SAMEDI 7 avril 2018
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Les ingrédients d'une bonne histoire"

Animation : Régis MOULU

Thème : Accéder aux récompenses suprêmes

Le moment de l'apothéose est venu. Pouvoir décrire un état de grâce qui sonne comme une récompense est jouissif... pour tous ! On rêve d'ailleurs qu'elle soit à la hauteur des efforts manifestés en amont. Et puis, recevoir un cadeau, c'est aussi être accueilli, être intégré, être aimé et faire désormais partie de l'univers de quelqu'un ou d'une communauté. C'est ce que nous avons éprouvé lors de notre nouvelle séance.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : votre personnage principal va recevoir une récompense. Développer ce moment en traitant en parallèle et son intériorité et la présentation d'éléments factuels liés à l'événement.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support développant notamment la symbolique du repas et la variété des distinctions a été distribué en ouverture de session.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Le soir de son escapade" de Janine BURGAT

- "Tous à la tâche" de Janine NOWAK

- "Le sac de cailloux" de Nadine CHEVALLIER

- "Nuit de noces" de Caroline DALMASSO

- "Belle-mère forever" de Régis MOULU


"Le soir de son escapade" de Janine BURGAT


Le soir de son escapade, Aurélie est rentrée au bercail. Pour l'instant, sa famille doit rester en dehors de son choix. Elle l'a décidé. Il sera toujours temps d'affronter son fils surtout.
La nuit est venue, la table est mise et ils vont s'asseoir dans la routine de leur soirée.

C'est sa paire de bottes qui la trahit.

" T'as mis tes bottes en caoutchouc aujourd'hui Mamie Auli, dit la petite fée triomphante une botte bien boueuse à bout de bras. Elles ont de la terre jusqu'en haut !".
Aurélie prend une grande respiration. Terminé l'incognito. La voilà propulsée dans l'arène plus vite que prévu. Ca va être rock n'roll la salade végane ce soir !

"Je suis allée voir ma maison ce matin, répond Aurélie très calme tout en tirant sa chaise.
Ils la regardent. On n'entend plus que le ronronnement de la télé contre le mur.
"Il a fallu que tu ailles voir ! Ca pouvait pas attendre !" La sécheresse du ton de son père glace la petite qui lui prend le bras en signe d'apaisement.

"Je n'y suis pas allée seule et j'y retournerai demain."  Holé ! Que la corrida commence !

Sur le chemin du retour, les dés étaient jetés. Elle s'était bien préparée. La famille serait en tempête, il allait falloir tenir contre vents et marées. Il suffisait de se taire dans un premier temps. Rien ne pressait.
Mais quand elle a vu le sourire des quatre hommes traversant son jardinet tout en boue, elle a su qu'elle tenait dans sa main comme une grosse bourse pleine de récompenses humaines.
Elle reviendrait vite, très vite, pour être avec eux et couvrir leur présence dans une maison isolée et officiellement fermée. Le voisinage avait fui aussi. Le chemin d'accès n'était pratiquable qu'à pieds. Il garantirait leur sécurité dans un premier temps mais ça ne durerait pas. Juste le temps qu'elle reprenne sa place et s'organise avec eux tous.
Les pieds de la maison étaient encore bien humides mais l'eau dans les robinets et la lumière dans les ampoules coulaient encore, fidèles.
Sur le perron quand la clef a ouvert la porte de son paradis, elle a su que sa place l'attendait encore quelque temps. Elle ferait de sa maison une halte sur leur route. A cette heure, le matériel n'était rien. Seule la confiance était la plus délicate à donner. Ouvre-t-on sa porte même inondée à des terriens inconnus venus de nulle part ?
C'est le prix à payer pour démarrer une nouvelle ligne de route. Rester droit dans ses bottes, sûre de ses principes humains et retrouver une raison de vivre jusqu'au bout.

Ils étaient restés sur le pas de porte, la regardant tour à tour, incrédules d'abord puis amusés.
Ils avaient fait ensemble le tour du propriétaire, leurs baskets de boue à la main.
- Oh Mam ! Oh Mam !, répétait en boucle Kiwo.
Marcellin et les autres resteraient au rez de chaussée confortable bien qu'un peu humide et
"Mam  Up !" avait déclaré Kiwo péremptoire en montrant l'étage.
- Explique lui que je dois informer ma famille que vous êtes là, avec moi, maintenant avait dit Aurélie à Marcellin. Ce soir vous vous débrouillez tout seuls. Vous fermez bien derrière moi. Demain matin, je reviens avec le minimum. A tous, on va s'en sortir. Vous m'aiderez et moi j'ai le droit de recevoir du monde à la maison, c'est simple non ?"
Marcellin souriait, béat mais se demandait sûrement si sa vieille étoile bien bonne avait encore toute sa tête.
Dorénavant, elle serait une halte sur leur chemin de Compostelle. Les uns arriveraient, d'autres partiraient. Elle ferait l'aubergiste. Ici, Auberge des migrants, dans une maison toute en feuilles, bien reconnaissable. L'info allait circuler c'est sûr. Le jardinet une fois asséché verrait fleurir quelques tentes. Il y aurait du passage. Tenir la dragée haute aux autorités dites compétentes, remplissait Aurélie d'une fierté incommensurable. Que fait-on à une vieille dame qui tient tête ? Rien. En cas de grabuge suffisait de convoquer la télé. Aurélie s'en délectait d'avance. On lui mettrait des médailles humaines tout autour du cou.

Mais pour l'heure, elle a son fils, la prunelle de ses yeux, qui plonge son regard dans le sien.
- Comment ça pas seule ? Et on peut savoir avec qui tu es allée là-bas ?
- Je vais avoir quelques locataires, des gens de passage. Je ne serai pas seule, j'étais avec eux ce matin.
Il tourne la tête prenant sa femme à témoin.
- Ma mère part avec des gens de passage !
Il s'arrête, la fixe une seconde et reprend soudainement.
- Dis moi que c'est pas les gugusses dans les tentes bleues du parc ?
- Je vois que tu me connais bien. Si, c'est bien eux. répond Aurélie presque soulagée.
- T'as emmené des migrants, des gens qu'on connait même pas dans la maison !
Si on les connaissait, pense Aurélie, ce serait des voisins.
- Et ils sont combien ?
- Quatre, j'ai contrôlé le flux dit Aurélie en souriant, histoire de détendre l'atmosphère.
La petite fée très attentive tire le bras d'Aurélie.
- Comment ils s'appellent ? demande -t-elle tout bas, soudain complice.

Son fils quitte la table. La coupe est pleine et la salade végane va refroidir ce soir.
Sa femme le rejoint sur le balcon. La discussion semble houleuse.
Faut leur laisser le temps de digérer, pense Aurélie, à défaut de manger !
En attendant le retour au calme ou un retour de flamme familiale, Aurélie la main dans celle de la petite, attend, songeuse.
Elle pense à son auberge.
Dans celle de Peyrebeille, au temps de Napoléon, l'auberge ardéchoise, dite rouge, on y trucidait le voyageur de passage pour le détrousser.
Dans la sienne, au temps du numérique, on y arrivera fourbu, traqué, et on en repartira requinqué. On partagera le peu qu'il y a , elle y veillera, on aidera. Ce sera un vrai cadeau de la vie que de se retrouver maillon de la chaîne de ceux qui ont transgressé, bravé l'interdit et sauté à pieds joints la limite. Cette limite humaine une fois franchie qui apporte une récompense sans nom et sans valeur mais pour qui ?
D'abord c'est dans les yeux de la petite que la décision d'Aurélie doit se refléter. Elle la regarde intensément comme pour obtenir son assentiment.

La petite semble réfléchir aussi. Soudain elle lui tapote la main affectueusement.
- Te fais pas de souci Mamie, ça va passer.Tu sais, demain j'ai pas école. Je viendrai avec toi.

Et sans crier gare, elle descend de la chaise en courant vers le balcon.
- Maman ! Maman ! Elles sont où mes bottes en caoutchouc ?



"Tous à la tâche" de Janine NOWAK


La mortelle période glaciale approche de sa fin. Le froid inexorable relâche son étreinte. La rivière est en plein dégel, l’eau ruisselle joyeusement au milieu des masses de liquide pétrifié. La neige commence doucement à fondre.
Bien emmitouflé dans ses fourrures, Adalbert avance d’un bon pas.
Comme tous les matins, il se rend dans la grande hutte qui a été construite sur ses ordres au début de la précédente belle saison. Quel évènement cela avait été que l’érection d’un tel bâtiment !
Son clan n’en avait pas, d’abord, compris la nécessité. Pourquoi irions-nous travailler dans une énorme bâtisse ? Quand le temps est clément, on s’occupe dehors. Quand il gèle à pierre fendre, chacun s’active dans sa demeure. C’est ce que l’on fait depuis toujours ! Voilà !
Adalbert avait dû expliquer, encore et encore, donner ses raisons, démontrer.
Mais c’est le passé. A présent, ils acceptent son grand projet : prendre la mer et voguer vers l’inconnu.
Et pourtant, quel choc ils avaient reçu en entendant son premier discours !
L’incrédulité, l’incompréhension, puis la peur s’étaient lues dans leurs yeux.
La grogne était venue ensuite. Puis la colère et la rébellion.
Arriver à les décider avait été une tâche harassante. Tous, sans exception, tous faisaient bloc.
Non ! C’était, non ! Toujours NON !
Nous ne voulons pas. Pourquoi partir ? La vie n’est pas facile, certes, mais en se donnant un peu de mal, on y arrive ! On fera encore plus d’efforts !
Il avait avancé de sérieux arguments : la terre est infertile. Il faut pallier l’insuffisance de ressources. La grande famine menace. Les hordes barbares déferlent régulièrement pour nous massacrer, piller ou incendier nos pauvres biens !
Non ! Non ! NON ! La réponse restait unanime.
C’est curieusement par les femmes, que l’espoir était venu. Grâce à sa chère Edwina. Elle s’était admirablement fait entendre auprès des autres épouses. Elle avait fait comprendre, puis admettre à ces dernières, que si leurs nourrissons ne survivaient pas, c’était à cause de tous les manques. Les jeunes accouchées, étant elles-mêmes mal nourries, n’avaient pas ou peu de lait, d’où cette hécatombe de nouveaux nés.
Emues par ces paroles de bon sens, ces mères aux cœurs tendres avaient fait, à leur tour, un travail de sape auprès de leurs époux.
Et c’est ainsi, que petit à petit, l’idée avait semblé moins invraisemblable. Enfin les esprits s’ouvraient !
Oh, il avait fallu beaucoup de temps et user beaucoup de salive, avant d’arriver à convaincre tout le monde. Imposer son autorité au sein d’une communauté paysanne et guerrière, n’est pas facile. Surtout pour une idée qui sort à ce point de l’ordinaire.
Mais, par un beau jour de soleil, un jour d’exception où il fait assez chaud pour profiter des bains de mer, Adalbert avait vu arriver chez lui, une petite délégation conduite par Ditmar et Egmont, ses proches lieutenants (qui eux-mêmes, au début, avaient été farouchement opposés au projet). Cette petite troupe venait, très officiellement et très cérémonieusement lui faire savoir, que toute la tribu adhérait enfin à ce plan.
Le cœur d’Adalbert battit si fort, qu’il crut étouffer ; puis sa poitrine s’enfla de confiance et il reçut leur accord comme un cadeau. Cadeau qu’il comptait bien partager très vite avec Abdallah, l’herboriste, qui avait su lui souffler, sans discontinuer, d’excellents conseils, qu’il avait mis en pratique, afin que le projet puisse voir le jour.
Après, tout était allé très vite.
Il y avait donc eu la construction de cette grande hutte. Son intérêt était de pouvoir continuer à fabriquer, même pendant les huit lunes de durée du gel, les navires nécessaires à leur expédition. Ainsi donc, ils avaient pu œuvrer sans relâche durant toute cette période sombre et glacée. Ils avaient fabriqué des mâts, avec les plus hauts arbres des vastes forêts environnantes, taillé des gouvernails et des rames ; et puis conçu les longues coques des navires, à la proue et à la poupe élevées. Et pour ce faire, les bûcherons avaient dû se hâter d’abattre pendant les beaux jours, une énorme quantité de troncs, pour les stocker dans le vaste local. Les planches avaient ensuite été débitées pendant les grands froids, travail devenu réalisable, car ils étaient totalement protégés des intempéries.
Les forgerons aussi s’étaient activés. On avait besoin de beaucoup d’armes, d’encres de marine et de tout un petit matériel, outillage et d’instruments de navigation.
Les chasseurs non plus n’avaient pas été en reste. Beaucoup de fourrures seraient nécessaires.
Et puis, des artistes réalisaient de riches sculptures : des figures de proue grimaçantes, des têtes de dragons destinées à effrayer d’éventuels ennemis ou chasser les mauvais esprits qu’ils croiseraient probablement sur la mer.
Dans chaque foyer, les femmes besognaient tout autant. Elles apprêtaient les peaux et les fourrures ; elles assujettissaient les cordages, tissaient les voiles. Car Abdallah l’assurait : l’usage d’une grande voile rectangulaire fixée au mât, permet aux navires de filer à belle vitesse ; ils se manœuvrent ainsi avec une confondante dextérité. Ils sont capables de passer n’importe où et de défier toute poursuite tant leur rapidité est grande. Et bien sûr, éviter les écueils, grâce à un habile coup de barre.
Une question capitale avait été soulevée : que feraient-ils de leurs morts ? Avaient-ils le droit de les abandonner ? Emporteraient-ils les pierres tombales ? Mais cela équivalait à dépouiller les défunts ! Abdallah avait trouvé l’idée : les scribes avaient tout le temps de recopier sur des plaques de bois, les runes inscrites sur les monuments funéraires. Ainsi fut fait. Et chaque famille conserverait dans ses bagages, le souvenir de ses propres ancêtres.
Adalbert est heureux. Dès les premiers beaux jours, ils pourront partir fièrement, ne plus caboter timidement le long des côtes comme les pêcheurs ou les marchands, affronter le large, la haute mer.
Il est impératif que les bateaux aient une quille robuste. Qu’ils soient soigneusement construits afin de résister aux tempêtes et n’aillent pas se briser, engloutissant corps et biens.
Adalbert est satisfait, car il a la sensation d’avoir tout organisé à la perfection.
C’est la raison pour laquelle, ce matin, comme tous les jours, dès la première heure, il a hâte de rejoindre ses compagnons, anciens paysans, anciens guerriers, reconvertis en ouvriers.
C’est aussi sa fierté d’avoir su transformer ces redoutables bagarreurs en sérieux travailleurs. Et ceux-ci semblent finalement heureux de la tâche entreprise. C’est de bon cœur qu’ils s’affairaient avec le plus grand sérieux, avec la plus farouche application. Ils ont découvert la joie intarissable de l’activité utile !
Qui l’eut cru ? Eux aussi, à présent, partagent cette irrésistible pulsion. Eux aussi sont saisis de cette fureur de déplacement, de cette volonté de migration définitive, en quette de nouvelles terres. Cette folle et téméraire aventure, cette entreprise périlleuse, en fera des navigateurs hors pairs, rompus aux choses de la mer. Quelle aventure !
Adalbert sur le seuil, les regarde. Chacun est à son labeur. Chacun s’efforce de bien faire. Les visages sont détendus. Une atmosphère de sérénité et, pourrait-on dire, de bonheur, semble régner chez ces hommes bourrus, occupés à de rudes travaux.
Adalbert circule parmi eux, s’informe, félicite, encourage et surtout, leur fait part de sa satisfaction.

Sincèrement ému, il leur dit que sa joie est immense de les voir aussi sérieux et aussi solidaires. Et que leur ardeur au travail est pour lui la plus belle des récompenses. Il les remercie du fond du cœur.

 

"Le sac de cailloux" de Nadine CHEVALLIER, texte écrit hors séance dans les mêmes conditions


Le sac de cailloux gît tout aplati sur le sol du gymnase.
Pauline et Pierre se regardent, perplexes. Ont-ils réussi à envoyer les cailloux dans l'espace au delà de la Lune ?
Pauline se décide à toucher le sac pour vérifier leur intuition. A l'intérieur, ne reste qu'un peu de poussière fine comme de la farine complète, comme le sol qu'elle a foulé lors de sa rencontre avec les extra-terrestres. S'agit-il réellement de poussière lunaire ?
Les trois kilos de cailloux de toutes sortes ont bel et bien disparu.

A cet instant, Jacqueline se réveille.
« Où sommes-nous ? interroge-t-elle d'une voix tremblante, avant de se souvenir. Oh ! les cailloux ! Alors ? »
Sur sa bague, la pierre bleue semble plus brillante que jamais.
Pauline ouvre ses doigts, révélant son caillou bleu scintillant.
Pierre s'étonne :
« Mais c'est moi qui tenais ton caillou, je l'ai encore »
Ouvrant sa main, il montre un caillou identique à celui de sa femme.
« Eh bien, nous voilà avec quatre Pierres ! lance Pauline renonçant à chercher une explication, je n'aurais jamais cru que nous le ferions. »
Elle se lève et se met à danser tout autour de la salle en riant. Jacqueline et Pierre la regardent éberlués puis Jacqueline se lève à son tour et crie
« On a gagné, on a gagné ! On est les champions … »
Pierre rit et se joint à la ronde. Tous les trois ressentent une immense joie. Jamais un tel lien ne les a unis que celui de cette nuit où ils ont agi ensemble vers ce but improbable et irréel d'envoyer des cailloux à des extra-terrestres.

Laissons nos amis savourer leur victoire …

Sur la face cachée de la Lune, à bord d'un vaisseau posé de guingois dans la poussière, on s'agite.
Seul l'observateur avisé qui comprend toutes les langues de l'Univers pourrait traduire ce qui s'y exprime entre les entités mouvantes qui l'habitent.
Ce serait une sorte de chant de triomphe comme on peut en entendre à la fin des matches de football sur la planète Terre. Mais un chant fait de vibrations télépathiques sautant de l'une à l'autre de ces créatures extra-dimensionnelles.
Puis les vibrations se rassemblent en un hymne puissant tourné vers l'une des entités. Plus imposante que les autres, elle parait en être le chef. Elle émet alors un ultrason modulé que les autres accueillent avec une ferveur empreinte de respect.

Pour simplifier l’entendement des lecteurs lambda que nous sommes, mieux vaut interroger cet observateur mentionné plus haut et le prier de transposer en langage humain ce discours qui s'énonce là et voici ce qu'il nous dévoile :
- «  Bravo les gars, mission pleinement réussie. Cette catastrophe d'accident nous a finalement été bénéfique. Comme on dit chez nous « à chaque chose malheur est bon » !
Il nous a en effet permis d'entrer en contact avec les autochtones de cette planète.
Merci à Robert* notre linguiste pour son dialogue improvisé avec la Terrienne Pauline. Même si, hum… tu as menti Robert au sujet du carburant …
Grâce à toi, nous disposons à présent d'échantillons de cailloux de cette planète.
Et permis de remplir la mission qui nous avait été confiée : retrouver le système stellaire 3aB2587 tant recherché, celui où nous avions déposé nos cailloux bleus il y a des millions d'années. Les calculs de l 'époque n'étaient pas fiables, il faudra en référer à qui de droit au retour.**
Vous avez tous visionné les images : des espèces intelligentes cohabitent maintenant sur cette planète, mais ceux qui se nomment eux-mêmes Terriens ne sont pas prêts à nous rencontrer, trop de différences séparent nos espèces. Pour ce qu'on en a vu, ils ne font pas grand cas des espèces qui partagent leur écosystème et ils ont déjà du mal entre leurs propres peuples … bien qu'ils présentent tous la même morphologie... alors avec nous si différents …
Mais tout espoir n'est pas perdu. La preuve cette Pauline et sa famille. C'est d’ailleurs une chance inouïe que l'un de nos cailloux se soit précisément trouvé au doigt de cette Terrienne ! Dis donc Robert, tu es confiant sur la fidélité de ta femme ? (***)
Retrouver l'un de nos cailloux, combien y avait-il de possibilités ? Ces transmetteurs du passé se sont révélés de bien piètre qualité...
Mes amis, après ce séjour prolongé, je vous annonce que l'équipe technique a finalisé la réparation des turbines quadridimensionnelles, nous allons tout mettre en œuvre pour décoller. Je vous invite à regagner vos postes dès cet intant. Dans un demi-cycle, nous aurons rejoint notre espace-temps et pourrons fêter à la fois notre réussite et notre retour. De grandes réjouissances nous attendent ! »
Et le vaisseau dans un éclair de feu semblable au passage d'une comète disparut dans les profondeurs de la nuit étoilée.

Sur le Terre, Jacqueline se retourne dans son lit avec un doux soupir de bien-être. Dans la chambre voisine, Pauline dort dans les bras de Pierre. Le même rêve les visite tous les trois.

Notes du traducteur
* traduction libre d'un mot impossible à comprendre pour nous.
** des crissements qui peuvent être des murmures d’assentiment ou de réprobation (?) vibrent alors dans l'habitacle.
*** des cliquètement qui peuvent être des rires (?) fusent à ce moment parmi les entités.

 

"Nuit de noces" de Caroline DALMASSO, texte écrit hors séance dans les mêmes conditions


C’jour là, le ciel, il avait mis sa plus belle t’nue: bleu, infiniment bleu qu’il était. Même pas
un nuage qui l’tachait. A croire qu’lui aussi il était d’accord avec c’mariage là. Alors je
m’suis dit qu’c’était un signe, que l’bon Dieu, il était avec nous. Il avait même pas plu les
jours d’avant, ça fait qu’il y avait pas d’boue dans la rue du village et dans la cour d’la
ferme, on crotterait pas les beaux habits.
Les premières épousailles d’l’année qu’c’étaient. Les fiancés, ils attendent plutôt les beaux
jours d’habitude. Le mois d’la Saint Jean souvent, quand les champs d’blés sont tout doré.
Quand l’solstice d’été s’en vient, parce que l’jour dure jusqu’à tard avant la nuit, on est
presque sûr d’avoir une belle fête. Mais là, attendre, on pouvait pas, c’était pressé, c’est
l’vieux qu’a voulu qu’tout aille vite. L’avait trop peur du déshonneur. A croire qu’pour lui, y a
qu’ça qui compte. Mais j’ai rien à en dire, sans son foutu honneur qui faut qu’on fasse
attention à cause de c’que disent les autres, j’l’aurais jamais marié la Germaine, même
que j’l’aurais même jamais bécoter.
Alors il a fait tout comme il faut l’vieux. Tout en grand, pour que les gens n‘aient rien à en
r’dire, jamais… Ah ça! Il a pas r’chigné à sortir sa bourse le bougre. Et même que je
m’suis dit qu’il devait avoir un sacré paquet planqué sous son matelas. C’est sûr il y a les
terres, mais moi j’l’aurais pas dit qu’il en avait autant, des sous. Il montrait jamais rien,
même que j’suis sûr qu’il mettait pas grand chose au panier à la messe.
Tout l’village était là, sauf les Frémont, c’est qu’ils sont fâchés à mort même qu’ils savent
plus pourquoi tellement ça fait longtemps. A l’église il y avait des fleurs partout et des
chants aussi. Moi, ça m’a chaviré l’coeur qu’jen ai chialé presque. Mais je m’suis ret’nu,
c’est que faut que j’montre au vieux que j’suis un homme, un vrai, et à Germaine aussi.
Après, il y a eu l’banquet. Dans la cour d’la ferme, c’est comme si qu’la lumière elle était
rev’nue. Les f’nêtres d’la bâtisse, c’étaient plus des fentes, grandes quelles étaient et
ouvertes aussi, même qu’ça devait bien faire 20 ans qu’c’était pas arrivé. Depuis qu’la
Blanche elle est montée au ciel. Partout, il y avait des tables dressées, avec des nappes
blanches et des fleurs, et au d’ssus des drapeaux et des lampions de toutes les couleurs.
Au bal du village qu’on aurait dit qu’on était, en plus beau.
C’était une bien belle fête, le manger et le boire et la musique et le bal aussi, même qu’y
avait un accordéon. Presque que j’pouvais pas l’croire qu’c’étaient mes noces à moi. Et
même qu’les copains l’croyaient pas non plus. Ils se sont bien amusés, les gars et les
filles, les anciens et les mômes, et même M’sieur le curé il avait un p’tit coup dans l’nez. Et
même le vieux, l’a fini par v’nir m’donner une tape dans l’dos comme si qu’j’étais pour de
bon accepté dans la famille Bertin. Mais p’t être bien qu’il était bourré et ,du coup, p’t être
bien qu’il était sincère. Alors moi, je m’suis senti comme le roi du monde et je m’suis dit
qu’maint’nant tout irait bien… Même avec Germaine.
Germaine, quand j’lai vu à l’église, belle comme un lys avec sa robe de mariée qu’on
aurait dit un ange, j’ai cru qu’mon coeur il allait s’décrocher. Elle était comme une
apparition et pourtant, c’est bien vers moi qu’elle v’nait. Alors, il est resté mon coeur, par
un fil qu’il était suspendu, jusqu’à c’qu’elle dise « oui », comme un souffle qu’est sorti du vide qu’on l’a presque pas entendu. Moi j’étais tellement dans un joli rêve qu’j’ai même
pas vu, qu’en vrai, elle était pas là. Et comme Germaine, tout l’monde pense qu’elle est
bizarre, c’jour là, personne a vu, qu’en vrai, elle était pas là.
C’te nuit là, c’est par terre qu’j’ai dormi, à côté d’son lit, d’notre lit. Oh, ça m’changeait pas
beaucoup d’ma paillasse, l’était d’jà pas bien confortable. Mais l’sommeil, il est pas v’nu,
au p’tit matin p’t être un peu, à cause d’la fatigue. Si près d’moi qu’elle était, qu’j’la sentais
vivante et si loin aussi qu’j’étais malheureux comme la mort. Elle a pleuré, j’lai bien
entendu. Et même qu’j’lui ai dit qu’j’la prendrai jamais d’force, que j’l’aimais trop pour ça,
elle a pleuré quand même. J’lui ai dit qu’j’l’attendrai et qu’elle s’ra vraiment ma femme que
quand elle voudra. Oui elle s’ra vraiment ma femme quand elle r’viendra d’là où elle est
allée, dans son monde à elle, là où qu’personne d’autre peut aller.

 

"Belle-mère forever" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Le singe avait, pour ainsi dire, sauvé la belle-mère du roi.
Le souverain en était ivre de bonheur.
La bonne nouvelle fut diffusée partout où un cheval pouvait passer.
Et puis une célébration de l'événement trépignait dans l'antichambre de la mémoire collective.
Petit macaque, pelé macaque, galeux mammifère mais précieux partenaire : avant toute distinction, le remettre sur ses pattes importait. L'épreuve l'avait rincé, essoré, desséché, plié et rangé dans le royaume des animaux qu'on croirait empaillés.
Pour la remise en forme, on apporta à l'épouvantail des mets succulents servis dans des saladiers en carapace de tatou : rats cuits à point, chenilles à l'étuvée, blattes au court-bouillon, le tout nappé d'une sauce faite de moelle de tiges géantes avec un liant éprouvé de fourmis rouges pilées : un régal. L'assimilé bipède s'en goinfra.
Et si ce n'étaient pas les mains opalescentes des plus belles jeunes filles aisées du royaume qui les lui avaient administrés avec une délicatesse et un rythme qui annonçaient déjà la danse contemporaine de la gracieuse Carolyn Carlson, l'animal serait passé pour un vaste entonnoir, un bien curieux aspirateur détraqué.

Et pourtant, le macaque fut traversé par une sensation que plusieurs serviteurs aperçurent. Son œil se, d'une certaine façon, rhabilla d'un nouvel iris. La même couleur mais en velours, ce qui faisait penser finalement à un aspic de vinaigre balsamique. Certains dirent même que le singe se regonflait ostensiblement, avec cette étrange impression que ses poumons allaient de ses pieds à son crâne qui est pourtant, à la normale, d'une simplicité de masque mortuaire. En tout cas, dans son cerveau, cela devait être comme dans une fête foraine : des jeux, des couleurs qui bougent, un soleil qui renverse son pot de confettis et une joie qui met de la dentelle aux cris d'étonnement et d'audaces exagérées. C'est là où l'on trouva à l'hôte poilu des qualités humaines dont notamment un sourire ravageur car nouveau, frais, spontané et surtout, jusque là, point étudié. Cela engendra un raz de marée de curiosités.
Pour breuvage, lui fut donnée de l'eau aveugle des grottes de la Grande Baleine, liquide qui fut tourné pendant 3h33 par la belle-mère rescapée, elle-même, encore toute excitée de ne pas avoir été noyée, grâce à la malice du primate altruiste et actif qu'on aurait cru tout droit sorti d'une O.N.G.. De mettre toute son attention dans la bonification de cet élixir la fit rajeunir, à ce qu'on  dit. Et c'est, encore, elle qui porta la coupe aux lèvres du sauveur, en entonnant une chanson douce comme un clafoutis aux cerises, sans aucun noyau de fausses notes. La voix pincharde, c'était avant. Qu'on eût apporté secours et surtout attention à cette matrone l'avait comme décalaminée de l'intérieur, une résurrection, une entrée dans un nouveau monde avec de nouveaux yeux et peut-être aussi de nouveaux amis dont ferait partie le macaque, un mâle, très visiblement.

Pour que la restauration de ce dernier soit du plus agréable, on avait installé un tapis en poils de chatons sous une pergola ornée de généreuses et géantes feuilles cordiformes. Ainsi le soleil s'en était emparé en dardant de grands couloirs de lumières dévolus à de lentes et énigmatiques translations.
Le singe bichait. Lui qu'on assimilait comme jamais à un humain commençait à ressentir ce qu'était un état divin. Nombril du monde il était, feu dans la forge ambitionnait-il d'être !
Et dire qu'autrefois sa vie était le résultat de ses peurs au pire, de ses impulsions au mieux, le voilà rasséréné comme une faïence sacrée. De plus, que l'autre, d'une espèce cousine, était entré dans son existence via l'effraction d'un sauvetage prémédité, il en tirait une posture de sage, guide, roi et pour la suite, nécessairement prophète. Messie. Modèle. Référence. Symbole. Un nouvel astre. Le cosmos avait grossi [de lui]. Il faudrait qu'il consigne rapidement cela dans ses mémoires, qu'on imprime un vélin, qu'on fasse des copies sur papyrus, il y aurait, certes, déjà tout cela à faire, songea-t-il...
Pour dessert, il eut encore du rat mais sucré aux airelles de la Vallée-du-genou-à-terre. Immortel il était ! gavé, repu, tendu tel le cordage d'une raquette de tennis, mais immortel. En gloire, en somme.

Vint le jour de la célébration. Énorme. On se serait dit au pays des superlatifs. Et puis il y avait comme un problème d'échelle, tout était plus gros, plus grand, plus fabuleux. Un pot de miel à faire butiner tous les humoristes.
Un palais en gousse de cacahuètes compactées avait été édifié pour l'occasion, un palais jetable qui sera néanmoins gardé après la manifestation.
On invita le macaque à monter sur une chaise ronde, semblable à une tulipe écrasée, cela ferait office de fonts baptismaux, l'apprenti-bipède devait en effet entrer dans une nouvelle vie au sein d'une communauté qui entendait bien le fêter, le magnifier. Le roi, la reine et consorts présidaient les festivités, installés sur la même estrade. Des trompettes en fémurs de chien retentirent.
Un transgenre habillé d'une jupe-salopette en sequins irisés de violet intervint, enlevant ses mains gantés en direction du plus gros nuage à disposition. C'était le prêtre, un pontife mi-druide mi-Prince [Prince Rogers Nelson, ndlr]. Inutile de donner davantage de description : il était au top ! Car il y avait, là, la même beauté que prend une courgette en pleine croissance, lorsque son gorgé d'eau patine de l'intérieur sa peau pour en faire un cuir qui n'a rien à envier au lézard.

Seul problème qui généra plusieurs équivoques, maladresses, éclats de rire : le singe, n'ayant pas de nom, on lui affubla de façon non suivie, ici un « il » ou « lui », là un « bel être venu des arbres », ou encore du « le sauveur de belles-mères », ou même « l'autre Alain Delon ». Il fut alors pourvu de toutes les richesses qu'un catalogue Vert Baudet peut apporter. Beaucoup de femmes tombèrent subitement sous son charme, les hommes ayant mis un peu plus de temps à se déclarer. On fit des assiettes, tasses à café, mugs à son effigie… Et c'est bien plus tard qu'on appela cette contrée « Andorre ».

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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