SAMEDI 7 Mai 2005,

de 10h à 18h

 

Animation : Régis MOULU.

 

Auteurs invités :

Patrice CAZELLES, poète,

& Henri GRUVMAN.

 

Thème : La bambouseraie

reposera ton intimité végétale...

Les Jardins d'Ombre et Lumière, ce sont 1300 m2 de plantations (dont 50 espèces de bambous) au coeur de La Varenne St-Hilaire (quartier de St-Maur, au 9 Rue Lafayette) ; chacun ressentira dans cet havre de paix la possibilité de laisser son intérieur "communier" avec les plantations, ou quand le petit a l'ambition du plus grand...

 

en savoir plus sur ce lieu -que l'on remercie de nous accueillir- avec : www.lesjardinsdombre.com


Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Ode à Viinu" de Bénédicte MOLLIER

-"Bam et Bou, les deux psychologues... en herbe ! " de Janine NOWAK

- "La bambouseraie du devenir..." d'Angeline LAUNAY

- "Foi de bambou, coeur de Printemps" de Régis MOULU

- "Vert Cathédrale" de Françoise MORILLON

- "Intime bambou" de Patrice CAZELLES


"Ode à Viinu*" de Bénédicte MOLLIER

Je repose dans mon intimité végétale
Virginale
Spirale des bambous
Bambous s'élevant vers les cieux
Verticalité
Beauté
Sensualité des longues feuilles semblant s'étirer vers l'Infini
Oiseaux chantant et dansant
Sur mon cœur d'enfant que je retrouve à présent.
Feuilles sensualités étoilées me caressant le visage
Dentelles vertes cisaillées
Quel plus bel hommage à la nature ?
Bambous chercheurs d'humanité, d'éternité,
Je cherche mon intimité dans cette verticalité sacrée
ma déité enfin révélée.
Au fur et à mesure de mes pas,
entourée de ces bois précieux,
Je me sens grandir, m'élever vers le ciel comme appelée vers
l'Eternité.
Ma tête touche les nuages qui me chatouillent le nez
et si je prenais un nuage dans mon thé ?
Mambu* vous qui signifiez l'humilité par vos longues feuilles ployant vers le sol,
Grand Viinu*, symbole de la constance et de l'obstination
carillonnent mes pensées végétales et animales
Au son des sarbacanes célestes.
J'erre seule en ces lieux
A la recherche d'images musicales à l'ombre de ces longues tiges
flirtant avec l'azur du ciel
Et le vent s'emmêlant dans ses feuilles papyrus comme de longues lianes
semblant me prendre dans ses bras
comme pour me rassurer d'être vivante.
Le bruit des bambous s'enlaçant en une longue danse du vent me
rappelle l' " éphémérité " de mon essence.

* Viinu est le terme sanscrit de bambou et Mambu signifie aussi bambou en Malais.

 

"Bam et Bou, les deux psychologues... en herbe ! " de Janine NOWAK

BOU : dis-moi, Bam, je parie que c'est samedi, aujourd'hui ?
BAM : Exact, mon p'tit Bou. Comment as-tu deviné ?
BOU : Oh, c'est facile : les visiteurs sont là, en grand nombre. Crois-tu que nous serons adoptés ?
BAM : C'est bien possible. Comme tu l'as remarqué, il y a beaucoup de monde et le printemps est une saison idéale : aux beaux jours, les gens font volontiers l'achat de plantes pour décorer jardins et balcons.
BOU (brusquement inquiet) : Es-tu bien certain qu'on ne nous séparera pas ?
BAM (avec un gros soupir) : Catégorique ! Je te l'ai déjà expliqué cent fois : nous sommes dans un même pot et tu es né d'un rhizome, ce qui nous rend indivisibles comme des frères siamois.
BOU : Ah, tu me rassures ; je suis content.
BAM : Chut, taisons nous. Quelqu'un approche.

Une femme arrive. Elle chemine posément, calmement, à petits pas. Elle avise une grosse pierre ronde, coincée entre le pied d'un arbre et une marche d'escalier. Elle s'y assoit. Devant elle, une ravissante jarre, un peu comme celles qui sont conçues à Anduze, s'offre à ses regards. La boutique Zen, qu'elle vient de visiter, est juste derrière. Elle écoute le carillon qui tintinnabule doucement, agité par le vent. Elle ferme les yeux ; elle se dit que la musique des anges ne peut pas être plus mélodieuse.
Elle pense que, décidemment, l'endroit est idéal pour prendre un peu de recul. Elle entend le bruissement des feuillages de bambou. Elle se laisse bercer par ce fond sonore si subtil. Elle réalise qu'il faut, en vérité, peu de choses pour atteindre un état de grâce : le gazouillis d'un oiseau, la floraison d'un arbre, du vent dans les branches " de sassafras ! " - ah, toujours le théâtre qui vient la titiller !-. Elle aime s'abstraire, se dissoudre, ne faire qu'une avec la nature ; elle peut ainsi mieux ressentir ses tremblements intimes, fouiller en elle-même, se " ressourcer ", pour employer une expression à la mode.
Elle grimace. Ah ! Voilà un R.E.R. qui passe. Quel trouble fête ! Dans ce lieu paradisiaque, on a vite tendance à oublier que l'on est au cœur de l'agitation.
Elle reprend sa rêverie, replonge en elle-même, retrouve bien vite ce calme qui lui est nécessaire, ce sentiment de plénitude. Communier avec la nature : le mot a été très galvaudé, mais c'est cependant, le terme le plus approprié. L'univers est un immense réservoir d'énergie dont nous devrions tous capter les éléments bienfaisants.
Elle s'engourdit sur sa pierre. Elle est froide, cette pierre, elle en a le fessier tout gelé. Mais elle n'en n'a cure : elle se sent si bien … Son oreille s'est affinée. Elle écoute, avec gourmandise, ces feuilles agitées par le vent. Et elle croit entendre comme des chuchotements. Mais ces voix sont si particulières … C'est autre chose … C'est étrange.
Elle se fait plus attentive encore. Et elle sent, elle devine d'où provient cette conversation : elle tombe des hauteurs ! Non, pas si haut, tout de même ! Elle n'est pas Jeanne d'Arc ! Non, non : le son arrive du sommet des branches. Parfaitement ! Aussi invraisemblable que cela puisse paraître : ce sont les bambous qui se font la conversation !!!
Elle se fige tout à fait. Elle ne voudrait pas rompre le charme ; et les voix lui parviennent, très distinctement :

BOU : Regarde, Bam ! Voilà notre vieux couple d'amoureux, Ling et Chang. Je les trouve adorables. J'aimerais assez que ce soient eux qui nous emportent.

La femme risque un œil. Elle voit arriver, se tenant par la main, un couple charmant ; ils sont âgés, petits et menus. Ce sont des Asiatiques. Lui est très vieux, tout parcheminé. Un sourire flotte sur le visage de la vieille dame, un visage si doux, si harmonieux. Elle semble glisser sur le sol, tant elle est frêle et légère. En passant, elle caresse les feuilles des bambous. Son mari la regarde, émerveillé, insatiable de sa présence. Ils ont déjà fait un tel chemin ensemble ! Ils ont traversé de si nombreuses épreuves. La vie ne les a pas épargnés, mais ils ont su faire front, résister dans la tourmente grâce à leur amour absolu l'un pour l'autre. Et les voici à présent, apaisés et heureux ; cette promenade hebdomadaire est chaque fois un grand moment d'émotion. Inconsciemment, ils sont en quête d'images de leur passé. Ils retrouvent dans cette végétation qui fut celle de leur enfance, les senteurs d'antan ; ils parviennent à capturer une atmosphère qui fut celle d'autrefois. Ils s'éloignent, poursuivant dans ce cadre exceptionnel, leur parcours bucolique.

BOU : Décidemment, ils sont fascinants tous les deux. Hé, Bam, regarde, regarde : voici la " chantonneuse " !
BAM : La chantonneuse ? Tu veux dire la femme qui chantonne ?
BOU : Oui.
BAM : Chantonneuse ! Pfu ! Ce mot n'existe pas !
BOU : Quelle importance ? Tu as tout de même compris et je trouve que ce terme -même inventé- explique bien la situation. Vois-tu, ce qui est remarquable chez cette femme, c'est que ce qu'elle fredonne a toujours un rapport avec la végétation. Nous avons déjà eu droit " Au bois de Saint-Amand ", à " Auprès de mon arbre " et au " Petit bois de Trousse-Chemise ". Que va-t-elle nous sortir aujourd'hui ? Chut, chut, écoutons.

Arrive une grande femme. Elle serait belle si elle n'avait cet air un peu égaré qu'ont les gens qui semblent vivre sur une autre planète. Et en effet, ses lèvres bougent ; une chanson nous parvient :
" Ce jour là au Bois d'Chaville,
Y avait du muguet.
Si ma mémoire est docile,
C'était au mois d'Mai… "
Elle est passée ; on ne l'entend plus
.

BOU (triomphant) : Qu'est-ce que je te disais ! Le Bois de Chaville, le muguet ! C'est d'actualité en plus, le muguet. Ah, on rencontre de drôles de phénomènes chez les humains, tu ne trouves pas ? Tiens, à propos de phénomènes, voici le " poète maudit ". Chic, on va encore bien s'amuser.

Un jeune homme longiligne, famélique, vient s'asseoir à même le sol ; ses yeux, aux ardentes prunelles semblent dévorer tout ce qu'ils regardent. Il tient un livre à la main. Il y jette un regard farouche, semble fasciné par une phrase ; il la murmure cette phrase, plusieurs fois, rien que pour lui ; puis il se dresse d'un bond, et les bras levés vers le ciel, il la clame : " La beauté est dans le regard, bien plus que dans l'objet lui-même ". Ah que c'est beau !!! Comme il devait être amoureux celui qui a écrit cette merveille !!! Et il s'éloigne, heureux de sa trouvaille, le visage soudain illuminé, tout guilleret.
Le silence revient. On n'entend plus que les " piafs " qui, en grand nombre, trouvent refuge dans ce parc densément boisé. Ils sont effrontés et débrouillards, et se gobergent de graines et de petits insectes.

BOU : Un jour j'ai entendu un passant déclarer que la musique adoucissait les mœurs. C'est peut-être vrai, après tout, ce n'est pas moi qui vais contester. Mais souvent je me demande si nous n'avons pas ce même pouvoir. Qu'en penses-tu ?
BAM : Tu parles comme un sage, mon p'tit Bou. Je peux te garantir que ce pouvoir nous l'avons. Et même grandement encore. Crois-tu que tout ce peuple défile là uniquement dans le but d'acheter ? Que nenni ! Ils viennent tous jouir de l'instant présent, se repaître les yeux de notre beauté, se régaler les oreilles de notre bruissement, se faire frémir les narines de nos fragrances. Ils sont à la recherche d'une atmosphère, d'un véritable havre de fraîcheur et de tranquillité, à l'abri des tumultes. Et peu à peu, ils subissent notre influence, se transforment. Ils prennent le temps de plonger en eux-mêmes, de mieux s'analyser. Ils recherchent un équilibre harmonieux entre le corps et l'esprit, le physique et le mental.
BOU : Ainsi, selon-toi, tous ces gens immergés dans notre ambiance, repartiraient meilleurs qu'ils ne sont ?
BAM : Tous, peut-être pas. Ce serait miraculeux. Certains - juste un petit nombre heureusement - sont insensibles à la beauté, à la grâce ; tel cette espèce d'hypocrite qui s'est présenté l'autre jour dans l'espoir de trouver un pot de mandragore, soit disant - le fourbe - pour décorer sa terrasse !
BOU : Et alors ?
BAM : Et alors ! La mandragore ! La mandragore ! Ne sais-tu pas que c'est la plante aux vertus qui revigorent !

La femme a ri et bougé. Les arbres se sont tus. Il est temps pour elle de partir. Elle avance vers la sortie. Intriguée, elle se penche sur une fontaine d'où une sorte de fumée ou de vapeur s'échappe. Serait-ce une source d'eau bouillante, comme celle de Chaudes-Aigues, en Auvergne, qui jaillit à 80° ? Mais non, c'est juste un genre de feu de bengale. C'est joli. L'idée est bonne et apporte un agrément supplémentaire. Elle ramasse une pierre grise, si douce au toucher. Elle aimerait l'emporter, mais n'ose le faire. Et puis Henri Méphistophélès passe par là, lui dit qu'après tout pourquoi pas … Et hop, dans la poche, le galet ! Elle adresse un geste d'adieu au Bouddha placide qui semble veiller sur ce haut lieu de la spiritualité.
A bientôt …

 

"La bambouseraie du devenir" d'Angeline LAUNAY

Parmi les frémissements des feuillages je me retrouve. Le chant des bambous s'insinue dans mon esprit. J'apprends que le mot " bambou " vient du malais " mambu " - bambou du malais mambu - ce qui signifie " bois indispensable "… aussi indispensable que l'air qu'on respire ?...

Alors j'aspire l'air et hume le parfum nommé " Bambou ", l'odeur du jour, et je plonge mon calame dans l'encre naturellement si verte. A même le sol, est posée une petite fontaine d'où s'échappe de la fumée. Tout vit, tout palpite, tout murmure. Et l'univers s'en amuse, l'univers des bambous rend fou, nous transforme, fait que nous sommes " nous ", parfois faute de pouvoir le devenir.

Etre, exister, devenir, quoi de plus… Le reste semble superflu… super flûte… J'imagine que je perce quelques trous dans le chaume et que je souffle dans chaque petit trou pour trouver la note inattendue. Des sons doux et pénétrants se mêlent aux rythmes chaloupés des hautes tiges, ondoient et se répandent dans la chevelure aux mèches effilées mollement décoiffées par une brise plutôt fraîche.

Je lève la tête. Est-ce que je suis ? - Oui. Est-ce que j'existe ? - Oui. Que vais-je devenir ? -Je ne le sais pas. Sont-ce vraiment des questions ? Faut-il en rire ? Rions-en puisque d'après le chinois, le bambou se plie de rire, et que l'idéogramme qui figure le bambou ressemble à celui du rire. Alors je ris tout doucement, sans secouer la cage… C'est difficile de rire sans renverser sa tasse de thé… thé des moines, des tigres, thé des amants, des enfants, thé des songes de sable, thé Genmaicha…

J'ai le choix entre 36 prénoms ; je choisis celui de Genmaicha que je ne connaissais pas. Je me découvre en Genmaicha. Je me cherche en Genmaicha. Prononcer trois fois le nom pour ouvrir les trois portes : celle de la conscience, celle de la conscience et celle de la conscience.
Suis-je chez moi ici ? J'ai cette propension à me sentir partout chez moi… dans les déserts, les cavernes, les temples ou dans les phrases des poètes qui décrivent des lieux multiples. Ainsi, j'ai quelquefois rejoint Alexis Saint Léger Léger " partout où s'arrondit le vase sans défaut de la mer ".

L'endroit semble propice à la méditation. Un pavillon de bois, lové dans son écrin de verdure assiste au défilé des saisons mais pour lui, c'est l'éternel printemps, la prime jeunesse, le vert permanent, ineffable, ineffaçable… La bâtisse s'agrémente d'un ponton sur le présent duquel je me situe et d'où je contemple le jardin du " tout à l'heure " et d'où, si l'envie m'en prenait, je pourrais encore distinguer un passé qui semble vouloir se dissimuler dans l'obscurité. Un faisceau de cannes se dresse contre le mur. Je caresse leur surface lisse, patinée au vent impalpable. Comme ce dernier, la pensée ne se laisse pas emprisonner et donc si j'existe, puis-je devenir alors que je ne parviens que difficilement à être… Cela semble pourtant simple… Il suffit de se pencher sur l'humilité légendaire du bambou et d'expérimenter sa non moins légendaire solidité…

Je me saisis d'un grand bâton avec ses quatre nœuds ; il me dépasse ; il me fait penser au bâton à coups des Indiens qui ne l'utilisent pas pour combattre mais juste pour toucher l'adversaire… L'affrontement reste symbolique. Comme les femmes de certaines tribus, je m'envelopperais bien dans une grande couverture rouge, ce qui ne se pratique que dans certaines circonstances - peu importe lesquelles… Qu'est-ce qui l'emporte, ce qui fait le confort, le sens ou l'explication ? - Ce qui fait que l'on est ici, ou partout, ou dans la forêt des bambous… une bambouseraie en pleine ville, même si cela paraît incroyable !

Un coup de vent soudain fait s'envoler nos feuilles blanches qui se sont couvertes de phrases. Je me précipite sur les mots de Benjamin et sur les miens qui ont suivi le mouvement… Courir après les idées, rattraper le fil de ses pensées, se tromper de couloir, égarer ses esprits dans les feuillages à cause des verts si différents : les tendres, les profonds, les mélancoliques, les proches ou les lointains… Ils possèdent des vertus apaisantes : le " baume du bambou " reste à inventer, une pommade moins Véronèse que céladon à appliquer sur toute surface irritée, un baume universel contre les blessures chroniques.

" Déjà mon courage s'affermit "… Où ai-je entendu cela ? - Dans le tube creux d'une sarbacane… Où ai-je vu cela ? - Sur la collerette d'un nuage qui se fond avec la végétation… Un sceptre de bambou… Une fleur de Genmaicha…

 

"Foi de bambou, coeur de printemps" de Régis MOULU, auteur animateur

Droit droit droit,
tout droit, tout est droit presque vertical,
je me sens bien presque orthonormé,
mes jambes n'ont jamais été aussi bien plantées
attachées au sol,

Lierre, lierre, lierre,
en dessus de lit de lit avec une tête de lit en
bambou, bambou, bambou, toujours plus haut, toujours plus vertical,
à être si haut, on ne peut pas être plus vertical,

Bam bam bam, bou bou bou,
le vent joue à l'osier, guimbardes de feuilles qu'elles sont,
de nombreux sons, musique d'ambiance
pour banc de sardines entremêlées,
Oh, je suis bien, je suis bien, je suis bien,
rien ne me gratte, est-ce cela couler des vieux jours parmi autant de cannes, inutilisées,
au repos,
en grève au point d'être pommeaux en terre,

Et puis, en couverture du tout,
le ciel fait pâle figure, grigne ses joues, délègue son bleu,
se mêle aux cimes des
bambous bambous bambous dans un vert pétrole en évaporation,
je ne sais plus très bien, c'est un peu haut, je me sens bien, je me sens bien,

oui oui oui, je me sens bien, je n'ai pas le vertige,

foi de bambou, cœur de printemps,

je détache une feuille,

c'est une plume vivante,
à la différence de celles des poules qui sont, à bien y regarder, des arêtes, des squelettes effilochés,
je détache une feuille donc comme on prend un galet au bord de la mer,
au cœur de la bambouseraie,
je suis au creux de la vague et, au fond, au fond de l'océan aussi,
au pied d'une espèce d'algue qui durcit à l'air -un bambou quoi-
c'est rassurant de découvrir qu'on se connaît,
décidemment je suis bien,
je suis bien voire même presque amphibien,
rien ne me gratte, rien ne m'inquiète,
le vent se lève, le silence se couche
et moi je reste debout, comme une certitude,
je me sens bien disposé, intime à moi-même,
une volée de poivre au nombre de quinze mouches stationne près de moi pensant la même chose sans doute mais n'en doutant pas,
stationnent près de moi tant qu'elles n'eurent pas à se poser sur mes cheveux Roissy-Charles-De-Gaulle, presque jaunes,
oh oui, on est bien, on est bien, on est bien,
comment cela pourrait-il être autrement avec autant de cannes à pêche,
canne à pêcher à la mouche ou canne à pêcher
le calme qui nage ici-bas,
bien tapi au sommet des pousses,
je suis bien, rien ne mord,
je suis bien, j'ai la pulsation végétale, le foie abyssal,
je bouge mes chaumes pour m'agiter les rhizomes (près du nez)
et...

déboulant sur l'à-peu-près d'une coiffure de quelques bambous naines, je subodore qu'elles viennent de se lever, ces petites boulottes, ah, on est bien, oui on est bien, c'est si important qu'on puisse partager des instants uniques, comme ça, entre deux poussées, moi je vais mieux, mais comment aborder ce gros chignon alangui, enguimauvé, vert de naïveté, qu'à cela n tienne, je me lance à l'eau en crachant ces quelques mots : alors moi :

" euh, bonjour ! " ... rien ! bon, bah, c'est qu'on est bien…

Moi : " euh, c'est bien ici : on ne se lève jamais avant qu'on se lève, il faut bien le dire, quel bonheur, n'est-ce pas ? … surtout pour vous, question tag's ? " … rien ! sans doute parce qu'on se sentait toujours bien.

Et moi de rajouter pour raboter le silence : " si vous voulez un coup de peigne, enfin je veux dire un coup de main pour un coup de peigne, on peut faire ces deux coups en un coup, qu'en pensez-vous ? " … et c'est juste à ce moment très très précis que… rien ne se produisit, bref, on était bien, indéniablement, indéfiniment.
Et, avec un tel climat, mes yeux étant au mieux reposés, je vis alors son crâne en pot… en pot de plastique noir plastique, un peu terreux du milieu, alors j'eus la présence d'esprit de vite relancer notre conversation là où elle était pour qu'elle ne s'assèche pas tel un bambou-tringle de rideau avec anneaux en rondelle de bambou.

Moi : " si vous voulez, le collectif de bambous naines, je vous enlève vos étiquettes de prix, ça vous permettra de ne pas vous lever pour rien, je sais ce que c'est que de se lever comme on allait être vendu et puis se rendre compte en fin de journée qu'on a été nonchalant pour rien puisque invendus. Alors, vous répondez, pouilleuses, avant même que les mouches renoncent à vous tourner autour ? Vous n'avez même pas de fleur dans les cheveux. Têtes creuses, même sans être à Tahiti, il faudra que vous sachiez que ça se fait. Alors, chair à panier, vous ne voulez toujours pas causer ? " Eh oui, j'étais bien obligé de les provoquer.
C'est alors que je compris qu'elles n'avaient pas de bouches, ces naines, qu'elles avaient du pot, mais pas de bouche : c'était le vent qui leur servait de haut-parleur, il lui suffisait de souffler sur leurs têtes de ruche dans un tendre bruissement, de souffler sur qui le voulait bien, en tout cas moi j'étais bien et elles étaient déjà mieux que ce que je ne pensais plus, le bambou a son intégrité et moi non plus… On s'aimait. il m'avait touché au plus profond de mon vide, j'étais ivre, j'étais plein, j'étais bien. Et c'est ainsi que je vis venir au monde...

mon intimité, enfant végétal côté mère et enfant stupéfait côté face.

Un faire-part, un faire-part : je n'avais plus que ce papier en bouche, cette pâte en tête. Je pris alors une sardine fanée qui reposait au fond du ciel, m'assurai de sa platitude, m'armai d'un pinceau en tige de bambou véritable et écrivis à tous que je n'avais plus de soucis et que j'allais bien partout où je serai bien,

ah, comme il est bien de se sentir bien !

 

"Vert Cathédrale" de Françoise MORILLON

Mes yeux clignotent.

Avril : la nature s'est réveillée, en Mai elle s'est installée puis elle grandit tout au long de ces jours, joli mois de mai, comme il est dit ; la nature éclate, un bouquet de feu d'artifice, mêlée de camélias, de magnolias, de rhododendrons, de pensées aux mille tons exacerbés, de violas toutes couleurs, d'impatiens, de tomates cerises et cerises encore anémiées ; et la vie animale à deux pattes, hérissons, tortues vivantes ; en granit, canards en faïence, canards vivants, et les oiseaux, féerie des mirlitons, des chants aigus, des colibris, cri rauque des corbeaux ; tout s'éveille au printemps en une danse colorée.

Ce n'est donc pas le jour de l'intimité végétale ordonnée par notre Maître !

Une forêt tropicale comme aux Antilles, je ne le pense pas. Je marche dans un chemin ombragé de graminées hautes aux tiges souples qui se balancent, le vent doux ce matin se marie très justement avec ces espèces qu'on nomme les bambous. Le calme, je m'en gorge, je respire profondément, je prends un second bol de sérénité ; je me sens bien.

Cette végétation bambouesque forme un couronne autour de moi, me couvre de sa chlorophylle, elle m' inonde de bien-être, je me sens ressourcée et j'ai envie de distribuer ce bonheur mais aussi de le freiner pour en respirer le cœur, le cœur du bonheur simple : quelques centaines de bambous se balancent au-dessus de ma tête et ce moment délicieux passé au milieu de ces végétaux m'apporte une telle paix que j'ai dû mal à y croire ; point n'est donc besoin de faire des dizaines de milliers de kilomètres pour rencontrer cet instant ?

Ces bambous sécurisent mon Moi : fragilité apparente contre solidité ; la musicalité s'écoute, cet orchestre organisé et composé de ces mille pattes vertes se met en route, les bambous araignées se tiennent à carreaux devant le Maître vent ; puis soudain ce dernier ordonne, à gauche les violons, au fond la flûte déchaînée, à droite les violoncelles, les contrebasses se taisent encore, puis la musique exulte, tout ce univers se croise, s'exprime, s'agite dans une paix étonnante : intimité végétale oui, je la respire, elle me pénètre.

Les bambous ne se relookent pas, lifting ne connaissent pas : éternelle jeunesse, éternelle vieillesse se rejoignent, âge ne connaissent pas, jamais malades, toujours verts, joyeux carillonneurs et en même temps humbles, charmants, communiquant la sérénité et le charme.

Mes yeux se ferment sous la gloriette Bambousie, les lignes se confondent sous ma plume qui imite les bambous en se pliant mollement, mes doigts la lâchent et s'endorment.


Attention les enfants, pour le texte qui suit, ne le lisez pas : envoyez plutôt vos parents en lecteurs-éclaireurs afin de savoir si vos chastes oreilles doivent détourner leurs yeux pour préserver votre douce naïveté...

"Intime bambou" de Patrice CAZELLES, poète invité

JE SUIS ETANT
SOUDAIN
SOUDE A TOI
BAMBOU BAMBOULA BAMBA

Je vais, je viens entre tes reins…
Bambou; c'était le nom de la dernière compagne de Gainsbourg.

SOUDAIN
T'ARRÊTTE, LA VERGE TERRIBLEMENT ERECTILE
DU BAMBOU qui pousse en toi sa pousse de bambou qui pousse etc… dans son intimité.

Selon que le bambou procède par reptations verticales en direction du ciel écarte ses feuilles comme des mains dissipatrices sur ton corps Bambi :

Bambi parce que tu avais ces yeux là
Et cette douceur aussi en bas.

DU BOUDDHA (Hauteur : 60 cm, prix : 519 € soit env. 3 404 Fr.)
ASSIS : (Mais le bouddha peut-il être debout ? Même plus cher ?)

COMME MOI LA GAULE EN ACTION MUETTE
LE BAMBOU EST CREUX OU PLEIN D'UN ESPRIT CAVERNEUX DANS SES MEILLEURES DISPOSITIONS ON PEUT LE RECYCLER EN ECHELLE, EN TRANSAT, EN KIOSQUE SATURNAL POUR DES GEISHAS EN MANQUE DE GEMISSEMENTS ON PEUT SOUFFLER DEDANS CAR LE PHYLLOSTACHYS VULGAIRE EST D'UN BON RAPPORT SONORE ON EN TROUVE À LA LOUCHE DANS LES BOUGES ET LES REMBLAIS SEXUELS DE LA VILLE BASSE DE PNOM PENH SOUS DES LANTERNONS MAGIQUES PRES DES TSUKUBAI (Urinoir à longue portée qui résiste au vent mais dont l'usage nécessite un entraînement quotidien).
COÏTUS INTERUPTUS : " soudain j'ai senti ses yeux sur moi " comme dit Max Galver, à intervalles réguliers, dans son plus mauvais roman La chienne de Chine : ELLE ME TENDIT UN BAMBOU TEL QU'IL POUVAIT CONTENIR MON INTIMITE ET M'INTIMA D'EN FAIRE USAGE AU CAS OU CELLE-CI N'Y POURRAIT POURVOIR. LE BAMBOU DEPERIT EN DEPIT DE MOI !

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur et, en aucun cas, nous répondons de leurs libertés.
D'ailleurs, il
s sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !

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