Ci-après
quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):
- "Pour une citronnade" d'Angeline LAUNAY
- "Les fruits de la passion" de Christiane FAURIE
- "C'est la rentrée !" de Janine NOWAK
"Pour une citronnade" d'Angeline LAUNAY
Il s’était pris les pieds dans le tapis et faillit atterrir sur le radiateur. Autant il était capable de régler son compte au premier venu qui chercherait à l’asticoter, autant là, devant cette assemblée empesée dont il n’avait pas la moindre idée du mode de fonctionnement, il se sentait démuni comme une frêle tortue à peine sortie de son œuf. Malgré l’attitude distante de l’assistance, il se savait observé dans ses moindres gestes et débusqué jusque dans ses recoins les plus secrets, jusqu’à l’os, jusqu’à la moelle. Mais il trouverait le moyen de se ressaisir, de leur montrer à tous de quel bois il était sculpté. Son rétablissement à la verticale aurait pu provoquer le rire mais non, les hommes firent comme s’ils n’avaient rien remarqué. Chez les femmes, il perçut un très léger frémissement dû à une émotion qu’elles avaient immédiatement réprimée. Tel un petit garçon pris en flagrant délit, il s’attendait à quelque réprimande. Il se dit qu’il valait mieux ne montrer aucun trouble et mesura l’abîme qui le séparait des personnes présentes pour qui il devait ressembler à une bête curieuse sinon sauvage. Ce qui le frappait, c’était le manque de réaction des uns et des autres, leur air détaché, quasi aseptisé. Il se demanda si c’était une manière d’afficher une sorte de mépris ou de distiller une habituelle hypocrisie en toute circonstance. Il était en proie aux affres des prémisses de ce qu’il fallait bien nommer « panique », quand la sœur de celui qui l’avait convié chez leurs parents s’avança vers lui et lui tendit généreusement une citronnade.
Il n’avait jamais vu jeune femme plus délicieuse. Sa mise était d’un goût dont il n’aurait pu soupçonner l’harmonie avant de la découvrir si soudainement. A la vue de la délicatesse de ses mains, il faillit chanceler. Il osait à peine regarder ses yeux, qu’elle avait clairs comme un ruisseau de montagne. Elle lui souriait et il lui sembla qu’elle en aurait fait autant avec quelqu’un de sa connaissance ; cela lui alla droit au coeur. Aucun mot ne lui venait à l’esprit. Il était comme paralysé ou amnésique. Il avait tout perdu, tout gagné. Craignant qu’elle ne le trouvât rétif, il se saisit du verre avec toute la douceur dont il était capable et la remercia. Il s’en voulut de ne rien trouver d’autre à lui dire. Puis soudain, il se souvint que son frère lui avait parlé de la passion qu’elle nourrissait pour la lecture. Rapidement, il évalua la situation et estima que le seul lien possible avec cet être d’un autre monde que le sien, il venait de le trouver ! Il mentionna quelques livres de poèmes qu’il avait lus et s’excusa immédiatement de la pauvreté de ses connaissances mais il insista sur le fait que ces poèmes l’avaient transporté dans un univers auquel il était heureux d’appartenir. Les mots qu’il utilisait s’entrechoquaient dans tous les sens et la manière qu’il avait de parler – il en avait bien conscience – était aux antipodes de la mesure et de la distinction qui caractérisaient l’entourage de la jeune femme. Celle-ci en fut à la fois amusée et choquée bien qu’elle pressentît chez cet homme de la rue une force de conviction ainsi qu’une énergie vitale peu communes. Elle entreprit de lui parler de Burns, de Keats et même de Tennyson dont elle lui prêterait l’ouvrage qu’elle venait de terminer. Ainsi pourrait-il lui raconter ce qu’il en aurait retenu.
En lui, l’émotion était à son comble. Il espérait cependant qu’elle ne pourrait pas deviner le degré d’ébullition de tout son être et s’efforçait à donner une impression de calme. Mais c’était comme si sa locomotive avait quitté les rails et s’emballait dans des directions jamais encore empruntées. Pourtant, Dieu sait qu’il en avait parcourus des chemins de traverse ! Sa vie ressemblait même à un cargo sur lequel il avait affronté les dangers les plus divers, un cargo en perdition, jusqu’à ce jour où il venait de recevoir la révélation à laquelle il s’attendait le moins… que l’amour surpassait en vérité et en intensité tout ce qu’il avait pu imaginer jusque-là.
Quant à celle qui l’avait subjugué, se doutait-elle, ne serait-ce qu’une seconde, des bouleversements qui s’opéraient dans cet homme susceptible de faire irruption dans sa vie de femme rangée et studieuse ? Etait-elle capable, à cet instant, de penser qu’un inconnu, surgi d’on ne savait où, avait compris bien avant qu’elle ne fût en état de l’envisager, qu’il n’y avait plus qu’une chose qui comptait et, qu’à partir de ce jour, tout ce qu’il entreprendrait aurait pour unique motivation l’amour qu’il avait décidé de lui vouer. Elle se risqua toutefois à hasarder un « Revenez me voir quand vous le souhaitez ». Ces mots prononcés sur un ton presque de convenance ouvrirent un champ si vaste qu’il eut l’impression de se sentir aussi ivre que s’il avait ingurgité une bouteille du meilleur alcool. Mais l’image ne lui parut pas convenable dans cette circonstance et il se dit qu’il aurait fort à faire avant de se hisser au niveau de ses prétentions. Rien n’allait le rebuter pour y parvenir et surtout pas les proches de cette déesse dont il ne savait que bien peu de choses. Pour atteindre son âme, il surmonterait tous les obstacles. Il se sentait prêt.
"Les fruits de la passion" de Christiane FAURIE
Mais ma chère, vous n’y songez pas ! Consommer une citronnade attablés dans un bar, mêlés à la foule malodorante et bruyante !
Cela n’a aucun sens ! Elevez-vous ma Chère. A votre âge, vous avez perdu la raison !
A le regarder là, je ne le reconnais plus comme l’être qui m’a côtoyé depuis si longtemps et a forgé mon être de principes mais comme celui qui a empêché l’éclosion de ma singularité, fait avorter mes projets les plus fous en imprimant à jamais mes pieds dans ce tapis élimé.
Aujourd’hui je sors de l’ombre, porté par ce tapis roulant au sortir du métro qui nous dépose au milieu de la foule de la place Saint Michel où jadis nous nous sommes rencontrés.
Aujourd’hui, il est enfermé des heures durant dans ses songes malgré mes réprimandes appuyées à son encontre.
Il regrette déjà d’avoir cédé à mes imprécations : sortir de notre vieille bastide transformée en bastion d’où personne ne sort et auprès de laquelle personne ne cherche refuge.
Mon appétit de vie est galvanisé, transcendé par la conscience du temps qui passe et les stigmates de l’âge déjà bien installés en lui comme une cuirasse.
C’est cela même qui me fait redouter l’ennui, le silence, la solitude.
La place est grouillante de monde. Les rires aigus des enfants, leur course incessante donnent le vertige.
Le froid qui sévit au cœur de l’hiver ne résiste pas à cette chaleur humaine déployée comme un radiateur géant tout autour de nous.
C’est si bon de d’y frotter, se laisser porter par la marée en toute confiance, s’y laisser bercer comme un enfant en mal d’amour.
J’ai les joues en feu, les yeux noyés de tant de bonheur tandis qu’il observe d’un œil circonspect l’environnement hostile.
Je me sens revivre, éloignée de cet homme frileux, appréhendant tout changement, figé dans ses certitudes, empli de cet air de suffisance que lui ont insufflé ses parents dès le plus jeune âge.
« Tu as un nom à honorer, à porter haut… »
Moi, je n’ai plus rien à prouver sinon à vivre avec frénésie.
Je suis à son écoute depuis trop longtemps, satisfaisant ses moindres volontés.
Je me suis hasardée jadis à lancer un sujet de réflexion, une idée invitant à débattre ; un air de surprise puis un léger mépris faisant se pincer ses lèvres et soulever le sourcil me contraignait à battre en retraite sous peine d’interminables diatribes qui me laissaient exsangue et vaincue.
Mais aujourd’hui, où est sa superbe ? Il est seul sur ses rails à tourner en rond sans que personne ne monte à chaque gare. Il conduit un train fantôme.
Est-ce criminel de sentir encore bouillonner le désir ? D’être dévorée par une curiosité insatiable qui me pousse à découvrir encore et encore, est-ce répréhensible ?
Je ne veux plus rendre de compte mais je veux compter pour quelqu’un.
Donner à qui veut prendre, rire à gorge déployée, croiser des regards au lieu de rester confinée dans la naphtaline.
Vivre pour soi et non à côté de son ombre, figée sans l’apport d’air frais
Ne plus respirer c’est mourir. Je veux écouter mon coeur battre généreusement jusqu’à mon dernier souffle.
Je veux aimer et être aimée, sentir la colère monter en moi et les larmes couler généreusement.
Je ne peux plus freiner ce torrent qui coule en moi et me rend rétive à toute injonction.
Installée devant ma citronnade, je bois à petites lampées, les yeux mi-clos, sans remords tandis que la colère se lit sur son visage.
Je lui tourne le dos ostensiblement en espérant à cet instant précis qu’il disparaisse dans la foule à jamais.
Il réprime un haussement d’épaule et s’éloigne enfin.
Il y a si longtemps qu’il ne m’a pas été permis de vivre un tel bonheur.
Je suis prête désormais, fermée à tous les bons conseils, les « tu te dois, reviens à la raison…, tu ne pourras jamais à ton âge… »
NON ! C’est maintenant ou jamais ! Je veux vivre, être une vieille femme indigne, avoir peur jusqu’à la terreur.
Plus de soumission sécurisante.
Je veux crier ma rage et entendre l’écho de ma voix sans embrigadement de ma pensée.
Garçon, une autre citronnade !
"C'est la rentrée !" de Janine NOWAK
Premier septembre.
Jour de la rentrée des classes. Et quelle rentrée !
Je suis tout barbouillé. J’ai mal au ventre. Ce n’est pas de la peur que je ressens, non, pas à ce point, mais tout de même une grosse appréhension.
J’erre dans la cour du Collège, comme une âme en peine.
J’ai onze ans. Je rentre en sixième.
Le bâtiment est immense.
Je sais déjà que j’ai peu de chance de retrouver un quelconque copain de CM2. Je me fais une raison. Et même, je me réjouis à l’idée de ne plus revoir Aurélien, ce perturbateur complètement rétif aux études.
Je tourne en rond.
Je longe les murs.
Les anciens, les grands, ont l’air serein. Beaucoup, et même la plupart d’entre eux, sont joyeux de se retrouver après ces deux mois d’été. Ils chahutent et rient à gorge déployée.
Je croise un couple. Ils avancent main dans la main. La jeune-fille a de l’extase dans les yeux en regardant son compagnon.
Je me sens si petit, moi, le bizut, à côté d’eux.
Mais finalement, et curieusement, la vision de ces amoureux me réconforte. Je pense que, eux aussi, un jour, ont été comme moi, des nouveaux apeurés. Et seulement trois ans plus tard, les voici heureux, regardant l’avenir avec optimisme.
Allez, zou, Pierre-me dis-je- secoue-toi un peu.
Cogitons : cette première année de Collège, comment je l’envisage ?
D’accord, je sais, bien évidemment, que les professeurs ne vont pas me dérouler le tapis rouge, même si j’arrive avec un bon carnet de notes du primaire.
Mais pourquoi seraient-ils forcément inamicaux et sévères ? Si je ne fais pas le zouave, il n’y a aucune raison pour que je sois trop souvent victime de réprimandes. Sans être un aigle, je suis plutôt bon élève.
Alors, il faudra que j’essaie de me mettre en valeur.
Mais attention ! Intelligemment !
Ainsi donc, dans un premier temps, la bonne tactique consiste à ne pas m’installer au fond de la classe comme les cancres, près du radiateur !
Sans toutefois choisir le premier rang, prendre une place bien en vue serait judicieux.
Voilà un point important d’acquis.
A présent, étudions mon comportement.
Ne pas me montrer trop humble. Avoir un air de soumission, serait la pire des choses. Je passerais vite pour un sournois, un hypocrite ou un lâche.
En contrepartie, avoir un caractère trop emporté, ou une langue trop aiguisée, serait tout aussi nuisible.
Non, il faut rester calme et naturel, arborer une mine avenante, franche, sans arrogance. Inspirer confiance. Voilà, c’est le mot : confiance.
Le fait d’avoir pris ces sages décisions me redonne le moral et du cœur au ventre.
Je sens que je tiens le bon bout. Me voici sur les rails, comme on dit, en bonne voie.
Une sonnerie stridente se fait entendre.
C’est l’heure de se mettre en rang.
Ce son désagréable me donne un peu la nostalgie de la cloche de ma petite école, qu’agitait si généreusement le brave Père Mathieu.
Comme c’est déjà loin, tout ça ! Epoque révolue.
L’an passé, j’étais un grand chez les petits. A présent, me voici un petit chez les grands.
Une étape importante vient d’être franchie. Il faut se faire une raison et savoir s’acclimater.
Je pénètre dans le hall.
Mon plus proche voisin renifle et estime que ça sent la citronnade.
C’est une bonne nature, lui ! Moi, je trouve, que c’est plutôt une odeur de désinfectant, avec toutefois, il est vrai, des relents de citron. Grace à ces fragrances, on devine, que le bâtiment a été briqué à fond avant sa réouverture.
Hé bien, me voici dans la gueule du loup.
Les dés sont jetés.
Grand moment d’émotion.
C’est avec courage, vigilance et vaillance, que je vais devoir faire face à mes doutes, à mes angoisses, à mes appréhensions.
Vite, vite, je repasse dans mon esprit, comme une comptine, les sages décisions prises tout à l’heure dans la cour : ne pas s’asseoir près du radiateur, avoir un air qui inspire confiance, ne pas me hasarder hors des rails…pas le radiateur…air de confiance…rails…radiateur… confiance…