour être clair, on dira : pas de boulot et aucune espérance
? On est bien d'accord. Et l'histoire du logement, c'était quoi ? Vas-y,
ose le dire ! C'est bien ce que je subodorais : une affichette gratuite
d'une agence immobilière, trouvée ce matin dans la boîte aux lettres.
En conséquence, nous revoici à la case départ.
Mais quel besoin avais-tu d'inventer toute cette histoire ? Ai-je dit
quelque chose ? T'ai-je fait la moindre réflexion, le moindre reproche
? Tu es là ; je l'accepte ; et de surcroit, je t'accepte tel que tu
es, avec tes qualités - si, si, tu en as quelques unes, crois-moi -
et tes défauts - sans commentaires à ce sujet !-. Alors, je ne vois
toujours pas l'utilité d'imaginer brusquement un tel scénario ???
Mon vieux Félicien, fais moi un sourire. T'as essayé, t'as rêvé un instant.
C'est humain. Débouche la vite, ta bonne bouteille. Et on va fêter :
RIEN !!! Ou plutôt si, tiens : on va boire à notre indéfectible AMITIE
!