SAMEDI 3 décembre 2016
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Le conseil des Grandes Plumes - année 3"

Animation : Régis MOULU

Thème : Embuer de son haleine de poète le miroir brouillé de la société (Aragon)

Priorité, pour Aragon, est de "lier le mot à l’événement" et de "rapporter le poème à son actualité" lorsqu'il fourbit cette belle formule : "la poésie est un miroir brouillé de notre société et chaque poète souffle sur ce miroir". Ainsi on essaiera d'instiller dans nos idées la puissance de ce lien à la réalité. Ou comment concilier esprit de journaliste et âme de poète !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), ce sujet a été énoncé en début de séance, à savoir : Écrire une nouvelle sur un animal qui comportera notamment une description honnête et sensible de l'être vivant qui, au fil de vos développements, prendra une dimension mythologique. Il y aura donc un enseignement (ou une moralité) à en tirer et un lien avec l'actualité de l'animal.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support cibkant en quoi un récit peut s'inscrire d'ans l'air du temps a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 



 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "L'air du temps" de Marie-Odile GUIGNON

- "Les gardiens" de Caroline DALMASSO

- "Il n’aurait fallu qu’un moment de plus pour que la mort vienne" de Dominique ALZERAT

- "J'ai le cafard..." de Janine BURGAT

- "Tornado" de Janine NOWAK

- "Clémentin" de Marie-Claire DAMON

- "Tête de feutrine" de Régis MOULU



"L'air du temps" de Marie-Odile GUIGNON


« Il connaît ses brebis et ses brebis le connaissent. » Un petit troupeau se déplace à la suite de son berger dans les proximités d'un désert rocailleux. Au pied des reliefs la nourriture végétale appelle des déplacements continuels. La sérénité vigilante du pasteur anémie la crainte du coyote ou du chien sauvage sanguinaire. Les oasis, les puits, jalonnent les longues distances et rythment les temps de pacage et ceux obligatoires du repos nécessaire aux longues digestions exigeantes en énergie. Les sommeils n'emportent que quelques songes légers, chauds comme la laine des toisons couleur de sable… Est-ce encore maintenant, est-ce il y a très longtemps ?... Les moutons ont suivi les migrations des hommes. A leur suite ils ont exploré le monde. Mon grand-père m'a raconté beaucoup d'histoires sur ces voyages, histoires qu'il tenait de son grand-père qui les avait entendues de son arrière grand-père qui les avait reçues de… Moi, je suis un jeune mouton noir, je sais donc qu'aujourd'hui il n'existe plus de terres où le mouton n'aurait posé ses petits sabots noirs en égrenant ses petits chapelets de perles brunes. C'est comme si les moutons, dans un attachement inexplicable, aimaient les humains d'une générosité que j'analyse difficilement. Je m'interroge, non pas parce que je suis un mouton noir, l'origine de ma couleur est une conséquence d'un gène récessif et qu'à une certaine époque j'ai bien compris que je n'aurais pas survécu à cause d'une malédiction qui collait à ma peau, mais parce que j'ai la sagesse d'écouter le vent, le vent porteur des nouvelles du monde entier. De plus, il m'arrive d'échanger avec mes frères à la toison blanche ou marron, avec les métissés, avec mes frères noirs car maintenant nous sommes une race. Le troupeau auquel j'appartiens à la chance d'avoir un bon berger et une vaste bergerie. Nous allons paître dans les coteaux environnants où poussent dans de ravissantes prairies une flore gustative épargnée par l'agriculture moderne. Un coin de paradis rare dans un pays qui s'appelle la France. Notre berger est un survivant de cette profession qui disparaît au fil des siècles. Il verse une larme quand nos agneaux atteignent l'âge fatidique et la corpulence appréciée par la technicienne agricole et qu 'ils s'en vont dans un camion. Il refuse l'insémination artificielle de nos mères mais accepte la pose du dispositif qui favorise leur fécondation. Il préfère l'immunité naturelle aux vaccinations coûteuses. Cependant, si nous avons mauvaise mine, car rien ne lui échappe, il nous soigne bien. Dans cette belle nature, le vent m'instruit. Son éternité jauge les changements, il visite le monde à toute vitesse parce que, dans certains lieux, s'attarder n'a pas d'intérêt pour lui. Mais pour moi il accepte d'observer les transformations du paysage et comment vivent mes semblables sur la planète. Il paraît qu'en Nouvelle-Zélande les troupeaux sont si importants qu'ils tachent de points blancs des espaces autrefois secs mais actuellement transformés en immenses plaines verdoyantes irriguées et pulvérisées régulièrement d'engrais. Nés dans d'immenses bergeries mes pairs sont dupliqués et dénués du sens d'exister. Manger, ruminer, grossir, manger, ruminer, grossir : les moutons dorment seulement 4 heures par jour c'est leur nature. Les hommes les aiment pour vendre leurs chairs à d'autres qui la mangent… Une litanie d'autres pays agissent ainsi envers nos races. Notre existence s'apparente à la coutume sacrificielle : on égorgeait mes ancêtres pour honorer les dieux ; peindre la porte de sa maison avec notre sang signifiait vaincre les chaînes de l'esclavage humain. A cause de notre laine si douce qui apporte chaleur et bien-être aux hommes, nous sommes tondus rasés comme des prisonniers humains, à la différence que, nous n'avons commis aucun délit… Le vent me raconte les transhumances sur les chemins pierreux bordés de badauds, où différents troupeaux ovins sont regroupés dans un immense cortège et conduits vers les alpages des hautes montagnes au début du printemps. Contraintes de faire connaissance, ces peuplades moutonnes s'accommodent de la promiscuité dans le partage des graminées et autres biens naturels de consommation mis à leur disposition dans les hauteurs. Il n'y a pas un berger par troupeau mais un berger pour tous ; un berger avec des chiens qui surveillent le groupe et les alentours. Malheur à celui qui s'écarte, la caméra canine veille, il paraîtrait que les loups hantent de nouveau les bois. A l'automne, la même cérémonie se déroule à l'inverse. La majorité de ces moutons ne vivront l'ivresse de l'été qu'une seule fois… Le vent s'alarme de la disparition des arbres qui perturbe ses jeux car les vastes forêts se réduisent comme peau de chagrin. Peau comme la nôtre et chagrin comme celui du partage de nos inquiétudes… Où irons-nous faire la sieste et ruminer si l'ombre des feuillus s'amenuise ? Le vent me préoccupe quand il se déchaîne en tornades, en tempêtes et que sa colère aspire à la destruction des hautes tours de béton serrées les unes contre les autres dans les villes des humains : en Amérique, en Chine ou ailleurs… « Des hommes entassés en troupeaux dont les membres s'ignorent à cause de faux bergers qui préfèrent honorer les gains financiers. » me dit-il… Moutons et hommes cheminent dans les siècles affrontés aux mêmes difficultés d'existence… Concilier l'autonomie et la vie en communauté sous la houlette d'un maître tout puissant ou d'un guide berger… Quand les moutons lèvent la tête vers le firmament, ce qui les rend heureux, c'est d'observer la beauté de ceux partis là-haut habiller le ciel de leurs douces toisons nuageuses qui se parent des couleurs de l'arc-en-ciel à l'aurore et au crépuscule...

 


"Les gardiens" de Caroline DALMASSO


Il fait noir, il fait chaud,
Je suis en apesanteur,
Il fait noir, il fait chaud,
Je resterai bien encore.

Mais déjà il est temps,
Il faut que je trouve ma place,
En route s’est mis le banc,
Il regagne les glaces.

Je découvre le monde
Tous les sens en éveil,
Qu’il soit calme ou qu’il gronde,
Sombre ou baigné de soleil.

Autour de moi il n’y a qu’immensité,
Et de la surface aux abysses
Je goûte à ce sentiment de liberté,
Je plonge, j’ondule, je glisse.

Déjà je partage ce terrain de jeu,
Déferlantes, petite houle ou mer d’huile,
Mes compagnons à grands coups de queue,
Sautent, tournent, virent et filent.

Puis c’est la rencontre, inévitable,
Un bruit sourd, une puanteur, un piège, une prison,
Panique, asphyxie, violence intolérable,
Les mailles d’un filet pour seul horizon.

On les appelle les humains,
Ils n’en ont jamais assez,
Ils prennent, ils pillent disent les anciens,
Avec eux, noire est la marée.

Pêche intensive, pollution, réchauffement climatique,
Nous luttons pour notre survie,
Un sixième continent fait de sachets plastiques,
Ne savent ils pas qu’ils sont en sursis?

Mais alors à quoi bon?
Y a t’il un espoir dans cet océan de brume?
Une envie, une étincelle, une solution?
Chut! Entends et vois au delà de l’écume…


Entends la terre, elle bat, elle frémit,
Elle se met parfois en colère
Mais elle dit attend, ce n’est pas fini,
Le coucher du soleil nous offre parfois le rayon vert.

Oui, la mer est grise, marine, indigo,
Mais elle est turquoise, azur, opale,
Derrière chaque aurore il y a un renouveau
Et les crépuscules nous invitent au bal.

Nous sommes les gardiens de la planète,
Nous vous attendons jour après jour,
Car pour venir à notre fête,
Vous devez apprendre à votre tour.

Les dauphins

 

"Il n’aurait fallu qu’un moment de plus pour que la mort vienne" de Dominique ALZéRAT


Le berger m’appelle Flocon, car ma toison de laine reste immaculée en toute saison. Lui, le berger, je ne sais pas son nom. je connais sa voix forte, son visage dont le vent a sculpté les sillons, la rugosité de la paume de sa main. Pour un mouton j’ai du caractère : qu’il neige qu’il vente, qu’il pleuve je m’en vais dénicher sur les sentiers pentus les coins d’herbe tendre ou le troupeau va paître. C’est pourquoi je suis la brebis mérinos préférée du berger. Mais à Tchernobyl le 26 avril 1986, tout a changé. Quand j’ai senti l’explosion, j’ai cru mourir sur le coup. Un brasier oranger a jailli vers le ciel. Comme si la terre accouchait d’un soleil mort né. Pendant que la nuée grise et mortelle décimait tout autour de moi.je secouai les cendres souillant ma belle toison roussie. Une douleur de feu me reliait à la vie. Le monde s’est réduit à un amas gris, sale et dévasté. Ne pas réfléchir, galoper droit devant dans le concert assourdissant des bêlements d’effroi. Je frôle sans même m’en apercevoir le corps de mon berger, momifié instantanément par les retombées et piétiné par les sabots de mes congénères Il y a encore un instant Je n’imaginais pas qu’on pût passer sans transition du paisible à l’horreur, de l’horreur à la stupeur, de la stupeur à l’action. « Trois p’tits moutons qui couraient dans la neige tout blanc tout blanc le joli manège trois p’tits moutons qui couraient dans la neige y’en a un qui fond ca fait deux petits moutons » Cette comptine à rebours sera-t-elle prémonitoire ? Cette pensée déclenche en moi l’idée la plus inhabituelle pour la brebis que je suis : si je veux survivre à cette fin du monde, je dois m’arracher à mon troupeau. Aussi ancrée que soit dans mon âme ovine l’instinct grégaire, je dois y échapper aujourd’hui. Mais comment faire cela quand on est un mouton ? Les sabots des béliers les plus hardis guident le troupeau vers le petit torrent, entrainant dans un même élan terrifié l’enchevêtrement de toisons laineuses des agneaux et brebis survivants. Combien d’entre nous ne verront plus d’aurores ? Les moutons ont de la mémoire, nous nous souvenons en particuliers des expériences négatives. Un jour sur ce chemin escarpé qui serpente vers le sud, le berger m’a retrouvée coincée dans une anfractuosité c’est exactement à l’opposé du torrent où vont mes congénères. Il s’agit de l’entrée étroite d’une grotte assez vaste, et c’est là-bas que j’irai. Les moutons ont-ils des intuitions, ou à tout le moins de l’instinct, car au plus profond de ma conscience ovine, je sens que seul ce lieu peut être salvateur et je prends l’initiative de m’y rendre, même si mon ventre lourd de l’agneau que je porte me ralentit. D’autres moutons m’ont suivie. Dans la grotte, il y a une source près de laquelle je mets bas. 2016 : article de « science et avenir » Titre : résilience Texte : 30 ans après l’accident nucléaire, à Tchernobyl, les mammifères se portent bien Dans la zone désertée par les humains, on recense élans, cerfs, chevreuil, sangliers et loups. Des moutons mérinos revenus à l’état sauvage s’y sont acclimatés, leur toison est particulièrement blanche et ils semblent avoir perdu l’instinct grégaire caractéristique de leur race, on peut les observer dans les hauteurs, près des grottes où ils se réfugient.

 

"J'ai le cafard..." de Janine BURGAT


Leurs déchets me nourrissent mais pour combien de temps ? Le monde ancien a disparu. Je me faufile depuis des jours dans un capharnaüm phénoménal d'objets en vrac, des cratères insondables et d'une multitude de denrées qu'ils ont laissé derrière eux quand tout a explosé. Là, je suis devenu le roi, l'empereur. Seul, tout seul dans un nouveau monde. Hier soir, j'ai cru voir un congénère. J'ai vu briller une étincelle, un frôlement tout en haut du tas de cendres que je montais péniblement. Et mes antennes ont été formelles. La même odeur, la même silhouette. Nous étions au moins deux. Sûrement. Je veux le croire. Notre réputation dans l'ancien monde nous donnait la capacité de survivre aux plus anciens cataclysmes. De Pompéi à Hiroshima, de Tchernobyl à Ground Zero, un des notres au moins s'était toujours relevé. La légende le racontait de génération en génération. Parfois pantelant, parfois roussi et plus petit, mais cette fois ci... Aucun lieu n'a été épargné. Combien s'en sont sortis ? Moi,. Plus un ? plus deux ? Suffirait de quelques oeufs pour que la lignée repartent. Dans ce domaine nous sommes de loin les plus forts. Mâle ou femelle ma vision ? Mes antennes sont restées muettes, alors que mon ou ma congénère s'était déjà glissé sous la cendre comme pour me montrer le chemin de la poursuite vitale. J'ai de quoi me nourrir partout. Chercher une colonie, la rejoindre et m'affirmer comme chef. C'est là notre devise. Depuis toujours. J'ai dirigé mes deux antennes en position péri-téléscopiques et j'ai suivi mon instinct. Dans le monde ancien, l'humain s'occupait de tout et particulièrement de notre destruction et même notre extermination. Chimies de toutes sortes, coups de savate, ils ne sont jamais parvenus à leur fin. On était partout autour d'eux mais en fait nulle part à leurs yeux. C'était une race à part les humains. Conquérants, race imbue d'elle même et prospère. Pas autant que nous mais tout de même. Très forts aussi en procréation. A ce jour et depuis aussi longtemps que j'ai erré après l'explosion, je n'en ai revu aucun. Seraient ils, cette fois, parvenus à leur fin ? Je m'en frotte déjà la carapace de joie et d'allégresse. Dans certaines langues humaines notre patronyme leur servait d'insultes. Ils ne parleront plus, bon débarras. J'ai passé la nuit sous la cendre dans une boîte de conserves noircie qui gardait encore quelques grains de maïs rôtis mais pas trop calcinés. Un régal. Un festin de roi. Leur explosion n'a pas interrompu le cycle éternel du soir et du matin. La chaleur et la lumière reviennent comme avant peut être un peu moins violemment, et le soir elles retournent quelque part. Ce qui m'indiffère totalement. Mon souci c'est manger.et chercher la carapace soeur. J'ai tout de même eu beaucoup de chance quand l'unique langue de feu a recouvert tout ce qui m'entourait. Je faisais une petite sieste crapuleuse avec une régulière dans l'interstice d'un bloc de béton. Endormis, nos deux carapaces enlacées, c'est elle qui touchait le fil de laiton contre la poutre. Elle m'a sauvé la vie. Quand je me suis dégagé elle était noire. C'était fini. J'ai levé yeux et antennes. Deux blocs de béton se croisaient en équilibre juste au dessus. J'ai filé aussi vite que mes pattes l'ont permis au plus profond de la cendre chaude. Je ne savais plus où aller. J'ai attendu, j'ai bougé, j'ai creusé quand mes antennes se réchauffaient trop vite en surface. J'ai rampé, j'ai avancé, et je suis sorti de la lave, un jour, à l'air libre mais gris, vers ce qui avait dû être de la terre, un champ de poussière, un bois. Tout fumait. Fallait il rester loin de la ville ? Un cafard des villes ou un cafard des champs ? Quel était donc ce monde nouveau ? Ni ville, ni campagne, un magma silencieux encore chaud, mais la chaleur ça me va. Plus dense le magma en s'approchant des villes. Plus lisse en reprenant le chemin des campagne ou ce qu'il en reste. A qui donc, aujourd'hui, appartient ce qui reste ? A moi ! J'ai la fierté de le penser. Si aucune humanité ne se manifeste plus, le reste reviendra, plantes, arbres au moins. Aucune honte à devenir végétarien. Nos carapaces seront peut-être plus friables si nous ne mangeons plus de protéines animales. Et alors ? On s'habitue à tout. Regardez moi. A cette heure, que me manque-t-il ? Un ou une congénère. Dans la langue humaine, ils avaient une expression : "avoir le cafard". C'est mon lot. Au sommet de mon tas de cendres, bien calé contre ma boîte de maïs j'ai le cafard. Dans cette immensité grise, où est la compagne de mes anciens rêves ? "Petite cafarde de la nuit des temps La cendre est devenue mienne. Et aux quatre vents, mes antennes Cherchent le chemin des tiennes. Notre nouvelle nature ne peut t'avoir oublié. Où es tu ? Quel chant composer qui te ravirait, Toi auguste reine ? Dans notre monde ancien Notre réputation de robustesse Etait notre étendard. Alors, petite cafarde, entends moi. Le monde est à nous. Je n'ai pas de lyre Et Jimmy Criquet a disparu. Juste le frottement de mes courtes ailes Et le bruissement de mes antennes. Que cette lentre mélopée Te guide à me rejoindre. La lune sur mon champ de ruines Vient juste de se planter. Les étoiles, seules, éclairent ma détresse. Le sommeil viendra. Nature, berce moi chaudement, j'ai froid. Demain réveille moi près d'une compagne de rêve". Et j'ai fermé les yeux. Il en était de ma chanson comme de ce monde. Inutile. Une chaleur inhabituelle me les a fait réouvrir. Le soleil était déjà haut. Mes antennes ont bifurqué sur mon dos. Des petits coups faibles, mais répétés m'ont ouvert les yeux tout en grand. Une colonie agitait ses petites ailes en rang serré, devant moi. Des bruns, des noircis, des gris couverts de cendre, des tout blancs. Combien étaient ils ? Peu importe, c'était reparti !!

 

"Tornado" de Janine NOWAK


Dans la nuit, il hennit. Il recherche un abri, Car le froid de décembre Engourdit tous ses membres. Ah, s’il avait des ailes Comme dans l’histoire très belle Du cheval légendaire Qui volait dans les airs ! D’un bond spectaculaire, Abandonnant la terre, Franchissant les marais, Les étangs, les vallées, L’espace à lui s’ouvrait. Pégase il s’appelait. C’était dans l’ancien temps. C’était voilà longtemps. Mais lui, pauvre animal, Est seul, et il a mal. C’est un bel étalon Qui porte un joli nom. Tornado, on le nomme. Et il fallait voir comme, Semblable à l’ouragan, La crinière dans le vent, Dans la plaine de la Crau, Il filait au galop. Aujourd’hui il est las. Et comme il boite bas ! Il penche son échine, Car la douleur le mine. Rejeté du troupeau, Il erre au fil de l’eau. Le jeune mâle a gagné. Une lutte serrée Les a départagés. Lui a dû s’éloigner. C’est la règle ici-bas : Celui qui perd, devra S’écarter sur le champ, Loin de tous, hors du temps. Dans ce marais fangeux, Il se sent miséreux. Il voyage vers l’enfer Et ne peut rien y faire. Pour l’animal ou l’homme, Tout est pareil, en somme. Qu’en est-il des humains ? Que font tous ces vauriens Qui par bande le soir, Se déploient dans le noir ? Eux aussi, dans leur clan, Ont un chef très violent. C’est la loi du plus fort : Obéir… ou la mort. Pourquoi faut-il toujours Rejeter tout amour ? Pourquoi seule la haine Est la voie qui nous mène ? Peut-on imaginer Un monde d’amitié ? Lorsque l’âge venu Les hommes ne sont plus Que des êtres usés, Sont-ils tous rejetés ? Ont-ils au moins l’espoir D’éviter le mouroir ? Le pauvre Tornado, Inquiet, a le cœur gros. Il sait que le gardian, Demain, de son trident, Bien loin du Vaccarès, Le guidera sans cesse Vers une triste fin. Quel sera son destin ? Deux solutions pour lui : Au mieux, reconverti Cheval de promenade ; Au pire, en marmelade Pour les chiens et les chats, Des repas il fera. Adieu, belle Camargue. A bientôt, la camarde.

 

"Clémentin" de Marie-Claire DAMON


Je m'appelle Clémentin, je suis un tout petit oiseau né sans une cage comme mes Parents appelés "mandarins" chez l'oiseleur des quais de Seine à Paris . J'ai été en aucune connaissance de cause (puisque je n'étais qu'un oeuf dans le ventre de ma Maman!) . Ils auraient dû m'appeler "Surprise", ces espèces bizarres à 2 jambes et des bras à la place des ailes, pourtant des ailes c'est bien plus pratique ! Bref ils ont acheté mon Papa et ma Maman et quelque temps plus tard je fus la surprise! Dans mon intérieur qu'on appelle "cage", c'était bien arrangé (comme j'ai toujours connu): la buvette, la boîte à graines, une balançoire... bref une vie "pépère" toujours sympathique puisque je ne veux, ou ne peux pas penser qu'il existe d'autres sortes de vie à connaître .Parfois l'envie me vient d'être curieux, de regarder au-delà des barreaux de la cage... tiens, ça je ne l'aurais pas mis dans ce sens là(ça: ça s'appelle un lit, qu'ils disent) oh, et cette grande chose où ils mettent des "habits"(traduction bien sûr), et aussi cette trop forte lumière qu'ils appellent lampe, moi j'aime pas etc,etc,etc.... Mais le plus bizarre c'est : pourquoi ne sommes-nous pas tous pareils, eux les grandes-jambes et moi les-jolies-ailes? Pourquoi sommes-nous si différents ? Un jour viendra où je comprendrai... peut-être que le gros petit moineau, qui vient sur le rebord de la fenêtre, m'expliquera si un jour je suis libre comme lui ??? Et à quoi cela servirait-il ? A-t-il l'air heureux ?? va savoir... L'est-il ? je ne sais pas. Pourquoi tant de "pourquoi" ?? Pourquoi ce qui m'entoure (en dehors de MA cage) SEMBLE si différent de ce qui EST là où je vis ? Pourquoi n'ont-ils pas tous envie d'être à ma place ? Pourquoi ma vie EST là où je suis obligé de vivre? Pourquoi une vie si différente entre le gros moineau du bord de la fenêtre, et les grands deux-jambes qui ,eux, me donnent à boire et à manger et me font une cage propre? Savent-ils seulement QUELLE est ma vie ? et la leur... le sais-je ? si seulement on pouvait se comprendre, échanger plutôt que leurs "sifflots" idiots ?... avoir d'autres façons de communiquer pour se comprendre... ils ont l'air sûrs d'avoir raison, moi aussi d'ailleurs : je suis sûr d'être content quand le gros petit moineau vient sur le rebord de la fenêtre... Pourquoi tant de différences même entre eux, les grands 2-jambes... Alors, sommes-nous TOUS si heureux, ou faut-il bousculer le sens de notre vie ? La prochaine fois qu'un grand 2-jambes ouvrira ma petite porte pour changer mon eau, ça y est, c'est sûr, j'irai voir ailleurs et ce sera le moment de chanter : "je vole"... MAIS le petit coin de sagesse de ma minuscule cervelle me dit : "Réfléchis bien, pense à tout, aux conséquences de chaque geste..." bah ! j'ai raison, na ! Alors voilà, c'est arrivé un jour... la fenêtre était ouverte, pas le moindre petit moineau pour guider Clémentin... Il ne connaîtra presque rien de ce qu'il aurait voulu connaître, picorant une miette sur la route, une voiture est passée, sans le voir. Et la vie de Mandarin et Mandarine, ses Parents, s'est effondrée. Et les grands 2-jambes étaient malheureux. Où est le bonheur ? où ? ailleurs où ? on ne le voit pas en temps voulu, là où l'on en voulait trop peut-être ? Lorsqu'il passe, alors "cueillez, cueillez les roses de la vie" nous dirait Ronsard, et moi je rajouterai : tout en sachant que le mot VIE a un début, il a forcément une fin.

 

"Tête de feutrine" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Hortense. – Je t'aime mon bélier, face à toi, je me vois, je me retrouve dans ta tête de feutrine, balle pour chamboule-tout, comme attisée par deux tourbillons, deux gros serre-livres, les turbines roussies d'une traction avant qui décale… Que tu ne me renverses pas me donne le vertige, confiante, je me mets alors à rêver véritablement, organiquement, il y a un vent de poésie qui me traverse, me draine, me chantourne, me modèle, puis j'offre ma marionnette au théâtre de nos révérences que met en scène la nature de nos sentiments, la valse des désirs est sans partage, et quand mon œil cligne, un monde renaît, ton museau se tend, notre film continue, je crois que je m'élève dans l'azur, drapée de ma possible toison d'or, à ce moment-là, les nuages n'existent plus, tandis que toi, lucide sur l'usage que je ferai de mon coutelas, tu danses encore et encore, couches l'herbe comme une craie fait des liés et des déliés sur son ardoise, tu diffuses d'olympiens messages, Hermès ou qui sais-je, de partout, on te regarde, on nous observe, toute parole n'est plus que gravure, face à toi, toute intention se fait « cristal en goguette », et on s'inspecte, et on se réinvente, moi, je me sais totalement perdue dans ta peau velue comme on errerait au hasard d'une bibliothèque, un foisonnement d'idées y règne, tour à tour s'y déroulent un concert de cordes, un folioscope de cartes postales qu'abrège inévitablement une improbable dans du tapis, plus que jamais lancinante, tu es mon salon de musique, ma joie intérieure, un joyau dont on parerait nos prés standards, approche que je te tonde, petit ! petit ! le sacrifice réécrit tout, pour nous deux, sais-tu que si je te châtre, tu deviens « nuage », puis un ange ? à la place, mon arme a pris pour cible une des deux spirales, bruit de cloche, réveil des sens, grandes galopades, atmosphère d'insurrection. Il y a des sons sourds qui vous replantent dans le sol, c'est le cas, et tu me charges ! me souhaites dans tes trajectoires, me déclares « intruse », migrante détestable, femme à expulser, ta vélocité me décoiffe, puis-je arrêter que ton musc me ligote ? Rumba. Le charme nous réunit. Fou de géométrie, tu ne réfléchis plus, t'emballes, t'excites, accèdes même aux arts martiaux. C'est dressé sur tes pattes arrière que tu t'élances, sans répit, te servant de tes cornes comme des chapeaux de roues, tête en proue, et ce pilon me suit, ta rage me poursuit et voilà que ta vengeance séculaire toque à ma porte ! Le courage, c'est bien de réussir à échapper au danger qui vous a choisi. Empourprée par l'effort, je te vois violet, sous ta laine chantilly. Les roseaux t'invitent à te calmer, le temps d'un murmure concerté, ultime symphonie. Mais tu me fais peur, maintenant ma peur nous fait courir ailleurs. Comme les charrues, nous ne comptons plus nos démêlés, nos aérés. C'est la mort par excès de gymnastique. Que ne puis-je renaître de ce cocon de transpiration ? Eh ! mon beau ! je veux ta peau ! la viande ne regarde que les supermarchés, ils te débiteront. La caresse de la lame que manie l'amour du chasseur pour sa proie me gratifie d'un scalp uniforme, ta peau fera un chouette tapis, à la verticale, une modeste tapisserie, quoiqu'il en soit un talisman, un miroir de poils transpirants, un tunnel de puissance, une houppelande magique, une simple robe de campagne. M'y glisser dedans m'apporta tant de joie que le bélier me percuta. Rite de passage, je changeai incontestablement de forme, ses cornes ressemblaient à d'interminables escaliers que je grimpai précipitamment. Le paysage avait viré au doré, tout était flavescent hormis quelques arbres dont les branches étaient serties d'émeraudes. Les trésors apparaissent toujours à celui qui ne les cherche plus, j'étais riche. Formidable architecture que ton casque, et je me sens tel un nain sur sa bûche de Noël en granit, ne serais-je pas plutôt un escargot qui se promène sur sa coquille vide. La vie se révèle être un labyrinthe. Arriver à son bout nous remet immanquablement à notre place de mouton, un mouton comme un autre que l'art pourvoie de cornes, personnellement, trouverai-je cette fertilité d'esprit, car oui, j'aimerais être bélier comme tu le fus.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
Retour page Atelier d'écriture