Ci-après
quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):
- "Croire en l'amour qui réveille" de Régis MOULU
"Croire en l'amour qui réveille" de Régis MOULU, animateur de l'atelier
Et l'on retrouve Soizic et Octave, paniqués :
une voix vient de leur dire
« vous êtes en face
d'un enfant perdue,
occupez-vous de suite
de cette gamine ».
Les paroles sortaient d'un miroir trompeur.
et pourtant dans ce morceau de verre
ne figuraient que leurs deux tronches
stupéfaites, muettes, figées.
Gros cœur qui bat dans chaque poitrine,
animé par le peur de l'incompréhension.
Jusqu'ici, nulle situation vécue équivalente.
Une magie négative en somme.
Un appel, que dire, plutôt une convocation.
Les deux êtres n'avaient jamais été
autant dans leurs corps,
dans leurs sentiments vrais,
l'usage de leurs cerveaux à 100 % était requis.
La même intensité
que lors d'un mariage
où l'on dit un bon « oui ».
Finalement un miroir,
c'est une flaque ondulante
où une lumière sans partage aime se baigner.
Et, à sa surface,
elle recueille des reflets.
Notre portrait n'est de ce fait
toujours qu'une peau,
rien de plus qu'une écume.
Celle de Soizic affiche une frayeur :
un sac de grimaces.
Celle d'Octave un étonnement :
un sace de grimaces également,
mais avec d'autres grimaces.
Nuages d'expression singulière.
Ou quand l'instant vous flashe,
vous déclasse au rang de marionnettes.
Trois pies survolent l'endroit,
excitées à l'idée de le vider
de ses insectes, vers, graines de hasard.
Elles sont « vivantes, heureuses »,
même si c'est la même chose.
La voix réitère
et se plaît à délibérer ceci :
« tant que vous regarderez devant,
il y aura vous,
mais la petite est plus loin,
comme dans l'épaisseur du verre,
c'est-à-dire derrière,
mais bon sang,
auriez-vous déjà
l'âge d'être des statues !? »
Puis un rire tonitruant
brisa la psyché
qui se résorba en écureuil qui s'enfuit,
pfutt, ou l'équivalent.
Soizic se frotta les yeux,
Octave se retourna
Soizic ravala sa salive,
Octave vit la fillette,
Soizic vira à son tour et vit la fillette,
tous deux virent la fillette
qui ne les regardait pas.
Ça les arrangea,
ils purent ainsi la scanner.
« Petit être fragile vagabond ».
Des haillons sales et raides
qui servaient de tuteur à un corps flétri.
C'était la première fois
qu'on pouvait voir une fleur
avec un cœur mou,
en somme un ravioli vide,
une anormalité,
et si c'était dans un restaurant,
une grosse arnaque.
Pauvre petit chaton pouilleux,
avec de gros yeux
comme en possèdent tous les maigres.
Cheveux mi-longs,
collés à la manière de grosses pattes d'araignées.
Un visage qui perce à peine
sous une boue de crasse.
Des mains mortes,
tels des gants perdus.
Des petites bottes à la mode,
avec des paillettes blanches comme midi.
Était-elle ventriloque ?
Son ventre comme un soufflet
que la régularité rendait interminable.
Soizic pleura.
Octave serrait ses poings.
Soizic eut ses pieds inondés de larmes.
Octave crut bien qu'il resterait toute sa vie enragé.
Soizic pensa révolutionner le monde en osant un large sourire.
Octave se coinça un muscle.
Elle se sentit belle.
Il se sentit bête.
Tous deux s'avancèrent de la sorte vers la fillette.
La mignonette sembla en plus bien sourde,
du fait qu'elle ne bougea en rien
malgré les bruits de pas générés.
« C'est une enfant perdue » :
la sentence de la voix
était tragiquement juste.
« Papa, maman »
s'improvisèrent Octave, Soizic.
Du moins en pensée secrète,
en luttant sauvagement
contre l'idée qu'ils furent
des parents bien indignes
pour avoir une enfant
dans un tel état de délabrement.
Soizic ôta sa bouche d'oreille gauche,
en forme de serpent doré,
et l'offrit à sa fille,
même lui mit,
du sang coula.
Personne ne le remarqua.
Octave l'embrasse au milieu du front.
Sa salive fit fondre la crasse,
la gamine arborait désormais
un troisième œil, uniformément blanc.
L'enfant divin reçut
encore bien des présents,
essentiellement sous forme
de belles et bonnes intentions,
au cœur de la journée.
Je crois que l'amour réveille.
Si bien qu'à l'heure où l'orange
rentre dans sa corbeille en terre,
la bambine chérie sembla ravigotée,
plus exactement « ressuscitée ».
Toutes ses fonctions étaient même restaurées.
Il y avait alors comme une sève en elle,
celle dans laquelle un visage puise
pour être radieux
comme un bouquet de roses roses,
celle dont le corps s'irrigue
pour redevenir une rivière qui chante.
Le couple s'institua « jeunes mariés »,
traversa sa plus forte angoisse
à leur du coucher :
être coupé de la mignonette
leur parut bien insupportable,
ils installèrent à la va-vite
un système de chaînes
qui relia d'un seul tenant
leurs six poignets.
Le lendemain matin,
la petite avait disparu.
Soizic cria bien plus que tout l'air qu'il y avait dans ses poumons,
Octave trépigna comme « taureau en passe d'user ses sabots »,
Soizic eut honte de n'avoir aucun prénom à hurler,
Octave rongea ses ongles,
Soizic tenta une mélopée d'amour,
Octave fit la deuxième voix,
tous deux solfièrent tant et si bien
que le monde était devenu
plus joli, plus doux, plus enviable,
la nymphette réapparut.
« On ne va pas te laver »
interjeta Octave.
« Il faut que le village, la cité, la région, la planète, l'univers
et les invisibles
te voient
dans l'état qui plaide le mieux pour toi,
car ta pauvreté, ta saleté, ton animalité sauf les bottes, ton impureté, ta surdité, ta laideur, ta nonchalance, ta boue, ta sordidité, ton désespoir, ta bêtise, ta vermine et ta vulgarité, ta difformité, ta disgrâce,
en bref ton abjection
ou même plutôt ton ignominie
sont les meilleurs plaidoyers
pour la quête de l'amour durable,
nous en sommes les cobayes heureux ».
L'enfant ne comprit pas cette phrase.
Mais ressentait
dans le cœur de « ses parents de fortune »
comme un « carrosse en marche »,
un carrosse dans lequel elle monta.
En son intérieur, elle vit
banquettes et coussins
dans le même velours rouge que les langues.
Et il y avait une tablette
sur laquelle une carafe cristalline
avec un bouchon en globe oculaire
et un verre qu'elle prit
pour une main enroulée
trônaient.
Elle se servit à boire,
chopina tout d'un trait
puis jeta ses bottes strassées
par-dessus la portière
loin, loin, loin
puisque la carrosse à vive allure
se détachait déjà des mondes connus.
Ce breuvage aux reflets violets,
par ses saveurs
la fit alors voyager en pensée
et ce, bien plus vite
que le coche déchaîné.
Vu de Terre, l'ensemble devint très vite
essaim de mouches,
puis plus rien.
On retrouva la gamine bien longtemps après,
peut-être même mille ans,
sous forme de conte,
une énième édition.