SAMEDI 5 DECEMBRE 2015
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Le conseil des Grandes Plumes - année 2"

Animation : Régis MOULU

Thème : Transmettre la puissance communicative de ce qui se passe (Artaud)

Dans ses recherche sur la parole, Artaud a exploré et théorisé une certaine théâtralité du dire. Notre texte produit tâchera donc d'être le plus communicatif possible comme s'il avait la force d'une incantation de par sa capacité, lorsqu'il est lu, à suggérer à son lecteur des gestes, des intonations... bref, à créer un événement ! On devient alors autre, comme le double de soi-même...

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été lancé en début de séance : "Quand l'absolument défectueux devient gagnant et réjouissant !"
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support analysant les technique d'écriture d'A. Artaud que l'on peut mobiliser à notre tour a été distribué.

 


 

 

 

 


 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Vaincre le désespoir" de Marie-Odile GUIGNON

- "A double tranchant" de Pascale SIMONEAU

- "Retranscription de la déclaration de l'homme-rythme, cet absolu défectueux en quête de réjouissance toute cuite, un avatar parabolique" de Régis MOULU

- "L'armée victorieuse" de Christiane FAURIE

- "Les panzers de tôle brune" de Murielle FLEURY

- "Existence de M..." de Chantal GUéRINOT

- "Dans ma chambre, je fais des vers" de Janine NOWAK



"Vaincre le désespoir" de Marie-Odile GUIGNON

Quand l'effondrement de l'absolu tente l'ouverture de la porte rien n’apparaît de plus souverain que l'éternité présente, permission pour la lumière d'entrer complètement dans la pièce - Le théâtre de plein air absout seulement les erreurs d'abstraction - Les arbres ne dissimulent pas la réalité de l'acteur tendre au corps nu jeté dans la cage des folies sexuelles des singes papillonnant sans vergogne, leurs faces confondant leurs fesses rougeoyantes d'orgueil en misérables acrobates disgracieux - Seulement la mésentente des mentors déflore le spectacle de ses intrigantes tentacules colorées de boursouflures. Les cacophonies surgissent arrosant le public de ses calamités puissantes. L'abolition forme une phallocratie truculente - Des coquecigrues, des hamadryades au remugle de galéjades doucereuses se métamorphosent en remontrances, l'exaltation gagne l'ivresse des esprits surpris par l'incalculable conquête des êtres débarrassés de leur harmonie ludique. La scène s’enorgueillit de visions lucides - L'unité sombre corps et âme dans les profondeurs des folies démoniaques. Les plaintes artificielles rejettent l'exagération des pardons, fautes imparfaites des milliards d'étincelles reluisantes - Coté jardin les murs grimpent à l'assaut des sens dans des silences abscons. Les yeux dilatés reçoivent les noirceurs des ouragans. Les bouches béantes aspirent les tentations liquides des sèves séminales, conquérantes tensions mugissantes. L'ouïe assourdie résonne jusqu'aux circonvolutions cérébrales - La censure récalcitrante perd ses forces, le champ de bataille soulève la mélodie truculente de la victoire dévastatrice. L'absolution totale débarrassée de sa rouille de négation tient le flambeau des mensonges, il flotte langoureusement au-dessus du public phagocyté par la teneur du spectacle - Une déferlante de pensées immerge le tableau, l'influence s'élève dans une nuée de tornade, elle dénigre la catastrophe logogriphe - Coté cour l'incandescence gagne en force de persuasion, les comédiens jonglent d'effervescence, les chairs s'émeuvent et s'enlacent, l'énergie des germinations décuple le terreau de la création, l'éphémère renaît de ses cendres, le festin des gains brillants déploie ses fastes de jubilation, il n'y a plus que miroitements, éblouissements - Un volcan offre sa force éruptive en pâture à la foule, fournaise électrisée par un soleil né de l'instant illusoire.

 

"A double tranchant" de Pascale SIMONNEAU

Je n’ai plus de moi. Les autres m’ont crucifié l’âme. Méthodiques, ils ont versé leurs fiels au cœur même de mes organes. Et leur venin a bardé mon corps d’épines assassines. Mes mots ont fondu jusqu’à disparaître. J’erre sans pensées, à l’ombre de regards ennemis. Un vide immatériel agresse mes entrailles neutralisées. Je n’ai plus de moi. Je leur appartiens désormais pieds et poings liés. Marionnette inconsistante, j’obéis. Je me meurs sous leurs yeux indifférents. La lune est noire et le soleil a cessé de briller. Famine, guerre, misère, chômage, attentats, incestes, viols, la liste de leurs méfaits s’allonge. Invisible, je poursuis ma route inerte. Inaudible, ma voix se perd dans les méandres de la Terre. Mes cris parcourent mon corps à l’envers et s’étouffent dans mon propre sang. Je n’ai plus de moi. Ils ont terrassé mes envies, ont annihilé toute résistance, ont brisé ma volonté. Demain n’existe plus, pas plus qu’hier. Je n’appartiens plus désormais qu’à ce présent morbide et ignorant. L’avenir ne m’offre plus d’échappatoire, pas plus que le passé ne m’avait ouvert d’horizons bleutés. Les jours et les nuits se confondent. De mon royaume d’innocence, il ne reste plus rien, pas même les couleurs. Tout est gris. La vie m’a perdue ou j’ai perdu la vie. Je ne sais plus. Mes sens cèdent un par un. Finies les promenades, les pieds dans le sable où chaque crissement évoquait une main rugueuse d’homme. Finis les regards enflammés parcourant la campagne, rebondissant de teinte en nuance. Finies les chevauchées fantastiques de corps enivrés où chaque parcelle de peau recelait un mystère. Finies les saveurs coquines et exquises. Je n’ai plus de moi. Mon ventre sec, matrice devenue inutile, se replie un peu plus sur lui-même chaque jour. Je disparais dans ma carcasse difforme. L’heure n’est plus aux comptes. Je décide de me laisser couler. Les eaux ténébreuses se referment sur moi. - Mon amour, tu dors ? J’ouvre les yeux. Et je peine à croire à ma chance. Je suis vivante. L’océan qui m’entoure a recouvré sa couleur d’antan. Les rayons du soleil explosent la surface et pourfendent mes profondeurs de limpidité. Ils me transpercent de leur chaleur et exultent de passion à travers moi. Chaque atome de mon corps renaît. Le monde me sourit à nouveau. Je rattrape le fil de la vie à la lumière d’un regard amoureux. Extraterrestre venu d’on ne sait où, mon homme m’observe du coin de l’œil, un sourire mutin sur les lèvres. J’ai à nouveau un corps, celui qu’il a aimé toute la nuit. Mon âme en puzzle se hâte de recoller les morceaux. Je jette les idées noires aux orties et décide d’octroyer une place au soleil à l’amour. La lune est à nouveau blanche et ronde, comme un sein. Maternelle et maternante, elle lave mon esprit, de tout opprobre. Elle sèche mes larmes, apaise mon âme tourmentée. Les mots, timides, remontent tout doucement à la surface. Mes mains osent à nouveau une excursion en territoire masculin. Mes pensées s’émerveillent de la douceur de sa peau. Sa voix grave me murmure des tendresses incompréhensibles. Elles vibrent à l’unisson de mon cœur rajeuni. J’ai vingt ans. Et je veux vivre désormais à cent à l’heure, laissant de côté les mauvais couchants, les râleurs, les mauvais payeurs, les effacés, les faux amis, les lunatiques, les autoritaires, les manipulateurs, les mous. Si la vie était un bonheur statique, on l’installerait une bonne fois pour toute devant la cheminée. Il serait là avec ses charentaises, regardant M6 ou Arte, dégustant son apéritif quotidien, décochant quelques regards satisfaits sur sa décoration intérieure, servant quelque compliment anonyme à la beauté de sa femme, surveillant du coin de l’œil sa progéniture, invitant chaque dimanche ses parents à déjeuner, jouant au tennis avec ses collègues, gâtant une maîtresse éphémère, achetant une Rolex sur ses vieux jours. Tout serait joué, alors ? Non. La vie mérite mieux. Elle s’invente au creux de ces petits riens que l’on imagine. Mots coquins et câlins. Caresses impromptues. Sourires de connivence. Conversations mutines. Joies camarades. Bonheurs indicibles d’un regard aimant. J’ai vingt ans. J’ai ouvert les yeux sur le monde. Et je veux maintenant les garder ouverts.


"Retranscription de la déclaration de l'homme-rythme, cet absolu défectueux en quête de réjouissance toute cuite, un avatar parabolique" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


On l'a vu sur son tambour et sauter à pieds joints. Il était tellement résolu qu'on a bien cru qu'il percerait un nuage. Ou même qu'il y resterait coincé, tête prise dans ce genre de bocal en coton…

– mais on ne peut pas laisser comme ça un corps dans l'azur ! Que quelqu'un le décroche !! le décroche !!

L'assemblée ne bougea point. Point. Faute, de toute évidence, à la déclaration que l'homme-rythme avait commise, il y a quelques secondes déjà :

Erre, héré, terre, tête, été, étrillé, mère, quête, air, chair, flair, idée, étrier, partez ! parsemez ! parfait ! parfait !

Désespéré à l'essentiel, je ratisse les lexiques, fais tomber les mots des poutres, des poutres, secoue « l'architecturiel du mal mourrissant », revendrai bien les nids de sourires, mélasse aux pistils, pistils en mélasse, meurtri d'admettre que mon ciel de tête ne pourra jamais chanter, piaffer, siffloter,

ô gesticulations de cartilages qui m'annulent, incision des résolutions-courgettes, vrille d'une beauté assignée à son placenta, boite à outils encore fumante à la décharge municipale, ou quand les os dont des claquettes dans leur sac-peau, bonnet de porc-épic inversé, xylophone impartageable des fous d'où surgit un strident à affoler les jambons, couenne et gras se redistribuant, voire même, s'inversant, ça suinte ! ça suinte ! normal que voulez-vous !

monte alors au cerveau du commandeur un monde perdu qui fait son come-back sur un trottoir avec moi dedans, boutique de fleurs congelées avoisinante, et saute ! saute la frénésie du devenir avec ses socquettes blanches, prenant mes pieds pour ses pieds, haro sur ce grossier bonneteau !

à la gloire resucée des étoiles, ces inaccessibles petites sottes qui se sont trompées d'abysses, trop ivres de leur grasse lumière pour entendre quoi que ce soit alors même que prendre de vitesse nos excrétats est le seul eldorado qui nous reste avant que ne se rétrécisse l'être programmé à passer coûte que coûte dans la lézarde-vérité, là où la lumière montre son cul, rien ne roulera nulle part, jamais, ai-je cru longtemps, les yeux dans les yeux de mon crime, ce sarcophage taillé pour deux,

encore heureux que tout se meut à la même allure que le vertige, pas plus, pas moins, je l'enfourche comme il m'a chevauché, la langue pendante, l'explosion poétique arrive, arrive, tout oignon dehors, je discerne déjà son tutu anti-fuite, cette moissonneuse oxydée à l'odeur âcre de pneu échauffé,

qu'à cela ne tienne, qu'à cela ne tienne, j'aime les héros pour leurs seules débauches, lorsqu'ils s'éructent en fin d'eux-mêmes, quand s'écorcha soudainement la truffe de leur dignité dans les buissons épineux de leur splendeur surannée, oh ! les hideuses saintetés ! qu'ils crèvent, alors, par leur image coruscante ! et, avant que sonne leur trépas, je leur boufferai le cœur selon les lois convenues que nous dictent les sauvageries de la vertu,

visages de cire n'avons-nous que trop été, visages de cire n'avons-nous que trop été, mille ans de gelée, morves d'intentions asséchées, pruine puante, pus prolifique, combien d'idées qui nichaient dans les arbres avons-nous laissé s'envoler ?! petites fuites de gaz inséminantes, bye bye ! nous vous pleurons ! nous vous pleurons !

limaces en expansion que nous sommes, nos carences nous définissent, nous régissent, nous emmurent, je veux échapper à cette cuisson et faire tomber du ciel tous les sels régénérants inusités, secouons, secouons, exorcisons cette ancestrale torpeur d'orphelins ! car comment éplucher autrement l'irréductible où se trouve la joie, si ce n'est dans nos incessantes demandes en mariage adressées à l'échec,

ah ! si seulement j'avais l'espace intérieur d'un monstre comme envergure ! les possibilités de survie sont des grappes que notre chagrin arrose, et que notre peur nous empêche de voir mûres, et voilà que notre sagesse nous les révèle pourries tant le poison de l'inaction a lignifié nos veines,

bouger pour ne pas sédimenter ! bouger pour ne pas sédimenter ! bouger pour ne pas sédimenter ! ou parler pour toujours bouger ! ou parler pour toujours bouger !
et le tambour de cette résolution m'attire et me berce. Désormais c'est la fête aux ventricules ! Et aujourd'hui, le maudit restera dans sa niche, implorera des caresses que je ne lui dispenserai pas ! jamais plus ! je suis libre ! je suis libre !..

L'assemblée était médusée, l'assemblée était médusée, comme figée dans un temps déjà passé. Le ciel s'en inspira fortement et devint, quant à lui, une table de marbre.
Dans ce nouveau dispositif, l'homme-rythme se limitait à être une de ses veines rosées qu'un ange déguisé en oiseau vint buriner avec un bec de location.
Un cantique se faisait alors attendre.
Nul témoin crédible ne put transmettre la suite.
Fin obligée.

 

"L’armée victorieuse" de Christiane FLEURY

Boum-boum, boum-boum, le djembé se déchaîne, retentit. Boum boum boum, tous ces corps amassés, vidés de leur sang. Boum,boum, par saccades, ils se répandent Baoum, baoum, la terre implore, elle a soif ; soif de vengeance, de sang frais. Il lui en faut encore et encore pour se rassasier et ne plus gronder au fonds de ses entrailles. Bree ; breee, ils se rapprochent les excréments jonchant le sol lourd. L’air est saturé, le son sourd des balafons cherche à couvrir le tempo lancinant du djembé ventru. Les corps se vident de toute substance. Boum-boum.. Boum, les battements saturent les tympans. Les os s’entrechoquent telle une crécelle laissant place au pestiféré. Glou glou, le bouillon chaud suinte des marmites rougeoyantes tandis que les corps exultent en un râle sidéral et se putréfient. Les mains s’attardent sur la corde du tam tam aka laissant place à une plainte pernicieuse. Raoum-raoum, vomissures jusqu’aux entrailles libérées de toute entrave. Elles parlent vrai et se démarquent de toute allégeance. Enfin libres ! Boum boum boum, conspirent-ils les infâmes pour nous rendre fous, fous de vengeance ? Boum boum boum, ça résonne comme un tambour qui s’affole martyrisé par des mains rêches maniant les armes plutôt que l’archer. Ils clament leur innocence au banquet de la dernière heure. Les crânes se cognent, les mains blessent, les mots tuent comme des lames de scalpel. Ils entaillent, ils électrochoquent, ils mutilent, ils atomisent, ils évangélisent et lavent les cerveaux. Arrêtez, arrêtez la musique… Laissez place au silence. Nos cerveaux déracinés cherchent à se poser, loin des entrailles encore fumantes. Glou, glou, nos yeux bouillent dans leurs cavités marmite. Scratch ; scratch, la chair en lambeaux se partage entre vautours affamés. Gling, gling, je ne suis qu’un amas d’os désarticulés d’où la moelle s’échappe aspirée par toutes ces bouches avides qui crachent sur nous en un jet brûlant, acide, désintégrant. Pff, pfff, je m’enfonce dans cette terre noire nourricière .J’échappe à leur vigilance, trop occupés qu’ils sont à digérer leur victoire, le contenu de leur abjection. Chut, chut, le silence se dévoile. Ils partent expier leurs pêchés au son du bongo des flûtes et des hakas. On perçoit encore leur mélopée, tel l’appel d’une sirène vénéneuse. N’ont-ils rien entendu, rien compris ? L’armée des morts se relève, son étendard couvrant les plaies béantes. Elle est dressée, réincarnée, prête à en découdre. Bang-bang-bang-bang. Débarrassée de son passé par des années d’électrochocs mutilants. Ahou-ahou, debout l’armée des ombres ! Elle prend la mer aux vagues furieuses, le ventre repu, les yeux décillés et la bouche débarrassée de sa crasse, prête à entonner un chant partisan et unificateur. La paix est à nos pieds, si évidente qu’elle crève les yeux.

 

"Les panzers de tôle brune" de Murielle FLEURY

Les orgues chamaniques autour de nous hurlaient
Débondage des bondes de bile crème
Catéchumène des cieux violacés
Sarabande des couteaux et des pistolets
Les cratères encroûtés de morve blême
Eructent en apocalypse de fin d’été
Buvard rétréci des ondes amères
Orange bleue de la pyrotechnie
Magnitude pyramidale des ordalies enchâssées
Apoplexie de l’intestin grave
Dichotomie unitaire des rideaux de pourpre verte
Le rempart des clapets boucle l’horizon décuplé
La chenille crapaud qui bave et s’avance et s’élance et distance
Transe danse cadence décadence
Calanque alourdie des vins de Bohême
Suppositoire de la cajolerie
Mirador des boutiques obscurcies
Palindrome de la dyslexie
Les panzers de tôle brune
Enfoncent les thorax broyés
Chiffons rouges de la débilité
Cruauté famélique des hordes assassinées
Parangons de vertu déboussolée
Qui rougissent en flaques de sang desséché
La morve des vainqueurs pend aux vestes kaki
La merde des vaincus jusqu’au ciel obscurcit
Les os en capilotade broient le carmin de la sauvagerie
Quand s’élancent les maillets et les varlopes
Les malandrins poussent la chansonnette
Foudroyants kamikazes de cette nuit interlope
Le métal brûlant fond sur les langues
Les recouvre les emplâtre les engangue
Les tord les bouleverse les distend
Montent au ciel les cris des manants
Passent au large des Flamands
Des Belges des Russes des Allemands
Pourriture garniture confiture enchevêtrées
Passementerie usée rapiécée boulonnée
Que trépignent les talons, les vessies les badernes
Les intestins broyés luisent à la poterne
Caducée spiralé déjanté supplicié
Les fossés sont remplis de macchabées
La Poméranie Slovaquie Moldavie
Tombeau des délices des prémices des jeunesses enfuies
Les poumons carbonisent dramatisent éructent leur appel à la vie
Les jambes sectionnées les épaules vrillées
Ecrevisses tentacules libellules
Mandibules des sauterelles de l’été
Puanteur viciée de charogne
L es bras comme les ailes des cigognes
Soldats déployés amputés disloqués
Corbeaux sur les champs de blé métal fondu cimentant les entrailles
Les troufions broyés prisonniers dans la tenaille
La vermine atrabilaire fond sur la horde stellaire
Quand s’attablent pour un festin les vers de terre
Revanche pervenche déclenche enclenche
La frénésie des traités négociations pour la paix
Quand s’envole sur la plaine un immense hoquet
Que se vident les boyaux les tuyaux et s’élancent les moineaux
Tonitruant démoniaque infernal et puissant
Monte au ciel du néant un pet franc

 

"Existence de M..." de Chantal GUéRINOT

Embarquée dans cette vie que je n'ai jamais voulue, je fais ce que je peux avec moi, avec les autres. Même sans les autres. Vie corvée. Pesanteur de l'existence. Lourdeur jusqu'aux épaules, jusqu'à être écrasée, étouffée. Traînant un regard vide sur tout, je passe incognito. Personne ne me voit ou feint de ne pas me voir. Je passe, repasse, trépasse plusieurs fois. Je me débats dans ce vide. Et je m'accroche, m'accroche à des mots lus ou entendus. D'autres voix me parlent. Je capture chaque mot petit à petit. J'apprivoise chaque mot. Ces mots touchent mon esprit, mon corps tout entier, créant une décharge qui parcourt mon corps. Je sens l'existence me parcourir. J'existe. Je m'installe. Je lis. Le monde n'existe plus. J'écoute cette voix et je prends tout : les noms, les adjectifs, les verbes, les pensées, les paysages, le monde et je me l'injecte. Je vis. Je garde ce sourire au fond de moi. Je le garde comme un soleil qui me brûle, la lumière m'irradie, je m'irradie toute seule car le monde ne me voit toujours pas. Je me fonds dans les mots et mes yeux poursuivent leur ligne infinie. Je m'installe, je m'accroche à cette terre. Je bascule dans le vide, je bascule dans la vie. Je marche et je suis la ligne. Je fais des pas de côté et puis je reviens. Je reviens dans mon monde qui n'est qu'à moi. Je m'y enferme et je me crame. Mon corps se consume de tant garder. J'aimerai exploser mais non je n'explose pas. Je scrute le moindre kif qui me fera du bien. Les mots me font vivre. Je tiens debout. Finalement, j'aime ça être à l'écart du monde. Je fais ce que je veux. Je suis toujours la ligne, ma ligne. Et cela me fait du bien. Je redresse la tête, les épaules et je vois le soleil. Je ferme les yeux sur mon existence si précieuse. La chaleur du soleil pousse sur ma peau et me pénètre. Mon corps fond et se mélange au monde. Oui, je fais partie de cette Terre et je vous vois. Tant pis pour vous ! Chacun sa place ! J'existe et nos regards se croisent et se décroisent dans cette mélasse qu'est la vie. Je respire enfin !


"Das ma chambre, je fais des vers" de Janine NOWAK


Dans ma chambre, je fais des vers,
Au propre, comme au figuré.
Mon corps est abîmé,
Mais mon esprit reste bien vert.

Pauvre, triste organisme tout délabré,
Usé, Décharné, Rapiécé.
Oui, ma carcasse me lâche,
Et je dois lutter sans relâche.

Je suis rongé par la vermine,
Ce qui me donne mauvaise mine.
Cependant mon cerveau est alerte.
Hélas, en pure perte.

Je n’écris que pour moi,
Les éditeurs refusant toujours mes envois.
Pourtant, obstiné et têtu,
Inlassablement je continue.

Il faudra bien qu’un jour on admette,
Que mon œuvre n’avait rien d’une bluette.
Les brimades me laissent indifférent ;
Et même, je crois qu’elles me stimulent.

Car j’ai la volonté de la mule
Du Pape qui pour sa vengeance put attendre sept ans.
Et je sens mes forces renaître
Rien qu’à l’idée d’être

Aux yeux des générations de demain,
Le poète maudit qu’on a laissé crever de faim.
Oui, je suis sans argent.
Oui, je suis mourant.

Oui, je suis en péril,
Oui, ma vie ne tient qu’à un fil.
Mais de tous ces maux je sors comme régénéré,
Et mon art s’en trouve affiné.

Et tels des flots impétueux,
Les mots jaillissent de mon être défectueux.
Inexorablement, l’heure avance.
Et il me reste peu de chance,

D’être admis au Panthéon des Poètes,
Dans les quelques semaines de vie que le corps médical me prête.
La Grande faucheuse est à ma porte.
Mais après tout… qu’importe !

Elle arrive pour offrir l’apaisement
De tous mes tourments.
Je pose mon manuscrit
Près de moi, sur mon lit.

Un parfum flotte dans l’air… je hume :
Oui, c’est l’odeur du succès à titre posthume.
Un doux bien-être m’envahit.
Enfin, enfin je vais être celui qu’on lit !

Je me sens apaisé
Et je meurs sans regrets.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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