SAMEDI
2 AVRIL 2016
dans le cadre du cycle Animation : Régis MOULU Thème : Offrir des mots plus lents, qui ne se décident pas à disparaître (Bobin) Inspirés par la quête de Christian Bobin, nous nous s'exercerons à formuler des mots solitaires, des mots qui errent au-dessus des autres, ou en dessous, des pensées qui surgissent de cette région du dedans dont on ne sait rien ! Ce travail méticuleux permettra d'enrichir un texte d'espaces infinis, "au coeur de la nudité et de la blessure du monde". Remarque
: au-delà de la contrainte formelle
(thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : Écrire un texte dans lequel votre protagoniste révèlera en quoi consiste son sérum de la bonne humeur, garanti 100 % naturel ! |
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Ci-après
quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):
- "Le temps de la vie" de Chantal GUéRINOT - "L'amour du métier" de Janine NOWAK "Herbes invasives" de Régis MOULU
"Recette d'ambiance" de Marie-Odile GUIGNON La lune achève sa nuit. Les étoiles ferment les yeux. L'oiseau chante, son habit de deuil brille de mille reflets céladon. Le cèdre dressé a imposé le silence au vent. Le vent s'échappe dans les graminées verdoyantes. Un trop-plein de semences se déverse dans l'humidité naissante. Les pavillons entassés frissonnent. Ils resserrent leurs limites, la fraîcheur matinale les intimide. L'insouciance de la nature qui s'épanouit discrètement autour d'eux chaque matin naissant, coule sur leurs toits. Elle transcende les désagréments de leurs bouillonnements internes en confiance divine. Un grondement croissant dessine sa trace dans l'atmosphère. Des lueurs pastel parent l'horizon. Derrière les maisons, les larges lacets de bitume s'aplatissent. Bientôt un chapelet de véhicules les recouvrira d'une poudre d'or noir. L'oiseau s'envole, il a cueilli un cœur. Le vent caresse un chat à rebrousse poils, ses yeux verts clignotent, il baille. Un bond léger l’entraîne sur une clôture. Des pas de velours s'accélèrent. L'activité journalière part à la chasse. Choisir la chasse aux papillons. Suivre des ailes aux couleurs flamboyantes. Effectuer des déplacements virevoltants. S'attarder ça et là par délicatesse. Goûter les rencontres impromptues. Les merveilles du quotidien exigent la lenteur de l'escargot. Il glisse tranquille, sa bave lubrifiante bien dosée lui garantie la traversée des fleuves impétueux, les moments difficiles. Une coque à toute épreuve jette des sourires aux remous aléatoires de l'existence. Les chagrins des pluies se traversent avec un parasol blanc. Le blanc de la paix enveloppe les corps endoloris. Les ailes des colombes planent tout près des hommes. Elles prêtent leurs plumes, écrivent des litanies, des jérémiades sur des papiers de soie (ou soi) puis les métamorphosent en nuages vaporeux avides de voyages. L'évasion parcourt l'échine d'un frisson chaleureux. C'est un soleil qui s'échappe. Une petite lumière s'emprisonne dans des pensées. La morosité s'éteint. Le tapis vert de l'alpage se couvre de fleurs roses. Le temps concilie les heures et les secondes dans un mouvement de sérénité désirée. Des nuages reviennent en force. L'orage gronde, Il a une fièvre de cheval. Une galopade bruyante ébranle toute la ville. Les antennes tremblent. Les arbres rivés au sol affolent branches et feuilles. Tous les être vivants s’angoissent. Le paratonnerre se redresse, il capte tout ce tapage, en un éclair, le désordre rentre en terre. Une conviction intense sauve des dangers les plus périlleux. L'assurance se marie avec la vie. L'observation écoute les pulsations du vivant. Les ressources humaines naissent de la récolte des fruits authentiques de l'alentour. Il suffit d'en extraire quelques gouttes au quotidien : la liqueur de la bonne humeur.
"Le temps de la vie" de Chntal GUéRINOT
"L’amour du métier" de Janine NOWAK Joseph rangeait son atelier après avoir raboté tout le jour. Balai en main, il regroupait ces débris de bois envahissants. Joseph était méticuleux et aimait son travail. Son père, son grand-père, charpentiers eux-aussi, avaient su lui transmettre leur amour de la tâche bien faite. Les années passant, Joseph était devenu très expert. Il avait une bonne réputation. On venait de loin pour le consulter ou lui passer une commande. Il n’en était pas plus fier pour autant. Il estimait avoir reçu un don du ciel. Exploiter avec sérieux et au maximum cette facilité qui lui avait été offerte comme une grâce, était pour lui une évidence. Pointilleux, Joseph délogea quelques copeaux qui avaient voleté dans un recoin. Il ne savait pas trop pourquoi, mais ces boucles blondes, si fines, si légères, si odorantes, symbolisaient pour lui, la joie de vivre. Le parfum de sève qui s’en dégageait, était un véritable enivrement. Et ces tortillons de bois, lui rappelaient la chevelure embroussaillée de son fils. Car, il avait un fils. En dehors de son métier, Joseph consacrait tout le temps qui lui restait à sa famille. Il avait le plus grand respect pour son épouse bien-aimée. C’était une maîtresse-femme, intelligente, droite, digne, charitable, attentionnée et aimante. Et il avait un enfant, un seul enfant, un fils, son fils, à qui il rêvait de transmettre son savoir. Joseph jeta un regard critique sur son local : parfait, tout était en bon ordre. Il allait, à présent, pouvoir savourer les joies du foyer. Il sortit de son atelier et, comme chaque jour, vint s’accouder sur la barrière qui délimitait la basse-cour, afin de profiter des derniers rayons de soleil qui ensanglantaient tout le paysage. Il appréciait particulièrement cette heure, entre chien et loup, ce moment de la journée où il trouvait à la fois la satisfaction du devoir bien accompli et la promesse d’une agréable soirée de repos auprès des siens. Il fut submergé d’une bouffée de bonheur en songeant à son enfant. C’est qu’il commençait à se faire grand, son garçon. Dans un an, tout au plus, il allait pouvoir commencer à lui expliquer les ficelles du métier. Quelle joie, pour un père, de former son fils, puis de travailler un temps ensemble, en équipe et enfin, découvrir un jour à côté de soi, un homme accompli qui prendrait les décisions à sa place. Ainsi va le monde : les humains naissent, essaient de vivre avec dignité, transmettent à leur progéniture les valeurs essentielles, puis ils cèdent la place, s’endorment définitivement pour devenir poussière. Tout est si simple ! Non, tout n’est pas si simple. Un pli de contrariété apparait sur le front de Joseph. Depuis quelques temps, un doute l’assaille : ne se fait-il pas trop d’illusions en espérant un jour voir son fils oeuvrer à ses côtés ? Cet enfant est d’une intelligence rare, exceptionnelle. Mais ne voilà-t-il pas qu’il a émis le désir d’apprendre à lire et à écrire ! Dans quel but, Grand Dieu ? Comment ont-ils fait, tous ses ancêtres dans le passé et lui à présent ? N’ont-ils pas été heureux dans leur humilité ? N’ont-ils pas eu une bonne petite vie ? A quoi pourrait bien lui servir de savoir tracer tous ces drôles de dessins sur un parchemin ? Ce n’est pas grâce à cette science qu’il taillerait ses planches plus droites ! Non, il va devoir réagir fermement. Sévir au besoin. Aussi, sa mère lui passe tout à ce petit chenapan ; et son autorité paternelle, alors ! Quand on fait partie du peuple, on reste dans le peuple. Seuls les Seigneurs et les Grands Prêtres ont droit à l’instruction. Chacun à sa place : une plume d’oie pour les Dirigeants de ce Monde ; un rabot pour les charpentiers. Joseph est une âme simple. Le voilà soulagé. Sa décision est prise : il raisonnera son petit. Son trouble passager s’estompe. La porte de leur maison s’ouvre. Sa femme, Marie, apparait sur le seuil. Elle sourit tendrement et fait signe à Joseph de rentrer : la soupe est prête.
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Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet ! |